Livre:Jonas, fils d’Amitthaï (E.G.)/Vanité des appuis terrestres
« Mais le lendemain, à l’aube du jour, Dieu prépara un ver qui blessa la plante et la fit sécher ».
Jonas venait de passer en un moment d’une tristesse excessive à une allégresse qui ne l’était pas moins. Il va donc obliger le Seigneur à lui donner une leçon de modération dans la joie et à l’éprouver tout de nouveau. « Mais le lendemain, à l’aube du jour », dit notre texte, « l’Éternel prépara un ver qui blessa la plante et la fit sécher ». Telle est la vanité de tous les abris d’ici-bas ; ils naissent aujourd’hui pour disparaître demain ; et ce qui nous avait procuré le plus de douceur devient souvent pour nous la source des plus cruelles amertumes. Les choses même les plus innocentes, celles que « Dieu nous donne pour en jouir », ont aussi leur ver rongeur ; elles passent, Dieu demeure ; elles promettent le bonheur, Lui seul le donne.
Une chose me frappe, au premier abord, dans notre verset, c’est que, oubliant tout à fait, ou ne comprenant pas du tout le but principal que Dieu s’était proposé en lui prêtant le kikajon, savoir d’amollir son cœur et de se L’attacher par la reconnaissance, Jonas, au lieu de voir Dieu dans la plante, jouit du don sans regarder à la main qui l’offre, et, tout au bienfait, oublie le Bienfaiteur.
Tel est Jonas et tels sommes-nous encore. Le Seigneur répand-Il sur nous Ses grâces, trop souvent nous en jouissons sans nous élever à Celui qui les dispense. Oubliant qu’Il nous bénit pour que nous L’aimions, nous cherchons dans la créature un bien-être qui ne se trouve que dans Celui qui l’a faite. Le serviteur d’Abraham se rend au pays d’Aram, et y présente à la fille de Bethuel les joyaux d’argent et d’or que son maître l’avait chargé de lui offrir, non, certes, pour réjouir le cœur de la jeune fille dans la terre païenne, mais pour la gagner à Isaac et l’attirer au pays de Canaan ; qu’eussions-nous pensé de Rebecca si, tout en recevant les dons du patriarche, elle eût cherché son bonheur dans leur possession et fût restée au pays de ses pères ? Voilà pourtant ce que nous faisons journellement à l’égard du Seigneur, quand, jouissant de Ses grâces, nous oublions Celui qui les distribue et le but qu’Il se propose en les accordant.
Toutefois ce que Dieu donne ne suffira jamais à notre cœur ; pour être heureux, il faut Le posséder Lui-même : quels dons remplaceraient pour nous le suprême distributeur de tous les dons ? Israël, au pied du Sinaï, se crée un veau de l’or que Dieu lui avait donné quand il dépouilla les Égyptiens pour l’enrichir ; mais que ferait pour lui la vaine et muette idole ? Pourrait-elle le diriger ou le protéger au désert, le nourrir dans sa faim, le désaltérer dans sa soif et l’introduire enfin dans la terre de la promesse ? Nous avons, nous aussi, nos veaux d’or, faits comme ceux d’Israël, des biens que Dieu nous dispense ; mais que peuvent à notre bonheur les êtres que nous divinisons ? Protégeraient-ils notre marche ou nourriraient-ils notre âme dans le désert que nous traversons ? Nous introduiraient-ils enfin dans la Canaan de Dieu ?
En dépit de tous les raisonnements, et malgré toutes les expériences, notre cœur demeure idolâtre. De là nos mécomptes et nos ennuis. Des millions d’hommes gémissent sans en vouloir reconnaître la cause. Encore une fois, vous souffrez parce que vous faites deux maux : « Vous abandonnez l’Éternel qui est la source des eaux vives » pour vous « creuser des citernes crevassées qui ne retiennent pas l’eau ». « Retournez donc à Celui de qui vous vous êtes étrangement éloignés », et la misère fuira loin de vous, à mesure que vous vous approcherez de Lui, comme l’obscurité des ténèbres s’évanouit devant la lumière du soleil.
Tous les hommes sont de leur nature idolâtres ; mais les idoles qu’ils se forgent varient à l’infini ; et parce qu’elles varient avec leurs goûts ou leurs caprices, ils se taxent mutuellement de folie ; ainsi le prodigue se rit de l’avare, et l’avare se moque du prodigue. Mais, insensés les uns comme les autres malgré l’infinie variété de vos marmousets, « jusques à quand aimerez-vous la sottise ? Jusques à quand emploierez-vous votre argent à ce qui ne nourrit point, et votre travail à ce qui ne rassasie point ? Écoutez attentivement le Seigneur, et vous mangerez de ce qui est bon et votre âme jouira à plaisir de la graisse ».
Tout cela, nous le savons en théorie ; mais en pratique nous l’oublions ; « la folie est liée » à notre « cœur » sans que la verge de correction parvienne à l’en détacher ; nous péririons plutôt que de nous séparer de « nos vanités trompeuses ». Ni les avertissements les plus sérieux du Seigneur, ni Ses punitions les plus sévères, ni les plus dures leçons de l’expérience, ne réussissent à nous désabuser ; « j’aime mes idoles », dit tout bas notre cœur, et « je courrai après elles » ! Tout en déclamant contre le monde, nous courtisons ses faveurs ; tout en lui disant : « Monde vain, monde trompeur ! », nous nous fions à ses promesses plus qu’à celles de Christ ; et pendant que nous l’appelons un ennemi dangereux nous ne craignons pas de lui offrir un asile dans notre sein ! Oh ! qui nous sauvera de tant d’inconséquences et de contradictions ?… La seule puissance de ta grâce, ô mon Dieu !
Mais, pour atteindre ce but, un des moyens que la grâce du Seigneur emploie, c’est la correction. Le Père a pour Ses enfants de salutaires rigueurs. « Il châtie ceux qu’il aime » et les instruit en les châtiant. Jonas s’est attaché à la plante, oubliant Celui qui l’avait donnée ; le Seigneur commande ; incontinent un ver s’avance, blesse le précieux arbuste ; aussitôt la sève s’appauvrit, les branches s’inclinent, le feuillage languit ; adieu bel ombrage, adieu commode et agréable asile ! Le prophète, qui hier s’égayait à ton ombre, que va-t-il éprouver à son réveil ?
Leçon frappante pour tous les Jonas ! nous voulons dire, pour tous ceux qui se fient plus à la plante qu’à Celui qui d’un mot l’a fait croître ; qui, d’un mot aussi, peut la faire périr, et d’un autre mot en faire surgir cent autres à la place. Dieu est jaloux ; Il fera sécher l’un après l’autre tous nos kikajons, à mesure que nous leur donnerons notre cœur ; déjà le ver destructeur est à leur racine, et, pour blesser à mort la plante bien-aimée, il n’attend plus que le signal de Dieu.
Mais le Seigneur est clément et miséricordieux autant qu’Il est jaloux. Avant de nous frapper, Il nous presse, Il nous somme de ne pas nous attacher à ce qui va périr ; de rechercher ce qui ne se flétrit point, la grâce du Fils, l’amour du Père, la communion de l’Esprit Saint, « l’héritage incorruptible ». Que s’Il nous trouve disposés à ne tenir que de Lui nos biens terrestres, à n’en jouir qu’avec actions de grâce et dans Sa communion, loin de nous les ravir, Il nous les multipliera peut-être ; ou si, reconnaissant que nous avons eu tort de leur donner notre cœur, et déplorant notre idolâtrie, nous revenons à Lui repentants et humiliés, après avoir menacé de nous les ôter quand ils nous étaient en piège, peut-être nous les rendra-t-Il lorsqu’Il nous verra décidés à ne les posséder qu’en Lui. Un cantique anglais, dont nous n’offrons ici qu’une traduction pâle et décolorée, exprime cette pensée avec bonheur.
« 1. Comme autrefois à Jonas, le Seigneur, pour adoucir mes heures de tristesse, m’avait préparé un agréable kikajon ; fraîche était son ombre, douces étaient ses fleurs.
2. Apprécier ce beau don du ciel était sûrement chose fort légitime. Mais bientôt, ô folie de mon cœur ! bientôt la plante eut voilé à mes regards le céleste Donateur, et, en peu d’instants, ma joie se trouva changée en un cuisant chagrin.
3. Comme j’admirais l’arbuste, sa forme élégante, son délicieux ombrage et son fruit excellent, le Seigneur offensé commande à un ver invisible de s’approcher de la plante chérie, et de la miner sourdement.
4. L’arbrisseau se fane et je frémis. Mais je refoulai le murmure dans mon cœur, et, confessant ma folie, je dis au Seigneur : Pardonne à ton enfant, mon Dieu ! et fais grâce à son kikajon.
5. Qui dira Son amour ? Il entendit mes soupirs, Il soulagea ma douleur. Sa parole, arrêtant le ver rongeur, fit à l’instant même revivre la plante bien-aimée.
6. Et mon âme alors de Lui dire : Non, Seigneur ! non, mon kikajon ne m’appartient plus ; il est à toi, à toi seul qui pour moi le fis croître ; naguère idole de mon cœur, la plante de ton amour ne fleurira plus désormais qu’à ta gloire ! »
Telle est la pensée qu’exprime si bien le cantique. Que si d’autres sentiments nous animent ; si les témoignages d’amour dont le Seigneur embellit notre vie, arrêtant nos regards, nous voilent l’éclat de Sa face, et que, contents de jouir de Ses bienfaits, nous vivions dans l’oubli de Celui qui les dispense, oh ! sûrement alors Il dira au ver destructeur : « Va, mine et dessèche la plante, ruine son beau feuillage » ; incontinent nos plus riches espérances périront, nos fleurs les plus brillantes se faneront comme si l’éclair les eût touchées. Le Seigneur en agira-t-Il ainsi dans Sa colère ? Non, mais dans Sa charité ; Il ne nous sépare de Ses dons qu’après qu’eux-mêmes nous ont séparés de la jouissance de Son amour, et, s’Il met en quelque sorte « le feu à notre champ » (2 Sam. 14), s’Il nous ôte ce que nous avions de plus cher au monde, c’est qu’Il veut ainsi nous forcer à nous approcher de Lui pour contempler Sa face et mieux jouir des effets de Sa gratuité ; c’est qu’Il veut être Lui-même notre soutien, notre ami, le confident de nos pensées, notre asile, notre tout.
Avec lui tout est paix et bonheur ; hors de Lui tout est vanité et rongement d’esprit. Considérez cet heureux du siècle. Chacun vante son bonheur, chacun envie sa prospérité ; mais qu’il vous ouvre son cœur et vous verrez peut-être avec effroi combien de peines cachées dîment ses plaisirs, combien de secrètes alarmes imposent ses jouissances, et de combien d’épines est hérissé son paradis ; la séduisante image de son bonheur s’évanouira devant vous « comme la nuée du matin » ; ou, pour user d’une autre expression de la Bible, vous reconnaîtrez qu’une « mouche morte a gâté tout le parfum » (Eccl. 10). Non, répétons-le, non, ce n’est pas la position extérieure, non, ce ne sont pas les circonstances qui assurent le bonheur ; c’est la paix de la foi, c’est la certitude de ta faveur, ô mon Dieu ! et la jouissance de ton amour. Heureuse l’âme qui t’a choisi pour sa retraite et sa part ! Si tu reprends l’un après l’autre tous les appuis terrestres dont ta pitié nous avait entourés, jamais tu ne te reprends toi-même ; tu demeures éternellement notre lot, notre portion, et tu vaux mieux que tout ce que tu donnes !
Il ne tient qu’à nous d’en faire l’expérience. Trop souvent peut-être avons-nous ressemblé à l’épouse du Cantique dans sa folie ; imitons-la dans sa prudence. Après avoir longtemps erré dans la ville, fatiguée, battue du guet, l’épouse comprend enfin son tort et retourne s’asseoir auprès du bien-aimé. Après avoir erré longtemps nous aussi dans les sentiers de nos désirs et de nos volontés, rassasiés de mécomptes, abreuvés de dégoûts et peut-être frappés de ceux-là même à qui nous avions demandé le bonheur, puissions-nous pareillement nous réfugier auprès de l’Époux céleste et nous tenir assis à Son ombre ! Jusqu’ici peut-être L’avons-nous plutôt visité que nous n’avons établi chez Lui notre habitation ; demeurons en Lui ; alors, nous ne serons plus inquiets, agités, malheureux ; alors Lui-même ne sera plus pour nous comme un voyageur qui ne fait que passer une nuit dans le pays et n’y laisse que peu de traces de Son passage (Jér. 14) ; mais avec Jésus, la paix, la sérénité, le contentement d’esprit s’arrêteront sous notre tente.
Au reste, privations, désenchantements, brisements de cœur, tout nous est bon ; avec des yeux plus spirituels nous lirions dans toutes ces choses le mot amour écrit de la main de Dieu même. La chair ne voit que le temps, Dieu embrasse toute notre existence. Il nous force, par les afflictions, à dire une fois adieu au monde et à ses mensonges pour nous attacher aux invisibles réalités du siècle à venir ; car ce n’est pas vers du vide ou vers du vague que nous allons : c’est vers la Jérusalem d’en haut, c’est vers les milliers d’anges et vers Jésus qui a répandu Son sang pour nous ; Il veut absolument que tout cela n’en reste pas chez nous à une confuse espérance qui revient de temps en temps quand on est triste, mais que cette espérance devienne comme une réalité et suffise à notre esprit et à notre cœur.
Notre texte suggère encore d’autres réflexions. Remarquez d’abord quel genre de correction Dieu dispense à Jonas : Il fait périr son kikajon. Il eût certainement pu le châtier de bien d’autres manières ; mais c’est cette verge-là qu’Il choisit pour lui dans ce moment. Certes, Il ne pouvait l’éprouver d’une façon plus sensible. Ainsi fait le Seigneur. Il ne nous consulte pas dans le choix de nos épreuves, heureusement pour nous : des épreuves que nous choisirions ou que simplement nous accepterions, seraient-elles de vraies épreuves, et nous procureraient-elles les « fruits paisibles de justice » que les afflictions sont destinées à nous faire recueillir ? Il fouette pour qu’on le sente. Ne contestons pas avec les croix dont Il nous charge : ce sont des présents qu’Il prétend nous faire. « Si vous êtes exempts de la correction à laquelle tous participent », nous dit Sa Parole, « vous êtes donc des bâtards et non des fils ». Le plus grand châtiment qu’Il pût nous infliger, ce serait sans contredit de nous laisser sans châtiment.
Remarquez, en second lieu, comment périt le kikajon de Jonas : ce fut tout à coup et au moment où le prophète allait en avoir le plus besoin ; hier, dans la pleine jouissance de l’arbuste, il s’en voit aujourd’hui privé subitement et à l’heure où il va le plus vivement en ressentir la perte. Ainsi le voulait encore le Seigneur. Il fallait que Jonas sût bien, et l’Église entière avec lui, que tout ici-bas est vanité ; que tout soutien terrestre n’est au fond qu’un mensonge ; et que, pour l’ordinaire, la créature nous manque au moment où son appui nous serait le plus précieux, et où notre cœur est le moins préparé à s’en détacher ; il fallait que nous comprissions que Dieu seul ne fait point défaut au jour de l’épreuve ; que Lui seul est notre refuge, le kikajon qui ne se flétrit pas, le rocher qui nous suit au désert de la vie, pour nous couvrir de son ombre, nous protéger contre le vent et la tempête, nous rafraîchir de ses eaux et nous restaurer de son miel.
Puis, voyez de quel instrument Dieu fit usage pour détruire l’arbuste : ce ne fut pas d’un ange puissant en force, mais plutôt d’un vil insecte ; l’Éternel parle, le vermisseau s’avance, blesse au cœur la plante et elle se fane. Dans l’ordre de la nature, comme dans celui de la grâce, Il se sert habituellement de petites choses pour accomplir Ses desseins : de faibles insectes dévorent en un moment la puissante Égypte ; les murailles de Jéricho s’écroulent au son de la trompette de Josué ; les Madianites et tous les Orientaux, nombreux comme des sauterelles, tombent devant la petite troupe de Gédéon, et jonchent de leurs cadavres la riche plaine de Jizreël. Chaque jour, dans un ordre de choses plus modeste, Il fait servir les causes les plus chétives à traverser nos plans, à ruiner nos espérances, à tarir nos sources de félicité terrestre. Tous les moyens sont également à Sa disposition. Il emploie jusqu’à notre corruption pour châtier notre corruption : d’innombrables essaims de petits vers rongeurs sont à la racine de nos prospérités temporelles et les dévorent en secret : c’est le mécontentement d’esprit, c’est le chagrin, c’est l’avarice, c’est la jalousie, l’orgueil, ou l’égoïsme enfin sous ses mille formes.
Remarquez, en outre, que le ver qui blessa le kikajon du prophète était invisible. Jonas vit bien l’effet, mais il est probable qu’il en ignora d’abord la cause. Que de fois nous voyons nos kikajons se flétrir de même l’un après l’autre, sans que nous sachions précisément quelle main les a frappés ; et si l’on nous demandait comment notre joie s’est, en peu de temps, changée en douleur : Je l’ignore, répondrions-nous dans plus d’un cas ; tout ce que je sais c’est qu’avec Naomi j’étais allée pleine et que maintenant je retourne vide. Puissions-nous du moins ajouter alors avec un pieux pontife : « C’est l’Éternel, qu’il fasse ce qui lui semblera bon ! » et avec un saint monarque : « Je me suis tu et n’ai point ouvert la bouche, parce que c’est toi qui l’as fait ! ».
Enfin, comme on a pu le remarquer aussi, l’insecte qui détruisit le kikajon ne vint pas de lui-même, mais envoyé de Dieu. Tout le monde parle de la divine providence, et peu de gens y croient en réalité ; la plupart des hommes nient de fait son action ou la confinent dans d’étroites limites. Que des choses extraordinaires se passent dans le monde, on y reconnaît encore la main du suprême Régulateur ; mais quant aux circonstances ordinaires de la vie on pense assez communément que Dieu ne s’en mêle que peu ou point. C’est, en quelque sorte, l’exclure du monde qu’Il a fait. Il est cependant un cas dans lequel on parle volontiers de la providence, de la bonne providence, comme on la nomme alors, c’est quand tout semble aller au gré de nos souhaits. Mais que nos consolations terrestres prennent des ailes et s’envolent ; que nos appuis charnels se brisent l’un après l’autre sous notre main, alors nous en accusons tout ce qui nous entoure ; comme si l’être qui a détruit ou compromis notre repos terrestre, comme si la pauvre créature humaine, avec son imprudence, son inconstance ou sa malice, était autre chose que le ver que Dieu Lui-même avait préparé et mis à l’œuvre ! Oh ! qu’il est à la fois plus sage, qu’il est plus simple pour l’esprit en même temps que plus sûr pour la conscience et plus doux pour le cœur, de remonter tout droit à la cause première, et de voir Dieu Lui-même dans tout ce qui nous arrive ! Rappelons-nous encore la conduite de David envers Shimhi ; et, comme le roi d’Israël, au lieu de frapper le vermisseau qui a reçu la permission de détruire notre kikajon, taisons-nous plutôt sous la paternelle verge du Seigneur, ou n’ouvrons la bouche que pour reconnaître la justice et la modération du châtiment qui nous atteint.
Encore un mot sur notre texte. On peut distinguer en deux sortes nos jouissances terrestres : celles qui sont permises, dans de certaines limites du moins, et celles qui ne le sont dans aucun sens et à aucun degré. Tout ce que nous venons de dire s’applique plus spécialement aux premières. Ajoutons un mot sur les autres — funestes kikajons, abris trompeurs, que nos passions créent et que Dieu maudit ! Un ver aussi est à leur racine ; mais ce ver c’est plus que le mécompte, plus que l’ennui ou le serrement de cœur qui accompagne le désappointement. C’est ici-bas le remords, ce ver rongeur, qui flétrit et consume lentement notre âme, et empoisonne toute notre vie ; et, dans le monde à venir, c’est « le ver qui ne meurt point », ver affreux qui doit dévorer le coupable, et lui faire expier, dans une éternité de douleurs, les perfides caresses de la convoitise, les fausses et passagères délices du péché. Redoutable pensée ! Que, toujours présente à notre esprit, elle nous presse de plus en plus, frères ! de repousser loin de nos lèvres la coupe enchanteresse dont la liqueur, douce un instant à la bouche, sera éternellement amère aux entrailles. Et vous, pécheurs que déchire à cette heure le remords, cet enfer du temps présent, et que l’enfer éternel menace de ses plus horribles supplices ; vous, cœurs angoissés, ne perdez point courage ; il est en Israël un médecin compatissant qui nous nettoie de toutes nos souillures, qui nous sauve tout à la fois du remords et de l’enfer, et dont le sang précieux guérit toutes nos blessures, celles de notre conscience (et le remords est-il autre chose ?), comme aussi celles de notre cœur.
Tels sont les principaux enseignements que nous donne notre verset. Avec quelle éloquence il nous prêche l’instabilité des biens d’ici-bas et la vanité des créatures ! Avec quelle puissance il nous crie : Maudit est l’homme qui s’en fait un appui ! Plantes éphémères, que la bonté du Seigneur fait germer pour nous au désert que nous traversons, aujourd’hui elles ombragent agréablement notre sentier ; demain peut-être laisseront-elles notre tête exposée sans abri aux ardeurs du soleil de l’affliction. Ah ! puisse enfin l’expérience que déjà tant de fois nous avons faite de leur fragilité, en sevrer à tout jamais notre cœur !
Au reste, tout ce qui nous vient du Seigneur nous est avantageux ; soit qu’Il donne ou qu’Il reprenne, c’est toujours notre bien qu’Il se propose ; bénissons-Le quand Il fournit au pauvre voyageur fatigué un abri sous lequel il se réjouit un jour, et bénissons-Le quand Il l’ôte ; bénissons-Le quand Il offre à Sa colombe une branche pour y poser un instant le pied, et bénissons-Le quand, par l’épreuve et le mécompte, Il la force à se renfermer dans l’arche ; surtout rendons-Lui grâces lorsque, brisant sur notre tête « le roseau agité du vent » qui n’abrite ni contre l’orage ni contre le hâle, Il nous oblige à chercher notre refuge à l’ombre du « cèdre excellent », asile assuré « des oiseaux de tout plumage ».
Lui-même est notre retraite. Il est notre aliment, notre breuvage. Il est notre tout. On parle avec admiration de cet arbre (le cocotier) que le Créateur a si richement doté qu’à lui seul il fournit au pauvre Indien, dénué d’autre ressource, tout ce dont il peut avoir besoin : l’aliment dont il se nourrit, le lait dont il se désaltère, un abri contre la chaleur, l’huile, le vin, le vêtement, tout en un mot, si bien que, dans l’ordre de la nature, on pourrait presque le nommer l’arbre de vie. Eh bien, cet arbre précieux est une image de ce que le Seigneur est à Son enfant dans l’ordre de la grâce : avant tout, un sûr abri contre les traits de la justice divine, un précieux refuge dans les peines de la vie ; mais aussi le lait qui le fait croître, la viande qui le nourrit, le manteau qui le couvre, le vin qui le fortifie, l’huile qui le console, l’éclaire et le sanctifie. Il est, Lui, véritablement l’arbre de vie. Lui seul peut suffire à tous nos vœux, combler tous nos désirs. Parfaitement beau, souverainement aimable, Il ne cessera jamais de ravir notre cœur ; immuable, éternel, Il ne nous sera jamais ôté ; immense, infini, de Sa plénitude Il répandra sur nous éternellement grâce pour grâce. Cette âme qu’Il fit si grande, parce qu’Il la fit pour Lui, Lui seul aussi peut en remplir toutes les capacités, en satisfaire toutes les puissances affectives. On comblerait plus vite le vaste bassin de l’océan des filets d’eau qui arrosent nos prairies, qu’on ne remplirait le cœur humain de toutes les affections et de toutes les voluptés d’ici-bas. C’est toi, Seigneur ! qui es notre vie et notre félicité : Toi seul es notre nourriture au-dessus de toute substance, la source unique où notre âme doit boire aux siècles des siècles, « le rocher de notre cœur », le seul kikajon que nul ver ne puisse atteindre et dont le feuillage toujours frais ombragera notre tête durant tous les âges de l’éternité.