Sur les pas de Caleb

A. Gibert

Les faits rapportés en Juges 1, 12-15 le sont déjà dans le livre de Josué (chap. 15, 13-19). Ils y terminent l’histoire des combats livrés pour conquérir le pays de Canaan, tandis que, dans les Juges, ils jettent comme un rayon réconfortant sur le commencement du déclin qui fait le sujet de ce livre.

La personne de Caleb se dresse ainsi à la jonction même de deux époques, celle où la puissance divine, agissant par grâce dans un peuple faible par lui-même, lui donnait la victoire et l’établissait dans le pays promis, et celle où, responsable de garder l’héritage, la descendance de ces vainqueurs manque à sa tâche. C’est l’histoire de tout ce qui est confié à l’homme. C’est celle de l’Église chrétienne qui s’est à ce point écartée de l’énergie spirituelle des premiers jours que le Seigneur devra la juger. C’est celle du témoignage des derniers jours.

Caleb, en dépit de l’incrédulité du peuple dans le désert, puis des fatigues du long voyage, enfin des dangers des combats, « avait suivi pleinement l’Éternel, son Dieu ». À quatre-vingt-cinq ans, sa force était demeurée entière, et il remporte la victoire pour la possession du lieu que sa foi n’avait cessé d’attendre durant quarante-cinq années : Hébron, le lieu des sépulcres des patriarches, devenu la proie des plus redoutables ennemis. Son nom demeure étroitement associé à celui du grand conducteur Josué. Ayant donné jusqu’au bout l’exemple de l’attachement à ce beau type de Christ, aussi bien que celui de la patience, de la persévérance et de l’énergie de la foi, Caleb peut quitter la scène en triomphateur.

Après lui vont se lever des générations qui n’ont « point connu l’Éternel, ni l’œuvre qu’il avait faite en Israël » [Jug. 2, 10]. La ruine apparaîtra vite, pour aller s’aggravant. Toutefois, la foi individuelle aura toujours sa place et sa part, provoquant même quelques réveils remarquables : Barak, Gédéon, Jephthé, Samson, pour ne citer que ceux-là, en témoigneront. Il en sera ainsi parce que, si le peuple manque, la puissance de Dieu et Sa fidélité à Ses promesses ne changent pas. La série de ces témoins de la foi en un temps de ruine est ouverte par Othniel, à l’instant où Caleb ferme celle des conquérants. Tous ces juges, cela a été souvent relevé, sont marqués de quelque tare, de sorte que la grâce de Dieu se magnifie dans leur infirmité. Othniel est signalé comme le fils d’un cadet ; Caleb n’a pas de fils qui hérite de sa valeur. Mais ce représentant de la branche cadette suit l’exemple de son oncle ; comme celui-ci s’est emparé d’Hébron, lui prend Kiriath-Sépher. Par là il s’incorpore à la famille de l’homme de foi d’une manière plus effective, et il reçoit celle que son cœur a appréciée et désirée : Acsa, la fille de Caleb, devient son épouse. D’autres victoires suivront ; par l’Esprit de l’Éternel il délivrera le peuple tristement asservi aux Araméens dans son propre pays, et il sera le premier juge d’Israël, pour quarante ans (Jug. 3, 10, 11).

Mais Acsa elle-même n’est point en reste avec son époux. Digne fille de Caleb, elle désire une part spéciale de cette terre de la promesse pour laquelle son père a victorieusement lutté. Qu’importe si d’autres se montrent lâches pour occuper et conserver, et si toutes les tribus de son peuple manquent de foi ! Elle veut un champ, elle incite son époux à le demander. Et il lui faut des sources d’eau pour vivifier cette terre du midi qui sans cela resterait brûlée et stérile. Elle descend de dessus l’âne, pour en faire la requête à son père, au moment où elle va le quitter pour une vie nouvelle. Je me plais à évoquer cette scène : le vieux héros de la foi et sa fille à ses pieds. Quelle joie pour ce vieillard blanchi, mais non fatigué, dont toute l’existence avait été tendue vers la possession de ce midi de Juda, de voir sa fille manifester le même désir, la même persévérance, la même ardeur ! « Qu’as-tu ? — Donne-moi… Tu m’as donné… donne-moi » encore ! Avec quelle satisfaction le patriarche dut offrir la bénédiction demandée à ces « jeunes » rivalisant d’aspirations dignes de vrais Israélites !

Eh bien, jeunes chrétiens d’aujourd’hui, ces choses ne vous disent-elles rien ? Elles nous sont rapportées pour servir non à notre curiosité, mais à notre instruction. Nous appartenons, quant au témoignage suscité par Dieu en vue de la venue prochaine de Son Fils, aux générations du déclin. Il n’y a pas de doute possible, hélas ! D’autres ont en leur temps combattu, conquis, par l’Esprit de Dieu. Nous avions à conserver, et tout menace ruine. Nous voyons le relâchement s’accentuer, l’indifférence gagne. Ne nous en étonnons pas, il ne saurait en être autrement. Mais n’en prenons pas non plus notre parti. Les ennemis à combattre sont toujours les mêmes, mondanité, superstition, incrédulité, troupes redoutables comme les Anakim de jadis, aux ordres du chef de ce monde. Mais ce chef a été vaincu à la croix, tout comme les ennemis de Josué et de Caleb étaient vaincus à l’avance, dès la mer Rouge. La foi est assurée de recevoir des réponses aujourd’hui comme hier, et plus nous sentirons notre faiblesse, plus Dieu manifestera Sa force. La présence du Seigneur, la Parole vivante, l’Esprit Saint, demeurent invariablement à la disposition du fidèle.

Nous voyons s’en aller, les uns après les autres, des ouvriers du Seigneur qui ont travaillé avec un dévouement et une persévérance devenus bien rares. Mais, alors même que la fermeté et la vigilance se perdent de toutes parts, chacun de nous peut et doit, serait-il seul, imiter la foi des conducteurs partis. Il y a place pour des Othniel, il y a place pour des Acsa. Des portions particulières du pays les attendent, c’est-à-dire une jouissance personnelle de ces bénédictions spirituelles dont les croyants sont bénis dans les lieux célestes. Des sources d’eau, celles du haut et celles du bas, la puissance de l’Esprit connue comme une fontaine d’eau jaillissant en eux, viendront féconder ces richesses de la Parole de Dieu qui sans elle restent lettre morte.

Ne vous contentez pas de vous dire ou même de vous savoir chrétiens, vivez en chrétiens, possédez pour vous-mêmes le pays, désirez-en les fruits. Le Seigneur aime ces saints désirs de la foi, il les satisfait. Malheureusement nos désirs se tournent trop aisément vers un monde où nous sommes étrangers, aussi avons-nous déception sur déception (Jacq. 4, 2). Le Seigneur nous veut remplis de désirs tournés vers Lui : désir de Le suivre, désir de Le servir, désir de Le voir enfin ; et nous avons à « désirer avec ardeur des dons spirituels » [1 Cor. 14, 1]. Il nous demande d’ouvrir la bouche toute grande, et Lui la remplira [Ps. 81, 10]. Ces désirs de cœurs fervents, comme ils nous font souvent défaut ! On se complaît dans ce que l’on croit avoir, et l’on n’éprouve plus le besoin de demander ; c’est le grand reproche fait à Laodicée : « Tu es tiède » [Apoc. 3, 16]. Tiède, sans flamme, sans ferveur, sans le bouillonnement d’un cœur avide de la bonne part. « Je n’ai besoin de rien » [Apoc. 3, 17], dit ce tiède. « Donne-moi… donne-moi encore… », disait Acsa.

« Demandez, et vous recevrez » [Jean 16, 24]. Les désirs de la foi ne sont point des désirs stériles. La foi agit, elle s’empare hardiment de ce qui lui est proposé. Tendus vers le seul objet qui compte, ces désirs sont comblés par une connaissance de Christ sans cesse accrue. Et de là découlent tous les fruits de la vie chrétienne. N’en vaut-il pas la peine ? Le secret de la persévérance d’un Caleb était dans son attachement à l’Éternel, le Dieu d’Israël, qui avait fait une promesse : il L’« avait pleinement suivi ». Nous serons sur les pas de Caleb dans la mesure où, nous aussi, nous apprécierons la promesse et Celui qui l’a faite.

Méditations sur le livre de Josué — H. Rossier

La figure énergique de Caleb est associée dans maints passages de la Parole au nom de Josué : « Josué est un type de Christ… Caleb marche en sa compagnie. Le grand nom de Josué abrite, pour ainsi dire, celui de Caleb, et lui imprime son caractère. Ces deux hommes ont une même pensée, une même foi,… une même marche, une même persévérance, un même but. En est-il ainsi de nous ? Sommes-nous tellement associés à Christ… que toute notre existence tire sa valeur du fait que nous sommes devenus, par grâce, compagnons du Seigneur Jésus ? ».

Josué… type de Christ ! Ne vaut-il donc pas la peine de considérer de plus près ce que la Parole nous dit de lui ? Le suivre dans sa marche depuis « la tente d’assignation », à travers le Jourdain, à Guilgal, à Jéricho, dans toutes les étapes de la conquête du « pays », jusqu’au jour où il fut dit : « Et le pays se reposa de la guerre » [Jos. 11, 23] ?

Le volume cité en tête de ces lignes nous aidera à entrer mieux dans les pages du livre qui porte son nom, et considérant de près les paroles de l’Écriture, nous ferons l’expérience d’un Timothée : « Le Seigneur te donnera de l’intelligence en toutes choses » [2 Tim. 2, 7].

Ne disons pas trop que nous n’avons pas le temps d’étudier la Parole ! Ce n’est pas vrai. Mais mieux vaut mettre chaque jour de côté, à heure fixe, quinze minutes pour lire trois pages d’une « étude », que d’en lire vingt pages à la fois « quand on en aura le temps » !

C’est seulement en étant « nourris dans les paroles de la foi et de la bonne doctrine » [1 Tim. 4, 6], que marchant sur les traces de Caleb nous pourrons, par grâce, suivre « pleinement » Celui dont nous portons le nom.