Oubli

G. André
Tu te souviendras de tout le chemin.
(Deut. 8, 2)

Dans la nuit lumineuse des tropiques, la mer déroule ses flots sous un ciel scintillant d’étoiles. Jour après jour, la polaire à la poupe descend vers l’horizon, tandis qu’à l’avant, chaque soir, montent

Du fond de l’océan des étoiles nouvelles.
Pas un souffle. À peine perceptible dans la nuit, la fumée monte droit dans l’air, le navire marchant exactement avec l’alizé. La mer grise s’étend à perte de vue de tous côtés, avec ses vagues crénelées d’écume blanche. Tout est silencieux sauf le ronron continu des moteurs, qui, inlassablement, jour et nuit, impriment aux quatre hélices leur cent vingt tours à la minute. Le paquebot file ses vingt nœuds à l’heure.

Seul dans la nuit, l’officier de quart fait les cent pas sur le pont de commandement. De la passerelle au-dessus de lui, on aperçoit sans peine tout le bateau, l’avant sombre, sauf un fanal au grand mât, l’arrière encore éclairé derrière l’énorme cheminée.

Sans bruit, sans peine, l’étrave fend les vagues ; les lignes de la coque, soigneusement étudiées, produisent à peine quelques remous, et derrière la poupe un sillage plat se forme un instant. Puis la mer reprend son aspect coutumier ; les grandes lames de fond déferlent lentement ; les petites vagues formées par l’alizé couronnent toujours leurs crêtes d’écume. Le grand navire a passé et sa trace s’est bientôt perdue sous l’immensité des étoiles.

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N’est-ce pas là une figure de notre vie, vapeur qui paraît et qui disparaît [Jacq. 4, 14] ? Et l’homme n’est plus, et son lieu ne le reconnaît plus [Job 7, 10]. Petites choses dans l’immensité du temps, nous passons sur la terre ; nous laissons quelques traces ; quelques vagues s’élèvent ; puis tout disparaît et le monde oublie.

Dieu oublie-t-il ? « Tu connais mon sentier et mon coucher, et tu es au fait de toutes mes voies » (Ps. 139). Dans Son livre, Il a tout écrit. Le monde perd vite de vue ce qui s’est passé autour de lui. Nos proches se souviennent quelque temps des faits qui nous concernent ; puis les générations s’en vont, et tout a disparu. Mais Dieu a tout relevé. Et le jour viendra où, paraissant devant Lui, nous reverrons chacun de ces détails du chemin, ensevelis depuis longtemps dans les vagues de l’oubli.

Quelle différence alors entre le croyant et l’incrédule ! Quelle terreur au grand trône blanc pour celui qui aura refusé Christ, qui, la bouche fermée, ne saura que répondre et s’en ira à la perdition éternelle. Quel moment aussi pour le croyant, quand, au tribunal de Christ, péchés secrets, fautes passées, traces errantes de la propre volonté, erreurs depuis si longtemps oubliées, passeront devant lui. Mais là, il y aura la certitude que le sang de Christ a tout effacé. Et alors quelle adoration en se rendant compte enfin de la grandeur de ces péchés que notre Sauveur a portés à notre place sur la croix du Calvaire. Quelles louanges en comprenant ainsi l’immensité de l’amour qui savait tout, qui connaissait tout et qui a tout pris sur lui pour l’expier à jamais !

Puis aussi quelle reconnaissance en revoyant dans le détail toutes les occasions où la bonté et la miséricorde de notre Dieu avaient aplani la route, la semant de bénédictions si souvent oubliées aujourd’hui.

« Mes jours s’en vont plus vite qu’un coureur », disait Job, « ils passent rapides comme les barques de jonc » (chap. 9, 25). C’est ainsi que notre vie s’envole. Mais que le Seigneur nous donne de nous tenir déjà aujourd’hui devant Lui, à Sa lumière, là où l’on n’oublie pas, afin de Lui dire déjà maintenant, notre reconnaissance pour Son amour, pour Sa grâce dans nos chutes, et pour Sa bonté tout le long de la route.