Le péché originel et le christianisme

[Écho du témoignage 1867 p. 333-344]

L’histoire que la Bible nous présente est l’histoire du péché originel, et la doctrine qu’elle renferme est celle qui nous montre Dieu l’ôtant pour toujours. L’histoire de notre race (je ne dis pas de notre création) ne commence-t-elle pas par la déclaration qu’Adam, déchu et chassé de la présence de Dieu, engendra un fils à sa ressemblance, selon son image, fait dont la conséquence se montra dans le péché que ce fils commit contre son frère, comme le péché d’Adam avait été contre Dieu, la mort était ainsi réellement dans le monde — mais la mort de l’homme pieux montrant la prépondérance du mal ? Telle est, dans son premier commencement, l’histoire du péché rattaché à notre origine et qui est par conséquent dans notre nature. Ensuite, quand le déluge eut emporté la violence et la corruption du monde devenues insupportables, et que le monde eut recommencé de nouveau en Noé, en qui les hommes furent soulagés de leur œuvre et du travail de leurs mains et la malédiction de la terre retirée dans cette mesure, celui à qui le gouvernement de la terre avait été confié ne vit-il pas la bénédiction s’engloutir dans l’ivresse dont il se rendit coupable, et la nouvelle carrière de l’homme inaugurée par la honte et par la méchanceté d’un fils ? L’homme ne se plongea-t-il pas alors dans l’idolâtrie qu’il ne paraît pas avoir pratiquée auparavant, après avoir construit une tour, comme un monument et un témoignage de sa volonté à lui ? C’est sur ce fait qu’est fondée la forme actuelle du monde dans sa division en nations et peuples. Alors Dieu appela Abraham à sortir du milieu de cette idolâtrie, et, après un laps d’environ quatre cents ans au terme desquels ses descendants formaient un peuple, Il les retire d’Égypte à main forte et à bras étendu, et les mène à Sinaï pour leur donner Sa loi — règle de la vie pour un enfant d’Adam. Mais avant même qu’ils eussent eu le temps de la recevoir gravée sur la pierre, ils avaient fait le veau d’or, bien qu’ils eussent entendu la voix de Dieu parlant du milieu des flammes.

Tel est donc l’homme, selon l’histoire qu’en donne la Bible ; et vous verrez qu’il en est de même d’un bout à l’autre. Avant que la consécration d’Aaron et de ses fils fût terminée, Nadab et Abihu avaient offert du feu étranger et avaient été frappés de mort ; et l’histoire de la responsabilité d’Israël en rapport avec la sacrificature se terminait par la prise de l’arche et le jugement de la sacrificature elle-même dans la personne d’Éli : de sorte que c’en était fini du système tout entier, car sans l’arche il n’existait pour le peuple absolument aucune relation régulière avec Dieu. Dieu intervint, il est vrai, par un prophète, mais ce fut dans la souveraineté de Sa grâce. Lorsque la royauté fut établie, Salomon devint idolâtre ; et à la fin la sentence Lo-Ammi (non mon peuple) fut empreinte sur le peuple que Dieu avait choisi, sur lequel Il avait mis Son nom afin qu’il fût confessé au milieu de la corruption universelle et de l’idolâtrie du monde, et auquel Il n’avait pas cessé de prodiguer les appels les plus tendres et les avertissements les plus miséricordieux « jusqu’à ce qu’il n’y eut plus de remède ». Si alors Dieu constitue en Nebucadnetsar un chef de la puissance gentile, ce chef établit une idole et persécute les saints, et la série tout entière de ces monarchies prend le caractère de bêtes féroces sans intelligence. Enfin, pour principale et dernière épreuve de l’homme, sauf la miséricorde spéciale qui eut cours en conséquence de l’intercession de Christ, lorsque Dieu dit : « J’ai encore un fils : peut-être qu’ils auront du respect pour mon Fils quand ils le verront », ils s’écrièrent quand ils Le virent : « C’est ici l’héritier ; venez, tuons-le, et l’héritage sera à nous ». Ils n’avaient aucune excuse pour leur péché. Ils avaient vu et avaient haï et Lui et Son Père. Il y eut un sursis à la suite de l’intercession de Christ sur Sa croix ; et le Saint Esprit annonça comment Christ était glorifié et comment la porte était ouverte à la repentance. Mais ils ne voulurent point entrer, et l’histoire de l’homme dut se clore par cette parole de jugement : « Vous résistez toujours au Saint Esprit ; comme vos pères, vous aussi vous faites ». Un monde jugé, une loi enfreinte, les prophètes persécutés, le Juste mis à mort, le Saint Esprit repoussé, telle est en résumé l’histoire de l’homme, l’histoire du péché originel. L’homme doit naître de nouveau.

C’est là un triste et solennel tableau auquel chacun devrait rendre son cœur attentif, car il est moralement vrai de tous. Toutefois il porte avec lui cette consolation, qu’il fait voir que la bénédiction nouvelle introduite par le dernier Adam n’a absolument aucun rapport avec le premier Adam corrompu, quoique l’intelligence morale soit développée par le combat qu’ils se livrent l’un à l’autre, et que le besoin de la grâce de Dieu y soit sûrement éprouvé. Mais le christianisme a sa base dans la résurrection postérieurement à l’œuvre de la rédemption, c’est-à-dire qu’il constitue un passage dans un état entièrement nouveau, après que la bonté parfaite de Dieu, et aussi Sa justice, ont été prouvées relativement à l’ancien état.

Voici en quels termes Paul résume la grande vérité : « Nous étions par nature des enfants de colère comme les autres » ; et ensuite : « mais Dieu qui est riche en miséricorde, à cause de son grand amour dont il nous a aimés, alors même que nous étions morts dans nos fautes, nous a vivifiés avec le Christ, et nous a ressuscités ensemble… étant créés dans le Christ Jésus ». C’est ce qui fait de la mort et de la résurrection le sujet capital des épîtres. « Tenez-vous vous-mêmes pour morts au péché, mais pour vivants à Dieu dans le Christ Jésus ». Pierre de même, quoique d’une manière moins complète et plus générale : « qui nous a régénérés pour une espérance vivante par la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts » ; et « Christ donc ayant souffert pour nous en la chair, vous aussi, armez-vous de cette même pensée ». N’ai-je pas raison de dire que l’histoire de la Bible est l’histoire du péché originel — l’histoire de quelqu’un qui, s’il se connaissait, aurait à faire cette confession : « Voilà, j’ai été conçu dans le péché, et ma mère m’a enfanté dans l’iniquité » ? Elle a été accompagnée d’une patience merveilleuse et de voies de miséricorde qui n’ont fait que mettre en évidence ce péché, jusqu’à ce que, l’arbre ayant été déchaussé et fumé, il fut démontré qu’il n’y avait pas de soins qui pussent faire produire de bon fruit à un mauvais arbre ; et le Seigneur dit : « Maintenant est le jugement de ce monde ». « Le monde ne me verra plus ». Mais ce n’était que pour introduire la rédemption et placer l’homme sur un pied entièrement nouveau et dans la gloire de Dieu ; de sorte qu’il pouvait être dit : « Quand nous étions dans la chair ». « Or vous n’êtes pas dans la chair ». C’est cette véritable et divine manière de traiter notre nature, selon la révélation de Dieu, qui est exposée dans l’épître aux Romains, qui, en conséquence, fait aussitôt ressortir la condamnation méritée, l’expiation, la mort et la résurrection. De fait, la doctrine de l’épître ne va pas plus loin — elle ne va pas jusqu’à l’ascension, parce que le sujet traité c’est le grand principe moral, le principe du péché, la manière dont il est aboli, soit dans sa culpabilité, soit dans sa puissance, et l’acceptation de l’homme auprès de Dieu sur un pied nouveau : on y trouve énoncé une seule fois le résultat de l’ascension comme un fait dernier dans la chaîne. Mais elle insiste maintes et maintes fois sur la même vérité, comme dans les passages déjà cités. De même dans l’expérience : « Je sais qu’en moi, c’est-à-dire en ma chair, il n’habite point de bien ». La chair « ne se soumet pas à la loi de Dieu, car aussi ne le peut-elle pas ». Elle « convoite contre l’Esprit ». « Ceux qui sont dans la chair ne peuvent point plaire à Dieu ». « Je suis crucifié avec Christ, et je ne vis plus moi, mais Christ vit en moi ».

Ce n’est pas en vain que Dieu a prononcé cette parole : « Toute l’imagination des pensées de leur cœur n’est que mal en tout temps », non plus que celle-ci proférée en grâce : « Je ne maudirai plus la terre à l’occasion des hommes, quoique l’imagination de leur cœur soit mauvaise dès leur jeunesse ». En parlant ainsi, Sa pensée n’était pas simplement de signaler la méchanceté des hommes qui vivaient avant le déluge, et qui avaient disparu : c’était là Son motif pour ne plus en agir avec la race de cette manière. Le Seigneur s’exprime de même : « Du cœur viennent les mauvaises pensées, les adultères, les fornications, les vols, les faux témoignages, les injures ». Avez-vous jamais vu dans l’Écriture qu’il sorte naturellement du cœur de l’homme de bonnes choses ? Dieu l’a mis à l’épreuve de toute manière : et il s’est montré sans frein, il a transgressé Sa loi, mis à mort Son Fils, résisté à Son Esprit. Les voies de Dieu en patiente miséricorde, que nous trouvons dans l’Écriture, n’ont pas eu d’autre résultat que de nous donner un tableau scripturaire, une histoire qui démontre ce péché qui, après tout, est l’histoire de nos propres cœurs ; car la volonté propre, la transgression de la loi, le mépris de Christ, et la résistance aux appels de l’Esprit de Dieu ne sont pas le fait seulement des Juifs et de ceux qui vivaient avant le déluge. L’Écriture a renfermé toutes choses sous le péché, afin que tout pût venir sur le principe de la pure miséricorde. Et vous trouverez que la grande doctrine de l’Écriture (qu’elle se présente seulement en une promesse aux jours d’Adam, ou que nous la voyions ensuite développée par la prophétie, figurée de bien des manières sous la loi, accomplie en Christ, ou comme l’objet d’un témoignage rendu à la gloire de Christ par le Saint Esprit envoyé du ciel) est l’abolition du péché. « Voilà l’Agneau de Dieu qui ôte le péché (non pas les péchés, comme on dit souvent à tort) du monde ». C’est un changement complet du principe sur lequel le monde comme tel était d’abord. Ainsi, encore, dans ce passage : « Mais maintenant en la consommation des siècles » — de ces temps où, depuis Adam jusqu’à Christ, la responsabilité de l’homme était mise à l’épreuve – « Il a été manifesté une fois pour l’abolition du péché par le sacrifice de lui-même ». Le fondement moral de cela, pour ce qui concerne la gloire de Dieu, est la mort de Christ, et l’homme introduit après Lui par la résurrection dans la condition nouvelle au-delà du péché, en conséquence de ce que Dieu a été glorifié. En même temps il y a le fait que Christ a porté les péchés des rachetés ; mais ce n’est pas là notre sujet actuel. Cela donne au sacrifice de Christ une profondeur que ne pourrait lui donner le simple salut, tout précieux qu’il est, quoique nous entrions par cette voie. « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié et Dieu est glorifié en Lui ; si Dieu est glorifié en Lui, Dieu aussi le glorifiera en lui-même ; et incontinent il le glorifiera ».

En conséquence, quoique nous devions, comme pécheurs, entrer par la croix, ou bien il n’y a pas de vérité dans l’intérieur et le péché n’est point jugé en nous-mêmes, chose sans laquelle il n’y a pas de délivrance morale, et par laquelle nous nous mettons moralement du côté de Dieu contre nous-mêmes en tant que pécheurs et contre le péché ; cependant, lorsque nous sommes entrés par ce chemin nouveau et vivant, notre position n’est point une position en dehors, avec espérance que, nos péchés ayant été portés sur le bois par Christ, nous pouvons être en sûreté ; mais si nous avons réellement passé par ce chemin comme par la voie unique et absolument nécessaire, nous sommes désormais passés dedans par le chemin nouveau et vivant, et nous contemplons la croix, en paix, pour ainsi dire, du côté divin, et nous en voyons toute la parfaite beauté. Et il n’est rien de comparable à la croix — rien en quoi Dieu soit ainsi moralement glorifié. « À cause de ceci le Père m’aime, c’est que je laisse ma vie afin que je la reprenne ». Il ne dit même pas « pour mes brebis » ; c’est la chose elle-même qui est si excellente. Et c’est là ce qui me fait si souvent trouver si pauvre l’enseignement de ce qu’on appelle le parti évangélique là même où il est vrai, comme je suis heureux de pouvoir dire qu’il l’est pour aussi loin qu’il va. Il laisse le chrétien dehors, espérant, et occupé seulement de lui-même, au lieu de l’introduire dedans en vertu d’une œuvre accomplie, profondément convaincu qu’il n’y a absolument rien de bon en lui-même ; et alors comme étant dedans, s’appliquant à manifester le caractère qui convient à quelqu’un qui y est. Ils ont raison de craindre l’antinomianisme et de se défier d’eux-mêmes ; mais je soupçonne que le véritable motif pour lequel ils placent les chrétiens sous la loi (ce que le christianisme ne fait point) c’est que, n’ayant rien de la discipline de l’église primitive, ils sont obligés de modifier l’évangile et de faire de la loi un pédagogue après Christ, afin de tenir les hommes dans l’ordre. Alors tout est naturellement ramené là, parce que l’homme a à maintenir l’ordre, et cela le flatte. S’il a une conscience délicate, elle le torture ; dans le cas contraire, il s’occupe de lui-même, prend pour accordé qu’il doit y avoir des fautes, les juge peut-être assez tranquillement — en sera réellement affligé s’il possède la nouvelle nature — mais dans tous les cas, il peut s’occuper de lui-même, et c’est ce qui plaît au cœur. On aime à penser mal de soi, et pour tout dire, on le préfère à ne pas y penser du tout et à manifester simplement la vie de Christ en n’étant occupé que de Lui. Nous devons nous juger nous-mêmes, mais notre état normal est d’être occupés uniquement de Christ. La chose réellement difficile n’est-elle pas d’en avoir fini avec le moi ? N’est-ce pas le but du christianisme de régler d’abord, d’une manière divine, la question du péché vis-à-vis de Dieu selon la justice par l’expiation ? Et n’y a-t-il pas là puissance pour délivrer du moi et de la chair, et nous donner la victoire, bien que nous puissions faillir ? C’est bien humiliant que nous soyons tels ; mais il vaut mieux nous connaître ; et les plus riches ressources de la grâce et les pensées divines sont là pour nous sortir de nous-mêmes. L’épître aux Philippiens nous présente un exemple de cela en quelqu’un sujet aux mêmes passions que nous. Or, là, dans le tableau de l’état normal chrétien, il n’est fait aucune mention du péché et de la chair, sauf pour dire qu’on n’a aucune confiance en elle. Cependant l’auteur avait une écharde dans la chair pour la tenir bas. Si nous étions parfaitement humbles, nous n’aurions pas besoin d’être humiliés ; mais nous en avons tous besoin, même un Paul, comme nous le voyons dans ce cas.

Christ a donc été manifesté pour ôter le péché de devant Dieu, du cœur de l’homme, et du monde : la grande œuvre qui amène ce résultat est accomplie, mais pour ce qui concerne le résultat lui-même, il n’est pas entièrement effectué en puissance. Celui qui n’a pas jugé le péché originel, n’a pas le sentiment de ce qu’est la nouvelle nature animée par l’Esprit de Dieu, nature qui est du côté de Dieu contre le péché. Je ne juge nullement l’individu : il se peut qu’il haïsse ce qu’il aperçoit en lui de péché actuel. C’est de vérité abstraite, de vérité morale que je parle : celui qui ne voit pas le principe, la nature, la culpabilité du péché, tel qu’il existe dans la volonté propre de l’homme, n’a pas l’appréciation que donne la connaissance d’une nature sainte en réconciliation avec Dieu.