Refus

G. André

Près de quarante ans avaient passé ; Moïse n’était plus le « petit garçon qui pleurait » [Exo. 2, 6] ; il avait grandi au milieu du faste de la cour du Pharaon, instruit à fond dans la sagesse et la science des Égyptiens, comme il convenait au fils adoptif de la fille du roi. Il était « puissant en paroles et en œuvres » [Act. 7, 22], héritier probable du trône du pays le plus civilisé de l’Antiquité.

Mais un jour, il apprend que ce peuple d’Israël, méprisé et haï des Égyptiens, est son peuple. Quelle découverte, pour un homme vivant dans la somptuosité et la magnificence de la cour du Pharaon orgueilleux et despotique ! Ces Hébreux, une « abomination pour les Égyptiens » [Gen. 46, 34], étaient « ses frères », le peuple de Dieu ! Faudrait-il donc tout quitter, abandonner les richesses de l’Égypte, pour s’associer à l’opprobre qui pesait sur eux ? S’il employait à les délivrer les talents acquis pendant ces quarante années, ne l’accueilleraient-ils pas comme le libérateur ? — En devenant roi sur l’Égypte, il pourrait, il est vrai, les favoriser, alléger leurs fardeaux ; mais la pensée de Dieu était de les faire sortir du pays de l’esclavage ; le peuple comprendrait sans doute qu’Il voulait leur donner la délivrance par sa main. Mais que dirait le Pharaon ? Comment pourrait-il quitter cette mère adoptive qui l’avait sauvé des eaux ? La providence divine l’avait placé à la cour ; devait-il donc la quitter ? Ne valait-il pas mieux garder les nombreux avantages qui s’offraient à lui ?…

Il refusa. Il « refusa d’être appelé fils de la fille du Pharaon » (Héb. 11, 24) ; il refusa les richesses, les honneurs, la gloire. Il sortit vers ses frères, choisissant l’affliction, « l’opprobre du Christ ». Avec quelle joie n’allaient-ils pas accueillir la délivrance !… « Mais ils ne le comprirent point » (Act. 7, 25). Ils le rejetèrent. Et maintenant, il fallait fuir la colère du roi, fuir l’Égypte où il avait grandi, fuir au désert, et là, simple berger, pendant quarante ans paître des troupeaux qui ne lui appartenaient même pas en propre.

Voilà ce qu’il avait gagné ! Il avait « refusé », il avait « choisi », il avait « estimé » (Héb. 11, 24, 25)… il avait tout abandonné pour Dieu ; sa chair ne trouvait rien en échange. Ah ! mais sa foi pouvait regarder plus haut et plus loin. Le Dieu pour lequel il avait tout laissé saurait le récompenser : « Il regardait à la rémunération ». Dans ce monde, il « tint ferme comme voyant Celui qui est invisible » ; il connut la communion bienheureuse avec Dieu Lui-même ; sa face rayonnait « parce qu’il avait parlé avec Lui » [Exo. 34, 29]. Et dans la gloire enfin, il aura sa récompense ; il verra avec nous tous le Seigneur sur lequel, par la foi déjà, ses yeux étaient fixés. Au jour de la rémunération, il aura sa couronne et pourra la jeter aux pieds de Celui qui seul avait pu lui donner, durant sa vie, de refuser les honneurs et les gloires de la terre, pour Le suivre Lui, dans le chemin de la souffrance et du renoncement.

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Jeune esclave, « volé au pays des Hébreux » [Gen. 40, 15], Joseph s’acquittait fidèlement de son service chez Potiphar ; son maître, reconnaissant que « l’Éternel était avec lui » [Gen. 39, 3], l’avait établi sur toute sa maison et sur tout ce qui était à lui. Mais l’ennemi, qui ne réussit pas à le faire périr, ou à l’éloigner du chemin de la fidélité à Dieu, allait le tenter d’une bien autre manière. Plusieurs ont été gardés fidèles dans les tentations ordinaires de la vie, mais sont tombés plus bas encore qu’on ne l’aurait jamais supposé, quand il s’est agi de résister à l’impureté, de « fuir les convoitises de la jeunesse » [2 Tim. 2, 22]. « Jour après jour » [Gen. 39, 10], la tentation se renouvelait pour Joseph ; mais dès le premier assaut, « il refusa » ; « il ne l’écouta pas », lorsqu’elle le harcelait ; et quand « un certain jour », il lui semblait ne plus pouvoir échapper au mal, « il s’enfuit », il abandonna tout pour rester pur.

Il lui en coûta la colère de son seigneur, la perte de sa belle position, les longues années de prison ; — mais c’était le chemin de Dieu pour le conduire à la gloire. S’il n’avait pas « refusé », il n’aurait pas connu sans doute les années de souffrance, mais Dieu aurait été déshonoré ; la Parole n’aurait pu répéter : « L’Éternel était avec lui » ; et dans les années de famine qui devaient s’appesantir sur l’Égypte et la terre habitée, il ne serait pas devenu le « sauveur du monde » [Gen. 41, 45].

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« Poussé » par l’Esprit dans le désert, Jésus était demeuré seul quarante jours et quarante nuits dans le jeûne. Et « après cela, il eut faim » [Matt. 4, 2]. Quoi de plus naturel alors que de se servir de Sa propre puissance pour satisfaire les besoins pressants de Son corps. Mais Il refusa de dire, à l’instigation de Satan, la parole qui aurait suffi à transformer les pierres en pain. Il refusa d’affirmer Ses privilèges de Fils de Dieu en se jetant du haut du temple. Il refusa de rendre hommage au diable pour obtenir la gloire et les royaumes de la terre : Il n’était pas venu pour être servi, mais pour servir, Lui qui avait laissé la gloire éternelle pour venir, homme abaissé, dans ce monde.


Une grande nuée de témoins nous entoure [Héb. 12, 1] ; mais combien le parfait modèle les dépasse tous !


Savoir dire « non », quand le « moi » est en jeu ; ne pas « prendre soin de la chair pour satisfaire à ses convoitises » (Rom. 13, 14) ; refuser la gloire et les honneurs du monde ; résister à l’impureté ; fuir le mal qui sous tant d’aspects, si subtils parfois, veut s’imposer à nous ; refuser de « rendre hommage » à l’ennemi de nos âmes même s’il s’agit de quelque avantage temporel : n’est-ce pas là ce « renoncement » indispensable à ceux qui « veulent venir après Lui » ? Chemin de la souffrance, mais aussi chemin de la gloire ; chemin parcouru par Celui qu’il nous faut « considérer », si nous ne voulons pas être « las, étant découragés dans nos âmes » [Héb. 12, 3]. En fixant les yeux sur Lui, nous apprendrons à refuser, à choisir, à estimer, à regarder à la rémunération — en attendant le jour où nos cœurs satisfaits n’auront plus rien à refuser, parce que tout ce qui nous entourera dans la maison du Père sera parfaitement conforme aux pensées et au cœur de Dieu.