La crainte de Dieu

H. Rossier

À mesure que l’histoire de l’homme se déroule et approche de sa fin, le cœur du chrétien s’afflige de voir le monde abandonner de plus en plus jusqu’aux caractères extérieurs et aux apparences du christianisme. Les fondements même de la vie chrétienne : l’inspiration et l’autorité de la Parole de Dieu, la mort et la résurrection de Christ, l’œuvre de la rédemption, la divinité du Sauveur, sont mis en question ; l’incrédulité ouverte se donne libre cours ; la vérité de Dieu, ce qu’Il pense de toutes choses, ce qu’Il pense des hommes et du monde, est abandonnée. Les hommes, tout en portant le nom de Christ et ayant celui de Dieu dans leur bouche, agissent comme si Dieu n’existait pas et parlent ainsi dans leur cœur (Ps. 14, 1 ; 53, 1).

La Parole de Dieu nous décrit la dernière phase de cet état moral : Les hommes, incapables malgré tout, de ne pas croire à quelque chose, reviendront aux superstitions païennes, à l’évocation des esprits et à la magie, et retourneront même au culte des faux dieux, car la chrétienté apostate, la fausse église, la grande prostituée, n’aura, pour désaltérer ses esclaves, qu’une coupe remplie d’abominations, c’est-à-dire d’idoles.

Quand on pense au gouffre vers lequel se précipite le monde d’aujourd’hui, l’on se reporte avec tristesse au temps où, même en dehors des vrais croyants, une certaine crainte de Dieu régnait dans les milieux sortis de la Réforme. Ce n’était, sans doute, pour l’immense majorité, qu’un respect de convention des vérités révélées, mais ce respect existait chez les masses qui avaient peur d’offenser Dieu, et il n’était point une chose indifférente quoiqu’il n’eût aucun rapport avec la foi qui sauve. Dans bien des cas la conscience était en exercice, et la grâce de Dieu se servait des vérités, reconnues de tous, pour amener des pécheurs à Lui, car, en dehors de la révélation, la conscience est le seul levier dont l’Esprit de Dieu puisse se servir pour convaincre les hommes de péché et les tourner vers Dieu. Mais de plus, la Parole de Dieu, remise en lumière à la Réforme, n’était ni contestée, ni un objet de doute, sauf en de rares exceptions, et devenait ainsi le moyen de provoquer ce travail de conscience.

En disant ces choses, nous désirons assurer ceux qui nous lisent que Dieu tient compte de ces convictions — quand même la foi en est absente — pour attirer les hommes à Lui en se servant pour les atteindre de tous les côtés divers de leur état mental. Même le caractère de l’homme naturel peut avoir des côtés aimables que le Seigneur est loin de mépriser (Marc 10, 21), mais qui n’établissent aucun lien moral quelconque entre le pécheur et Lui. Quant à ce lien lui-même, Dieu déclare que, depuis la chute, il n’existe plus en aucune manière. Il prend, pour nous le prouver, l’homme religieusement le plus favorisé, le Juif, auquel la pensée de Dieu avait été révélée dans la loi ; puis Il nous montre qu’il est aussi bien sous le péché que le Gentil, et que la Parole même qu’il a entre les mains le condamne absolument et aboutit à la sentence terrible : « Il n’y a point de crainte de Dieu devant leurs yeux ». Cette crainte qui est le résultat de toute action de l’Esprit de Dieu dans le cœur de l’homme pécheur, leur manque entièrement. Il est dit que « la crainte de l’Éternel c’est de haïr le mal » (Prov. 8, 13) ; or toute l’histoire de l’homme prouve que ce dernier aime le mal et hait le bien.

Si donc les apparences peuvent nous tromper sur l’état réel des hommes, cet état ne trompe pas Celui qui sonde et connaît le fond de leur cœur. Ésaïe 29, 13 nous dit que cette crainte n’était pour le peuple d’Israël qu’un commandement d’homme enseigné ou appris.

Il en était de même lorsque les nations païennes que le roi d’Assyrie avait envoyées à Samarie vinrent remplacer les dix tribus dispersées. Elles ne craignaient pas Dieu, quoiqu’elles y fussent tenues, puisqu’elles occupaient le territoire qui Lui appartenait en propre ; aussi leur envoya-t-Il des lions qui les dévoraient. En suite de cet événement, le roi d’Assyrie les fit instruire par un sacrificateur institué sous le régime du culte semi-idolâtre de Jéroboam. Par son ministère, les nations apprirent à craindre l’Éternel tout en servant d’autres dieux (2 Rois 17, 34, 41). Elles désobéissaient ainsi à l’alliance que l’Éternel venait de faire avec elles. Donc elles ne craignaient pas l’Éternel ; mais Dieu supporta longtemps leur ignorance involontaire, bien différente de celle de Son peuple, jusqu’au moment où Il leur envoya le « Sauveur du monde » (Jean 4, 42), comme objet de foi, et ces pauvres Samaritains, haïs des Juifs, les devancèrent dans la connaissance et la possession du salut. Cet exemple ne concerne pas seulement les nations païennes qui entraient en contact avec le vrai Dieu. La chrétienté d’aujourd’hui est plus coupable qu’elles, plus coupable même qu’Israël, parce qu’ayant reçu la pleine révélation de la grâce, elle pense allier la crainte de Dieu avec les idoles du monde : avec la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie. En effet, la crainte de Dieu ne peut marcher de pair avec l’amitié du monde. Il pourrait cependant arriver que cette crainte fût réelle, quoique dominée et comme submergée par la peur des conséquences qu’elle entraîne. Tel fut le cas d’Abdias en 1 Rois 18. Il pouvait dire et penser qu’il craignait l’Éternel dès sa jeunesse, tout en étant en grande frayeur de l’homme, deux choses qui ne pourront jamais s’accorder. Il faut choisir l’une ou l’autre. Abdias, rassuré et encouragé par la foi d’Élie, préféra finalement la crainte de Dieu à celle des hommes.

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L’état désespéré du cœur naturel dont nous avons cherché à décrire les divers aspects, portera peut-être le pécheur, travaillé dans sa conscience, à se demander quel chemin il doit suivre pour acquérir cette crainte de Dieu qui est à la base même de toute bénédiction réelle.

Un passage du psaume 19, 7 à 11 va lui donner la réponse. Parmi toutes les choses données de Dieu : Sa loi, Ses témoignages, Ses ordonnances, Ses commandements, Ses jugements, le psalmiste en cite une et dit : « La crainte de l’Éternel est pure, subsistant pour toujours », et il ajoute : « Aussi ton serviteur est instruit par ces choses ; il y a un grand salaire à les garder ». Cette crainte, comme toutes les choses qui viennent d’être énumérées, provient de Lui et n’est pas à acquérir. Quand je me trouve devant Lui, c’est Lui qui m’inspire cette crainte, comme la présence de quelque personnage auguste m’inspire, à son aspect, une déférence que je ne produis pas au-dedans de moi-même, mais qui est le produit de sa dignité et de sa majesté. Cette crainte de l’Éternel donne à l’âme la sensation d’une pureté inaltérable qui s’impose à elle. Elle comprend aussitôt qu’aucune impureté ne peut, ni ne pourra jamais subsister en Sa présence. Il faut donc, pour entrer devant Dieu, être pur comme Il est pur, saint comme Il est saint (Ps. 18, 25-26) ; si je pensais autrement, ce serait traiter Dieu avec un mépris manifeste. Cette vérité atteint ma conscience : Il me faut être pur pour entrer en relation avec Lui !

Nous venons de voir que, pour connaître cette crainte, je dois en tout premier lieu avoir été placé devant Dieu. Or cela est une grâce qui nous vient entièrement de Lui. Nous verrons plus tard que c’est par la sagesse qu’Il nous y place. N’oublions pas que, depuis la chute d’Adam, tout accès à Dieu est fermé à l’homme pécheur, à moins que Dieu Lui-même ne le lui ouvre ; mais s’Il le fait, c’est afin de le mettre en rapport avec Lui, selon la perfection de Sa nature. Il faut donc, quand nous sommes placés devant Lui, que la question du péché soit réglée entre notre âme et Dieu. La crainte de Dieu ne va pas jusque-là ; elle n’est pas le salut, bien que cette crainte subsiste et soit encore intensifiée après le salut, c’est-à-dire quand la question du péché a été entièrement réglée. Mais la crainte de Dieu est, pour ainsi dire, le premier pas d’une ascension qui nous amène, de la conscience de notre état de péché que nous haïssons, à la pleine certitude du salut par le sang de Christ.

Une fois introduit en la présence de Dieu, je reçois, par ce fait même, la connaissance de ce qu’Il est. Je Le vois lumière sans aucun mélange de ténèbres, pur sans trace de souillure, saint sans trace de mal, juste sans trace d’injustice. Je me compare à Lui et je vois que tout ce que je suis est en absolue contradiction avec Sa nature, incompatible avec elle. Je suis donc saisi du désir d’être en harmonie avec la sainteté et la pureté de Dieu. Ce caractère, je le connais et l’apprécie, mais avec la certitude que Dieu ne peut supporter le mal et est obligé de le punir. Il ne me reste donc que deux alternatives : ou m’enfuir loin de Lui, renonçant pour toujours à me mettre en rapport avec le Dieu saint, ou bien rester devant Lui, ayant horreur du mal et comptant sur la grâce qui m’a amené là, pour mettre mon état d’accord avec Son caractère. La crainte de Dieu a donc commencé par Sa grâce qui m’a placé devant Lui tel que je suis ; elle continue par la conviction de Sa perfection absolue ; elle m’amène enfin à la haine du mal quand je compare mon état avec cette divine perfection (Prov. 8, 13). Mais dès que l’horreur du mal est produite, c’est la sagesse (voyez v. 12-14). La folie est de s’enfuir pour éviter de se juger et, n’ayant pas voulu le faire, de tomber finalement sous le jugement de Dieu.

Je hais donc le mal, mais comment puis-je m’en débarrasser ? C’est la grande question qui se pose maintenant devant l’âme, car il ne suffit pas de le haïr : Il faut qu’il soit aboli si je veux rester devant Dieu. C’est alors que nous entendons cette exclamation du psaume 130 : « Ô Jah ! si tu prends garde aux iniquités, Seigneur, qui subsistera ? Mais il y a pardon auprès de toi, afin que tu sois craint » (v. 3-4). Dieu restera-t-Il sourd à cet appel ? Nullement, « car auprès de l’Éternel est la bonté, et il y a rédemption en abondance auprès de lui » (v. 7). L’âme est délivrée ; alors commence une nouvelle vie de relation avec Lui et pour ainsi dire une seconde étape de la crainte, séparée de la première par la connaissance de la rédemption, du pardon des péchés et de la justification, en un mot, du salut. Dans cette seconde étape, la crainte est pour ainsi dire intensifiée, comme il est dit ici : « afin que tu sois craint ». La connaissance de la grâce nous pousse à ne rien laisser subsister au-dedans de nous qui soit en désaccord avec la sainteté de notre Dieu. — C’est Lui qui a tout fait. Il ne reste pour moi, en présence de cette grâce, qu’une expression bien plus complète de la crainte qu’au début : la vénération, fruit de la reconnaissance ; le respect, la soumission, la dépendance ; le sentiment de Ses droits sur moi, car Il a toute autorité ; la peur de Lui déplaire, car je connais maintenant Sa bonté et Sa puissance pour me garder et me secourir. Dès lors je m’approche de Lui avec mes pieds déchaussés, car Il dit : « Soyez saints comme je suis saint » ; je cherche de toute manière à Lui être agréable, en sorte que ma conduite ne soit pas en désaccord avec Son caractère. Cela me sépare désormais et du monde et de ma vie passée dans le péché.

Depuis ce moment, la crainte découle de l’entière connaissance de la grâce au lieu de découler, comme au début, de la découverte que Dieu est lumière. Je sais qu’Il est amour. Le craindrai-je moins parce qu’Il est amour ? Non, certes.

Nous avons dit que la première étape de la crainte de Dieu consiste à haïr le mal et à désirer conformer sa conduite à ce sentiment. Souvent l’âme qui ne connaît pas encore la plénitude du salut peut en rester à ce degré pour un temps, mais le moment arrivera où la grâce de Dieu la conduira plus loin. Tel fut le cas de Corneille au chapitre 10 des Actes. Il est dit de lui qu’il était « pieux et craignant Dieu avec toute sa maison ». Il montrait cette piété et cette crainte par ses aumônes et ses prières. Ces choses avaient de la valeur aux yeux de Dieu qui en tenait compte, montrant « qu’en toute nation celui qui le craint et qui pratique la justice[1] lui est agréable » (v. 35). Alors Pierre lui annonce l’évangile, la bonne nouvelle de la paix, car il ne connaissait encore ni le salut, ni le Rédempteur ; et, par la foi en Christ, Corneille reçoit la rémission des péchés. Immédiatement le Saint Esprit vient sceller cette foi sur tous ceux qui entendent la Parole. On voit clairement dans ce passage en quoi la crainte de Dieu consiste et que, si l’on n’a pas encore le pardon des péchés, elle y conduit indubitablement.

Nous trouvons la même vérité au chapitre 13 des Actes (v. 26). Arrivé à Antioche de Pisidie, Paul s’adresse, dans la synagogue, aux Juifs et à ceux qui, parmi eux, craignent Dieu. Il leur annonce la parole du salut. Cet évangile était annoncé à tous, car sa portée est universelle, mais ceux qui craignaient Dieu et Le servaient, le reçurent, les autres se montrèrent ennemis et rejetèrent la grâce qui leur était offerte. Ce cas nous montre clairement, comme celui de Corneille, la distinction que la Parole fait entre la crainte de Dieu initiale qui nous pousse à haïr le mal et à pratiquer la justice, et la connaissance de l’évangile du salut.

Il est important de remarquer à ce propos que, dans le Nouveau Testament, ce n’est plus seulement l’Éternel ou Dieu, mais le Seigneur, qui est un objet de crainte. En Actes 9, 31, « les assemblées marchaient dans la crainte du Seigneur ». Ce caractère de nos relations avec Christ est important : Il n’est pas le même que les relations d’intimité qui existent entre le racheté et son Sauveur, mais la crainte nous place devant Celui qui a toute autorité et tout droit sur nous comme Ses serviteurs et Ses esclaves. Il en est de même de nos relations avec notre Père quand nous voyons en Lui Celui qui « juge selon l’œuvre de chacun ». La crainte remplace alors l’intimité des rapports de famille (1 Pier. 1, 17).

Considérons maintenant la crainte de Dieu dans son plein épanouissement, c’est-à-dire après que l’âme a connu le salut et la paix avec Dieu. Cette crainte est toute de confiance et n’a rien à faire avec la frayeur. Celui qui craint l’Éternel ignore la frayeur parce qu’il a fait la connaissance du Dieu d’amour. Si son cœur est partagé entre le monde et Dieu, il aura peur du monde comme Abdias et devra être rassuré de ce côté. Aussi avons-nous souvent besoin d’entendre ce mot : « Ne crains pas » quand le monde nous est hostile ou que nous souffrons en le traversant. Alors l’amour du Père nous remplit de confiance. « Il n’y a pas de crainte dans l’amour, mais l’amour parfait chasse la crainte » (Luc 12, 4, 7, 32 ; 1 Jean 4, 18).

La crainte de Dieu a toutes sortes de conséquences heureuses pour nos âmes. On peut dire d’autre part que toutes nos chutes ont pour cause l’abandon momentané de cette crainte ou un état de relâchement spirituel qui nous a, depuis plus ou moins longtemps, privés de la jouissance de Sa présence, et, dans ce cas, la crainte qui est toujours attachée à la présence de Dieu a été négligée. Mais insistons plutôt sur les conséquences heureuses de la crainte de Dieu : Commençons par dire que nous avons en Christ homme le modèle parfait de la crainte de l’Éternel. Elle caractérise le Messie, le vrai Roi, Celui qui dominera parmi les hommes « en la crainte de Dieu » (2 Sam. 23, 3). Ésaïe nous présente la même vérité au chapitre 11, versets 2-3. Sur le Christ, rejeton du trône d’Isaï, repose « l’Esprit de sagesse et d’intelligence, l’Esprit de conseil et de force, l’Esprit de connaissance et de crainte de l’Éternel, et son plaisir sera la crainte de l’Éternel ». Nous trouvons donc en Lui le modèle parfait des rapports de l’homme avec Dieu. Demandons-nous, devant de tels passages, si, comme Lui, nous avons notre plaisir dans cette crainte. S’il en est autrement, c’est que nos cœurs ne sont pas suffisamment occupés de Lui et que nous ne pouvons dire en vérité : « Mon âme s’attache à toi pour te suivre » (Ps. 63, 8).

Comme le plaisir de Christ était dans la crainte de Dieu, le plaisir du Père était en Lui, Son Fils bien-aimé ; mais, ne l’oublions pas, ce plaisir du Père est en nous aussi qui suivons les traces du Seigneur ici-bas. N’est-il pas dit : « Le plaisir de l’Éternel est en ceux qui le craignent, en ceux qui s’attendent à sa bonté » (Ps. 147, 11) ? Et ne trouvons-nous pas, dans cette promesse, un motif capital de Le craindre continuellement ?

Le bonheur que l’on trouve à suivre le Seigneur dans la crainte de Dieu est une ressource précieuse dans les temps d’affliction. Toutes les perfections qui sont en Lui nous ont été révélées : Sa bonté, Sa miséricorde et Son pardon, Sa sainteté, Sa vérité, Sa justice, nous sont connues, mais le croyant éprouvé dit : « Unis mon cœur à la crainte de ton nom » (Ps. 86, 11). Il désire et demande que son cœur, ses affections, soient tout entières concentrées sur le nom du Seigneur, sur ce qui est l’objet de sa crainte, sur les perfections dont nous venons de parler, afin d’être rendu capable de célébrer le Seigneur et de glorifier par ses louanges Son nom à toujours.

En effet, la crainte de Dieu est inséparable de la louange. Cette crainte est-elle absente ? Le culte n’a pas de réalité : « Qui ne te craindrait, Seigneur, et qui ne glorifierait ton nom ? » chantent les saints glorifiés en Apocalypse 15, 4. Combien de fois faisons-nous ici-bas l’expérience de la pauvreté de notre culte, quand la crainte de Dieu n’a pas été le trait dominant de notre vie ! Cette crainte n’exclut nullement la pleine jouissance de la grâce ; bien au contraire ; mais la jouissance, si elle est réelle, s’accompagnera toujours du sentiment profond de la sainteté et de la justice du Dieu de grâce auquel nous avons affaire. Au psaume 5, 7, nous voyons le fidèle unir ces deux choses : « Mais moi », dit-il, « dans l’abondance de ta bonté, j’entrerai dans ta maison, je me prosternerai devant le temple de ta sainteté, dans ta crainte ».

Il est une autre conséquence heureuse de la crainte de Dieu : Elle nous lie avec les âmes pieuses qui vivent dans la même crainte que nous, et nous sépare « des hommes vils » (Ps. 15, 4). Unis ensemble, les fidèles qui Le craignent reçoivent de l’Éternel une bannière, le Seigneur Jésus Christ. C’est à cette bannière qu’on les reconnaît, et sous elle qu’ils combattent : Le seul nom écrit sur elle rassemblera les peuples à la fin autour du Fils de David, du Messie, du Roi d’Israël. Ainsi la victoire dans le combat, le rassemblement futur d’Israël et des nations (pour nous, le rassemblement actuel des enfants de Dieu) puis la possession de l’héritage (Ps. 61, 5) enfin le salut et la gloire (Ps. 85, 9) appartiennent à ceux qui craignent Dieu.

La crainte de Dieu, ne l’oublions pas, règle toute la conduite du fidèle ici-bas. C’est ce que nous voyons au chapitre 10 du Deutéronome : « Qu’est-ce que l’Éternel, ton Dieu, demande de toi », dit Moïse à Israël, « sinon que tu craignes l’Éternel, ton Dieu, pour marcher dans toutes ses voies, et pour l’aimer et pour servir l’Éternel, ton Dieu… en gardant les commandements de l’Éternel ! » (Deut. 10, 12, 20).

Cette crainte de Dieu est entretenue par la Parole, chose de toute importance. C’est « en la lisant tous les jours de sa vie » que le roi apprenait à craindre l’Éternel son Dieu (Deut. 17, 19. Voyez aussi Deut. 31, 11-13). C’est par elle aussi que nous sommes préservés des idoles (Jos. 24, 14).

Je ne voudrais pas clore cette énumération des résultats bénis de la crainte de Dieu sans faire remarquer les bénédictions temporelles qui en sont la conséquence. Israël, peuple terrestre, récoltait en bienfaits terrestres les conséquences de la crainte de l’Éternel. Le chrétien, appartenant à un peuple céleste, n’a rien de semblable à attendre. Son trésor est dans le cieux. Il y a cependant ici-bas, pour tous les hommes, selon la sagesse du gouvernement de Dieu, des conséquences bénies de la crainte de Dieu, et la Parole de Dieu a soin de les faire ressortir. Ainsi la crainte des parents va de pair avec la crainte de Dieu en Lévitique 19, 1, 2 et 32, et ce « premier commandement avec promesse » a pour résultat que « nos jours seront prolongés sur la terre » (Ex. 20, 12 ; Éph. 6, 2-3). De même aussi le psaume 34, 7 à 16 commence par établir que la crainte de l’Éternel nous assure ici-bas Sa protection et Ses délivrances. C’est pourquoi les saints sont exhortés à demeurer dans cette crainte. Ils ne manqueront de rien. Même une prolongation de vie sous le gouvernement de Dieu ne leur manquera pas. Ces promesses faites à Israël restent vraies aussi quant aux voies du gouvernement de Dieu à l’égard de nous tous, comme nous le voyons par la citation de ce passage en 1 Pierre 3, 10 à 12. La crainte de Dieu qui donne ici-bas une vie heureuse consiste 1º à se garder de dire le mal et de mentir ; 2º à se garder de faire le mal, et de plus à faire le bien ; 3º à chercher et à poursuivre la paix. — Cela suppose la connaissance des caractères de Dieu, connaissance qui s’empare de l’âme dès qu’elle est introduite en Sa présence. De même le psaume 128 nous montre que le fruit du travail, l’accroissement de la famille, la prospérité extérieure sont dispensés à ceux qui craignent l’Éternel. Nous retrouvons ces mêmes principes aux psaumes 112 ; 145, 19 et dans les Proverbes aux chapitres 10, 27 ; 22, 4, etc.

Il y a donc en tout temps, même pour la terre, une faveur spéciale de Dieu sur ceux qui Le craignent, toutefois, hâtons-nous de répéter que, sous l’économie de la grâce, le mot « bienheureux » n’est pas prononcé sur ceux qui jouissent de ces privilèges, mais sur les saints qui souffrent de la part du monde, sur ceux qui sont dénués de tout, sur ceux qui ont sacrifié les richesses injustes pour être reçus dans les tabernacles éternels, sur ceux qui ont abandonné ce qu’ils ont, en vue d’un trésor dans les cieux, infiniment supérieur à tout ce que le monde pourrait offrir.

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Le livre des Proverbes, où il est beaucoup parlé de la crainte de l’Éternel, nous la présente sous un point de vue tout spécial, c’est-à-dire dans ses rapports avec la sagesse, ce qui nous oblige à donner à ce livre une place séparée dans notre méditation. Au chapitre 1 verset 7, nous lisons : « La crainte de l’Éternel est le commencement de la connaissance ».

En présence de tous les problèmes qui se posent devant nous pour notre conduite dans ce monde, car c’est de cette dernière que les Proverbes nous entretiennent, comment échapperons-nous à la folie des pensées de l’homme ? Il nous faut, pour résoudre ces questions, la connaissance, le discernement des paroles de l’intelligence divine, la prudence, la réflexion, l’accroissement du sens pour comprendre les choses difficiles (1, 1-6). Tout cela fait partie de la sagesse, mais le commencement de toutes ces choses, le « sine qua non » pour les acquérir, c’est la crainte de l’Éternel. Elle est à la base de toute vraie connaissance, de toute appréciation du bien et du mal. Aucune connaissance humaine, quelque approfondie ou quelque subtile qu’elle soit, ne peut être notre fil conducteur pour éviter les pièges qui nous sont tendus dans ce monde. Une âme, placée en la présence de Dieu, acquiert par là même cette connaissance. Elle voit, dans sa propre personne, le mal sous son aspect le plus haïssable ; elle dit, comme Job : « J’ai horreur de moi », mais elle apprend à connaître en Dieu le bien suprême, le bien parfait qui l’attire.

Chapitre 9, 10. « La crainte de l’Éternel est le commencement de la sagesse, et la connaissance du Saint est l’intelligence ». Cette crainte est le principe même de la sagesse ; c’est là ce que la sagesse établit comme base première de toute bénédiction. La sagesse qui est, au chapitre 8, Dieu Lui-même révélé en Christ, nous amène en Sa présence ; là je me trouve devant le Saint. La sagesse me Le fait connaître. Aussitôt j’ai horreur du mal, et c’est la crainte ; mais je désire connaître Dieu dans Son caractère de sainteté parfaite, et c’est la sagesse. Ainsi la sagesse divine, car c’est l’Éternel qui la donne (2, 6), me conduit à la crainte et la crainte me conduit à la sagesse, c’est-à-dire à la pleine connaissance du caractère de Dieu pour le reproduire dans ce monde. Seulement il y a pour moi progrès continuel dans la connaissance de ce qui constitue la sagesse pratique. Nous trouvons des pensées analogues en d’autres parties de l’Écriture, par exemple en Job 28, 28 : « Voici, la crainte du Seigneur, c’est là la sagesse, et se retirer du mal est l’intelligence ». Job se demande où est la sagesse. On ne la rencontre nulle part : « elle ne se trouve pas sur la terre des vivants » et cependant elle est plus précieuse que les plus purs trésors. Où donc la trouver ? En Dieu Lui-même, en Dieu seul. Mais Dieu la met à disposition de l’homme : « Voici, la crainte du Seigneur c’est la sagesse ». C’est ainsi que la sagesse se manifeste chez l’homme, « et se retirer du mal est l’intelligence ». Nous revenons ici à la pensée initiale de la crainte de Dieu. La crainte de Dieu est de haïr le mal, mais notre passage va plus loin : Si je hais le mal je m’en retire et c’est en cela que consiste la sagesse (voyez aussi 3, 7). Ainsi la sagesse, la crainte de Dieu, la haine du mal, et une marche sainte, sont inséparables : il faut nous en souvenir. Tout cela, nous le trouvons en perfection dans la personne de Christ (8, 13-14). Mais n’oublions jamais et répétons, quant à nous-mêmes, que nous sommes appelés à faire continuellement des progrès dans cette sainteté pratique. Voyez encore psaume 111, 10.

Chapitre 14, 26 et 27. « Dans la crainte de l’Éternel, il y a la sécurité de la force, et il y a un refuge pour ses fils. La crainte de l’Éternel est une fontaine de vie pour faire éviter les pièges de la mort ».

Ici la crainte de l’Éternel nous met en sécurité parce qu’elle se confie et se réfugie en Celui en qui est la force. En outre, les ressources que nous trouvons dans cette crainte sont une fontaine de vie. En Christ nous puisons la sagesse, la justice, la sainteté, la pureté, l’amour et la grâce. Toutes ces choses nous garantissent des pièges de Satan qui conduisent à la mort.

Chapitre 16, 6. « Par la bonté et par la vérité, propitiation est faite pour l’iniquité, et par la crainte de l’Éternel on se détourne du mal ».

Après que le sacrifice a été offert pour nos péchés et que la vérité et l’amour se sont rencontrés à la croix pour faire propitiation et nous purifier de toute iniquité, c’est la crainte de Dieu qui désormais nous fait prendre le mal en horreur. Étant purifiés devant Dieu, comment retournerions-nous à la souillure si nous Le craignons ?

Chapitre 19, 23. « La crainte de l’Éternel mène à la vie, et on reposera rassasié, sans être visité par le mal ». Comme la crainte de l’Éternel est une fontaine de vie (14, 27), elle conduit à la vie. Telle est son issue ; telle sera pour nous la jouissance future de la vie éternelle : repos, rassasiement à toujours !

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Encore une parole sérieuse pour clore ces pages : Ce qui avait perdu le peuple au temps de Jérémie, c’était l’absence de crainte de l’Éternel : « Ne me craindrez-vous pas, dit l’Éternel, ne tremblerez-vous pas devant moi ?… Mais ce peuple-ci a un cœur indocile et rebelle ; ils se sont détournés et s’en sont allés ; et ils n’ont pas dit dans leur cœur : Craignons pourtant l’Éternel, notre Dieu » (Jér. 5, 22-24).

Jérémie était resté seul témoin de l’Éternel au milieu de ce peuple infidèle. La chrétienté est-elle aujourd’hui dans un état meilleur ? La Parole de Dieu nous renseigne sur ce qu’elle est devenue à Ses yeux, sur ce que l’Église professante est pour Christ. L’état de ruine actuel est plus grand que celui de Juda. Le Seigneur fera une alliance éternelle à la fin des temps avec un résidu de Son peuple. Il les recevra de nouveau en grâce et « mettra Sa crainte dans leur cœur pour qu’ils ne se retirent pas de Lui » (Jér. 32, 38-40), mais jamais la chrétienté, l’épouse infidèle, ne sera de nouveau reçue en grâce. Le résidu chrétien fidèle qui la représente aujourd’hui est encore pour un peu de temps au milieu d’elle. Quand le Seigneur sera venu pour la recueillir auprès de Lui dans le ciel, il ne restera plus sur la terre que la chrétienté apostate, cette grande prostituée dont les cieux célébreront la destruction. Mais nous, les témoins actuels de Jésus Christ, avons-nous compris que c’est la crainte du Seigneur qui doit caractériser les fidèles en un temps où tous les fondements sont ébranlés ? « Qui d’entre vous craint l’Éternel ? » dit Ésaïe, et voici ce qui distingue cet homme : Il entend la voix du parfait serviteur ; il se confie en son nom ; il s’appuie sur son Dieu (És. 50, 10).

Oui, la crainte de Dieu est la marque caractéristique d’un résidu fidèle, que ce soit le résidu juif de la fin ou le résidu chrétien d’aujourd’hui. Remarquez que le prophète Malachie ne lui assigne pas d’autre caractère. « Alors », dit-il, « ceux qui craignent l’Éternel ont parlé l’un à l’autre » (Mal. 3, 16). C’est cette crainte qui les fait se réunir, qui remplit leurs pensées d’un seul objet, qui les sépare de l’infidélité générale, qui les porte à s’entretenir de leur bienheureuse espérance, de cet événement qui est à la porte : la prochaine venue du Seigneur. Cela suffisait pour alimenter tous les entretiens de ces fidèles d’autrefois. Ils attendaient le Seigneur venant ici-bas en grâce. Une Anne, un Siméon, une Marie, une Élisabeth L’attendaient ainsi. La marque du résidu chrétien d’aujourd’hui n’est-elle pas le rassemblement de ceux qui craignent le Seigneur, pour attendre aussi Sa venue en grâce, qui les introduira dans la maison du Père ? Alors tous ceux qui Le craignent, saints terrestres ou célestes, seront associés en gloire à Son règne. « C’est pourquoi, recevant un royaume inébranlable, retenons la grâce, par laquelle nous servions Dieu d’une manière qui lui soit agréable, avec révérence et avec crainte. Car aussi notre Dieu est un feu consumant » (Héb. 12, 28-29).