Jugements téméraires et médisance

L. Gibert
« Ne jugez pas, dit Jésus, afin que vous ne soyez pas jugés »
Matt. 7, 1

Hélas ! que de jugements téméraires nous portons à la légère dans le secret du cœur, sans preuves suffisantes, et de façon désavantageuse pour qui en est l’objet ! Et que de fois il nous arrive de prononcer des jugements sans appel, négligeant de vérifier « nos sources », et de bien peser nos conclusions. Si nous sommes parfois contraints de réviser une opinion peu flatteuse, nous retombons trop vite dans la tendance si humaine de juger sans miséricorde.

Nous nous empressons d’imputer le mal, trop portés à juger avant le temps (1 Cor. 4, 5). Incapables d’entrer avec discernement et charité dans les circonstances de nos frères, nous nous contentons de juger sur des apparences. Et nous oublions ce que nous sommes ; nous jugeons sévèrement chez d’autres ce qui se cache en nous, plus ancré encore peut-être : ce péché qui nous enveloppe si aisément (Héb. 12, 1). C’est la poutre dans notre œil, et le fétu dans celui de notre frère (Matt. 7, 3-5). Cette hypocrisie nous fait perdre le sobre bon sens, nous rend incapables de porter un jugement sain et pondéré.

Seul, notre Seigneur pouvait dire : Mon jugement est juste (Jean 5, 30), mon jugement est vrai (Jean 8, 16). L’Esprit de l’Éternel reposait sur Lui ; Il ne jugeait pas d’après la vue de Ses yeux, et ne reprenait pas selon l’ouïe de Ses oreilles ; Il jugeait avec justice et reprenait avec droiture (voir És. 11, 2-4). Il était le juge par excellence, capable de briser les puissants sans examen, car Il connaissait leurs œuvres, faisant monter vers Lui le cri du pauvre (voir Job 34, 17, 24, 25, 28).

Aussi, Dieu jugera par Lui les secrets des hommes (Rom. 2, 16 ; 1 Cor. 4, 5).

Mais Il est Dieu, et non pas nous qui faillissons tous à plusieurs égards (Jacq. 3, 2). Lui n’a pas besoin d’observer longtemps (voir Job 34, 23), car Il connaît les cœurs. Mais nous voyons en Deutéronome 17, 4-7, quelle prudence était requise lorsqu’il s’agissait d’exécuter de la part de Dieu le jugement sur ce qui est mauvais à Ses yeux. « Cela t’a été rapporté ; tu l’as entendu ; tu rechercheras bien ; si c’est la vérité, si la chose est établie, si cette abomination a été commise, sur la déposition de deux ou de trois témoins, mais non pas sur la déposition d’un seul,… alors tu ôteras le mal du milieu de toi ».

Et avec quelle sévérité était traité le faux témoin, le témoin inique (ou de violence) (Deut. 19, 16, 20) !

Agissons-nous de même quand il s’agit, non pas sans doute d’exécuter le jugement, mais simplement d’apprécier des faits, sans porter de mauvais soupçons, ce qui est contraire aux saines paroles de notre Seigneur Jésus Christ et à la doctrine qui est selon la piété (1 Tim. 6, 4) ?


Jeunes amis chrétiens, vous êtes peut-être surpris que nous désirions vous rendre attentifs à ces choses. Car vous êtes encore à l’âge des sentiments généreux, ayant été épargnés jusqu’ici des expériences pénibles et douloureuses trop souvent faites dans la vie. Vous diriez volontiers : querelles, jalousies, intrigues, médisances, insinuations, c’est la monnaie courante dans ce monde ; mais notre Seigneur n’a-t-Il pas dit que nous ne sommes pas du monde ?

Hélas ! c’est à Corinthe que l’apôtre redoutait de rencontrer de telles œuvres de la chair (2 Cor. 12, 20) ; à Corinthe, assemblée de Dieu, mais qui connaissait néanmoins les dissensions et les divisions (1 Cor. 1, 11). C’est donc bien que des chrétiens risquent de se laisser surprendre et de nourrir les uns contre les autres des sentiments qui sont la négation et le contre-pied de l’amour.


Or, quand nous avons porté un jugement dans notre for intérieur, il est bien difficile de l’y tenir caché. Un moment ou l’autre, il se trouve exprimé, suivant notre tempérament personnel, et selon que notre Seigneur l’a dit : de l’abondance du cœur, la bouche parle (Matt. 12, 34). Trop souvent la langue se presse. Vous savez à quoi elle est comparée dans la sainte Écriture, lorsqu’elle s’emploie pour le mal :

elle est un fouet (Job 5, 21),

un rasoir affilé (Ps. 52, 2),

un arc de mensonge (Jér. 9, 3),

une épée aiguë (Ps. 57, 4),

une flèche mortelle (Jér. 9, 8),

un tissu de tromperies (Ps. 50, 19),

un serpent (Ps. 140, 3),

un feu, un monde d’iniquité (Jacq. 3, 6).
et dans cette vigoureuse épître, le chapitre 3 en dépeint l’usage et les effets, selon que le sage l’avait exprimé : la mort et la vie sont au pouvoir de la langue (Prov. 18, 21).

Que de maux sont causés par elle ! Médisances et calomnies, paroles dures, méchantes, trompeuses, ainsi viennent au jour les jugements téméraires portés dans le secret du cœur.

Médire, c’est dire le mal, vrai ou supposé. C’est le rapporter, s’il existe, au risque de diviser les intimes amis (Prov. 16, 28), au lieu de « couvrir une multitude de péchés » (Jacq. 5, 19), en agissant sur le cœur et la conscience du coupable pour amener son rétablissement.

Mais combien plus grave encore, si ces rapports sont sans fondement, déformant des faits, imputant des intentions mauvaises. Céder à cette coupable propension, c’est oublier ce que l’Éternel disait à Israël : « Tu n’iras pas çà et là médisant parmi ton peuple » (Lév. 19, 16). C’est s’exposer et exposer les autres à cette plaie rongeante qui amène tant de souffrances, ruinant des familles et des assemblées.

Ce peut être fait sans intention délibérément malveillante : tel cède à son penchant de paraître bien informé ; et tout et tous y passent, sans réflexion quant aux conséquences, sans crainte de nuire, sans penser que certains faits exposés complaisamment, avec détails et fioritures, seront répétés et toujours plus déformés.

Ce peut être fait par jalousie, ce ver rongeur ! Et tel autre, dissimulant ce sentiment inavouable, ne perd pas une occasion de ruiner l’estime qu’on a pour qui lui porte ombrage, en médisant sournoisement, par touches discrètes, insinuant sans insister ; mais le mal est dit, et il chemine…

Ce peut être fait par esprit chagrin ; le murmure, le gémissement intérieur l’un contre l’autre, dont parle Jacques (chap. 4, 11, 12), se donne libre court, trop souvent sous une apparence de piété. Cela, c’est la forme pire. Or fausse dévotion et médisance font souvent ménage ensemble. Quelle étrange association !

Un écrivain persan raconte que, dans sa jeunesse, il avait coutume de se lever plusieurs fois la nuit pour prier et lire le Coran. « Une nuit, dit-il, mon père m’entendit. C’était un homme de grande vertu.

— Voici, lui dis-je, les autres enfants sont absorbés dans un irréligieux sommeil, tandis que moi seul je veille pour louer Dieu !

— Mon fils bien-aimé, me répondit-il, il te vaudrait mieux de dormir d’un irréligieux sommeil, que de te tenir éveillé pour trouver à redire à tes frères ».

Nous pourrions terminer sur ce trait, plaisant et sérieux tout à la fois. Mais laissez-nous plutôt, jeunes amis, vous proposer encore le divin modèle, débonnaire et humble de cœur [Matt. 11, 29]. Quelle perfection dans Son jugement sous Sa pénétrante lumière ! Et quelle grâce dans Ses sentiments à l’égard de tous ! Puissions-nous L’imiter sans cesse.

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Voici près d’un siècle, le Messager Évangélique jugeait nécessaire de reproduire quelques extraits d’un vieux livre intitulé : Du combat chrétien.

Nous pensons utile de les donner aujourd’hui, comme complément aux pages qui précèdent :

De la médisance et de la calomnie

C’est là que se découvre la perversité de l’homme. Si un vase a deux anses, l’une sale et l’autre propre, nous la prenons par celle qui est propre. Pourquoi ne faisons-nous pas de même avec la vie de notre prochain ? Pourquoi la prenons-nous par ce qui est le plus sale, et nous attachons-nous à ses imperfections, comme les sangsues qui ne sucent que le mauvais sang, et les corbeaux qui passent par-dessus les bons fruits et se jettent sur les cadavres ?

Or, parce que la médisance est répandue parmi les hommes, on estime que c’est une chose sans importance et on la range parmi les péchés les moins graves. Mais l’apôtre n’en juge pas ainsi. Car il dit que les médisants n’entreront point au royaume de Dieu. De ces médisances, quelques-unes disent vrai, et sont condamnables parce qu’elles découvrent ce qu’il faut taire, selon ce que dit l’apôtre Pierre : l’amour couvre une multitude de péchés (1 Pier. 4).

Quelquefois, le médisant dit des choses fausses et calomnieuses. Telle était la calomnie de Jézabel contre Naboth ; et de la femme de Potiphar contre Joseph ; et d’Amatsia, sacrificateur de l’idole, contre Amos ; et des Juifs contre Jérémie, l’accusant d’avoir des relations avec les Chaldéens ; et des scribes et des sacrificateurs contre Jésus Christ.

Mais le plus souvent, les calomniateurs mêlent au mensonge quelque chose de vrai, et se servent de la vérité pour colorer le mensonge. Ainsi dans Matthieu 26, des faux témoins déposent contre Jésus Christ : ils Lui ont entendu dire qu’Il peut démolir le temple et en trois jours le rebâtir. Car Il n’avait jamais parlé de détruire le temple Lui-même, mais avait dit : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai » (Jean 2), en voulant parler, non du temple bâti de pierres, mais du temple de Son corps. Ainsi Doëg, l’Édomite, rapporta véritablement à Saül qu’Akhimélec avait donné à David des pains et l’épée de Goliath : mais c’était une calomnie dans la mesure où il en faisait un crime et une conspiration contre le roi.

De cette médisance viennent les querelles, les rancunes invétérées. Combien de personnes voudraient avoir donné un bras pour racheter une parole de médisance qui leur a échappé ? Le psalmiste, au psaume 52, appelle la langue du médisant un rasoir affilé. Et Agur, en Proverbes 30, dit qu’il y a certaines personnes dont les dents sont des épées, et les molaires des couteaux. Jacques s’étend sur ce sujet au chapitre 3 de son épître. Et voilà ce que répondit un philosophe à qui l’on demandait quel était l’animal le plus dangereux : parmi les animaux domestiques, c’est le flatteur ; et parmi les sauvages, c’est le calomniateur.