Des fables

A. Gibert

Nous devons tous et toujours « porter une plus grande attention aux choses que nous avons entendues, de peur que nous ne nous écartions » (Héb. 2, 1). Assurons-nous sans cesse que nous restons bien établis sur la vérité, comme sur un roc solide au milieu de terres mouvantes. S’en écarter, c’est s’enliser.

Le christianisme n’a qu’un fondement, celui qu’ont posé les apôtres (1 Cor. 3, 11 ; Éph. 2, 20). Leur prédication, dont le sujet central est toujours Jésus Christ, la vérité, procédait de « la connaissance de la vérité qui est selon la piété » (Tite 1, 1) et se réclamait d’une double certitude. En premier lieu, ils parlaient en qualité de témoins oculaires. Pierre et ses compagnons avaient été avec le Seigneur ici-bas, « en commençant depuis le baptême de Jean, jusqu’au jour auquel il avait été élevé dans le ciel », et ils pouvaient ainsi témoigner du fait capital de Sa résurrection (Act. 1, 21-22). Pierre, Jacques et Jean avaient vu de leurs yeux la majesté de Jésus lors de Sa transfiguration, échantillon de Son futur règne sur la terre (2 Pier. 1, 16). Paul, lui, n’avait pas connu Jésus selon la chair, mais avait « vu le Seigneur » dans la gloire du ciel (1 Cor. 9, 1 ; 15, 8). Ainsi les apôtres parlaient de ce qu’ils avaient vu (1 Jean 1, 1-3 ; comp. Jean 3, 11). Mais un témoignage simplement humain n’aurait pas suffi : ils en parlaient comme inspirés. Le Saint Esprit était la puissance de leur témoignage et de leur prédication (Act. 1, 8). Cette action du Saint Esprit corroborait les Écritures de l’Ancien Testament, et elle revêtait du sceau divin celles qui, recueillies et mises en ordre, devaient dans la suite conserver l’enseignement apostolique et compléter la révélation. « Toute Écriture est inspirée de Dieu » (2 Tim. 3, 16).

Or une des tactiques de l’ennemi, dès que se répandit la Parole du Christ, fut de la noyer dans un flot de doctrines et de superstitions d’allure religieuse, empruntées au judaïsme, aux philosophies rationalistes, aux mythes et aux mystères païens. Ces derniers parlaient à l’imagination, et répondaient aux aspirations des hommes vers le surnaturel, aussi connaissaient-ils alors un grand succès dans tout l’empire romain, à côté du paganisme officiel sans grande consistance : tels l’orphisme ou culte de Dionysos, dont l’influence était ancienne et forte dans le monde grec, les religions orientales de la Cybèle phrygienne ou de Mithra le dieu-soleil de Perse et de Syrie, enfin les divinités égyptiennes, Sérapis et Isis dont la vogue était si grande à Rome. Parmi les Juifs, on renchérissait de conceptions qui prétendaient se rattacher à l’Écriture, mais qui y ajoutaient des fictions de toutes sortes : le mélange des traditions hébraïques et des spéculations philosophiques, pythagoriciennes ou autres, préparait le système gnostique épanoui un peu plus tard.

Il était facile, pour les ignorants comme pour les adversaires du christianisme, d’assimiler la nouvelle doctrine aux rêveries qui foisonnaient. « Encore un philosophe discoureur ? » demandait-on à Athènes en entendant Paul (voyez Act. 17, 18). Voici plutôt de nouvelles divinités, disaient d’autres curieux. « Il apporte du nouveau dans les sciences secrètes », devait-on dire ailleurs (voyez Act. 19, 13-16).

Les apôtres s’élevaient avec vigueur contre ces rapprochements blasphématoires entre la vérité et les fables. « Ce n’est pas en suivant des fables ingénieusement imaginées que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais comme ayant été témoins oculaires de sa majesté » (2 Pier. 1, 16), écrit Pierre, qui ajoute : « … et nous avons la parole prophétique, rendue plus ferme… De saints hommes de Dieu ont parlé, étant poussés par l’Esprit Saint ». Mais il ne suffisait pas d’affirmer que l’eau pure de la Parole de Dieu n’avait rien de commun avec le flux corrompu déversé par l’imagination humaine, il fallait empêcher que cette eau ne s’altérât à son contact. De là les exhortations de Paul, en particulier à Timothée et à Tite, pour qu’on se détournât des fables qui, sous couleur d’embellir et de compléter la vérité, n’étaient propres qu’à la ruiner. Timothée devait ordonner « de ne pas s’attacher aux fables et aux généalogies interminables » et il avait à rejeter « les fables profanes et qui ne sont que des histoires de vieilles femmes » ; Tite devait reprendre vertement les Crétois en danger de s’adonner aux « fables judaïques » (1 Tim. 1, 4 ; 4, 7 ; Tite 1, 14. Voyez aussi Col. 2, 8, 18 ; 2 Tim. 2, 16, 23 ; 3, 9 ; 1 Tim. 6, 20).

Ainsi en était-il à cette aube du christianisme. On sortait des « temps de l’ignorance » (Act. 17, 30), il fallait établir la vérité, la présenter toute neuve à des gens qui, nés juifs ou païens, en devenant chrétiens, se tournaient des ténèbres à la lumière, du pouvoir de Satan et des idoles vers Dieu [Act. 26, 18]. Il fallait les détourner des fables vers la doctrine du Christ.

Nous sommes arrivés au soir de cette période chrétienne, et nous assistons, hélas, au mouvement inverse, commencé il est vrai depuis longtemps (2 Tim. 4, 3, 4) : ceux qui portent le nom de chrétiens se détournent de la doctrine du Christ vers les fables.

Il y a eu de tout temps des faux docteurs suscitant des hérésies ; il y a bien des siècles que « la femme Jésabel, qui se dit prophétesse », enseigne, et entraîne les esclaves du Fils de Dieu à manger des choses sacrifiées aux idoles (Apoc. 2, 20 ; voyez aussi Act. 20, 30 ; 2 Pier. 2 ; Jude 4-19). Mais notre époque porte d’une manière particulière le caractère du temps qu’annonçait Paul, un temps où ce sont les auditeurs qui réclament l’erreur. « Ils ne supporteront pas le sain enseignement, mais… ils détourneront leurs oreilles de la vérité et se tourneront vers les fables ». Ils ne sont plus seulement victimes des faux docteurs : « ils s’amasseront des docteurs selon leurs propres convoitises ». Pourquoi ? Parce que « les oreilles leur démangent » (2 Tim. 4, 3, 4). Non seulement la vérité n’a plus de saveur pour eux, mais elle leur est désagréable et insupportable. La chute de l’homme, sa nature pécheresse, la perdition, le jugement à venir, le besoin d’un Sauveur, le retour de Christ comme juge des vivants et des morts [Act. 10, 42], bref l’homme mis de côté pour laisser place à Christ seul, tout cela heurte et froisse. Ceux qui retiennent ces notions, passent pour des attardés. Parlons mieux de l’homme ! Vantons les ressources de son esprit et de son cœur ! Libérons-nous des dogmes surannés ! Et l’on flatte le « vieil homme » avec son orgueil et ses convoitises… C’est ainsi que « les oreilles se détournent de la vérité ». Mais il y a plus : on se tourne vers les fables. Tandis que, faisant menteurs les apôtres, on taxe de légendaires les récits évangéliques et que l’on voit dans les miracles des fables ingénieuses, on accepte les nouveautés les plus fallacieuses et les plus ingénieuses. On prétend aller plus loin que la Parole de Dieu dans le domaine des choses invisibles ; on pense découvrir les secrets de l’au-delà, pénétrer dans le monde des esprits, capter des puissances surnaturelles. Cela parmi des gens qui professent d’être chrétiens, sont baptisés, assistent à des services religieux. Et le danger existe pour tous d’être séduit.

Dangers divers, selon les milieux et les goûts. Passons sur les mille superstitions que l’on voit se perpétuer ou renaître, et qui vont des plus grossières aux plus subtiles. L’astrologie s’est modernisée avec succès, et l’on reste stupéfait de voir fakirs, tireurs d’horoscopes et devineresses faire fortune dans un monde dit christianisé. Je suis bien persuadé que les lecteurs de cette feuille n’ont rien à faire avec ces pratiques, mais qui dira à quoi l’on peut se laisser entraîner par la curiosité ? L’occultisme, spiritisme déjà ancien ou jeune métapsychie, fait de plus grands ravages, et c’est à juste titre qu’on a poussé à son sujet maint cri d’alarme.

Non moins sérieux est le danger de vouloir accommoder la vérité à la mode intellectuelle du jour. La recherche scientifique a ouvert sur le monde visible des perspectives inconnues des générations antérieures, au point d’ébranler le matérialisme pur, un moment souverain. D’où la vague actuelle de spiritualisme, mais d’un spiritualisme qui n’est pas toujours de bon aloi. Beaucoup de gens essaient de satisfaire à la fois leur besoin de croire à quelque chose et leur désir de comprendre, et par surcroît leur goût du merveilleux, et pensent rester chrétiens tout en adaptant le christianisme aux théories philosophiques ou scientifiques en faveur. Tel parle d’élan vital, tel autre de relativité, celui-ci ne s’intéresse qu’aux radiations, ondes ou fluides, celui-là se passionne pour l’énergie atomique et les théories électroniques, cet autre est acquis à de grandioses conceptions d’évolution biologique, et chacun tâche de composer avec ceci ou cela un système qui garde quelque contact avec la Bible, mais qui permettra de ne pas se sentir arriéré. L’étiquette de christianisme se trouve ainsi recouvrir les produits les plus divers de la spéculation humaine. En réalité, de tels compromis font dire ce que l’on veut aussi bien à la véritable science qu’à l’Écriture. Leurs auteurs se leurrent de vains rapprochements ; ils omettent généralement de distinguer entre les faits bien établis et les déductions qu’on en tire ; enfin ils rabaissent Dieu au niveau de l’homme et raisonnent comme s’ils étaient Dieu. N’oubliez pas, jeunes amis, que la vérité est immuable, parce qu’elle est la pleine révélation de Dieu en Jésus ; alors que la connaissance humaine, dans ce qu’elle a de plus fondé, ne peut procéder que par observations fragmentaires, par expériences tâtonnantes et par hypothèses qui se détruisent l’une après l’autre. Qu’une théorie soit d’accord avec la Bible, tant mieux, mais ce n’est pas cet accord qui donne du crédit à l’Écriture, et quand la théorie en question aura fait place à une autre qui sera peut-être en contradiction, elle, avec l’Écriture, le croyant n’aura pas lieu d’en être troublé. Une bougie allumée en plein midi n’ajoute rien au soleil, une fumée passagère ne l’éclipse point, et il demeure inchangé quand la bougie s’éteint et que la fumée s’est évanouie. Quant à l’ambition de l’esprit humain de s’ingérer dans les choses divines, elle caractérise la « connaissance faussement ainsi nommée » (1 Tim. 6, 20).

Enfin, certains laissent leur imagination se donner libre cours à travers les prophéties de la Bible, sans le moindre souci de l’harmonie des Écritures (2 Pier. 1, 20), et manquent visiblement, dans l’interprétation de ces prophéties, du sobre bon sens spirituel (2 Tim. 1, 7, note) qui est indispensable. Les plus étranges conceptions trouvent des esprits crédules tout prêts à fournir des adeptes enthousiastes. « Leur folie sera manifeste » au temps voulu (2 Tim. 3, 9).

Gardez vos oreilles saines, jeunes gens. Ne les laissez pas envahir par la funeste démangeaison. Familiarisez-vous avec la Parole : plus vous la lirez, plus elle vous démontrera elle-même sa divine autorité. Cramponnez-vous au « sain enseignement », et « que ce que vous avez entendu dès le commencement demeure en vous » (1 Jean 2, 20, 24 — adressé aux « petits enfants »). Comme les Béréens (Act. 17, 11), confrontez soigneusement avec les Écritures tout ce qui se présente à vous en fait de nouveauté religieuse. Dans bien des cas un examen élémentaire suffira à vous le faire rejeter (1 Jean 2, 20, 21). Dans les cas plus subtils, rappelez-vous que « par ceci vous connaîtrez l’Esprit de Dieu : tout esprit qui confesse Jésus Christ venu en chair est de Dieu, et tout esprit qui ne confesse pas Jésus Christ venu en chair n’est pas de Dieu » (1 Jean 4, 2, 3). Jésus Christ, le Seigneur Jésus, le Fils de Dieu, le vrai Fils de l’homme, Lui est la vérité. Gardez Sa Parole et ne reniez point Son nom [Apoc. 3, 8]. Vivez dans Son intimité, car Il est non point une abstraction, mais une personne. Connaissez bien Sa voix, celle du bon Berger dont les brebis « ne suivent point un étranger, car elles ne connaissent pas la voix d’un étranger » (Jean 10, 4, 5, 27).

Ne vous étonnez pas de voir le grand nombre courir après les fables. L’apôtre inspiré nous en a avertis à l’avance. Mais il vous dit à chacun, comme à Timothée : « Mais toi, demeure dans les choses que tu as apprises, sachant de qui tu les as apprises… Mais toi, sois sobre en toutes choses » (2 Tim. 3, 14 ; 4, 5).