Lorsque l’âme descend à une association inférieure à la profession qu’elle fait, c’est assurément qu’il se trouve en elle une prédilection secrète pour cette association, prédilection qui lui a été cachée à elle-même aussi bien qu’aux autres par la profession. De là, dans l’ordre que Dieu suit envers les siens, la nécessité que la prédilection secrète de l’âme soit mise au grand jour, et que la profession soit purifiée d’un élément qui, semblable à un ver dans le bourgeon, l’empêchait de fleurir, et faisait obstacle au parfait développement de la lumière qui nous avait enhardis à faire la profession. Un homme ne contracterait pas volontiers une association pour laquelle il ne se sentirait pas de penchant ; mais ce n’est que dans sa misère que son inclination est nettement constatée. Chez un chrétien, les tendances actives de sa nature sont d’abord plus ou moins endormies ; et tout le temps qu’il n’y a pas de pression pour les réveiller et leur faire appel, il se sent dans une scène nouvelle, et la puissance qui l’a rendu capable d’y entrer le soutient un certain temps. Jusque-là sa profession est réellement conséquente. Mais, malgré cela, il peut se trouver en lui un élément mondain qui n’a pas été crucifié, et cet élément se manifestera lorsque surgiront les maux de la terre, ou la persécution à cause de la Parole. Car, quoique la simple persécution de la part de l’homme ne fasse que fortifier l’âme réellement et profondément affermie dans la vérité, cependant, règle générale, la persécution ou la détresse fait nécessairement appel à tout élément naturel qui n’a pas été mortifié ; et le penchant le plus fort s’élance de son obscurité et prend la direction.
Lorsque tout est serein et facile autour de nous, nous pouvons maintenir notre profession sans beaucoup de difficulté ; mais si la famine est dans le pays [Gen. 12, 10], comme dans le cas d’Abraham, et que nous soyons occupés d’elle et non pas de Dieu, nous consulterons notre nature, et notre nature nous révélera par son conseil, ses ressources : ressources qui ne sont ni plus ni moins que ses secrets penchants non crucifiés.
La nature conseille à Abraham de descendre en Égypte pour y chercher du secours contre la disette : elle ne le dirige pas, remarquez-le, vers la Syrie, car la Syrie était le lieu d’où il était parti à l’appel positif du Dieu de gloire ; et c’est rarement qu’il arrive à une âme d’abandonner ce qu’elle a professé ouvertement, ou de retourner à des sentiers qu’elle avait abandonnés d’une manière absolue. Mais il y a une Égypte pour toute âme renouvelée, même après qu’on a écarté la Syrie : c’est-à-dire que, quoiqu’on ait abandonné le monde, ou mieux la chair, il se trouve en nous une nature non crucifiée, que notre profession ou notre position comme chrétien a cachée jusqu’ici, et que la pression des circonstances manifeste lorsque, dans la tristesse et la solitude, nous retournons en Égypte (c’est-à-dire la nature, non pas précisément la chair), pour y chercher du secours et le soulagement de nos souffrances. Il en fut ainsi d’Abraham : quand il descendit en Égypte, tout témoignage de sa profession fut perdu ; et il en sortit couvert de reproches pour son infidélité.
Mais ce ne fut pas tout. Quelque douloureuse et pénétrante que fût pour lui cette discipline manifeste et publique, une souffrance plus grande encore et plus personnelle l’attendait, et une souffrance par laquelle son âme fut plus profondément enseignée à s’élever au-dessus des ressources de la nature qui l’avait conduit en Égypte. Il faut donc que quelque chose acquis en Égypte serve de moyen de crucifier cet élément de sa nature qui l’y avait fait descendre. La manière dont cela fut opéré est décrite en détail dans cette page remarquable de l’histoire d’Abraham qui traite d’Ismaël, fils d’Agar, la femme égyptienne : et ne pensez-vous pas qu’après toute la peine qu’il endura à son sujet, lorsqu’il eut à le chasser, chose qui « déplut fort à Abraham au sujet de son fils » [Gen. 21, 11] (et qui pourrait s’en étonner ?), il se soit repenti de tout son cœur d’avoir jamais mis les pieds en Égypte ? Mais (tant sont bénies et pleines de tendresse les voies de notre Dieu), ce ne fut qu’après la naissance d’Isaac que cette pénible demande lui fut faite, quoique la chose fut nécessaire longtemps auparavant pour que l’élément qui se trouvait en son âme en opposition avec la foi fut réduit au silence par sa crucifixion.
C’est ici la manière dont Dieu nous enseigne : d’abord, Il nous attache à Lui-même, et ensuite Il nous détache de la nature. Ce ne fut qu’après le sevrage d’Isaac et la fête qui l’accompagna, qu’Ismaël fut chassé sur la demande de Sara et le commandement du Seigneur. Que d’années s’étaient écoulées depuis qu’Abraham était descendu en Égypte, y cherchant des adoucissements aux ennuis de tout genre, à la famine qui l’assiégeaient en Canaan ! Pourtant ce n’est que maintenant qu’est crucifié l’élément qui l’y avait conduit par l’expulsion prompte et irrévocable de son fils comme vagabond dans ce monde glacé ! Mais l’âme d’Abraham, maintenant comblée des manifestations de l’amour de Dieu pour lui dans le don d’Isaac, est préparée à abandonner, quoique avec douleur, le fruit de sa propre nature, auquel, durant vingt-cinq ans, il avait été permis de rester, objet seulement d’une réjection partielle.
Le Seigneur nous apprendra combien Son amour est tendre et parfait, et combien Sa sainteté est absolue, en nous détachant de tous les appuis qui font obstacle à ce que nous jouissions pleinement de Lui-même.