Affranchissement et consolation

Lettre à une mère et à ses filles[1]
1894

I

À Mlle Marie B.

1860

Tant que l’on n’est pas fondé sur la justice de Dieu, la foi n’est pas solidement établie quant à la conscience ; s’il arrive alors qu’un mal quelconque s’établisse dans l’âme, et qu’ainsi la jouissance directe de la bonté de Dieu vienne à manquer, notre confiance est détruite. En temps ordinaire, on ne s’aperçoit pas du fonds d’incrédulité qui nous reste : on va son train, s’occupant d’une manière vague des vérités auxquelles on croit sincèrement, jouissant des bonnes choses qu’on entend, mais ne connaissant pas l’état véritable de son âme dans ses rapports avec Dieu. Survient une chose qui place l’âme en la présence de Dieu : une prédication, une maladie, ou tout autre moyen que Dieu emploie : on découvre que l’âme n’est pas en règle avec Dieu pour elle-même. Ce n’est pas qu’il y ait manque de sincérité, ou qu’on ne croie pas aux vérités que l’évangile de Christ nous enseigne, mais le lien avec Dieu, que ces vérités forment par la grâce, n’est pas net et clair dans l’âme. Les affections divines n’ont pas libre cours ; il y a malaise, doute, angoisse. Le mal présent, le mauvais état d’âme, ou du moins le mauvais état dans lequel elle a été, est bien une cause de ce malaise ; on a raison, en tout cas, de se reprocher amèrement tout ce qui ne répond pas à la croix de notre précieux Sauveur ; mais la forme que prend ce malaise tient à ce qu’on n’est pas bien fondé dans la grâce, dans cette grâce qui règne par la justice.

Je crois que vous avez fait des progrès, et que notre bon Dieu veut approfondir Son œuvre dans votre cœur ; mais je ne sache pas que votre âme soit réduite à un tel sens de ce que c’est que le péché et de votre état de péché, que vous ayez renoncé à vous-même en fait de justice (en théorie, vous l’avez fait très sincèrement, je n’en doute pas), que vous ayez été dépouillée de vous-même, de manière à vous reposer dans une sainte humilité sur une justice autre que la vôtre, la justice de Dieu, mais qui est vôtre par la foi. Ce dépouillement de soi-même est une œuvre profonde, opérée par Dieu, et par la révélation de ce qu’Il est. La conviction particulière du péché et la découverte de notre insuccès en luttant contre lui, ne sont que le moyen d’y arriver. Je trouve d’abord que mes efforts pour atteindre la sainteté (efforts qui ne peuvent manquer dans une âme vivifiée par Dieu), aboutissent à la découverte que je ne l’atteins pas. Puis, arrivé couvert de mes haillons en la présence de Dieu qui ne veut en nous, dans Sa maison, qu’une parfaite conformité à Christ, je suis forcé d’accepter que Dieu se jette à mon cou lorsque je suis encore dans mes haillons, et me revête (parce que cela plaît à Sa grâce) de la meilleure robe, de Christ Lui-même. Cette robe n’était à moi ni avant, ni après mon péché ; ce n’est ni la robe d’Adam innocent, ni celle d’Adam pécheur, mais une robe qui faisait et qui fait partie des trésors de Dieu pour ceux qui sont appelés par la grâce. Après cela, je suis appelé à marcher comme fils de la maison, c’est-à-dire comme Christ a marché. Si dans cette condition l’on manque, on se le reproche mille fois plus que lorsqu’on était encore hors de la maison, n’ayant que l’espérance d’y entrer ; mais mon manquement ne met pas en question que je sois de la maison : c’est parce que j’en suis, que le péché a un caractère si horrible à mes yeux, horrible, quand je pense à ce que Christ a souffert à cause du péché — et que je m’humilie de mon inconséquence à moi, enfant de Dieu, ainsi vêtu. Vous avez été convertie et je vois que la grâce a aidé au développement de votre caractère, mais vous n’avez pas dépouillée de vous-même et vous êtes restée dans une ignorance plus ou moins grande de votre propre cœur. — Dieu vous parle maintenant par les circonstances qu’Il vous fait traverser : soyez sûre que c’est en amour, et parce qu’Il vous aime. Souvenez-vous que Christ est votre justice de la part de Dieu, mais la justice d’une âme convaincue de deux choses, d’abord qu’elle n’a point de justice, et ensuite qu’elle a besoin de justice, besoin d’être en paix avec Dieu. Ce besoin est produit par la conscience de votre péché, sans l’ombre d’un désir que Dieu abandonne quelque chose de Sa sainteté. C’est pourquoi j’ai dit que c’est une œuvre profonde ; elle rend l’âme simple, mais elle ne la trouve pas telle. Je ne m’attends pas à ce que vous vous en rendiez compte intellectuellement, mais à ce que la chose se produise en vous et que, dépouillée de vous-même par la découverte du péché, vous soyez appuyée sur la justice de Dieu, qu’Il a fait nôtre en nous donnant Christ, notre précieux Sauveur. Paix vous soit au nom de ce sang précieux qui purifie de tout péché, qui est ma confiance à moi, pauvre pécheur, comme il m’inspire toute confiance pour vous. — Veillez, et regardez à Dieu, en Lui ouvrant tout votre cœur avec une entière confiance. Cela met la vérité dans l’âme ; Il est digne de cette confiance par Sa bonté infinie envers nous.

Ne vous étonnez point, si quelquefois vous ne vous trouvez pas disposée à lire la Parole. Ce manque de disposition est de deux sortes : on n’est pas disposé du tout, ce qui est fâcheux ; ou bien, on ne trouve, en se mettant à la lire, ni entrain, ni impressions produites. Le premier cas est le signe d’un mauvais état d’âme ; le second a deux sources : une condition de sommeil spirituel, ou bien, que Dieu n’agit pas sur l’état actuel de notre âme, par le moyen des passages que nous lisons. Mais j’ai toujours trouvé qu’en demandant à Dieu de me donner quelque chose pour mon âme, je l’ai reçu de Lui. Quoiqu’il en soit, il faut persévérer à demander à Dieu de disposer nos cœurs, et d’agir par Son Esprit… Pensez beaucoup à Jésus, ensuite vous Le trouverez dans la Parole. Vous trouvez votre cœur sec en la lisant — hélas ! je puis en dire autant, plus souvent que je ne voudrais, quoique la Parole fasse mes délices.

Enfin, gardez-vous diligemment de tout ce qui peine le cœur de Christ, de tout ce qui contriste l’Esprit qui demeure en nous. Cela ne détruit pas, il est vrai, l’efficace du sang de l’Agneau, mais bien l’action de l’Esprit en nous, et nous prive de la communion ; cela nous éloigne de Dieu quant à notre conscience et à notre cœur, et fournit des armes à l’ennemi pour affaiblir notre confiance en Dieu et dans Son amour. On a de la peine à se sentir à Lui, quand on se sent tout différent de ce que les siens doivent être ; je n’excuse pas les doutes, mais je dis que c’est le moyen d’en avoir.

II

À Mlle Marie B.

27 octobre 1860

J’attire particulièrement votre attention sur Colossiens 2, 10 et 11 : « Vous êtes accomplis en lui, qui est le chef de toute principauté et autorité, en qui aussi vous avez été circoncis d’une circoncision faite sans main, dans le dépouillement du corps de la chair, par la circoncision du Christ » ; puis sur les conséquences pratiques qui en découlent, et qui nous sont données aux verset 20 du même chapitre et verset 1 du chapitre 3 — les versets 5-17 du chapitre 3, viennent ensuite et sont le tableau le plus complet, je crois, que nous fournisse la Parole, de la vie chrétienne, depuis la mortification du péché, jusqu’à ses principes les plus élevés et à ses traits les plus bénis. Mais ces exhortations sont fondées sur la position qui a été faite au chrétien, dans le verset 10 du chapitre 2 ; et c’est la conscience de cette position, par la foi, qui nous donne la force pour profiter des exhortations. Les expériences qui précèdent servent à nous faire apprendre la leçon si difficile que nous sommes privés de toute force ; Christ est mort pour des impies ; et lorsqu’on est affranchi, le combat continue, mais dans la liberté divine d’une nouvelle nature qui est à sa place devant Dieu, en vertu de l’œuvre de Christ. Cherchez Christ, Christ Lui-même. Occupez-vous de la beauté et de la perfection de Sa personne et de Ses voies. Cherchez de l’instruction pour votre conscience dans les épîtres, et la nourriture de votre cœur dans les évangiles. Si vous êtes encore dans les combats d’une âme non affranchie, vous trouverez du soulagement dans les Psaumes, mais il ne faut pas en rester là.

III

À Mme B.

Le 20 mars 186…

Chère sœur,

Oui, sans doute, le départ prochain de votre chère Marie sera un coup douloureux, une grande brèche dans votre famille, mais, je ne sais, depuis de longues années, je me suis habitué à la mort en Christ, et pour le chrétien la mort me sourit. En elle-même, la mort est une chose terrible, j’en conviens pleinement, mais elle est maintenant un gain. Dieu veut nous avoir dans la parfaite lumière. Pour Christ, à cause de nous, le chemin de la vie a été à travers la mort ; il ne l’est pas nécessairement pour nous, car la mort est complètement vaincue, mais Christ qui l’a vaincue est avec nous, s’il nous faut prendre cette route pour sortir du mal et de la souillure, pour entrer dans la lumière et la parfaite joie de Sa présence. S’il y a quelque chose que notre âme n’ait pas vidé avec Dieu, il peut y avoir un moment pénible, car il faut que l’âme corresponde à la joie qui lui est préparée, mais en elle-même la mort n’est que le dépouillement de ce qui est mortel et le passage de l’âme dans la lumière et la présence de Jésus. On quitte ce qui est souillé et en désordre ; quelle joie que celle-là ! Plus tard le corps se retrouvera dans sa vigueur, et sa gloire incorruptible et immortelle ; il nous faut attendre encore un peu pour cela.

Saluez avec beaucoup d’affection tous vos enfants. Je sens la perte pour eux ; votre Marie aurait fait la joie de chaque famille dans laquelle elle se serait trouvée. Elle va faire la joie de celle de Christ, nous avons le droit de le dire ; c’est une consolation pour ceux qui sont encore en voyage ici-bas. Dieu nous prépare pour le ciel, en tranchant peu à peu les liens qui nous attachent encore à la terre, comme enfants d’Adam. Christ remplace tout ce que nous perdons, et ainsi tout va bien, tout va mieux.

Que Dieu daigne bénir pour toute votre famille cette peine de cœur si réelle, mais où Dieu toujours plein de bonté a mêlé tant de ménagements et de grâces à l’amertume de la coupe.

Je vous envoie une lettre pour Marie, je crains de l’avoir faite trop longue, mais je suis sûr que, par la bonté de Dieu, elle jouira de ce petit moment en la lisant à loisir et comme sa force le lui permettra. Elle pensera à Christ et sera rafraîchie.

Que Dieu vous bénisse et vous fasse sentir Sa bonté dans cette perte même.

IV

À Mlle Marie B.

20 mars 186…

Chère Marie,

J’aurais beaucoup aimé vous voir encore une fois ici-bas avant votre départ, mais Celui qui dirige tout avec un amour parfait en a ordonné autrement.

Vous partez pour le ciel avant moi. La mort n’est pas un accident qui arrive sans la volonté de Dieu, elle n’a plus d’empire sur nous : Celui qui est ressuscité en tient les clefs. — Quel bonheur immense, de savoir qu’Il a remporté une victoire complète et finale sur la mort et sur tout ce qui était contre nous, et que la délivrance est entière ! Nos corps exceptés, nous sommes délivrés de la scène où le mal avait son empire, et transportés dans une région où la clarté de la face de Dieu luit toujours en amour, où il n’y a que lumière et amour, où Dieu remplit la scène selon la faveur qu’Il fait reposer sur Christ, comme Celui qui L’a glorifié en accomplissant la rédemption, et selon les perfections qui ont été mises en évidence par le moyen de cette œuvre. Dieu a dû être manifesté dans ces perfections en réponse à l’œuvre de Christ ; Il a dû répondre à cette œuvre en amour, en gloire, par l’expression des délices qu’Il y a trouvées. En vertu de cette œuvre, le nom de Son Dieu et Père en amour a pu se dévoiler dans toute sa splendeur : « Tu m’as répondu d’entre les cornes des licornes » ; Il a été ressuscité d’entre les morts par la gloire du Père. Et maintenant Christ déclare ce nom à Ses frères, et Le loue au milieu de l’assemblée (Ps. 22, 22).

C’est là que je voulais vous amener par ces remarques qui pourraient paraître un peu abstraites. Toute cette faveur luit sur vous ; ce que Dieu a été pour Christ homme, parce que ce dernier L’a glorifié à l’égard du péché qui Le déshonorait ; ce qu’Il a été en introduisant Christ dans Sa présence en gloire, Dieu l’est pour vous. Christ a acquis cette gloire, est entré dans la jouissance de la clarté de la face de Son Père, à cause de ce qu’Il a fait pour vous. Ainsi vous y êtes. Tout ce que le Père est pour Christ, Il l’est pour vous, qui êtes le fruit du travail de Son âme. Pensez-y, chère sœur. Christ nous est devenu infiniment cher à cause de ce qu’Il a fait pour nous. Il s’est livré Lui-même, parce qu’Il avait pour nous un amour sans bornes ; il n’y a rien en Christ qui ne soit à vous ; Il ne peut donner plus que Lui-même, et quel don ! Je vous ai écrit dans le temps que c’est en pensant à Lui, à Lui-même, qu’on a de la joie. Vous n’êtes pas une chrétienne joyeuse, je le comprends, je le sais ; c’est une discipline. Christ n’a pas eu la place qu’Il aurait dû occuper dans votre âme.

Vous le voyez, je ne vous cache rien ; mais tout n’est pas là, vous n’avez pas assez de confiance dans Sa grâce. Reconnaissez tout ce qui pourrait être un nuage entre votre âme et Son amour. — Vous le faites, je le sais, mais la grâce, l’amour profond, parfait, de Jésus, l’amour qui est au-dessus de toutes nos fautes, qui s’est donné pour tous nos péchés, l’amour qui a trouvé dans nos faiblesses l’occasion de montrer sa perfection, vous n’y pensez pas assez. Cet amour divin, mais en même temps personnel du Sauveur, remplira votre cœur ; Jésus le remplira, et vous serez non seulement en paix, mais joyeuse. J’attache plus d’importance à la paix, qu’à la joie ; je désirerais vous voir habituellement dans une joie plus profonde qu’éclatante, mais si Jésus est au fond de votre cœur, ce Jésus qui a effacé toute trace de mal en nous, car en Lui nous vivons devant Dieu, votre joie sera plus profonde. Qu’il en soit ainsi ! Oh ! que votre cœur soit rempli de Jésus Lui-même et de Son amour, et du sentiment de Sa grâce ! Il vous a sauvée, Il vous a lavée, Il est devenu votre vie, afin que vous jouissiez de Dieu. Que voulez-vous de plus que Lui ? Vous pouvez voir Sa bonté dans la paix qu’Il vous donne et dans la manière dont Il vous entoure de soins et d’affections. Pour moi, ce n’est qu’un membre de la famille qui se transporte un peu à l’avance là où toute la famille va demeurer. Partout ailleurs on n’est qu’en passage. Bientôt tout sera fini pour vous. Quel bonheur, quand toute trace de ce qui nous a tenus liés, d’une manière ou d’une autre, à ce monde de misère et de mal aura complètement disparu, et que nous nous trouverons dans la lumière où tout est parfait ! Confiez-vous donc dans Son amour. Je le répète, Il a complètement vaincu tout ce qui est entre nous et la pure lumière, comme Il a parfaitement effacé tout ce qui, en nous, ne convenait pas à cette lumière. Qu’Il est bon ! Quelle grâce ! et vous allez être avec Lui ! Quel bonheur ! Réjouissez-vous, chère Marie, bientôt nous serons tous là ; encore un peu de travail, et ce sera fini, dans la pure gloire et dans l’amour. Vous nous devancez ; il vous faudra attendre dans le ciel, pendant que les autres attendent et accomplissent leur tâche sur la terre.

Que Dieu soit avec vous, chère Marie, que la présence de ce fidèle Jésus, tout bon, vous soutienne et réjouisse votre cœur.

J’espère qu’une si longue lettre ne vous aura pas fatiguée. Je pourrais vous dire encore bien des choses : bientôt vous les saurez mieux que moi ; c’est un grand sujet de joie, et quelle grâce immense !

Paix vous soit ! Je demande à Dieu de vous bénir, et cela fait du bien au cœur.

V

À Mme B.

9 avril 186…

Ainsi notre chère Marie est dans le ciel. Je vous remercie, chère sœur, de m’avoir donné ces détails. J’en avais besoin, car je l’aimais sincèrement. J’y vois aussi le tableau très vrai de l’œuvre de l’Esprit en elle, en rapport avec toute sa vie. Quand je dis « vrai », j’entends que ce ne sont pas seulement quelques sentiments que des amis reproduisent pour faire valoir la piété d’un défunt, mais une véritable œuvre de Dieu telle qu’elle se produit dans une âme avec les expériences réelles de cette chère Marie. Cela vaut beaucoup mieux que quelques fleurs artificielles jetées sur une tombe. Je comprends que sa mort fasse une grande brèche dans sa famille, soit pour vous-même, soit pour tous ; mais Dieu dispose de tout, et Il fait tout bien.

Elle va être déposée, du moins sa dépouille mortelle, auprès de son père. Eh bien ! ils ressusciteront ensemble. Nous ne nous devançons pas beaucoup les uns les autres en quittant ce monde ; nous serons tous ensemble, Dieu soit béni, quand nous nous relèverons de la poussière. Que j’ai de plaisir à penser que ce cher B. se réveillera là où il n’y a point de souci ni de peine. Il sera auprès de son Sauveur, puis Marie avec lui, puis tant d’autres, sur lesquels la tombe s’est fermée et qui ont disparu de cette scène agitée. Il me semble qu’il y a un certain changement dans ma manière de sentir à l’égard de ceux qui meurent plus jeunes que moi. Il y avait un temps où je me disais : Si ceux-là s’en vont, mon tour devrait être là. Maintenant, j’ai plus le sentiment d’être mort et de les voir défiler devant moi, pour arriver auprès du Seigneur ; vieux ou jeunes, n’importe ; et moi, je reste ici pour servir, peut-être jusqu’à ce que le Seigneur vienne ; pauvre dans mon service, j’en conviens bien, mais ayant cela, et cela seul, comme motif de ma vie. Immense privilège, si l’on savait seulement le réaliser, car il nous rend étrangers partout, ce qui est un vrai gain, même pour le temps présent.

VI

À Mlle C. B.

186…

Je comprends que vous sentiez que vous êtes plus loin de la conversion que jamais — je ne dis pas que vous le soyez, mais que vous le sentez. Je sais et vous le savez aussi, que vous avez l’esprit très vif, et que vous avez de la peine à vous gouverner… c’est un mal, un mal devant Dieu, et un mal qui vous rendra souvent malheureuse ; mais vous avez déjà fait l’expérience de la grande difficulté qu’il y a à résister quand le mal nous assaille. L’irritation est au-dedans, dans notre nature, quoique l’occasion soit en dehors de nous. Votre volonté n’est pas brisée, et vous en avez beaucoup. Vous voyez que je ne vous flatte pas. Mais voici comment nous pouvons tourner à profit, même nos fautes et nos chutes. Nous apprenons que nous n’avons pas de force. Je ne doute pas que vous voudriez être douce (« Que votre douceur soit connue de tous les hommes », vous vous rappelez ce passage) ; et voilà que vous ne réussissez pas. C’est une preuve humiliante que le péché nous a privés de la force comme il nous a privés de la justice : si le vouloir est bien présent avec nous, nous ne trouvons pas le moyen d’accomplir le bien. Triste position ! Quelle en est la conséquence ? Au lieu de faire de vains efforts, lorsque nous avons déjà tout essayé et que nous ne pouvons pas surmonter notre méchante nature, si vraiment nous désirons la sainteté et de vivre avec Dieu, nous sommes forcés de nous humilier en confessant que nous n’y pouvons rien, et qu’il nous faut nous soumettre à cette grâce qui nous a aimés lorsque nous n’étions que pécheurs. Croyez-vous que le Seigneur puisse vous aimer lorsque vous êtes méchante ? Si non, vous ne serez jamais aimée de Lui. Quelle consolation, lorsque nous sommes vraiment humiliés de nos fautes et de la méchanceté de nos cœurs, de savoir que Dieu nous aime tendrement malgré tout. C’est là la grâce ; c’est ce qui nous fait haïr le mal, ce qui nous donne, par la grâce, de nouvelles forces contre le mal. Mais il faut que nous reconnaissions que nous sommes méchants, privés de toute force, que tout est grâce, que nous avons besoin de cette grâce ; et que nous nous rejetions complètement sur Dieu, qui n’a pas épargné Son Fils pour nous, lorsque nous n’étions que pécheurs.

Je vous demande encore une fois : Croyez-vous que ce tendre et bon Sauveur puisse vous aimer lorsque vous êtes une pécheresse ? C’est la grâce, c’est l’évangile. La loi exige que nous soyons justes et parfaits comme hommes ; la grâce nous visite, lorsque nous ne le sommes pas, et lorsque nous sommes perdus. C’est à cela qu’il vous faut penser, même pour avoir de la force — que l’amour de Dieu est pour ceux qui en ont besoin, qui n’ont ni justice, ni force, pour l’acquérir. C’est votre cas : vous êtes déjà perdue et loin de Dieu, vous n’avez pas de force en vous-même pour guérir votre méchante disposition. Il faut regarder à Jésus qui nous aime, lorsque nous n’avons rien de bon en nous. Lisez la vie de Jésus, et voyez s’Il était autre chose qu’amour, même pour ceux qui étaient d’indignes pécheurs. C’est à cela qu’il nous faut penser, savoir à l’amour de Dieu pour vous, telle que vous êtes. Allez ainsi vers ce tendre Sauveur. Faites-le ; peut-être en apparence ne trouverez-vous pas tout, au moment où vous le voudriez ? Mais le Seigneur nous fait apprendre ce que nous sommes, Il nous convainc que nous avons besoin de Lui et nous attire par Son amour jusqu’à ce que nous comprenions qu’Il nous a parfaitement sauvés. Alors, et pas avant, nous trouvons de la force contre le péché qui est en nous. Allez à Lui, vous trouverez qu’Il est amour.

VII

À Mlle C. B.

1866

La personne dont vous parlez a été subitement enlevée de ce monde. Nous pouvons laisser tout cas semblable entre les mains de Celui à qui jamais la miséricorde ne manque, et qui est plein d’amour et de bonté. Bientôt nous comprendrons toutes Ses voies et nous en reconnaîtrons la sagesse, et même la bonté… Souvent nous avons à apprendre que les voies de Dieu sont inscrutables, mais Son amour nous a été démontré de la manière la plus absolue. Il nous fait sentir qu’Il est Dieu, mais un Dieu qui veut que nous comprenions qu’Il est amour, et que nous ayons confiance en Lui. Depuis que j’ai parlé avec vous, je ne saurais douter que vous ne soyez chrétienne. Vous n’êtes pas toujours joyeuse, je le comprends très facilement. Ni votre caractère, ni vos circonstances, ne tendent à vous rendre simplement joyeuse ; mais Dieu, soyez-en sûre, adapte les circonstances à votre caractère : Il fait contribuer toutes choses au bien de ceux qui L’aiment. Il y a des choses à vaincre chez vous ; au reste, c’est le cas de nous tous, et en particulier de ceux qui sont jeunes, comme vous pouvez le voir en 1 Jean 2. Mais fiez-vous à Dieu dans ces doutes. « Il ne retire pas ses yeux de dessus les justes ». Il vous a rendue parfaitement agréable dans le Bien-aimé ; et maintenant, Il vous façonne pour votre propre bonheur avec Lui. Pensez à une telle grâce ! Il n’y a pas un instant dans lequel Dieu ne s’occupe de vous, pour vous rendre éternellement heureuse avec Lui. Qu’on doive passer par des luttes et des peines qui nous font faire connaissance avec nous-mêmes, c’est une conséquence de Ses soins. Voyez Job : c’est à la suggestion de Dieu, et non pas de Satan, que toutes ces choses lui sont arrivées. Job perd tous ses enfants à la fois, cependant le fond de son cœur n’est pas encore atteint, et Dieu continue. Il y a des voies de Dieu envers les siens : — « Vous avez entendu parler de la patience de Job, et vous avez vu la fin du Seigneur, que le Seigneur est plein de miséricorde ». Vous verrez la fin du Seigneur avec vous. Quelle glorieuse fin, quelle grâce souveraine ! Ensuite, considérez Christ, Sa grâce, Sa douceur, Sa débonnaireté, toute Sa divine perfection dans ce monde, ce cœur touché de compassion… il n’est pas changé. Il n’a pas dit seulement : « Venez à moi » ; mais : « Prenez mon joug sur vous et apprenez de moi, car je suis débonnaire et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes ». Oui, pensez à Lui, à Lui tel qu’Il a été ici-bas, navré, froissé, toujours prêt à penser aux autres et à vous aussi… C’est un monde de tristesse que celui-ci. Vous êtes jeune pour l’apprendre, mais c’est une excellente leçon. Le Seigneur l’a apprise par expérience. Vous ne l’apprendrez jamais comme Il l’a apprise ; du reste, Il en a ôté toute l’amertume. Pensez à cet homme de douleurs, et vous serez soulagée — à l’homme glorieux qui vous représente dans le ciel, et vous serez relevée et encouragée. Au reste, vous Lui appartenez, et vous possédez bien des choses pour lesquelles vous avez à Le bénir ; faites-le ; cela relève le cœur. Un cantique de louanges chasse souvent notre misérable « moi ».

VIII

À Mlle C. B.

Toronto (Canada), 18…

Dites à votre mère, si elle est encore avec vous, de regarder beaucoup à Christ Lui-même, à Christ humilié. C’est ce qui inspire de la confiance et crée des affections. Elle verra quelqu’un (Dieu manifesté en chair) qui est témoin à tout instant de l’amour de Dieu — amour qui s’adapte à nos besoins, qui cherche à nous inspirer de la confiance, qui demande que nous ayons cette confiance en Lui, que nous ouvrions notre cœur à un cœur qui est tout à nous. Le Christ, c’est Dieu ici-bas, fait homme pour gagner nos cœurs à Lui-même quand nous étions perdus, perdus, parce que nous avions eu plus de confiance en notre propre volonté et dans le diable, qu’en Lui, pour nous rendre heureux. Il est au-dessus de nous et de nos misères pour regagner cette confiance. Le cœur se repose en regardant à Lui. — Dites à votre chère malade d’être comme un enfant qui se jette dans les bras de sa mère, convaincu qu’elle n’a rien à faire qu’à le soigner : ce n’est pas la force, cela, mais la confiance. Puis, qu’elle regarde au Christ glorifié : là, nous voyons l’œuvre achevée, le résultat atteint, et, dans la gloire, Celui qui a porté nos péchés. Cette vue scelle notre paix, et porte l’âme en haut. Il est frappant que l’apôtre ne parle pas d’aller au ciel, bien qu’il y allât, mais d’être présent avec le Seigneur, d’être avec Christ. C’est en pensant à Lui, qu’on trouve la joie et l’élan du cœur dans les choses célestes, car Celui qui nous aime et que nous aimons, nous a devancés, et se trouve là pour nous recevoir, selon la parole d’Étienne : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit ». J’ai vu une âme qui se savait déjà pardonnée, rayonner de joie en saisissant la pensée qu’elle allait trouver le Seigneur qu’elle avait appris à aimer, et Le verrait là, devant elle, en haut, quand elle s’en irait… Souvenez-vous aussi pour vous-même, que Dieu ne trace jamais de sillons dans nos cœurs, si ce n’est pour y semer de bonne semence ; qu’Il veut nous sevrer des choses d’ici-bas, pour nous attacher à Lui par des liens qui ne se rompent pas. Le coup de hache peut être fort pénible ; mais c’est pour nous rendre libres, libres dans les parvis célestes. Votre chère malade y va ; peut-être, quand vous recevrez ces lignes, sera-t-elle partie. Quelle joie et quel repos pour elle ! Quelle part que d’être avec le Seigneur !

IX

À Mme B.

Toronto (Canada), 18…

Dans toutes nos peines, les consolations du Seigneur nous fortifient et nous soutiennent. Si l’homme extérieur dépérit, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. J’espère que vous jouissez de la paix ; Christ a fait la paix, une paix parfaite par le sang de Sa croix ; et dans toutes les choses où nous nous sommes éloignés de Lui, Il restaure l’âme. Si notre âme est entièrement ouverte devant Lui, nous trouvons qu’Il la retrempe dans Sa grâce.

J’ai été très malade moi-même, fatigué de travaux à New-York. J’ai été atteint d’une inflammation violente du poumon, mais au fond c’était le surcroît de fatigue. Pendant deux jours, je ne savais si je me remettrais. J’ai repassé ce qui a occupé mon esprit ces derniers temps, puis j’ai pu beaucoup adorer Dieu en Lui-même, et penser à ce que je sentirais si le Seigneur était là devant moi, ce qui, par la grâce, m’a été fort précieux. Une chose est toujours certaine : Il est amour et bonté, et plein de compassion pour nous. Regardez à Lui — je ne doute pas que vous le fassiez — et vous en serez illuminée ; et, tout en vous sondant comme Il le fait toujours, Il vous révèlera toute la plénitude de Sa grâce.