L’amour

Lisez 1 Corinthiens 13
« Je vous montre un chemin bien plus excellent »
(1 Cor. 12, 31)
« Or la fin du commandement, c’est l’amour »
(1 Tim. 1, 5)

C’est de ce chemin d’une excellence supérieure, chemin si souvent négligé, si peu compris, que je désire m’entretenir ici un moment, avec le secours du Seigneur.

« Or la fin du commandement, c’est l’amour qui procède d’un cœur pur, et d’une bonne conscience et d’une foi sincère » (1 Tim. 1, 5). Rien cependant n’est plus éloigné d’une juste appréciation de ce « chemin », rien n’approche moins de cette « fin du commandement », que ce que l’on rencontre ordinairement dans les pensées et les mobiles de ceux qui se distinguent de nos jours par la profession du christianisme. Dans ce que j’appellerai le christianisme ordinaire, le principe de l’amour n’est guère entrevu, sa nature divine n’est pas connue, et par conséquent le développement n’en est ni possible ni recherché. Ce que les hommes voient surtout dans ce que l’Écriture nous dit, en ouvrant devant nous ce chemin incomparable, n’est qu’une peinture attrayante, une description remarquable, une exposition hyperbolique d’un idéal que l’on ne doit jamais s’attendre à voir réaliser dans la pratique ; ou bien, si jamais il prend une forme, elle n’est guère plus que l’expression d’une bienveillance purement humaine, et l’on s’efforce d’en manifester quelque chose en bridant ses passions et en subjuguant l’orgueil naturel du caractère et de l’esprit, sous l’action du « mors et du frein », ou sous l’influence d’une retenue de convention. Je ne parle pas ici de la charité ou de l’amour comme se réduisant à faire des aumônes, mais de la signification qu’impliquent ces phrases banales : « l’amour parfait » ; « la charité universelle » ; « vivre dans l’amour » ; « mourir dans l’amour ».

Mais « Dieu est amour » [1 Jean 4, 8, 16]. La charité, c’est « l’amour » ; et Christ fut sur la terre la divine incarnation de l’amour. À part cela, les pensées de l’homme au sujet de l’amour et de ses résultats dans le cœur naturel ne sont qu’une pauvre caricature de l’original divin. Ce n’est pas là assurément la manifestation de cet amour, que tous les dons de l’Esprit de Dieu devaient tendre à cultiver, que la foi et la vérité devaient nourrir et que toute la révélation devait soutenir et développer ; — cet amour que rien ne peut surpasser dans la vie divine, soit dans ce monde, soit dans le monde à venir. C’est au-delà, bien au-delà de cette conception grossière, que nous avons à chercher ce caractère dont l’essence même fait partie de tout exercice vrai de l’âme envers Dieu ; qui doit survivre à tout ce qui sert à le développer ; qui dépasse les limites de tous les mystères et de toutes les connaissances, ainsi que la durée de toutes les merveilles qui peuvent être révélées à l’espérance et à la foi !

Il est difficile, dans un temps comme celui-ci, de discerner clairement quelle est la fin de Dieu, soit à l’égard du croyant individuellement, soit à l’égard du corps collectif ; et une fois qu’elle est discernée, il est plus difficile encore de la suivre et de la saisir d’une manière conséquente. Cela provient, non point d’un manque de clarté ou de simplicité dans la Parole divine, mais de ce que nos vues sont complètement faussées par les représentations erronées du christianisme autour de nous, et de ce que le cœur est devenu étranger à la puissance morale de la croix. Il n’est pas aisé de délivrer l’esprit des influences trompeuses qui sont à l’œuvre et qui agissent sur nous de tous côtés, par le moyen d’un christianisme duquel on peut dire, bien qu’il se rattache à la croix, que « ses pensées sont aux choses terrestres » (Phil. 3, 19) ; en sorte que nous ne devions la formation de nos désirs et de nos pensées, qu’à la précieuse révélation de Dieu dans Sa Parole.

L’assertion que, même comme chrétiens, nous ne distinguons pas toujours la fin de Dieu, n’a rien qui doive nous étonner, puisqu’il nous est dit que les Corinthiens, malgré la constitution apostolique de leur église et toute leur plénitude de dons spirituels, n’avaient pas su discerner la fin de Dieu en deux points des plus importants (et même en d’autres encore, d’une nature morale), de manière que l’Esprit du Seigneur fut obligé d’y ramener solennellement leur attention. Ils ne répondaient pas à « la fin de Dieu », quand ils se rassemblaient ensemble autour de la table du Seigneur, de telle sorte que ce n’était « pas manger la cène du Seigneur », mais leur propre souper (1 Cor. 11, 21) ; et ils faisaient un usage si peu convenable de la vérité révélée et des dons spirituels, qu’ils s’attiraient le reproche d’être « charnels » (1 Cor. 3, 3) et de marcher comme des hommes, et même comme de vrais enfants, en appliquant et en appréciant, comme ils le faisaient, ce qu’ils avaient reçu de Dieu. Il ne faut donc pas regarder comme une chose étrange, que souvent aujourd’hui des chrétiens, individuellement, ne sachent pas discerner quel est le but de Dieu à leur égard comme rachetés ; et que l’assemblée, quelle que soit l’intégrité de sa constitution et quelque complète que puisse y être l’administration de la vérité et des conseils de Dieu — que l’assemblée qui peut-être se glorifie secrètement de sa connaissance — ait besoin d’être ramenée à cette pensée si sérieuse que : « la connaissance enfle, mais que l’amour édifie » (1 Cor. 8, 1), et d’être avertie par cette parole de l’Esprit : « Et je vous montre un chemin bien plus excellent » [1 Cor. 12, 31]. Car nous pouvons être assurés qu’aucun principe, quelque scripturaire qu’il soit, qu’aucune vérité, quelque profonde qu’elle puisse être, ne pourra maintenir notre âme dans le chemin de Dieu, si « l’amour », comme la fin de tout, n’est pas ce que nous recherchons.

Mais quel est donc cet amour, sans lequel tout don n’est qu’un vain retentissement, et toute connaissance n’est qu’un jouet enfantin ?

La manifestation en fut parfaite en Christ, même dans son caractère objectif. L’exercice en découlait de Lui sans rencontrer aucune influence contraire, et sans qu’Il eût besoin de se renoncer Lui-même ; car ainsi que « Dieu est amour », Christ était la manifestation parfaite de cet amour dans un homme, au milieu de circonstances humaines. Dans le fait Christ était amour, puisqu’Il était « Dieu manifesté en chair » (1 Tim. 3, 16). En nous il y a tout le contraire. L’action de l’amour en nous commence par l’abnégation positive de tout ce qui appartient à notre nature ou au vieil homme. La puissance de l’amour est dans le nouvel homme ressuscité, en Christ. C’est Christ en puissance vivifiante dans l’âme : « Pour moi, vivre, c’est Christ » (Phil. 1, 21) ; « Christ vit en moi » (Gal. 2, 20). Il suit de là qu’il est impossible que ce « chemin bien plus excellent », cette fin de Dieu dans Ses saints, puisse être compris et poursuivi, aussi longtemps que l’âme n’a pas l’assurance de son acceptation, et que l’on n’a pas saisi pratiquement ce que c’est que d’être « ressuscité avec Christ ». Là où cela est encore une énigme, l’amour est une énigme plus grande. La manifestation d’une chose ne peut pas avoir lieu, là où la chose elle-même n’existe pas. C’est une énergie de vie qui se développe sous la forme qui lui est propre, et qui ne peut provenir que de la source vive qui est intérieurement présente — la nature divine — « ce qui est né de Dieu » [1 Jean 5, 4]. Elle seule peut porter le fardeau de jours tels que ceux où nous sommes, car elle surmonte et ne peut être surmontée. L’amour ne demande pas de motif pour aimer ; il a son motif en lui-même ; pour agir il n’a pas besoin de succès, ni d’appréciation ou de louanges du dehors ; et il comprenait bien la puissance de l’amour, celui qui pouvait dire : « Bien que vous aimant beaucoup plus, je sois moins aimé » (2 Cor. 12, 15) ! Toutefois le modèle parfait de l’amour n’a été vu qu’en Jésus à la croix. Il n’y avait pas de puissance là, il n’y avait pas de sympathie, ni d’appréciation de la part de ceux qui avaient été témoins de l’exercice de l’amour pendant la vie du Seigneur, quand leurs malades étaient guéris, leurs lépreux nettoyés, leurs morts ressuscités ; il n’y avait pas davantage de reconnaissance de la part de ceux qui étaient redevables de la vie et du salut à l’amour de Christ, et qui devaient en connaître les riches fruits quand cet amour aurait achevé son triomphe au milieu de la réjection et de l’abandon, dans la douleur et dans la mort !

En étudiant le chapitre 13 que nous avons lu, et dont le lecteur le moins attentif ne peut manquer de remarquer la position particulière, il me semble que la portée pratique en est suffisamment claire quant au « labourage de Dieu » [1 Cor. 3, 9], pour que l’on comprenne que celui qui exerce un don ou un ministère quelconque agit en vain, pour ce qui le concerne, si son travail ne découle pas de ce principe d’amour. Et il me semble qu’il est tout aussi clair que la fin de Dieu n’est pas accomplie en ceux envers lesquels on agit, si l’amour n’est pas vivifié et nourri en eux, et si l’activité qui le caractérise n’est pas ranimée dans l’âme. La fin de Dieu envers Ses saints — Sa « voie parfaite » à leur égard, c’est « l’amour ». C’est ainsi que le ministère de l’amour a sa source dans l’amour chez celui qui l’exerce, et produit le développement de l’amour en ceux auxquels il s’adresse, comme l’apôtre le dit à Timothée : « La fin du commandement (ou de la charge), c’est l’amour » [1 Tim. 1, 5].

Par conséquent, s’il s’agissait de parler en langues, bien qu’elles témoignassent, d’une manière merveilleuse, de la puissance et même de la bonté de Dieu, qui venait trouver les hommes jusque dans leurs divisions et leurs idiomes divers, ces fruits du péché — il était dit cependant : « Si je parle dans les langues des hommes et des anges, mais que je n’aie pas l’amour » — si l’amour n’est pas ce qui les fait mettre en usage et si elles ne servent pas à produire l’amour, je ne suis devant Dieu et quant à tout résultat pour Lui, que comme un vain son : « comme l’airain qui résonne et comme la cymbale retentissante ».

Mais il y a plus. S’il est question du travail de la pensée — qui atteint si rarement jusqu’à la fin de Dieu, et n’a souvent pour but que sa propre récréation et sa jouissance, même en s’occupant de la révélation éclatante de la vérité — il est sans valeur. La prophétie, l’intelligence des mystères, et toute cette connaissance sur laquelle nous bâtissons tant de satisfaction pour nous-mêmes, et dont nous attendons, au milieu de fréquentes déceptions, tant de fruit chez les autres — rien de tout cela n’aboutit. L’œuvre de l’amour n’est pas avancée par des instruments tels que ceux-là. Même « la foi » qui sait faire intervenir la puissance de Dieu dans ses miraculeux témoignages — la foi qui peut transporter les montagnes — la foi doit échouer dans la voie « parfaite ». Si je n’ai que cela et que je ne cherche pas à avoir davantage, « je ne suis rien ».

Il y a plus encore. La bienveillance peut arriver chez moi jusqu’à son plus grand développement et le zèle atteindre ses dernières limites, il est possible toutefois qu’ils ne parviennent pas à ce chemin divin. Quand même je donnerais tous mes biens pour nourrir les pauvres et que mon zèle irait jusqu’au martyre, si « l’amour » n’est pas le mobile de ce que je fais, cela ne profite de rien. La philanthropie peut avoir ses partisans dévoués et le zèle ses martyrs, c’est « l’amour » seul qui profite.

« L’amour est de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour » (1 Jean 4, 7, 8). En ceci les deux apôtres Paul et Jean, quelle que soit d’ailleurs la divergence de la teneur générale de leurs écrits, se rencontrent dans leur enseignement, et il ne saurait en être autrement lorsque le but final de Dieu est devant tous les deux.

« Oui, l’amour est de Dieu » ; et pour aimer il faut être « né de Dieu ». L’amour est l’exercice et la manifestation de ce qui est essentiellement et caractéristiquement divin. Il est appelé à agir dans un monde où sa puissance sera mise à l’épreuve, et dans des circonstances où tout, sauf l’amour, doit périr ; mais « l’amour ne périt jamais ». Dans le Seigneur Jésus nous avons un exemple béni de ce fait, que toutes choses dans un monde hostile ne servaient qu’à produire un déploiement toujours plus magnifique de l’amour, jusqu’à ce qu’il atteignît, dans la mort à la croix, sa manifestation suprême. Cet amour ne peut donc jamais être différent de lui-même : s’il faut passer par la souffrance dans l’exercice de cet amour, si l’occasion se présente de donner une preuve de sympathie, l’amour est toujours ceint pour son œuvre. « L’amour use de longanimité ; il est plein de bonté ». Plus que cela même : si un autre que moi doit prospérer, tandis que je suis moi-même repoussé dans l’ombre, soit : « L’amour n’est pas envieux ». Il ne regarde pas les autres d’un œil jaloux ; il n’est ni présomptueux ni inconsidéré ; comme il ne cherche pas à diminuer la louange d’autrui, il n’est pas rempli d’une haute opinion de lui-même. L’amour se comporte toujours avec une profonde modestie ; il n’a rien d’inconvenant dans ses voies ; il ne se recherche pas lui-même et ne garde pas rancune du mépris qu’il rencontre. Il ne suppose pas le mal et ne l’impute pas ; il « ne se réjouit pas de l’injustice », mais trouve sa joie dans le triomphe de la vérité. L’amour « supporte tout » ce qui doit être supporté ; il « croit tout » ce à quoi on doit ajouter foi ; « espère tout » aussi longtemps qu’il est possible d’espérer ; « endure tout » ce qu’il faut endurer.

« L’amour ne périt jamais ». « Les prophéties », bien qu’en rapport avec des communications divines — « auront leur fin » ; « les langues », ces témoins éclatants de Christ comme Seigneur monté au ciel, « cesseront » ; et « la connaissance », telle que l’intelligence de l’homme peut la saisir, et bien que donnée de Dieu, la connaissance « aura sa fin ». Toutes ces choses ne sont que des stations sur la route — des premiers pas vers cet état parfait au-delà duquel il n’y aura plus de progrès ; et une fois arrivé là, elles seront perdues de vue, ou ne seront contemplées du haut de ce lieu où tout est éternel et accompli, que comme l’homme fait regarde en arrière vers les jouets de son enfance, dans une estimation plus sobre et plus juste de leur valeur.

« Or maintenant ces trois choses demeurent, la foi, l’espérance et l’amour ; mais la plus grande de ces choses, c’est l’amour ». Quelque profondes et immuables que soient les vérités sur lesquelles est fondée l’assurance de la foi et sans lesquelles il ne peut y avoir de progrès pour l’âme dans les sentiers du Seigneur, Sa fin est au-delà et en avant. Même l’assurance de l’espérance n’est pas la fin du Seigneur ; il y a quelque chose de plus profond encore. Les révélations qui lient l’âme à Lui, « lequel, quoique vous ne l’ayez pas vu, vous aimez » (1 Pier. 1, 8), cesseront, et ne seront plus le fondement de « la foi » quand « nous le verrons comme il est » (1 Jean 3, 2). Et les brillantes visions de l’espérance, avec toutes les sublimités, et les gloires qu’elle anticipe, arriveront aussi à leur terme et ne seront plus rien comme espérance ; — mais l’amour sera toujours là. Et ce n’est pas d’une façon abstraite qu’il est dit que l’amour demeure, comme étant le caractère de la nature de Dieu et par conséquent éternel comme Dieu Lui-même — quelque précieuse que cette pensée soit de toute éternité — non, l’amour demeure maintenant, comme le chemin que nous sommes appelés à suivre, le chemin qui ne périt jamais. Mais combien il est vrai que rien de ce qui est de notre nature ne peut nous y faire marcher ! Tout ce qui est de nous, comme hommes, doit être rejeté si nous voulons faire un seul pas en avant dans le sentier de l’amour. C’est le chemin de la croix ; le chemin de la mort pour la chair. C’est le sentier que Dieu seul voit ; que « l’oiseau de proie n’a point connu » (Job 28, 7), mais qui est « le chemin de la vie » (Ps. 16, 11), et « l’œil simple » seul saura le trouver.

Au contraire de ces dons et de ces ministères de connaissance, qui portent dans leur exercice le caractère et l’empreinte de la puissance, et que l’homme peut apprécier et ambitionner, « l’amour » ne cherche que le regard de Dieu pour une approbation de son travail, et ne peut être estimé à sa valeur que par ceux dont le cœur a été formé par sa puissance céleste.

La vérité a son ministère et on peut en jouir, cependant la vérité, à son niveau le plus élevé et dans son caractère le plus profond, ne gardera pas l’âme, si chacun de nous ne cherche pas pour lui-même et dans la lumière de Dieu, quelle est la fin de « l’amour ». On peut rechercher la vérité, on peut se glorifier dans des principes vrais, mais l’amour seul saura tenir ferme au temps de l’épreuve. Tout ce qui nous a attirés et qui n’est pas l’amour se perdra comme la balle que le vent disperse, quand le moment de souffrir pour la vérité sera là.

« L’amour ne périt jamais », « le solide fondement de Dieu demeure » (2 Tim. 2, 19) ; et nous pouvons ajouter que « Dieu gardera les siens » ; toutefois, celui qui, dans le « labourage de Dieu », ne regarde pas à « l’amour » comme à la source de sa force, et ne le poursuit pas comme son but premier et final dans les âmes, celui-là ne fait que bâtir pour la déception et la perte, comme on l’a vu dans chacun des réveils précédents dans l’Église de Dieu.

L’amour respecte nécessairement tout ce que Dieu respecte, car « Dieu est amour ». Il ne peut agir dès que l’on maintient quoi que ce soit de contraire à Dieu. Là où une telle pensée au sujet de l’amour a sa place dans l’âme, le caractère essentiel de l’amour n’est pas connu. L’amour cherche la fin de Dieu et rien autre, et quelle est celle-ci sinon la gloire de Christ et une due appréciation de sa valeur chez ceux qui sont de Lui ?