Énoch

Genèse 5, 21 à 24 ; Hébreux 11, 5 et 6 ; Jude 14 et 15
H. Rossier
1893

Il y eut autrefois un homme appelé Énoch[1]. Deux faits résumèrent sa vie : « Il marcha avec Dieu », et « Il ne fut plus, car Dieu le prit ».

§

C’était un triste monde que celui au milieu duquel vivait Énoch. La grande famille humaine de son temps « marchait dans le chemin de Caïn » qui avait tué son frère et qui, chassé pour ce fait de devant la face de Dieu, avait organisé le monde, tel que nous le voyons encore aujourd’hui. Au moment de la chute du premier homme, quand Ève eut prêté l’oreille aux paroles du serpent, la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie (Gen. 3, 6 ; 1 Jean 2, 16) y élurent aussitôt domicile. C’est ainsi que le monde fut formé quant à ses principes. Exclu de la présence de Dieu, Caïn l’organisa en bâtissant la première ville, et réunit ainsi les hommes en société avec les bienfaits des richesses, de l’industrie, des arts et des plaisirs (Gen. 4, 17-22). Cette ville eut, sans doute, sa religion, car Caïn était un homme religieux à sa façon (Gen. 4, 3). Or quelle différence, je le demande, y a-t-il entre ce monde-là et le monde actuel, sinon qu’aujourd’hui, le monde est pleinement manifesté comme ennemi de Dieu, à la suite du meurtre et du rejet, non pas d’Abel, mais du Fils de Dieu Lui-même ?

Au temps d’Énoch, bien des centaines d’années après le meurtre d’Abel, le mal s’était considérablement développé sur la terre. Les hommes étaient devenus impies, bravant ouvertement Dieu, et leurs paroles et leurs œuvres portaient cette empreinte (Jude 15). Quelques siècles encore et la terre, « entièrement corrompue et pleine de violence » (Gen. 6, 11), sera mûre pour le jugement. L’histoire de l’homme a donc eu ses phases jusqu’au déluge. Elle en parcourt de nouvelles, du déluge au jugement final par le feu. La famille de Caïn, détruite autrefois, revit dans ses caractères moraux depuis la croix de Christ. Selon l’épître de Jude, elle a trois étapes successives : le chemin de Caïn, l’erreur de Balaam, enfin la contradiction de Coré, ou l’opposition ouverte d’une chrétienté apostate à la personne de Christ.

Au milieu des ruines de la famille de Caïn, Dieu assigne à Ève, dans la personne de Seth, une autre semence en place du juste Abel que Caïn avait tué (Gen. 4, 25). Seth devient le chef d’une nouvelle race, que Dieu rattache, non pas à Caïn, mais à Abel mort. Il forme, avec ses descendants, comme une résurrection d’Abel, le juste. Caïn était du méchant (1 Jean 3, 12), sa famille était devenue la « semence du serpent » (Gen. 3, 15), mais, Dieu soit loué, la mort d’Abel, comme plus tard celle de Christ, a porté des fruits ; il y eut alors, il y a encore, dans le monde, une famille de Dieu, créée et conservée par Lui-même.

Nous avons vu ce qui caractérise la famille de Caïn ; voici les traits moraux de celle de Seth. Il nous est dit qu’il lui « naquit un fils et qu’il appela son nom Énosh (homme, mortel) » (Gen. 4, 26). En nommant ainsi son premier fils, il reconnaît que le jugement de Dieu pèse sur tout homme et que la mort, fruit du péché, lui est due. Caïn s’accommode de ce jugement et fait de son mieux pour l’oublier, tandis que Seth le proclame. Se reconnaître pécheur et perdu, est le premier pas de la foi.

Il est un second trait de la famille de Seth : « Alors on commença à invoquer le nom de l’Éternel ». Invoquer le nom de l’Éternel suppose la foi. « Comment », est-il écrit, « invoqueront-ils Celui en qui ils n’ont point cru ? » (Rom. 10, 14). Invoquer le nom de l’Éternel, c’est d’abord trouver le salut par la foi avec les bénédictions infinies que ce terme comporte : « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé » (Rom. 10, 13). Mais quand je possède le salut, j’invoque le nom du Seigneur pour L’adorer. C’est ce que signifie cette parole : « Alors on commença à invoquer le nom de l’Éternel ». Il y eut désormais sur la terre des adorateurs du vrai Dieu. Dès lors, dans l’Ancien Testament, tous les hommes de foi ont invoqué le nom de l’Éternel. Abram bâtit un autel à Béthel et invoque le nom de l’Éternel (Gen. 12, 8). David bâtit l’autel de Morija et invoque le nom de l’Éternel (1 Chron. 21, 26). Élie bâtit son autel et invoque le nom de l’Éternel (1 Rois 18). On pourrait en multiplier les exemples. Invoquer l’Éternel, c’est donc L’adorer, et comme nous le voyons dans ces passages, l’adoration se lie au sacrifice. C’est parce que l’Agneau a été immolé, que nous sommes faits sacrificateurs pour notre Dieu. L’Agneau immolé est, Lui-même, le sujet de notre culte devant Dieu. « Nous avons un autel… Offrons donc, par lui, sans cesse à Dieu un sacrifice de louanges » (Héb. 13).

Tels sont donc les deux traits auxquels se reconnaît la famille de Seth. Non pas que tous ceux qui naquirent de cet homme de foi et de ses descendants fussent sauvés[2], car la maison de la foi se réduisait, lors du déluge, à huit personnes ; mais, dans cette descendance, les relations avec Dieu étaient reconnues. Néanmoins, nous l’avons dit, la mort, terrible conséquence du péché, existait. Les mots : « Et il mourut », résonnent comme un refrain funèbre tout le long de ce chapitre. Lémec mourut cinq ans avant le déluge, Methushélah l’année même de cet événement, comme si le Seigneur eût voulu retirer les siens à Lui avant le grand cataclysme.

Dans la famille de Seth naquit Énoch.

§

Considérons maintenant les deux caractères d’Énoch, mentionnés au début de cet article.

Le premier, c’est qu’il marcha avec Dieu.

Le principe de sa marche fut la foi, car « sans la foi, il est impossible de lui plaire », ou de marcher avec Lui. Tout dépend de la foi. Elle est à la base de notre salut aussi bien que de notre conduite. Le monde, en son erreur funeste, s’imagine pouvoir être sauvé et marcher sans la foi, lui qui n’est qu’un cadavre aux yeux de Dieu. Le moindre souffle de foi lui donnerait la vie et la force. Ces mots : « Lève-toi, prends ton petit lit et marche », restent l’expression du résultat immédiat de la foi.

Mais Énoch fit plus que marcher ; il marcha avec Dieu.

Avant de nous rendre compte de ce que signifie ce mot « marcher avec Dieu », je désire faire remarquer que c’est tout autre chose que « Dieu marchant avec nous ». Le premier est le fruit de la foi et de la fidélité, le second, celui de la rédemption. À peine Israël est-il racheté d’Égypte, que l’Éternel se met à marcher avec lui. Dans la nuée et dans le tabernacle, Dieu s’associe aux pérégrinations d’un peuple qui a trouvé grâce devant Ses yeux et qu’Il a rendu propre pour Sa présence. Il prouve ainsi la perfection de Son œuvre pour eux (Ex. 33, 16 ; Lév. 26, 11-13 ; Deut. 20, 4 ; 31, 6). À peine l’œuvre de la rédemption est-elle accomplie à la croix et scellée par la résurrection, que le Seigneur se met à marcher avec les disciples d’Emmaüs (Luc 24, 15). Je suis, pour ma part, frappé de ce fait. Il s’associe à eux, parce qu’Il les a rendus propres à être Ses compagnons. Certes, ces disciples ne brillaient ni par une grande foi, ni par l’intelligence ; leur marche même les éloignait de Jérusalem, mais Jésus peut marcher avec eux, alors qu’ils ne sont guère qualifiés pour marcher avec Lui. Puissions-nous ne jamais douter de cette vérité ! Ce que Dieu est pour nous, et ce qu’Il nous a faits pour Lui, est la source de notre assurance. Nous ne jouissons de Sa présence que dans la mesure de notre fidélité, mais jamais Celui qui nous a rendus agréables dans le Bien-aimé ne peut détourner Sa face de nous.

Marcher avec Dieu est autre chose. Pour que je marche avec quelqu’un, il faut que nous soyons ensemble. Énoch, bien que sur la terre, marchait en compagnie de Dieu, là où Dieu se trouvait. Il vivait d’une vie céleste, en dehors de tous les principes qui constituent la marche des hommes. Sa conduite sur la terre était caractérisée par des principes qu’il avait puisés dans la communion avec le Dieu du ciel.

Je dis : « la communion ». Elle est inséparable de la marche avec Dieu. « Deux hommes peuvent-ils marcher ensemble s’ils ne sont pas d’accord ? » (Amos 3, 3). Il y a entre nous et Dieu accord de pensées, de conduite et de but, quand nous marchons avec Lui.

La conséquence immédiate de la marche avec Dieu est, comme nous l’avons dit, de reproduire ici-bas le caractère divin et les principes célestes. Un seul homme l’a fait d’une manière parfaite, et Sa marche reste le modèle absolu de la nôtre ; mais, ayant la même vie, le même amour, le même Esprit, nous pouvons être des copies plus ou moins ressemblantes de ce modèle. Pour marcher avec Dieu, il faut que mon cœur ait un objet, Dieu Lui-même, tel qu’Il s’est révélé en Christ. Marchant avec Dieu, je suis occupé de Christ, tel qu’Il est dans le ciel, et je reproduis, par ma conduite ici-bas, cet objet céleste, dans la position qu’Il a occupée comme homme dans ce monde. Ma vie est ainsi la manifestation de celle que j’ai en Christ dans le ciel, et a pour modèle celle de Jésus ici-bas.

Ces caractères de Christ homme, comment les énumérer ? Toute Sa vie, chacune de Ses paroles, chaque pas, tous Ses actes, nous les montrent, car Il a « passé de lieu en lieu faisant du bien ». Le psaume 16 nous décrit cette manifestation de la vie divine en Lui, dans le chemin du service. Il marche avec Dieu, dans une sainteté parfaite, sans aucun autre objet que Lui. La confiance, la dépendance, l’humilité, trouver Ses délices en ceux qui plaisent à Dieu, la séparation absolue de tout mal, chercher Sa portion en Dieu seul, la pleine satisfaction dans le lot qui Lui est échu, la louange, l’assurance et la joie, l’espérance, la jouissance anticipée de la gloire ! Lisons encore au psaume 17 ; c’est le chemin, non plus du saint, mais du juste : la justice en paroles, la justice de cœur, la justice dans la marche (v. 1-5). N’est-ce pas une chose merveilleuse ? Il s’est trouvé un homme, le « compagnon de Dieu » — un homme dont nous sommes devenus les compagnons — qui a marché d’une manière parfaite avec Dieu. Est-il besoin de citer d’autres passages ? Lisons les évangiles, en adorant les traces des pas de cet homme. Voyons-Le, ne se démentant jamais dans l’expression de l’amour, d’un amour intarissable. Tous Ses actes sont amour. Même quand Il annonce le jugement, vous sentez en Lui l’amour qui souffre. « En vérité, je vous dis : Toutes ces choses viendront sur cette génération. Jérusalem, Jérusalem, la ville qui tue les prophètes et qui lapide ceux qui lui sont envoyés, que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu ! ».

N’est-ce pas encore Lui qui a réalisé cette parole de Dieu à l’homme : « Qu’est-ce que l’Éternel recherche de ta part, sinon que tu fasses ce qui est droit, que tu aimes la bonté, et que tu marches humblement avec ton Dieu ? » (Mich. 6, 8). Et cette autre parole, adressée au Lévite : « La loi de vérité était dans sa bouche, et l’iniquité ne se trouva pas sur ses lèvres ; il marcha avec moi dans la paix et dans la droiture, et il détourna de l’iniquité beaucoup de gens » (Mal. 2, 6).

Ô bien-aimé Sauveur ! modèle inimitable, puissions-nous marcher sur tes traces, être des imitateurs de Dieu comme de bien-aimés enfants, et marcher dans l’amour, comme aussi tu nous as aimés ! Puissions-nous, en imitant ce divin modèle, être de ces hommes de foi qui marchèrent avec Dieu, comme un Noé (Gen. 6, 9), un Moïse, un David, un Paul, comme tant de croyants dont le témoignage fut si éclatant ; bien plus encore — car cela convient à notre infirmité — comme tant de milliers de croyants, serviteurs et servantes, sans histoire, inconnus du monde, vivant la vie de « l’homme caché du cœur » et qui, pareils à Énoch, marchèrent humblement avec leur Dieu !

Énoch « marcha avec Dieu trois cents ans ». Pendant trois siècles, son caractère d’étranger céleste ne se démentit pas. Étranger, on l’est toujours, quand on apporte des principes divins au milieu des hommes. Jésus nouveau-né est un étranger dans l’hôtellerie ; adulte, Il n’a pas un lieu où reposer Sa tête ; les pharisiens disent de Lui : « Nous ne savons d’où il est » ; le peuple : « N’est-il pas le fils du charpentier ? ». Enfin, à l’heure solennelle où toute la gloire de Dieu est manifestée dans Son sacrifice, ils disent : « Si tu es Fils de Dieu, descends de la croix ». Sa carrière de trente et quelques années est d’une durée morale infinie, bien plus complète que les trois cents années d’Énoch, parce que c’est l’Éternel Lui-même, Dieu fait homme, qui la remplit. Mais quel sujet d’humiliation pour nous, de voir même un Énoch ne pas se démentir pendant trois siècles, nous qui marchons avec Dieu un jour, oui souvent un seul jour, et qui, le lendemain, avons perdu de vue notre objet, avons oublié que nous sommes du ciel !

Vous avez remarqué, sans doute, que la version des Septante, citée en Hébreux 11, 5, remplace « marcha avec Dieu » par « plut à Dieu ». C’est que ces deux termes sont inséparables, comme on le voit dans les Colossiens : « Pour marcher d’une manière digne du Seigneur, pour lui plaire à tous égards » (1, 10). Comment ne pas plaire à Dieu, si nous marchons sur les traces de Christ ? Nous sommes déjà rendus agréables dans le Bien-aimé, mais Dieu peut nous rendre témoignage que nous Lui sommes agréables, lorsque nous suivons le sentier tracé par Christ. Dieu dit : « En lui, j’ai mis tout mon plaisir » ; Il peut aussi le mettre en nous, auxquels Il a donné la foi et une nature capable de L’aimer et de Le servir. « Sans la foi, il est impossible de lui plaire ». Par la foi, Énoch s’approche du Dieu invisible, réalise Sa présence et marche avec Lui, regardant à l’avenir pour la rémunération. Aussi remarquez que, non seulement il plut à Dieu, mais qu’« avant son enlèvement, il a reçu le témoignage de lui avoir plu ». Son enlèvement ne fut pas ce témoignage ; il n’est pas dit non plus que Dieu lui rendit un témoignage éclatant devant le monde, cela étant réservé pour un jour à venir ; mais il reçut le témoignage d’avoir plu à Dieu, comme Abel celui d’être juste. Cela suffit à l’âme du fidèle. Que lui importe que le monde le méconnaisse, si Dieu le reconnaît. Il garde dans son cœur le précieux témoignage d’une faveur qui est la conséquence de sa fidélité. « Si quelqu’un m’aime », dit le Seigneur, « il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; et nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui ». « À celui qui vaincra, je lui donnerai de la manne cachée, et je lui donnerai un caillou blanc, et sur le caillou, un nouveau nom écrit, que nul ne connaît, sinon celui qui le reçoit ».

§

Mais Énoch n’a pas seulement reçu témoignage ; il a aussi rendu témoignage. Sa vie entière d’étranger céleste était déjà, sans doute, un témoignage silencieux au milieu du monde ; mais avant d’être enlevé, il rendit un témoignage public au Seigneur auquel il avait cru. Énoch, ami de Dieu comme Abraham, devint le dépositaire des pensées cachées de l’Éternel. Ce qui lui fut confié, il en fut le messager, il le proclama devant le monde, et fut ainsi le premier des prophètes.

« Voici, le Seigneur est venu au milieu de ses saintes myriades… » (Jude 14-16). Comme pour tous les prophètes, le Seigneur est, avant tout, le sujet de sa prophétie. Énoch montre que son Seigneur est sur le point de revendiquer Ses droits méconnus et qu’Il viendra en gloire pour exécuter le jugement. Quel sera alors le sort des siens ? Ils reviendront avec Lui. Telle est l’espérance de cet homme de foi. Il reçut une révélation qui, sans être le mystère de la venue du Seigneur pour enlever les saints, mystère réservé à l’Église, en fait néanmoins partie. « Voici, le Seigneur est venu au milieu de ses saintes myriades, pour exécuter le jugement… ». C’est ainsi qu’en 1 Thessaloniciens 4, avant de parler de l’enlèvement des saints, l’apôtre dit : « Si nous croyons que Jésus mourut et qu’il est ressuscité, de même aussi, avec lui, Dieu amènera ceux qui se sont endormis par Jésus ».

On pourrait objecter que ces saintes myriades sont simplement les anges, comme dans ce passage : « La révélation du Seigneur Jésus du ciel avec les anges de sa puissance, en flammes de feu, exerçant la vengeance… » (2 Thess. 1, 7), ou peut-être aussi dans cet autre : « Il a resplendi de la montagne de Paran, et est venu des saintes myriades » (Deut. 33, 2). Mais sans exclure les anges, d’autres passages de l’Ancien et du Nouveau Testament nous montrent quels sont ceux qui accompagnent le Seigneur à Son apparition : « Et l’Éternel, mon Dieu, viendra, et tous les saints avec toi » (Zach. 14, 5). « En la venue de notre Seigneur Jésus avec tous ses saints » (1 Thess. 3, 13). « Et les armées qui sont dans le ciel le suivaient sur des chevaux blancs, vêtues de fin lin, blanc et pur ». « Le fin lin, ce sont les justices des saints » (Apoc. 19, 14, 8). Ce sont donc les saints qui L’accompagnent, « quand il viendra pour être, dans ce jour-là » (au jour où Il sera révélé avec les anges de Sa puissance), « glorifié dans ses saints et admiré dans tous ceux qui auront cru » (2 Thess. 1, 10).

Tel fut le témoignage qu’Énoch rendit au Seigneur, et c’est ainsi qu’il affirma publiquement son espérance ; mais en même temps, il annonça le jugement suspendu sur le monde. Sa prophétie avait-elle seulement en vue les hommes de son temps ? Non ; la Parole a soin de nous faire remarquer le contraire ; car « aucune prophétie n’est d’une interprétation particulière » ; et toutes les prophéties nous reportent à un temps encore à venir. Et que nous dit cette parole ? « Or Énoch aussi, le septième depuis Adam, a prophétisé de ceux-ci, en disant… » (Jude 14). « Ceux-ci », qui sont-ils ? Les impies des derniers jours, appartenant à la chrétienté. « Ceux-ci », dit Jude, « sont des taches dans vos agapes, faisant des festins avec vous, sans crainte » (v. 12). « Ceux-ci, ils sont des murmurateurs » (v. 16). « Mais vous, bien-aimés, souvenez-vous des paroles qui ont été dites auparavant par les apôtres de notre Seigneur Jésus Christ, comment ils vous disaient que, à la fin du temps, il y aurait des moqueurs, marchant selon leurs propres convoitises d’impiétés ; ceux-ci sont ceux qui se séparent eux-mêmes » (v. 17-19).

Énoch, ce premier prophète, a, dans sa courte prophétie, dépassé la limite de la révélation faite à tous les prophètes d’Israël. Pour lui, le jugement n’est pas simplement celui d’un Israël futur et de nations futures, mais celui des hommes de nos jours, dépositaires de la vérité de Dieu, qui se sont corrompus et deviendront la chrétienté apostate. Il annonce un jugement général sur tous, mais il distingue au milieu d’eux les plus coupables, ceux qui ont abandonné leurs relations avec Dieu. « Pour exécuter », dit-il, « le jugement contre tous, et pour convaincre tous les impies d’entre eux de toutes leurs œuvres d’impiété qu’ils ont impiement commises, et de toutes les paroles dures que les pécheurs impies ont proférées contre lui » (v. 15).

§

Le premier fait de la vie d’Énoch fut qu’il marcha avec Dieu, le second, qu’il « ne fut plus, car Dieu le prit ». Cet événement se lia de la manière la plus intime, la plus indissoluble, avec la foi et la marche d’Énoch. Remarquez cette expression : « Par la foi, Énoch fut enlevé pour qu’il ne vît pas la mort » (Héb. 11, 5). On s’attendrait plutôt à cette parole : Par la foi, il plut à Dieu, puis il fut enlevé. Mais non, son enlèvement fit partie, pour ainsi dire, de sa carrière de foi. Sa marche avait ce but, elle tendait à son enlèvement, quoique probablement il ne lui eût pas été révélé à l’avance. Mais ne savait-il pas que le Seigneur, l’Éternel, viendrait au milieu de Ses saintes myriades ? C’était une telle réalité pour son âme, qu’il dit : « Voici, le Seigneur est venu » (v. 14). Il attendait ce moment comme une actualité ; il vivait en vue de cette bienheureuse perspective ; et voici que, tout à coup, l’événement vient confirmer sa foi ! Il est enlevé pour être avec le Seigneur et revenir avec Lui. Sa vie, nous l’avons vu, avait été ici-bas une vie céleste ; elle avait commencé dans le ciel, elle allait se continuer dans le ciel. Il ne faisait pas deux parts de son existence, l’une terrestre, l’autre céleste. Sa vie avait apporté le ciel sur la terre, elle rapportait maintenant le ciel dans le ciel !

Ah ! frères, quelle humiliation pour nous que d’y penser ! Cet homme de Dieu était bien loin de posséder l’étendue de nos révélations, car les conseils d’éternité qui étaient réservés pour nous, lui étaient cachés ; il n’avait pas connu comme nous la Parole faite chair ; il n’avait ni vu, ni entendu, ni touché ce que des apôtres ont vu et nous ont communiqué par l’Esprit Saint. Et cependant, cet homme a marché pendant trois cents ans vers un but, et vers le Seigneur qui représentait ce but pour lui. Il y est parvenu, parvenu sans défaillance. Mais nous à qui le Seigneur a dit : « Je viens », nous qui croyons, qui savons cela, que faisons-nous ? Le Seigneur pourra-t-Il dire de nous, comme de lui : « Par la foi, ils furent enlevés » ? À quoi se passent nos jours ? Où tend notre activité ? Le Seigneur qui vient est-Il le but de notre course, le phare brillant vers lequel notre vaisseau gouverne au milieu de la nuit ? Quel ne serait pas notre témoignage, si nous L’attendions en réalité, car cette espérance est le ressort de toute la vie chrétienne !

Et même si le croyant devait, comme d’autres saints, passer par la mort, pour lui, mourir ou vivre ne devrait guère faire une différence, sinon que la mort est une bénédiction, parce que la mort n’est pas une perte, mais un gain. Vivre, pour Paul, c’était vivre avec Lui et pour Lui ; mourir, n’était-ce pas aussi vivre avec Lui et pour Lui ?

Énoch ne mourut pas ; Énoch fut enlevé « pour ne point voir la mort ». Il fut le premier témoin d’une puissance qui l’avait retiré moralement pendant trois siècles de la région de la mort pour jouir de la vie avec son Dieu, et qui était encore capable, au lieu de ressusciter son corps mort, de le transporter vivant hors de cette région même, en le dépouillant de tout ce qui était mortel. Pour Énoch, le premier, cette parole s’est réalisée : « Il faut que ce mortel revête l’immortalité ». Par la foi, Énoch échappa ainsi au sort des hommes, qui est de mourir une fois ; par la foi aussi, il échappa au jugement imminent qui atteignit bientôt le monde d’alors et fut gardé hors de l’heure terrible qui vint sur toute la terre habitable (conf. Apoc. 3, 10).

Son sort est l’image du nôtre. Il fut qualifié par sa foi pour être presque[3] le seul type des futures destinées des saints, du mystère non encore révélé dans l’Ancien Testament.

Il est dit d’Énoch, qu’il « ne fut pas trouvé, parce que Dieu l’avait enlevé » (Héb. 11, 5). Quand il eut disparu, les hommes le cherchèrent, comme plus tard Élie, mais ne le trouvèrent pas. Le monde avait perdu Énoch. Il ne s’était guère inquiété de lui pendant sa vie. Une fois disparu, il aurait peut-être voulu le rappeler ; il était trop tard ! Le monde ne reverra jamais Jésus venant en grâce ; de même, il ne reverra plus ceux qui lui avaient apporté, avec beaucoup de défaillances, quelque écho de la grâce de Jésus. La perfection du caractère de Christ, personnellement présent au milieu des hommes, avait resplendi comme le soleil sur le monde qui se trouvait éclairé par le plein jour de cette beauté divine. On aurait pu penser que, devant la grâce parfaite, le monde ne serait pas resté indifférent ; qu’il y aurait trouvé sans doute quelque attrait. Voyons ce qu’il a fait.

Il a fabriqué avec quelques coups de hache et de marteau un grossier gibet et y a cloué, comme le dernier des criminels, Celui dont le seul crime était d’être la beauté et la bonté même. Puis il a convié tous les hommes à un autre spectacle : il s’est mis à construire pendant des siècles un piédestal magnifique à l’érection duquel le marbre, l’albâtre et l’ivoire, l’or et toutes les pierres les plus précieuses, ont concouru. Ce piédestal s’élève déjà jusqu’aux nues ; il est près d’atteindre le ciel. Quand il sera terminé, le monde y placera son idéal à lui, l’homme tout noir de méchancetés et de haine, corrompu, jetant l’écume de ses infamies, esclave de Satan et ennemi de Dieu, l’homme dont les mains meurtrières sont toutes rouges du sang du juste ! Mais Dieu, qui a haut élevé le crucifié, précipitera l’homme de son piédestal. « Comme ils sont détruits en un moment ! Ils sont péris, consumés par la frayeur. Comme un songe quand on s’éveille, tu mépriseras, Seigneur, leur image, lorsque tu t’éveilleras ! ».

Oui, le monde ne reverra Christ qu’en jugement. Une fois les saints enlevés auprès de leur Sauveur, ils ne seront plus trouvés. Dès lors, il n’y aura pour le monde, jusqu’au jugement final, ni soleil ni flambeau, ni beauté ni bonté, ni repos ni paix, ni sainteté ni justice, ni amour ni miséricorde, plus rien qui ait une saveur divine. Hélas ! hélas ! que restera-t-il aux hommes ? La puissance du mal et la violence, la haine et le blasphème, le règne de ce qui est subversif de tout principe moral, la corruption dans sa laideur, hideuse même à ceux qui l’ont aimée ; rien pour consoler, pour apaiser, rien pour attirer le cœur, mais la douleur et l’angoisse, un désespoir sans borne, tel que l’on cherchera mille fois la mort sans pouvoir mourir. Ce sera sur la terre le règne de la nuit, l’envahissement du pouvoir des ténèbres[4] !

Mais d’Énoch, il est dit : « Dieu le prit ». L’ami de Dieu put enfin jouir du rassasiement de joie de Sa face. À cet humble voyageur, le droit fut donné d’aller habiter la gloire, avant même que le jugement fût exécuté ici-bas. Ce fut pour Énoch la terminaison d’une marche céleste continue.


Puissions-nous avoir une pareille histoire ; puissions-nous marcher comme Énoch et atteindre le but comme lui !