Renoncement

H. Smith
« Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce soi-même, qu’il prenne sa croix chaque jour, et me suive »
(Luc 9, 23)

« Si quelqu’un veut venir après moi… ». Jésus parle, Lui la Parole qui était auprès de Dieu et qui devint chair ; Il s’adresse à ceux qui ont discerné en Lui Sa grâce et Son amour, et Il nous invite à aller après Lui. Sa première parole nous juge et nous met à notre place, qui que nous soyons, croyant ou non ; Il nous dit : « Si quelqu’un veut venir après moi… », et aussitôt surgit devant nos yeux tout ce qui nous sépare de Lui, tout ce qui nous empêche d’aller après Lui. Cette parole nous oblige à revenir sur nous-mêmes, nous fait voir à nouveau ce que nous sommes, chacun pour soi-même, comme lorsque pour la première fois « la lumière qui éclaire tout homme » [Jean 1, 9] a brillé sur nous. Il en sera ainsi tout le long de la route, chaque fois que nous entendrons la Parole de Dieu, parce qu’il ne suffit pas d’avoir fait comme Pierre cette belle confession : « Tu es le Christ de Dieu » [Luc 9, 20] et d’avoir saisi le salut qu’Il nous apporte ; il faut choisir un chemin et y marcher. On ne peut plus alors retourner écouter les paroles vaines des hommes, car Lui seul a « les paroles de la vie éternelle » [Jean 6, 68]. Mais Il continue Son chemin et nous invite à L’y suivre, tout en nous montrant, à nous qui ne sommes pas pratiquement saints, qu’il n’y a rien en nous qui nous rende capables de marcher dans ce chemin de sainteté. Il veut que nous le reconnaissions devant Lui et que nous Lui disions : « Seigneur, je ne peux pas aller après toi, car je suis un pécheur ; tu m’as justifié, mais je suis un pécheur quand même, dans un « corps de mort » [Rom. 7, 24] ; Seigneur, tu sais que je ne peux pas aller après toi ».

Alors nous pouvons comprendre la suite des paroles de Jésus : « qu’il se renonce soi-même ». Il semble qu’Il nous réponde : « Non, tu ne peux pas venir, toi, homme pécheur, quoique justifié ; tu ne peux pas venir tant que tu seras toi-même, mais renonce ; renonce non seulement à tel péché, à telle habitude, à telle relation, mais à tout ce que le péché a souillé en toi, en un mot renonce à toi-même ». Nous sommes devant une de ces contradictions apparentes des appels de Dieu : « Viens après moi, mais renonce à toi-même ». C’est le point de départ de toute vie chrétienne et de tout service, car Christ n’est pas venu apporter une amélioration de l’homme, mais sa condamnation absolue, et pourtant Il lui demande de servir Dieu. C’est l’expérience du néant de l’homme que nous avons faite à la croix, et c’est là que Dieu prend soin de nous ramener chaque fois qu’Il nous appelle à faire quelque chose pour Lui, car Il sait combien facilement nous oublions ce que nous sommes (Jacq. 1, 23-24). De même que nous avons dû accepter la condamnation et le jugement au pied de la croix où Jésus nous révélait la sainteté de Dieu et qu’alors nous avons trouvé la paix et l’assurance de notre justification, de même, maintenant aussi, nous acceptons cette parole de jugement : « renonce à toi-même », et, dans le sentiment de notre néant, nous disons : « Oui, Seigneur, je renonce ; mais comment irai-je après toi ? ».

Alors retentit la parole qui fait luire la lumière de la vie après nous avoir montré nos ténèbres : « Qu’il prenne sa croix ». La croix, symbole de condamnation et de jugement, mais en même temps de grâce et de vie éternelle, la croix, folie de l’homme, comme de renoncer à soi-même, mais sagesse de Dieu ! Alors nous nous rappelons les paroles de l’apôtre : « Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés pour le Christ Jésus, nous avons été baptisés pour Sa mort ? Nous avons donc été ensevelis avec Lui par le baptême, pour la mort, afin que comme Christ a été ressuscité d’entre les morts par la gloire du Père, ainsi nous aussi, nous marchions en nouveauté de vie » (Rom. 6, 3-4). C’est parce que nous sommes identifiés à Christ dans Sa mort sur la croix que l’apôtre peut dire encore : « Je suis crucifié avec Christ » (Gal. 2, 20), faisant pour ainsi dire sienne la croix du Seigneur. C’est là que notre moi a été crucifié, mais c’est là aussi que nous avons reçu la vie divine et le renouvellement de notre entendement par l’Esprit, là que nous avons connu tout l’amour de Dieu, là que la terreur de Sa condamnation a fait place pour le pécheur justifié à la joie de Sa présence. C’est là encore qu’il nous faut revenir « chaque jour » pour nous souvenir que le moi auquel nous devons renoncer y a été crucifié ; chaque jour, à chaque heure, pour chaque action, pour chaque choix, c’est de là qu’il faut partir ; là où commence la sanctification pratique qui est le complément nécessaire de notre justification, parce que nous sommes encore sur la terre dans des « corps de mort » [Rom. 7, 24] et que sans ce renoncement, nous ne pouvons marcher après Christ.

Jusqu’ici, les paroles du Seigneur nous ont montré surtout le côté négatif de la vie chrétienne : il faut renoncer, il faut prendre sa croix. Mais il vaut la peine d’accepter ces paroles pénibles pour la chair, car Jésus n’a pas dit le mot final, et Il continue : « qu’il me suive ». Le suivre peut nous faire penser aux épreuves, aux difficultés, à l’opprobre que le Maître a annoncés d’avance aux siens (Jean 16, 33 ; 15, 18-21) ; mais cela nous rappelle surtout la douceur de la communion avec Lui dans le chemin. Souvenons-nous de ce qu’Il fut pour Ses disciples ici-bas, Lui le Maître débonnaire et humble de cœur, Lui dont le joug est aisé et le fardeau léger. L’apôtre Paul qui a réalisé ce renoncement et qui disait aux Galates : « Je suis crucifié avec Christ », pouvait aussi écrire aux Philippiens (3, 7-14) qu’il considérait tout ce à quoi il avait renoncé comme des ordures afin de gagner Christ, parce qu’il avait été saisi par Lui ; il oubliait volontairement et sans regret les choses passées pour fixer ses yeux sur Lui, pour Le connaître, Lui, et il tendait avec effort vers les choses qui sont devant et courait droit au but, qui n’est autre que la gloire où le Seigneur se trouve déjà assis à la droite du Père. C’est là qu’Il nous attend et qu’Il nous prendra bientôt. Alors nous Le verrons de nos yeux, nous Le contemplerons dans toute Sa beauté et nous jouirons pleinement de Son amour. Et maintenant déjà, si nous renonçons et fixons les yeux sur Lui, « contemplant à face découverte la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image de gloire en gloire comme par le Seigneur en Esprit » (2 Cor. 3, 18). Alors nous comprenons que le renoncement n’est que pour un temps, puisque bientôt, portant « l’image du céleste » [1 Cor. 15, 49], dans nos corps vivifiés par Celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts (Rom. 8, 11), « nous serons toujours avec le Seigneur » [1 Thess. 4, 17]. Espérance glorieuse et bienheureuse, qui nous a été acquise par le Seigneur à la croix, et qui est bien propre à nous faire renoncer à tout ce qui ne peut entrer dans la gloire où Il se trouve déjà, afin que nous puissions sans entrave marcher après Lui dans Son chemin et jouir de Sa précieuse communion.