La croix

(Galates 6, 14)

Je voudrais dire quelques mots sur la complète destruction du moi qui a lieu dans la croix. La croix réduit le moi à néant. Combien nous le réalisons faiblement quant à la pratique ! Regardons à Jésus, et nous apprendrons dans quelle petite mesure nous connaissons la puissance de la croix pour une entière abnégation de nous-mêmes.

En Jésus nous voyons un homme qui possédait une justice humaine parfaite ; un homme aussi en qui « toute la plénitude de la déité habitait corporellement » [Col. 2, 9] ; et quel fut, malgré cela, le chemin que Jésus prit ? Qu’est-ce que la croix a été pour Lui ? À quoi Le réduisit-elle ? À l’abandon complet de toute cette justice humaine, de tout ce pouvoir divin. La puissance parfaite de Son amour fut constatée, non seulement en ce qu’Il ne cherchait pas « sa propre satisfaction », et, bien « qu’étant en forme de Dieu et ne regardant pas comme un objet à ravir d’être égal à Dieu, qu’il s’anéantit lui-même, et étant trouvé en figure comme un homme, qu’il s’abaissa lui-même » (Phil. 2), pour prendre la place où nous mettait notre désobéissance ; mais en ce que, à cette place même prise par amour, Il consentit à être entièrement rejeté — à être réduit à rien, afin que l’amour pût briller de tout son éclat.

La chair en nous est profondément subtile ; quand nous montrons de l’amour, nous nous attendons à ce qu’il soit apprécié ; et si tel n’est pas le cas, si, lorsque nous avons donné une preuve d’affection, nous n’obtenons aucun retour, pas même une bonne parole, nos cœurs se découragent et se refroidissent dans l’exercice de l’amour. Quand nous nous sommes occupés des autres avec intérêt, nous avons peut-être expérimenté ce que c’est que de rencontrer ce dont il est parlé dans la deuxième épître aux Corinthiens : « Bien que vous aimant beaucoup plus, je sois moins aimé » (12, 15) ; et nous avons trouvé qu’en nous abaissant, l’unique résultat pour nous en était d’être moins considérés, d’être mis plus bas encore. Il en a été ainsi de Jésus. Plein de patience et de tendresse, Il fut livré au pouvoir et à la malice de Satan, et pendant qu’Il accomplissait Son œuvre d’amour, que trouvait-Il en nous ? L’homme se servit de Son abaissement pour Le traiter avec le dernier mépris. Il était « l’opprobre des hommes et le méprisé du peuple » ; ils L’enserraient de toutes parts : « Des chiens m’ont environné, une assemblée de méchants m’a entouré ; ils ont percé mes mains et mes pieds ; beaucoup de taureaux m’ont environné, des puissants de Basan m’ont entouré ; ils ouvrent leur gueule contre moi, comme un lion déchirant et rugissant » (Ps. 22). « J’ai attendu des consolateurs, mais je n’en ai pas trouvé » (Ps. 69). « Mon intime ami aussi, en qui je me confiais,… a levé le talon contre moi » (Ps. 41) ; et le disciple qui s’était surtout mis en avant pour témoigner son attachement pour le Seigneur et qui avait dit : « Si même tous étaient scandalisés, je ne le serai pourtant pas, moi » [Marc 14, 29], renia Jésus avec des imprécations et des blasphèmes.

Jésus ne trouva aucun épanchement pour Sa douleur, aucune consolation de la part des hommes ; et ici nous est dévoilée la portée de cette parole : « Et toi, Éternel ! ne te tiens pas loin ! » (Ps. 22). Repoussé par le mépris de ceux qu’Il servait en amour, serré de près, cerné par ceux auxquels Il apportait le salut, Son âme se tourne vers Dieu : « Et toi, Éternel ! ne te tiens pas loin ». Mais Dieu Lui a caché Sa face : « Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonné ? » [Ps. 22, 1]. C’est alors que Jésus se trouve aux prises avec les ténèbres et la colère dans toute leur intensité ; il n’y avait de sympathie d’aucun côté : autour de Lui s’agitait la haine mortelle de l’homme, au-dessus de Lui régnait une épaisse obscurité ; tout Lui faisait défaut, sauf la puissance de l’amour. « Je suis enfoncé dans une boue profonde, et il n’y a pas où prendre pied ; je suis entré dans la prodondeur des eaux et le courant me submerge » (Ps. 69). Les vagues et les flots passaient sur Lui ; tout était englouti par les eaux, tout excepté l’amour — c’était là ce qui Le soutenait. L’amour était plus fort que tout, et cet amour, c’était nous qui en étions les objets.

Lorsque nous voyons ce que Jésus était, ayant ainsi fait abnégation complète de Lui-même, nous touchons à la profondeur de l’amour. S’Il avait renoncé à tout quant à Lui-même, la plénitude de l’amour était toujours là, car Il est Dieu et Dieu est amour. Nous avons trouvé, chers frères, la plénitude de l’amour en Jésus, et c’est notre part éternelle ; nous connaîtrons, nous savourerons cet amour pendant l’éternité toute entière.

Quand « Jésus passait de lieu en lieu » ici-bas, c’était « en faisant du bien » (Act. 10, 38) ; Il ne pouvait pas, quelque humble et abaissé qu’Il fût, ne pas user de Sa puissance, quand il s’agissait de faire du bien ; Il devait la manifester. Il y avait, par conséquent, dans la vie de Jésus, dans Ses actes sur la terre, quelque chose que le cœur naturel devait reconnaître et goûter. Nous aimons à être délivrés de nos maladies ; quand Jésus ressuscitait les morts, les foules se réjouissaient de ce que leurs amis étaient rendus à la vie… Mais à la croix, il n’y avait aucune manifestation de cette puissance ; il n’y avait pas de miracles, il n’y avait que de la faiblesse et de l’abaissement. Jésus a été « crucifié en infirmité » (2 Cor. 13, 4). Éprouvé de la part des hommes, tenté par Satan, abandonné de Dieu, la croix ne manifeste en Jésus que l’amour, la profondeur, la plénitude, la richesse de l’amour, cet amour qui est notre part heureuse et précieuse pour toujours.

Le cœur naturel, en chacun de nous, hait la puissance de la croix. Nous aimons ce qui plaît aux yeux ; nous cherchons ici-bas un peu d’honneur. La croix flétrit tout l’orgueil de la gloire de l’homme, c’est pourquoi nous ne l’aimons pas. Examinons-nous nous-mêmes à cet égard, mes bien-aimés, sommes-nous vraiment disposés à accepter la croix dans toute cette signification qui est la sienne et à dire : « Il ne me faut rien de plus » ? « Qu’il ne m’arrive pas à moi de me glorifier, sinon en la croix de notre Seigneur Jésus Christ, par laquelle le monde m’est crucifié et moi au monde » (Gal. 6, 14) ? Puissent nos cœurs se reposer dans cette confiance vivante que Jésus est notre part éternelle, qu’en demeurant en Lui nous demeurons en Dieu, en « Dieu qui est amour ». Bien des chrétiens recherchent les choses mêmes qui les rendent incapables de connaître la puissance de cet amour dans leur cœur. Nous ne pouvons jouir à la fois de l’amour et de l’orgueil. Tout ce qui nourrit le moi, quoi que ce puisse être — les honneurs, les talents, le savoir, l’opulence, les amis, la considération publique, tout ce en quoi l’homme naturel se complaît — nourrit en nous l’orgueil, rend Christ moins précieux et la jouissance de Son amour moins complète.

Que le Seigneur nous donne de savoir ce que c’est que d’être « crucifiés au monde » [Gal. 6, 14] ; et rendons grâces à Dieu, mes frères, de tout ce qui abaisse notre moi.