De quoi parlons-nous ?

En présence des désastres causés par la médisance, péché si commun parmi les hommes et condamné à tant d’endroits de la Parole, il ne sera pas sans profit de mettre encore une fois nos frères et sœurs en garde contre ce mal.

Un écrivain du dix-septième siècle[1] s’est exprimé de cette manière sur ce sujet : « La médisance est un feu dévorant qui flétrit tout ce qu’il touche, qui exerce sa fureur sur le bon grain comme sur la paille, sur le profane comme sur le sacré ; qui ne laisse partout où il passe que ruine et désolation… qui noircit ce qu’il ne peut consumer… La médisance est un orgueil caché qui nous fait découvrir le fétu dans l’œil de notre frère et nous cache la poutre qui est dans le nôtre ; une envie basse, qui, blessée par les capacités d’autrui, s’étudie à obscurcir l’éclat de tout ce qui l’éclipse ; une haine déguisée qui manifeste par ses paroles toute l’amertume cachée dans le cœur, qui déchire en secret ; une barbarie de sang-froid qui va percer un frère absent ; un scandale pour ceux qui nous écoutent ; une injustice qui ravit à votre frère ce qu’il a de plus cher. La médisance est un mal inquiet qui jette la dissension dans la société, qui désunit les amitiés les plus étroites, qui est une source de haine et de vengeance, qui remplit tous les lieux où elle entre de désordres et de confusion… C’est une source pleine d’un venin mortel qui infecte tout ce qui l’environne ; ses louanges même sont empoisonnées, ses applaudissements malins, son silence criminel ; ses gestes, ses mouvements, ses regards, tout a son poison et le répand à sa manière ».

Nous avons transcrit ces paroles toujours d’actualité, car on rencontre quantité de personnes un peu partout, hélas ! même parmi les chrétiens, toujours occupées du mal, vrai ou imaginé, qu’elles cherchent à découvrir chez les autres : « L’homme de Bélial creuse, à la recherche du mal, et sur ses lèvres il y a comme un feu brûlant » (Prov. 16, 27).

Ce qui est étrange, c’est que, après avoir été trompées quantité de fois, elles n’en deviennent pas plus réservées ; on les retrouve toujours disposées à recevoir et à répandre tous les rapports qu’on leur fait. Si parfois il y a certaines choses vraies dans ces racontages, le plus souvent on les altère ou on les exagère, et sous quelles couleurs empruntées ne les représente-t-on pas ! Que d’histoires se colportent dans les entretiens, comme des choses vraies et avérées, et qui ne sont néanmoins que de faux bruits ou de simples imaginations ! On les croit telles qu’on les entend et on a la tendance à les répéter, à les publier et à en informer toutes les personnes à qui elles ne sont pas encore parvenues. S’il était question de les vérifier, on ne pourrait produire aucune preuve. Si un jour on s’aperçoit qu’on s’est trompé, on entend dire comme excuse : « On me l’avait dit ainsi et je l’avais pensé ainsi ». Comme si c’était une raison suffisante pour former un jugement et pour l’appuyer que quelque rapport vague et sans autorité ; comme si la sagesse et la prudence ne demandaient pas d’autre examen lorsqu’il s’agit de flétrir un frère et de l’outrager ! Rappelons ici une des dernières pensées d’un vénéré serviteur de Dieu : « Je préfère m’être trompé cent fois en disant du bien de mes frères qu’une seule fois en disant du mal ».

Les choses racontées peuvent parfois être vraies, mais si on les répand dans une mauvaise intention, dans le but de nuire à la réputation d’autrui, on est tombé dans le péché de la médisance. Mais le plus souvent on rapporte les choses en cachant la bonne intention de celui qui a agi ou de manière à calomnier sa conduite. Telles furent les paroles de Doëg l’Édomite lorsqu’il vint rapporter à Saül : « J’ai vu le fils d’Isaï venir à Nob vers Akhimélec, fils d’Akhitub ; et il a interrogé l’Éternel pour lui, et il lui a donné des provisions ; et il lui a donné l’épée de Goliath, le Philistin ». La calomnie dans cette circonstance consistait à représenter Akhimélec comme un conspirateur, agissant de connivence avec David, contre Saül. Akhimélec, appelé auprès de Saül, a eu beau protester de son innocence en donnant toutes les preuves de son intérêt pour le roi, les conséquences en furent terribles (voyez 1 Sam. 21, 1-9 et 22, 7-19) ! Mais Dieu est le vengeur de ces choses et le jugement finit par atteindre le coupable (voir Ps. 52, 1-7).

Nous pourrions multiplier les exemples de la Parole où l’on voit les conséquences désastreuses des faux témoignages, de la médisance et de la calomnie ; aussi lisons-nous : « Tu ne feras pas courir de faux bruits » (Exo. 23, 1). « Tu n’iras point çà et là médisant parmi ton peuple » (Lév. 19, 16). « L’Éternel a… en abomination… celui qui sème des querelles entre des frères » (Prov. 6, 16-19). Ailleurs : « Dieu dit au méchant : … Tu t’assieds, tu parles contre ton frère, tu diffames le fils de ta mère : Tu as fait ces choses-là et j’ai gardé le silence ; — tu as estimé que j’étais véritablement comme toi ; mais je t’en reprendrai, et je te les mettrai devant les yeux » (Ps. 50, 16, 20, 21).

Il est des cas où l’on est amené à rapporter un mal connu devant certains frères capables de s’en occuper ; on le fait alors dans le but de chercher à guérir le mal, et cela n’est pas de la médisance. Nous en avons un exemple en 1 Corinthiens 1, 11. Ceux qui agissent de la sorte, en vue de la restauration, le font en pleine lumière, sans avoir besoin d’ajouter : « Ne dites pas que c’est moi qui vous l’ai confié… ». En dehors de ces cas, la Parole condamne partout ce manque d’amour qui pousse à découvrir les fautes d’autrui (voyez Prov. 11, 12, 13 ; 12, 17-19, 22 ; 16, 28 ; 20, 19 ; 21, 23 ; 1 Pier. 4, 8 ; etc.). Si ceux qui le font rencontraient toujours de la résistance, plutôt que des oreilles disposées à écouter, on apporterait remède à ce mal rongeant. D’ailleurs, prêter l’oreille aux médisances sans les reprendre, est participer à leurs péchés.

Toutes les fois donc que nous parlons en mal d’une personne absente, mal connu ou supposé, dans un autre but que celui de chercher à la restaurer, nous sommes entraînés dans la voie de la médisance. Si c’est un mal que nous connaissons, au lieu de le répandre, notre responsabilité est de parler à la personne elle-même et de la reprendre avec amour (Gal. 6, 1). Ne pas le faire, c’est rester chargé de ce péché : « Tu ne manqueras pas de reprendre ton prochain, et tu ne porteras pas de péché à cause de lui » (Lév. 19, 17).

Mais la tendance qu’ont certaines personnes à répandre du mépris sur d’autres peut provenir de « racines d’amertume » [Héb. 12, 15] cachées dans le cœur : « D’où viennent les guerres, et d’où les batailles parmi vous ? N’est-ce pas de vos voluptés qui combattent dans vos membres ? » (Jacq. 4, 1). Ces racines d’amertume peuvent être du ressentiment ou de la rancune, choses provoquées peut-être par la personne visée. Si un frère nous a fait quelque tort, nous devrions nous mettre en règle avec lui et le reprendre, plutôt que de pécher en médisant de lui. Agir ainsi est contraire à l’amour et à la Parole qui dit : « Tu ne te vengeras pas, et tu ne garderas pas rancune aux fils de ton peuple ; mais tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lév. 19, 18 ; comp. Rom. 13, 9, 10).

Il peut aussi se trouver chez quelqu’un de l’envie qui le pousse à médire de son frère. Remarquons que l’envie vient avant la médisance en 1 Pierre 2, 1 : « Rejetant donc toute malice et toute fraude, et l’hypocrisie et l’envie, et toutes médisances ». Lorsque l’envie est nourrie dans un cœur, il ne souffrira aucune réputation chez un autre sans chercher à l’étouffer. Afin de nuire à celui qui lui fait ombrage, l’envieux trouve moyen de ternir sa gloire par la médisance et la calomnie. S’il n’ose pas employer ce moyen personnellement, quelle joie secrète n’éprouve-t-il pas d’entendre décrier par d’autres celui par lequel il se sent éclipsé ! C’est alors que « les paroles des rapporteurs sont comme des friandises… » (Prov. 18, 8 ; 26, 22).

« Le cœur est trompeur par-dessus tout, et incurable ; qui le connaît ? Moi, l’Éternel, je sonde le cœur, j’éprouve les reins ; et cela pour rendre à chacun selon ses voies, selon le fruit de ses actions » (Jér. 17, 9, 10). Combien nous avons à veiller sur ce cœur, cet ennemi du dedans, « trompeur par-dessus tout », et dont Dieu seul connaît la profonde ruine ! Qu’Il nous accorde, dans Sa dépendance, d’être caractérisés par une défiance toujours plus grande de nous-mêmes ! Qu’Il nous donne de savoir rejeter « l’envie et toutes médisances », cette plaie rongeante qui amène tant de souffrances, qui fait verser tant de larmes, ce moyen entre les mains de l’ennemi pour ruiner des familles entières et des assemblées florissantes !

Avons-nous été surpris par ce mal ? Avons-nous le sentiment d’avoir porté atteinte à la réputation de nos semblables ? Empressons-nous de nous humilier devant Dieu et devant ceux que nous avons calomniés. Ne nous approchons pas de la table du Seigneur sans nous être mis en règle avec eux : « Si donc tu offres ton don à l’autel, et que là il te souvienne que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton don devant l’autel, et va d’abord, réconcilie-toi avec ton frère ; et alors viens et offre ton don. Mets-toi promptement d’accord avec ta partie adverse… » (Matt. 5, 23-26).

Si un vase a deux anses dont l’une est souillée, nous avons soin de le prendre par celle qui est propre afin de ne pas nous souiller nous-même. Pourquoi agir autrement avec nos frères ? N’oublions pas que chaque fois que nous nous sommes occupés du mal, nous nous sommes souillés et que nous avons alors à nous purifier pour jouir de la communion du Seigneur (Lév. 22, 1-3 ; Nomb. 19, 20-22 ; Héb. 10, 22). Mais il arrive, quand on a laissé surgir dans le cœur des pensées d’inimitié contre un frère, qu’on oublie tout le bien qui se trouve chez lui pour ne plus voir que du mal.

« Au reste, frères, toutes les choses qui sont vraies, toutes les choses qui sont vénérables, toutes les choses qui sont justes, toutes les choses qui sont pures, toutes les choses qui sont aimables, toutes les choses qui sont de bonne renommée — s’il y a quelque vertu et quelque louange — que ces choses occupent vos pensées… — faites ces choses, et le Dieu de paix sera avec vous » (Phil. 4, 8, 9).