En deçà

G. André
« Ne nous fais pas passer le Jourdain »
Nomb. 32, 5

Arrivé après un long voyage à la frontière du pays, le peuple d’Israël avait voulu envoyer des espions en faire la reconnaissance (Nomb. 13 ; Deut. 1). Découragés par leur rapport, les hommes de guerre refusèrent de monter à la conquête de Canaan, et comme conséquence de leur incrédulité, ils périrent dans le désert. Ils n’avaient pas atteint « le repos », parce que « la parole qu’ils entendirent ne leur servit de rien, n’étant pas mêlée avec de la foi dans ceux qui l’entendirent » (Héb. 4, 2).

Combien de jeunes gens, de jeunes filles leur ressemblent ! Élevés dans un milieu chrétien, ils ont entendu la Parole de Dieu. Avec leurs parents, ils ont suivi le chemin du peuple de Dieu. Ils sont arrivés pour ainsi dire « à la frontière ». Mais quand ils ont à faire eux-mêmes « le choix »[1], ils reculent… et s’en vont dans le monde, loin de Christ, parce que la Parole n’a jamais pénétré dans leur cœur. Ils la connaissaient, mais ils ne l’ont pas reçue avec cette foi personnelle qui s’attache à la personne du Sauveur.

Si les seules œuvres de la création rendent inexcusables les païens impies (Rom. 1, 20), si la possession de la loi condamnait les Juifs transgresseurs (Rom. 2), combien grande est la responsabilité de ceux qui, connaissant l’évangile, ne suivent pas les traces de Christ : « D’une punition combien plus sévère pensez-vous que sera jugé digne celui qui a foulé aux pieds le Fils de Dieu, et qui a estimé profane le sang de l’alliance par lequel il avait été sanctifié, et qui a outragé l’Esprit de grâce ? » (Héb. 10, 29).

Dans l’histoire d’Israël, d’autres tribus nous donnent encore une leçon différente, mais combien sérieuse pour nous qui connaissons Jésus comme notre Sauveur, mais qui mettons souvent si peu de réalité à Le suivre.

Descendants de la génération précédente, mais non point incrédules comme elle, « les fils de Ruben et les fils de Gad » (Nomb. 32) considèrent les pâturages de Galaad. N’est-ce pas « le pays que l’Éternel a frappé devant l’assemblée d’Israël… un pays propre pour les troupeaux » ? Et Ruben et Gad « ont des troupeaux ». Autant de bénédictions divines éprouvées dans le chemin. À quoi bon traverser le Jourdain, ce fleuve de la mort qui les amènerait, il est vrai, dans le vrai pays que Dieu destine aux siens, mais où il faudrait lutter et combattre, au lieu de s’installer tranquillement là où leurs troupeaux auront tout ce qu’il faut pour prospérer ?

Types de ces croyants qui « n’ont pas un christianisme mondain, mais terrestre »[2]. Attachés aux choses de la terre, ils y font sans doute l’expérience de la bonté de Dieu, de Ses soins, de Ses délivrances ; mais ils ignorent la vraie vie de résurrection avec Christ, le lieu où Il a mis la mémoire de Son nom, le combat pour Lui dans la puissance du Saint Esprit, le trésor dans le ciel.

Quelles en sont les conséquences ? Les pères de famille ne passent-ils pas le Jourdain, tout comme les autres tribus, armés pour participer à la conquête de Canaan (Jos. 1, 14) ? Mais qu’en est-il des leurs, de leurs enfants ? Bien installés en Galaad, ils ne connaîtront que par ouï-dire les merveilles que Dieu accomplit en faveur de Son peuple. Ils auront des villes de refuge, c’est vrai, mais « l’arche et son lieu » seront à toujours au-delà du Jourdain.

Et voilà le tragique de la situation : la conquête du pays achevée, ce ne sont pas les familles de Ruben et de Gad qui viendront rejoindre leurs pères en Canaan, mais ce sont les pères qui s’en iront « d’auprès des fils d’Israël, de Silo, qui est dans le pays de Canaan, pour aller dans le pays de Galaad, le pays de leur possession » (Jos. 22, 9). Les familles se sont petit à petit désintéressées du rassemblement et de son centre ; et cette influence gagne les membres les plus spirituels et les fait descendre au niveau de « Galaad ».

Prenons-y garde. Il ne s’agit pas de choses permises et de choses défendues, de casuistique et de tabous. Il s’agit de l’état du cœur. Où est son trésor ? Dans le ciel, pour le ciel, ou sur la terre ? Nous pouvons jouir avec reconnaissance de tous les biens que Dieu nous donne « librement… avec lui » (Rom. 8, 32), « richement pour en jouir » (1 Tim. 6, 17). Mais dans la mesure où Ses bienfaits se réfèrent aux choses de la terre, ils ne sont pas notre trésor. Le vrai christianisme est une vie, une vie qui ne se réalise pleinement qu’en acceptant la mort (le Jourdain), à soi-même, au monde, à la loi, « pour être à un autre, à celui qui est ressuscité d’entre les morts, afin que nous portions du fruit pour Dieu » (Rom. 7, 4).

Mais il faut pratiquement accepter cette mort (Rom. 6, 11). Il faut traverser le Jourdain, et prenant position de l’autre côté, revenir toujours à Guilgal (Jos. 4, 20 ; 5, 2), là où ce qui est de nous et de la chair est vraiment jugé ; là où se trouvent les douze pierres qui rappellent la traversée victorieuse du fleuve de la mort[3].

Au lieu de Guilgal et de Silo, les deux tribus et demie ont voulu avoir l’autel de Hed. Elles sentaient confusément que, dans un avenir proche, la nouvelle génération en Canaan dirait à leurs fils : « Qu’y a-t-il de commun entre vous et l’Éternel, le Dieu d’Israël ? » (Jos. 22, 24). Étant restés « en deçà » des vraies bénédictions divines, ces hommes pressentaient que leurs familles, leurs enfants en pâtiraient. Le remède était encore à leur portée. « Passez dans le pays qui est la possession de l’Éternel, où est le tabernacle de l’Éternel » (v. 19). Mais ils n’en voulurent rien, et leurs descendants furent les premiers à tomber aux mains des envahisseurs (2 Rois 10, 33).

« Or toutes ces choses leur arrivèrent comme types, et elles ont été écrites pour nous servir d’avertissement, à nous que les fins des siècles ont atteints » (1 Cor. 10, 11).