Les trois coupes de Luc 22

J. Kiehm

J’aimerais adresser quelques paroles à tant de jeunes gens qui, tout en connaissant le Seigneur comme leur Sauveur depuis nombre d’années peut-être, ne se sont pas encore conformés au vœu si touchant qu’Il a exprimé la nuit où Il fut livré : « Faites ceci en mémoire de moi » [Luc 22, 19].

Les motifs qui vous tiennent éloignés de Sa table peuvent être variés, mais sont-ils valables aux yeux du Seigneur ? Son invitation s’adresse, pressante, à tous les siens : « Prenez, mangez ;… buvez-en tous ». J’ose croire que vous ne vous abstenez pas par pure indifférence, ou parce que le monde et ses convoitises trompeuses occupent dans votre cœur la place qui revient au Seigneur ; encore moins parce qu’une souillure grave, une vie de péché à laquelle vous ne voulez pas renoncer, vous font comprendre que votre présence souillerait la table du Seigneur et jetterait l’opprobre sur le nom de Christ. Non, je m’adresse plutôt à des jeunes qui n’ont pas encore accordé à ce sujet capital l’attention qu’il mérite ; ou à certaines âmes craintives, qui penseraient n’avoir pas suffisamment compris la signification de cet acte si solennel et les responsabilités qu’il entraîne ; qui désireraient être bien au clair avant de faire ce pas, pour ne pas agir à la légère et se rendre coupables à l’égard du corps et du sang du Seigneur [1 Cor. 11, 27].

Par ignorance, on pourrait en arriver à faire de la cène du Seigneur, expression de Son amour parfait, une chose mystérieuse, redoutable, dont on craint de s’approcher. On aimerait devenir meilleur, atteindre un plus haut degré de sainteté, en un mot devenir plus digne de participer à la cène. De tels scrupules, tout respectables qu’ils soient, ne justifient pas votre abstention. C’est notre position parfaite en Christ qui nous donne le droit de participer à la fraction du pain, et non pas nos progrès, notre degré de compréhension. Et si, dans notre vie pratique, nous voyons nos fautes, notre indignité, la Parole est formelle, explicite et nous fournit la ressource : « Que chacun s’éprouve soi-même, et qu’ainsi il mange du pain et boive de la coupe… Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés » (1 Cor. 11, 28, 31).

Le Seigneur a profité de la dernière Pâque avec Ses disciples, quelques heures avant la croix, pour instituer une fête entièrement nouvelle en remplacement de la Pâque juive.

Dans Luc 22, 14-20, il est question de deux coupes différentes ; au verset 17, la coupe de la Pâque, que le Seigneur a bue avec Ses apôtres ; au verset 20, la coupe de la cène, qu’Il a donnée à Ses disciples en leur disant : « Buvez-en tous » (Matt. 26, 27), sans en boire Lui-même. La Pâque rappelait la délivrance d’Israël hors d’Égypte selon Exode 12. Mais en Luc 22, il est question de coupes, non mentionnées dans l’Exode. Au temps du Seigneur, les Juifs ne célébraient plus la Pâque exactement comme lors du départ d’Égypte, à la hâte, debout (Ex. 12, 11). Un repas assez long se déroulait suivant un rituel déterminé, où les convives étaient étendus sur des lits peu élevés ou divans (c’est ainsi que Jean, à la Pâque, était couché dans le sein de Jésus [Jean 13, 23]) ; il y avait sur la table, à côté de l’agneau, des herbes amères, du pain sans levain, des coupes pleines de vin. On en buvait au moins trois : une tout au début de la cérémonie, une pendant le souper proprement dit, et une après le souper, quand l’agneau était mangé. La première, omise dans les évangiles, constituait l’ouverture de la fête pascale ; le père de famille, après l’avoir bue et l’avoir passée à tous les convives, lisait dans les livres de Moïse des passages se rapportant à la Pâque et à la sortie d’Égypte, puis on récitait les psaumes 113 et 114. Alors commençait le repas proprement dit : on vidait la seconde coupe et mangeait l’agneau, avec du pain sans levain et des herbes amères. C’est de cette coupe que parle Luc 22, 17 : le Seigneur la but et la distribua aux douze apôtres, en leur disant qu’Il ne boirait plus du fruit de la vigne jusqu’au royaume. L’agneau mangé, on présentait aux convives la troisième coupe (Luc 22, 20 : la coupe après le souper, dont le Seigneur a fait la coupe de la cène), et on récitait les psaumes 115 à 118. C’est à quoi s’appliquent vraisemblablement les paroles : « Et ayant chanté une hymne, ils sortirent et s’en allèrent à la montagne des Oliviers » (Matt. 26, 30). Quelles magnifiques paroles le Seigneur exprima à cette occasion (Ps. 116, 15 ; 118, 22, 23, 27) !

Dans cette nuit mémorable, le Seigneur détourne les pensées de Ses disciples de la fête d’Israël par excellence : la Pâque ; Il en prend deux éléments accessoires, le pain sans levain et la coupe qui suivait le souper, pour en faire l’essentiel d’une nouvelle fête pour les siens : la cène, mémorial de Sa mort. Si le Seigneur a bu la coupe de la Pâque avec Ses disciples, Il n’a pas bu celle de la cène, pas plus qu’Il n’a mangé du pain de la cène, puisque cette fête devait se célébrer après Son départ, en souvenir de Ses souffrances et de Sa mort.

Mais, plus loin (v. 42), Luc nous parle d’une troisième coupe bien différente ; celle-ci, le Seigneur a dû la boire seul : c’est la coupe amère de la colère de Dieu, sujet d’effroi et d’épouvante pour Son âme sainte, que dans Sa parfaite dépendance et soumission, Il accepta de la main du Père en Gethsémané et but jusqu’à la lie pendant les heures sombres de la croix. Qui pourrait sonder cet abîme de souffrances morales de la sainte victime expiatoire, dépassant infiniment les souffrances physiques de la crucifixion ? Le Seigneur avait refusé le vin mixtionné de myrrhe, destiné à atténuer les souffrances des crucifiés en les étourdissant, parce qu’Il voulait éprouver pleinement et consciemment les tortures infligées par la méchanceté de l’homme déchaîné ; mais Il a bu « le vin de la fureur de Dieu, versé sans mélange dans la coupe de sa colère » (Apoc. 14, 10). Quelle coupe affreuse le Dieu juste fit boire au Juste parfait, quand Il dut détourner Sa face de Lui. Rappelons-nous ce que disait autrefois le prophète Jérémie (25, 15) : « Ainsi m’a dit l’Éternel, le Dieu d’Israël : Prends de ma main la coupe du vin de cette fureur, et tu en feras boire à toutes les nations auxquelles je t’envoie ; et elles boiront et elles seront étourdies, et elles seront comme folles », et le prophète Ésaïe (51, 17) : toi « qui as bu de la main de l’Éternel la coupe de sa fureur, qui as bu, qui as vidé jusqu’au fond le calice de la coupe d’étourdissement ». Ces expressions si frappantes en rapport avec la colère divine nous font pressentir ce que furent les douleurs morales de l’expiation pour Celui qui resta seul sur la croix, environné des angoisses de l’obscurité profonde, rejeté par la terre, repoussé par le ciel voilé, abandonné par Dieu, dans une détresse indicible ; « froissé, maudit, tel fut alors le Christ ». Mystère insondable, Dieu ne put répondre à Son cri déchirant, parce qu’il plut à l’Éternel de Le meurtrir (És. 53, 10). Boire cette coupe de colère, c’était pour Christ être meurtri, broyé, froissé dans Ses affections et Ses sentiments les plus intimes, comme nous l’enseignent bien des types de l’Ancien Testament : la manne, broyée sous la meule ou pilée dans le mortier (Nomb. 11, 8) ; les drogues odoriférantes et l’encens pilés très fin (Ex. 30, 36) ; les grains broyés de l’offrande de gâteau des premiers fruits (Lév. 2, 14).

Celui qui a vidé la coupe amère à notre place, nous présente maintenant, dans la cène, une coupe de joie, de délivrance. Nous avons assisté, impuissants et passifs, à cette lutte gigantesque contre les puissances des ténèbres ; le Seigneur a été seul pour lutter et pour vaincre, mais Il nous associe à Lui pour jouir des fruits de Sa victoire (1 Sam. 30, 24). Qu’il est facile pour nous de boire cette coupe de bénédiction, et pourtant que d’enfants de Dieu, que de jeunes croyants surtout, ne répondent pas à la douce invitation du Seigneur : « Buvez-en tous ». Devant ces symboles de Son corps donné et de Son sang versé, comment pourrions-nous rester indifférents à ce vœu suprême du Seigneur prenant congé des siens ? Parmi les hommes déjà, les dernières volontés d’un mourant sont sacrées et scrupuleusement respectées. Chers jeunes gens chrétiens, allez-vous dire à votre Sauveur et Seigneur, qui a bu la coupe des souffrances pour vous : Je ne désire pas me souvenir de toi comme tu me l’as demandé ? N’attendez pas d’être dignes de participer à cette fête ; vous ne le serez jamais, mais le Seigneur est toujours digne qu’on L’adore. Reposez-vous sur Son amour tout-puissant qui couvre notre misère ; jugez tout ce qui est incompatible avec la sainteté de Sa présence et venez L’adorer avec joie chaque dimanche en compagnie des siens. « Nous aimons à prendre les places où nous met l’œuvre de Jésus ».

Mais il en est peut-être parmi vous qui désireraient mieux saisir la distinction entre la cène et la table du Seigneur (1 Cor. 10 et 11). Dans les deux cas, c’est le même repas, mais envisagé sous un angle différent. L’expression « la table du Seigneur » ne se trouve que dans 1 Corinthiens 10, 21. Là, l’apôtre Paul nous fait connaître par révélation une deuxième signification du pain de la cène : celui-ci représente non seulement le corps personnel du Seigneur, donné pour nous, mais aussi Son corps mystique, formé de Christ, la tête glorifiée, et de tous les vrais croyants, membres de Son corps sur la terre ; tous les rachetés, unis à Christ, forment un organisme réel, vivant, appelé le corps de Christ (Éph. 4, 4 ; 1 Cor. 12, 12, 13). Un pain se compose de grains de blé qui autrefois grandissaient en divers lieux, mais sont maintenant unis en une masse compacte ; de même, dans le pain de la cène, nous considérons la merveilleuse unité de l’Église (1 Cor. 10, 17), embrassant dans nos pensées et dans nos affections tous les vrais croyants, où qu’ils se trouvent, à quelque dénomination qu’ils appartiennent. Si la cène est avant tout le repas commémoratif, la fête des rachetés, la table du Seigneur met l’accent sur l’unité des croyants, la communion et la responsabilité collective. Le vrai caractère de la cène dominicale (c’est-à-dire du souper du Seigneur) n’est réalisé que là où l’unité du corps de Christ est également reconnue.

Dans les évangiles, le Seigneur s’adresse à notre cœur, en nous rappelant dans quelles circonstances et dans quel but cette fête fut instituée. En 1 Corinthiens 10, l’apôtre éveille notre intelligence ; s’adressant « à des personnes intelligentes » (v. 15), il explique qu’à la table du Seigneur, on exprime l’unité de tous les membres du corps de Christ, ce qui entraîne une responsabilité collective. Enfin, en 1 Corinthiens 11, il parle à notre conscience en nous montrant la responsabilité individuelle du croyant en rompant le pain : les désordres et le mal non jugé entraînent le jugement du Seigneur.

Jeunes gens chrétiens, décidez-vous à faire ce pas décisif. Quand Il a dû boire la coupe de la colère de Dieu, le Seigneur n’a pas hésité, par amour pour vous ; quand Il vous offre la coupe de bénédiction, quand Il vous invite à un festin dont Il a fait tous les frais, quand la voix de Jésus vous dit à travers les âges : « Buvez-en tous », allez-vous Le faire attendre plus longtemps ?


« Il est ton Seigneur : adore-le »
(Ps. 45, 11)