« Ils méprisèrent le pays désirable »

(Nombres 13 et 14 ; psaume 106, 24)
« Seigneur, tu diriges mes pas

Vers le ciel, ma patrie. »

Est-ce là le langage de nos cœurs, bien-aimés ? Sommes-nous pénétrés de cette pensée, qu’avec les myriades de rachetés, nous chanterons bientôt, devant son trône, les gloires éternelles de l’Agneau ? Tout est simplifié par cette marche « vers le ciel, ma patrie ». Quand l’âme a bien saisi la chose, croyant en Dieu, connaissant Son amour qui nous a tirés hors d’Egypte pour nous conduire en Canaan, un ressort nouveau s’emparant de notre être, fait surmonter les circonstances. Beaucoup de choses peuvent exercer nos cœurs et nos pensées, mais où ce sentiment prédomine, elles ne sont plus que des détails. Même cela signifie bien autre chose encore que de rechercher le secours de Dieu dans les difficultés journalières, puisqu’ici je fais seulement de lui une aide en cas de besoin. Le cœur s’assure en Dieu, mais le fait descendre au niveau de ses peines et de ses angoisses. Sans doute, « Dieu est notre refuge et notre force, un secours dans les détresses, toujours facile à trouver » (Ps. 46, 1), mais le considérer uniquement sous ce caractère, change la face des choses. Il est lui-même notre trésor infaillible. Quand le cœur est arrêté sur sa part avec Jésus en gloire dans la maison du Père, les difficultés présentes deviennent choses secondaires, senties naturellement, mais surmontées par le fait que les pensées quant à Dieu s’élèvent au-dessus de son secours dans les circonstances, jusqu’à la liberté de sa présence où tout ce qui est à Christ m’appartient.

Il est important d’avoir l’esprit fixé sur la glorieuse espérance placée devant nous. Le manque de foi en ternit souvent la fraîcheur en nos âmes. Même avec vingt ans devant moi avant d’y arriver, la première pensée de mon cœur doit être « le ciel, ma patrie ». Chez les enfants d’Israël, l’incrédulité revêtait plusieurs formes, dont l’une était de « mépriser le pays désirable » (Nomb. 14, 31 ; Ps. 106, 24). Pratiquement c’est ce qui nous arrive souvent, non que nous mettions en doute notre titre à sa possession, mais nous portons nos yeux ailleurs. Quand un ami me ferait don d’un trésor important et que, tout en le sachant mien, je ne me soucierais pas de le voir ou de m’en occuper, ne serait-ce pas une preuve — non qu’il ne m’appartienne pas — mais que je le méprise, que je ne l’estime pas à sa juste valeur ? Trop souvent c’est notre cas relativement à la gloire céleste qui est à nous. Sans douter de sa possession future, si nos âmes n’habitent pas en haut, ne font pas leurs délices des choses invisibles, nous « méprisons le pays désirable ».

Hélas ! combien souvent les saints sont en faute de ce côté-là. Jamais l’occupation des choses visibles — de ses devoirs même — ne compensera la perte subie par l’âme qui ne vit pas au milieu des choses préparées par Dieu pour ceux qui l’aiment (1 Cor. 2, 9). Au lieu d’avoir Dieu comme notre force et une plénitude de joie en traversant les tribulations, ainsi qu’il est écrit : « Nous nous glorifions en Dieu » (Rom. 5, 2), nous en faisons seulement un secours dans les difficultés. La faiblesse et l’infirmité se manifestent, au lieu de la joie en lui. Le cœur qu’enchaînent les choses visibles ramène Dieu à leur niveau — et quelle grâce de sa part d’y condescendre ! — au lieu de s’élever au-dessus des circonstances jusqu’à lui.

Naturellement, ce caractère de l’infidélité revêt d’autres traits aujourd’hui, mais au fond c’est la même chose.

D’après le commandement de l’Éternel, des « espions » (Nomb. 13 et 14) furent envoyés pour reconnaître le pays de Canaan, qu’il avait promis aux enfants d’Israël, et pour en rapporter du fruit. L’Esprit de Dieu qui habite en nous comme témoin, prend des choses de Christ, des choses glorieuses du pays de la promesse — le vrai pays de Canaan que la foi appelle ma patrie — et nous les donne déjà comme portion actuelle.

« Et ils montèrent et reconnurent le pays depuis le désert de Tsin jusqu’à Rehob… et ils vinrent jusqu’au torrent d’Eshcol, et coupèrent de là un sarment avec une grappe de raisin ; et ils la portèrent à deux au moyen d’une perche, et des grenades et des figues. On appela ce lieu-là torrent d’Eshcol, à cause de la grappe que les fils d’Israël y coupèrent. Et ils revinrent de la reconnaissance du pays au bout de quarante jours. Et ils allèrent, et arrivèrent auprès de Moïse et d’Aaron, et de toute l’assemblée des fils d’Israël, au désert de Paran, à Kadès ; et ils leur rendirent compte, ainsi qu’à toute l’assemblée, et leur montrèrent le fruit du pays. Et ils racontèrent à Moïse, et dirent : Nous sommes allés dans le pays où tu nous as envoyés ; et vraiment il est ruisselant de lait et de miel, et en voici le fruit » (Nomb. 13, 22-28).

Impossible de mettre en doute le témoignage des espions, les fruits du pays en établissaient le caractère. De même à l’égard des choses célestes, ce que le Saint Esprit nous apporte est à l’abri de toute question. Qui, après les avoir reçues, n’estime pas les arrhes qu’il nous donne, notre richesse en chemin ?

« Seulement », disent les espions, « le peuple qui habite dans le pays est fort, et les villes sont fortifiées, très grandes ; et nous y avons vu aussi les enfants d’Anak. Amalek habite le pays du midi ; et le Héthien, le Jébusien et l’Amoréen habitent la montagne… ». En entendant parler de difficultés, le peuple commence immédiatement à s’inquiéter, à s’agiter.

« Et Caleb fit taire le peuple devant Moïse, et dit : Montons hardiment et prenons possession du pays, car nous sommes bien capables de le faire » (v. 29-31). Il était ferme dans la foi. « Mais les hommes qui étaient montés avec lui, dirent : Nous ne sommes pas capables de monter contre ce peuple, car il est plus fort que nous. Et ils décrièrent devant les fils d’Israël le pays qu’ils avaient reconnu, disant : Le pays, par lequel nous avons passé pour le reconnaître, est un pays qui dévore ses habitants, et tout le peuple que nous y avons vu est de haute stature. Et nous y avons vu les géants, fils d’Anak, qui est de la race des géants ; et nous étions à nos yeux comme des sauterelles, et nous étions de même à leurs yeux » (v. 32-34).

Voyant leur témoignage mis en doute, ils subissent l’influence de l’incrédulité jusqu’à nier ce qu’ils venaient d’affirmer. Ils commencent par dire la vérité à Moïse : C’est un pays ruisselant de lait et de miel, mais devant la méfiance du peuple, leur propre jugement s’évanouit, et les voilà dénigrant Canaan ! Perdant le sentiment de la bonté de Jéhovah en le leur donnant, ils deviennent la proie du désespoir devant les difficultés à surmonter. Non seulement ils craignent les ennemis, mais oublient encore le vrai caractère du pays, tellement que la force leur fait défaut ; ils succombent… Tel est le cas du chrétien aussitôt qu’il perd de vue les choses célestes : les difficultés du chemin semblent insurmontables, son cœur méconnaissant la part pour laquelle il lutte.

Le chapitre 14 va plus loin encore. « Et toute l’assemblée éleva sa voix, et jeta des cris, et le peuple pleura cette nuit-là ». Au début du voyage, alors que commençait au milieu d’eux la manifestation du péché — et quel péché ! — ils n’accusaient pourtant pas encore l’Éternel. C’était : « Ce Moïse, cet homme qui nous a fait monter du pays d’Égypte » (Ex. 32), mais aussitôt que l’incrédulité prend possession de leurs cœurs, le désert leur devient odieux, et ils s’écrient : « Oh ! si nous étions morts dans le pays d’Égypte ! Ou si nous étions morts dans ce désert ! Et pourquoi l’Éternel nous a-t-il fait venir dans ce pays, pour y tomber par l’épée, pour que nos femmes et nos petits enfants deviennent une proie ? Ne serait-il pas bon pour nous de retourner en Égypte ? Et ils se dirent l’un à l’autre : Établissons un chef, et retournons en Égypte » (v. 1-4). Dans quel déplorable état faut-il qu’ils soient tombés pour attribuer ainsi à l’Éternel leurs épreuves et leurs difficultés ! Mais les chrétiens en font quelquefois autant. Sachant que le Seigneur nous a retirés du pays de servitude, nous sommes prompts à penser, quand viennent les épreuves, qu’elles sont la conséquence de notre position, que Dieu nous a amenés au milieu des difficultés. Si le cœur des Israélites eût été attaché à Canaan, ne se fussent-ils pas écrié : « Dieu soit béni d’en être si près » ? Quelles que fussent les difficultés, l’assurance que Jéhovah les avait conduits jusqu’ici, devait amener des actions de grâce, non des murmures. Mais ils s’arrêtent en chemin, au lieu de considérer qu’un pas seulement les sépare du glorieux pays de la promesse. Tout en prétendant craindre pour d’autres, leurs femmes et leurs enfants, ils sont simplement égoïstes.

V. 6-10. Josué et Caleb déclarent l’excellence du pays, et ajoutent que : « Si l’Éternel prend plaisir en nous, il nous fera entrer dans ce pays-là et nous le donnera, un pays ruisselant de lait et de miel. Seulement, ne vous rebellez pas contre l’Éternel ; et ne craignez pas le peuple du pays, car ils seront notre pain : leur protection s’est retirée de dessus eux, et l’Éternel est avec nous ; ne les craignez donc pas ». Leur confiance est en Lui. « Et toute l’assemblée parla de les lapider ». Ce qui devrait réjouir le peuple met seulement au jour son véritable caractère.

V. 13-19. Moïse intercède maintenant pour lui, se basant sur ce que l’Éternel dit lui-même (comp. Ex. 34, 6, 7). Il part du principe de son entière identification avec Israël, représentant au Seigneur que sa gloire est intéressée à la préservation d’un peuple dont il s’est fait solidaire.

Deux choses en résultent : l’Éternel répond à la foi de Moïse, ainsi qu’il le fait toujours à notre égard (v. 20), mais il renvoie les Israélites dans le désert jusqu’à ce que tous les hommes sortis d’Égypte y soient tombés.

Le peuple refusant d’entrer en Canaan, l’Éternel lui fait faire un long chemin à travers le désert, châtiment et grâce en même temps. Il ne peut le laisser seul, il l’accompagne, le conduisant par la colonne de feu et de fumée. Où leur péché a abondé, sa grâce surabonde. Caleb et Josué doivent aussi faire le long séjour ; bien que n’ayant point participé au péché de leurs frères, ils ont néanmoins à en partager l’épreuve et les souffrances. Il nous faut accepter le même sort. L’Église ayant failli, nous avons à prendre notre part, sinon de ses péchés, au moins de ses souffrances. Pour Caleb et Josué, c’était l’exercice de la grâce, de la patience, de l’amour, exercice béni au travers duquel Dieu les soutint, tandis que les autres tombaient dans le désert. Au bout des quarante ans, Caleb peut dire qu’il est aussi fort pour la guerre qu’au commencement (Jos. 14). Mais les fidèles doivent accompagner les infidèles le long de la voie douloureuse qu’eux-mêmes se sont attirés.

Telle est notre portion. Dans un esprit d’amour, de patience, d’humiliation, nous avons toujours à prendre la place de ceux qui ont péché. Voyez Daniel. Quoique juste lui-même, il confesse comme siennes, les fautes du peuple : « Seigneur… nous avons péché, nous avons commis l’iniquité… nous nous sommes rebellés… à nous la confusion de face » (Dan. 9). Sans avoir participé au mal, au péché de la masse, le résidu doit prendre sa part des conséquences, souffrant avec les affligés en toute sympathie et communion.

En nous appliquant pratiquement ces choses, nous pouvons nous demander ce qui les rendait si dépendants de la présence de l’Éternel en chemin. Le fait que leurs affections n’avaient pas saisi la terre promise, ne s’en étaient pas emparée d’avance. Ce que nos âmes ont à rechercher, c’est « d’abonder en espérance par la puissance du Saint Esprit » [Rom. 15, 13]. Le Saint Esprit habitant en nous devient les arrhes de ces choses meilleures, nous révélant l’approche de ce bon pays de la promesse vers lequel le Seigneur nous conduit. Si nous en goûtons à l’avance les fruits, si nos affections nous y précèdent, toute la force des Anakim compte pour rien. Les difficultés du chemin ne nous empêcheront pas d’arriver au but. Mais aussitôt que nous oublions ce qui nous appartient, oublions que l’Éternel nous a donné le pays, les obstacles s’accumulent et nous effrayent, de manière à nous faire tomber sous leur puissance. Tel est l’effet, quand nous perdons de vue ce qui nous appartient en espérance. Nous ne pouvons avoir nos cœurs fixés sur Canaan sans éprouver la force du Seigneur en notre faveur. En m’appesantissant sur les circonstances, je cours le risque de rendre Dieu responsable de ce qui me déplaît. Nul n’a jamais contemplé son avenir avec Jésus en gloire, semblable à lui, entrant déjà en esprit dans cette sphère bénie, sans avoir conscience de la puissance céleste qui y conduit. Alors les circonstances ne sont plus qu’un détail en route.

Désirons avant tout, bien-aimés, de ne point « mépriser le pays désirable », et souvenons-nous que nous le méprisons en ne nous en occupant pas constamment. Si nous ne pensons pas à Jésus où il est, à notre part avec lui, « nous méprisons le pays désirable ». Puissions-nous « retenir ferme jusqu’au bout la confiance et la gloire de l’espérance » [Héb. 3, 6].

L’Écriture fournit au nouvel homme les détails relatifs à la gloire future qui lui appartient, mais la foi seule peut les comprendre. C’est seulement en proportion de notre communion avec le Seigneur que nous en jouirons. La mémoire n’y est pour rien. Impossible d’exercer la mémoire au sujet de l’espérance. Il nous faut être rempli du Saint Esprit. Christ remplira nos cœurs comme il remplit toutes choses. Nous trouvons un trésor de détails relatifs à la gloire, dès que, par la puissance de l’Esprit, Christ, Christ glorifié, est révélé à notre âme. De même que le brigand sur la croix — enseigné par l’Esprit — pouvait parler de la vie du Christ, inconnu jusqu’ici, comme s’il eût été son intime ami : « Celui-ci n’a rien fait qui ne dût faire » [Luc 23, 41], de même l’âme, sous l’influence de l’Esprit, possède Jésus comme objet de ses affections senties et réalisées. Le cœur s’absorbe alors dans son espérance, et l’individu peut s’écrier : « Je sais qui j’ai cru » [2 Tim. 1, 12]. Les circonstances deviennent alors des détails en chemin. Au lieu d’avoir nos pensées en bas, de faire descendre Dieu au niveau de nos peines, nous en sommes sortis et élevés jusque dans la gloire, établis sur « nos lieux élevés » [Ps. 18, 33], tandis qu’autrement nous dirions comme Israël : « Pourquoi l’Éternel nous a-t-il fait venir dans ce pays pour y tomber par l’épée ? ». Le Saint Esprit trouve ses délices à prendre ce qui est à Christ et à nous le communiquer (Jean 16, 13-15).

Que Dieu nous donne, en réalisant tout ce qui est en Jésus, d’avoir déjà nos âmes dans la douce lumière de sa présence, habitant par la foi le pays de la promesse, de manière à connaître notre espérance, aussi bien que ce qui en est le fondement. Et sachons bien que ce n’est point par un effort de mémoire, mais par la puissance et la communion du Saint Esprit, que nous avons conscience de la possession présente « des choses que Dieu a préparées pour ceux qui l’aiment » [1 Cor. 2, 9].