Souvent nous perdons beaucoup de la valeur pratique de l’enseignement qui nous est donné dans ce livre par suite des idées que nous avons probablement reçues dès l’enfance. C’est ainsi que le passage du Jourdain est fréquemment considéré comme signifiant le passage, au moment où nous mourons, des limites qui séparent la terre du ciel — l’entrée, par la mort, dans la Canaan céleste. Je ne doute point que passer le Jourdain, ce soit en effet franchir les limites de la mort et entrer en Canaan ; seulement ce fait n’a point lieu lorsque nous quittons ce monde, mais bien tandis que nous sommes encore dans le corps. C’est ce que Dieu nous a donné dans la résurrection de Christ, et dans Sa prise de possession des lieux célestes pour nous. Et une considération qui rendra cela évident pour tous, c’est que, lorsque nous arrivons au ciel, nous ne rencontrons point le combat avec les Cananéens, ni avec rien qui y réponde. Combattre n’est nullement l’affaire du ciel ; mais c’était l’affaire spéciale du peuple qui passa le Jourdain. C’était plus leur affaire que quelqu’autre chose que ce soit. Ce n’était pas autant l’œuvre à laquelle ils étaient appelés dans le désert. Là, ce qu’ils avaient avant tout à apprendre, c’était leur dépendance de Dieu, et, en second lieu, la connaissance d’eux-mêmes. Là, Dieu éprouvait le cœur des siens ; et, ce qui était infiniment mieux, ceux-ci faisaient l’expérience, ou auraient dû la faire, de ce qu’était le Dieu vivant qui avait pris Sa place au milieu d’eux. Mais ce n’était point du combat avec les ennemis qu’il s’agissait surtout dans le désert. Aussi ne voyons-nous les Israélites aux prises avec les Amalékites qu’une seule fois, et une autre fois avec les Madianites. Les guerres qu’ils eurent dans le désert furent comparativement peu nombreuses ; tandis qu’après qu’ils eurent passé le Jourdain, ce ne fut plus que guerre un certain temps. Le passage du Jourdain ne figure donc pas la mort réelle du corps, mais la mort de Christ et notre union avec Lui, par lesquelles nous sommes maintenant établis dans les lieux célestes ; et cela, aussi, en vue de notre lutte, non point avec la chair et le sang, car, comme l’apôtre Paul nous le déclare, « notre lutte n’est pas contre le sang et la chair », « mais contre les principautés, contre les autorités, contre les dominateurs de ces ténèbres, contre les puissances spirituelles de méchanceté qui sont dans les lieux célestes » [Éph. 6, 12].
Or les enfants de Dieu perdent une grande partie de la signification et de la puissance de cela, par suite de l’idée que c’est contre nous-mêmes que nous avons principalement à combattre. Il n’en est absolument rien. Le jugement de nous-mêmes est une chose différente du combat ; c’est très bien et très nécessaire de nous juger tous les jours, de faire constamment la revue de nos voies et de juger le moi et la chair. Mais il y a un subtil ennemi, sans repos, infatigable, qui fait sa principale affaire, non seulement d’entraîner le chrétien dans le péché au moyen de la chair, mais d’empêcher les âmes de jouir de la plénitude des bénédictions de la grâce et de la gloire de Dieu en Son Fils bien-aimé, par l’obscurcissement de la vérité. C’est là l’œuvre principale du diable pour ce qui concerne l’Église, et c’est contre cela que nous avons particulièrement à veiller. Nous pouvons nous examiner et nous juger chaque jour, et c’est très bon de le faire ; mais lors même que l’âme serait sans cesse jalouse de ce soin, ce ne serait pas assez : elle pourrait, dans le même temps, ne pas pleinement jouir du Seigneur Jésus. En voici la principale raison. Le Seigneur a mis devant nous un héritage de bénédiction, « toutes bénédictions spirituelles dans les lieux célestes en Christ » [Éph. 1, 3]. Mais nous sommes lents à en prendre avantage. Nous pensons peut-être qu’il y aurait de la présomption ; ou bien quelques-uns peuvent s’imaginer qu’au lieu de s’aventurer sur un sujet pareil, ce serait plus pratique d’insister sur les devoirs ordinaires de la vie. Mais cela ne suffirait pas, parce que ce n’est point là le christianisme. Ce n’est point la mesure de ce à quoi le Seigneur nous a appelés maintenant. Il y a certaines choses dans lesquelles depuis le commencement du monde tous les saints ont marché. Ce n’a jamais été bien, en un temps quelconque, à un saint de mentir, de manquer de probité, ou de faire quelque chose d’immoral. Sous toutes les dispensations il existe certains devoirs moraux qui sont nécessairement inséparables de la vie en Dieu. Mais tout cela n’est point le christianisme. Un saint peut faire tout cela, et pourtant ne pas jouir de ce que j’appelle le christianisme. Être tout à fait chrétien, c’est entrer dans la vocation qui est maintenant la nôtre par la mort et la résurrection de notre Seigneur Jésus Christ. C’est là ce qui est représenté par le passage du Jourdain. Il représente la même mort et la même résurrection de Christ qui nous avaient été déjà données dans le passage de la mer Rouge, quoique à un point de vue différent. Là, en effet, la mort et la résurrection de Christ sont l’expression de Christ nous séparant du monde — de Christ nous retirant d’Égypte. Mais tout cela peut être fait à notre égard sans que nous jouissions le moins du monde de nos bénédictions célestes.
Nous pouvons bénir Dieu de ce que nous sommes délivrés, de ce que nous n’allons pas être précipités dans l’enfer. Mais est-ce assez que cela ? Non certainement. Si nous en restons là, si nous n’entrons pas plus avant dans nos bénédictions, Satan peut être assuré de remporter, une fois ou l’autre, une victoire complète sur nous, comme il fit sur les Israélites : car au lieu de vaincre et de chasser leurs ennemis, ils durent voir les Cananéens, les Phéréziens, les Jébusiens, etc., garder paisiblement leurs possessions malgré eux. Il en est de même, hélas ! de beaucoup d’enfants de Dieu. Ils restent dans le mal qui ne semble pas être tel, et n’est pas considéré comme tel parce que ce n’est pas un mal de moralité : car tout homme, même inconverti, est tenu de ne pas pécher contre la moralité. Mais un chrétien est quelqu’un qui a les yeux sur le Seigneur. Qui que ce soit est capable de juger d’une chose extérieurement immorale, mais il y en a bien peu qui sachent que bien des choses faites par des personnes pieuses sont entièrement contraires au Saint Esprit et à Dieu Lui-même. Il existe bon nombre de soi-disant pratiques religieuses qui sont des péchés, et c’est sur elles que les chrétiens devraient avoir les yeux ouverts. Le Seigneur opère cela en nous, en nous donnant à connaître qu’il nous est échu un héritage céleste. Par Sa mort et Sa résurrection le Seigneur Jésus ne nous a pas seulement retirés d’Égypte et amenés dans le désert, mais Il nous a introduits dans le ciel lui-même en esprit. Nous sommes assis maintenant dans les lieux célestes en Christ Jésus [Éph. 2, 6]. Le cachet du ciel est désormais empreint sur nous, et Dieu s’attend à ce que nous marchions dans le sens de ce grand privilège, faisant des progrès, remportant des victoires, et arrachant des mains de l’ennemi ce que Christ nous a donné. Supposez une personne sincèrement convertie à Dieu et heureuse dans la connaissance qu’elle a que son péché est ôté à toujours ; ensuite elle ne sait que faire pour être agréable à Dieu, ni comment Lui rendre culte. Si elle continue d’aller simplement comme elle allait avant, prétendant que ce qu’elle faisait quant à ces choses lorsqu’elle était inconvertie est ce qu’elle doit faire maintenant (sauf, seulement, cela va sans dire, dans un but nouveau et avec une puissance nouvelle), il ne lui est pas possible de faire aucun progrès. Et c’est ainsi que le diable garde en sa possession la place de la bénédiction et exclut l’héritier de la gloire, de sa vocation et de son héritage. Naturellement, je ne parle que de la jouissance pratique. Les ennemis sont encore tranquillement dans le pays. Mais, nous devrions considérer en quoi consiste l’héritage que nous a assigné le Seigneur, et si notre culte et notre marche sont réellement selon Dieu, et en harmonie avec la position dans laquelle Il nous a placés. Si vous prenez la moralité pour votre mesure, tenez pour sûr que vous tomberez au-dessous du niveau que vous vous proposez. Quelque modèle que nous prenions, nous resterons toujours en dessous. Si nous avons comme notre but, notre idéal à réaliser, Christ ressuscité et Christ dans le ciel, nous ferons l’expérience de l’efficace de Sa résurrection, non seulement pour nous relever quand nous avons le sentiment que nous restons extrêmement en arrière, mais pour nous fortifier dans notre marche « en avant vers le but, au prix de la céleste vocation de Dieu dans le Christ Jésus » [Phil. 3, 14].
Dans la magnifique scène que ce chapitre déroule devant nous, nous voyons que le peuple passa le Jourdain à pied sec. Et ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que cela eut lieu dans le temps même où le fleuve coulait par-dessus ses bords : il se trouvait plus rempli alors qu’en aucune autre saison. De même il y a eu dans la mort de Christ l’effusion de la colère de Dieu la plus grande possible ; et Dieu a jugé le péché — notre péché — au plus haut degré, sur Son bien-aimé Fils. Et de même que, dans le type, ils passèrent comme s’il n’avait absolument pas existé de Jourdain ; ainsi, il ne reste réellement pas pour nous de jugement, mais plénitude de bénédiction. Nous sommes passés de la mort à la vie [1 Jean 3, 14], et sommes bénis de toutes bénédictions spirituelles dans les lieux célestes en Christ [Éph. 1, 3].
Et maintenant qu’ils sont entrés dans le pays, que trouvons-nous ? La manne cesse — il faut qu’ils mangent du crû du pays. La nourriture qui les avait soutenus dans le désert ne leur suffit plus. Et qu’est-ce que le crû du pays ? C’est Christ, comme la manne l’était aussi ; mais Christ sous un autre aspect : c’est la nourriture de résurrection. Le blé du pays était le fruit de la semence qui avait été semée dans le pays, était morte et avait poussé de nouveau. C’était Christ dans Sa résurrection. Que le Seigneur nous accorde de nourrir nos âmes de Lui de cette manière ! Dire que Christ connu sous cet aspect est trop élevé pour nous, être satisfait sans jouir de Lui de la sorte, revient à être satisfait sans Christ.