La génisse rousse

Nombres 19
H. Rossier

Les livres du Lévitique et des Nombres présentent trois aspects du sacrifice pour le péché : le grand jour des expiations (Lév. 16), les sacrifices pour le péché et le délit (Lév. 4 et 5), enfin le sacrifice de la génisse rousse (Nomb. 19). Avant de nous occuper de ce dernier, qui fait proprement le sujet des pages qu’on va lire, jetons un rapide coup d’œil sur les deux autres espèces de sacrifices.

Le grand jour des expiations (Lév. 16)

Dans la Pâque et à travers la mer Rouge, Dieu avait racheté Israël, en l’abritant du jugement et en le délivrant de la servitude d’Égypte, pour l’amener finalement dans la terre promise. Dès leur entrée au désert, les Israélites étaient le peuple de Dieu en vertu de la rédemption ; dès ce moment-là, Dieu pouvait habiter au milieu d’eux. Mais, de fait, Israël était un peuple dans la chair, souillé par le péché, et le tabernacle de Dieu se trouvait ainsi « demeurer avec eux au milieu de leurs impuretés » (Lév. 16, 16). C’est ce que le Dieu saint et juste ne pouvait tolérer, car Il aurait renié Son propre caractère et proclamé que le péché ne rompait pas toute relation entre l’homme et Lui. Il fallait donc que Dieu trouvât un moyen de recevoir Israël devant Lui sans déroger à Sa gloire et en maintenant Son caractère — un moyen de purifier le sanctuaire, Sa demeure, de toutes les impuretés que lui faisait contracter la présence d’un peuple souillé — un moyen aussi d’apporter à ce peuple l’heureuse certitude que pour Dieu, la question du péché était réglée, en enlevant de la conscience de chaque Israélite toute trace de culpabilité devant Lui. Ce moyen, Dieu le fournit à Israël dans les sacrifices du jour des expiations.

Des quatre actes qui caractérisaient ce jour, le premier et le plus important était l’entrée du souverain sacrificateur dans le lieu très saint, avec le sang du taureau pour lui-même, et du bouc de l’Éternel pour le peuple. Ce sang, placé sur le propitiatoire et devant le propitiatoire, proclamait la valeur du sacrifice pour la réconciliation du peuple avec Dieu, et la perfection de son résultat pour permettre à Israël de s’approcher de l’Éternel. La purification du sanctuaire préfigurait la réconciliation de toutes choses (voyez Col. 1, 19, 20), la purification de toute la création souillée par le péché, mais qui, en vertu du sacrifice de Christ, sera mise un jour en parfait accord avec le caractère de Dieu, en sorte que Dieu puisse habiter avec les hommes (voyez Apoc. 21, 3 ; comp. Jean 1, 29). La sortie du souverain sacrificateur hors du lieu saint, annonçait au peuple que l’œuvre avait été acceptée et la question du péché réglée entre le représentant d’Israël et Dieu ; enfin, les péchés du peuple confessés sur la tête du bouc azazel étaient emportés dans une terre où n’habitait personne qui pût jamais les retrouver, et ainsi, la conscience des enfants d’Israël était purifiée et allégée de tout le poids qui les avait courbés jusque-là devant Dieu, dans l’affliction de leurs âmes.

Mais la loi n’amenait rien à la perfection. Quant à l’efficacité réelle de ce grand jour, nous savons que le sang des taureaux et des boucs n’ôtait pas les péchés ; la propitiation, eût-elle été efficace, n’avait de valeur que pour un an ; bien plus, tout ce qui se faisait dans ce jour témoignait que le chemin des lieux saints n’était pas ouvert, que le voile subsistait, et que l’homme pécheur était banni du sanctuaire où Dieu habite.

Or, ce qu’Israël n’avait pas et ne pouvait entrevoir dans l’avenir qu’à travers un voile, les chrétiens le possèdent aujourd’hui d’une manière parfaite. C’est la grande vérité que nous enseigne l’épître aux Hébreux. Le sang de Christ, dont l’offrande ne sera jamais renouvelée, a une efficacité éternelle. Le souverain sacrificateur, Christ, est entré, non dans le sanctuaire fait de mains, mais dans le ciel même, et s’est assis à la droite de Dieu. Le voile est déchiré, le chemin ouvert pour toujours, et l’adorateur peut pénétrer en toute liberté dans les lieux saints sans aucune conscience de péchés. — La fin du chapitre 9 de l’épître aux Hébreux[1] correspond aux quatre actes de ce jour solennel. Là, nous trouvons : 1º que, comme le souverain sacrificateur entrait avec le sang dans le sanctuaire, de même Christ, après s’être offert à Dieu sans tache, est entré dans le ciel même, afin de paraître maintenant pour nous devant la face de Dieu (v. 24) ; 2º que, maintenant, en la consommation des siècles, Il a été manifesté une fois pour l’abolition du péché par Son sacrifice (v. 26) — abolition qui correspond à la purification du sanctuaire[2] ; 3º que, comme le bouc azazel, Christ a été offert une fois pour porter les péchés de plusieurs (v. 28) ; 4º que, semblable au souverain sacrificateur sortant du tabernacle, Il apparaîtra une seconde fois, sans péché, à salut à ceux qui L’attendent (v. 28).

Ce type du grand jour des expiations a donc trouvé sa pleine réalisation en Christ. Si nous ne voyons pas encore le péché aboli, nous savons que l’œuvre qui en est le fondement est accomplie. Si notre souverain sacrificateur est encore caché dans le sanctuaire, nous avons néanmoins l’entière certitude, par l’Esprit envoyé du ciel, que nos relations avec Dieu sont établies d’une manière définitive et immuable, et nous n’avons pas besoin, comme Israël, de la sortie de Christ pour l’apprendre. Et cependant, mieux qu’Israël, nous L’attendons, sans péché, à salut. Enfin, si nos péchés sont ôtés de devant Dieu, ils le sont aussi de dessus nos consciences et emportés dans une terre inhabitée, où même l’œil de Dieu ne les retrouvera jamais.

Le sacrifice pour le péché[3] (Lév. 4)

Le chapitre 4 du Lévitique traite d’un cas tout autre que le grand jour des expiations. Ici, la question n’est pas comment Dieu pouvait habiter au milieu de Son peuple, ou plutôt sur quel fondement Il pouvait établir et garder des relations avec lui, mais sur quelle base le peuple ou l’individu pouvait s’approcher de Dieu, quand la communion avait été rompue par un péché particulier. Ce qui frappe, en effet, tout d’abord, dans ce chapitre (comme aussi dans le cas de la génisse rousse), c’est qu’il ne s’agit pas d’établir des relations avec un Dieu qui reste juste en justifiant le croyant, mais qu’il est question de restauration pour chaque péché qui a troublé la jouissance de ces relations[4]. C’est pour cette raison que le sacrifice pour le péché suit le sacrifice de prospérités mentionné au chapitre 3. Ce dernier sacrifice était le type de la communion des croyants avec Dieu au sujet de l’offrande de Christ. Si cette communion avait été rompue par le péché, comment pouvait-on la retrouver ? Le chapitre 4 nous donne la réponse.

Avant d’aller plus loin, remarquons combien peu, en réalité, nous connaissons la communion avec Dieu. On peut la définir en deux mots : n’avoir, avec Dieu, qu’une pensée et qu’un cœur. Au sujet de quoi, direz-vous ? Au sujet de toutes choses ; au sujet du péché, du monde, de nous-mêmes, mais avant tout, au sujet de l’œuvre et de la personne de Christ ! Et lorsque nous la connaissons, cette communion, combien peu nous en jouissons, car elle est interrompue par le moindre péché que nous commettons, même en pensée.

Dans le chapitre 4 du Lévitique, les seuls péchés dont il soit question sont des péchés commis par erreur, péchés que le peuple ou l’individu auraient ignorés, s’il ne s’était trouvé quelque personne intelligente pour les leur faire connaître[5]. Arguer de son ignorance, et de l’incapacité où l’on était de connaître sa faute, ne servait de rien, car l’ignorance était déjà un fruit du péché[6]. C’étaient précisément de telles fautes qui faisaient ressortir combien le péché est abominable aux yeux de Dieu. Pour ces péchés, il fallait le sacrifice, car ils avaient enlevé à l’Israélite toute possibilité de s’approcher de Dieu, soit devant le voile pour le culte (4, 6, 17), soit à l’autel du parfum pour la communion (4, 7, 18), soit même à l’autel de l’holocauste (4, 25, 34), endroit où l’adorateur était individuellement reçu devant Dieu, selon la perfection de l’offrande. Les choses étant ainsi, le pécheur par erreur présentait une victime qui devait être identifiée avec lui. Dans certains cas, le sacrificateur mangeait la victime, s’appropriant pour ainsi dire le péché et l’ôtant de dessus le coupable. Le sang de la victime, dont on faisait aspersion à l’endroit même où celui qui avait péché devait s’approcher de Dieu, était comme une provision faite d’avance, pour lui permettre de reprendre sa place. À la justice de Dieu s’exerçant par le jugement, répondait la victime brûlée hors du camp ; et enfin, la graisse consumée sur l’autel indiquait la pleine satisfaction que le cœur de l’Éternel trouvait dans le sacrifice. À chaque nouveau péché commis par erreur (ou à chaque délit), le sacrifice devait être renouvelé, et le sang de la victime répandu, pour frayer de nouveau l’accès devant Dieu et permettre au pécheur de s’approcher. Pour le chrétien, rien de semblable. S’il a péché, il ne vient pas au sang de Christ pour être purifié de nouveau, il n’a pas à attendre qu’une nouvelle effusion de sang lui permette de s’approcher, l’œuvre accomplie sur la croix et qui a posé le fondement de sa réconciliation, ayant établi en même temps, une fois pour toutes, la base de sa communion. Il apprend que, s’il a péché, Christ est, non pas sera, la propitiation pour ses péchés ; et que, s’il lui a fallu un avocat auprès du Père, il trouve cet avocat dans la personne de Jésus Christ qui est la propitiation pour ses péchés ; et il peut ainsi s’approcher avec assurance. La perfection de l’aspersion, cette aspersion du sang faite sept fois, est devant Dieu (v. 17) bien avant que le croyant soit restauré. Nous voyons donc l’ensemble de ce que figure ce type, dans ces paroles de 1 Jean 2, 1 et 2 : « Si quelqu’un a péché, nous avons un avocat auprès du Père, Jésus Christ, le juste ; et lui est la propitiation pour nos péchés ».

En appliquant au chrétien les deux types qui précèdent, nous avons trouvé : dans le premier, la réconciliation opérée et les relations avec Dieu établies une fois pour toutes ; dans le second, le moyen de restauration — la base de la communion étant posée une fois pour toutes dans le sang qui permet au pécheur de s’approcher de Dieu. Mais ces deux types n’embrassent point tout ce qui est nécessaire à la restauration d’une âme qui a perdu la communion. Il faut, pour qu’elle la retrouve, un profond exercice de conscience, dont le chapitre 19 des Nombres va nous entretenir en détail.

La génisse rousse (Nomb. 19)

Le livre des Nombres nous parle du voyage d’Israël à travers le désert, type de la marche du chrétien à travers le monde. Cette marche expose à toutes sortes de souillures qui interrompent absolument toute communion avec Dieu. Le caractère de ces souillures est digne de remarque, et devrait parler sérieusement à nos consciences. Ce ne sont plus des péchés commis par erreur et par ignorance, comme au chapitre 4 du Lévitique, péchés que d’autres nous font connaître[7], mais des péchés commis par inadvertance ou manque de vigilance. La simple vigilance chrétienne est le moyen d’éviter toute rupture de communion pendant la marche. Outre ce caractère, ces péchés en avaient un autre qui leur était commun. Dans tous les cas présentés, la souillure était contractée par le contact d’un mort, ou de ce qui résulte de la mort. On ne pouvait, quand on s’était souillé, donner son ignorance comme excuse, car il n’y avait pas moyen d’ignorer ce qu’était la mort. Elle était la preuve la plus palpable, la plus absolue du péché : « Au jour que tu en mangeras, tu mourras certainement ». « Les gages du péché, c’est la mort ». Le péché était donc rendu évident par ses dernières conséquences, en sorte que l’homme qui touchait le mort n’avait aucune excuse à alléguer.

La souillure à l’occasion d’un mort pouvait être contractée en deux endroits : dans la tente ou aux champs. Dans le second cas, l’individu seul était souillé ; dans le premier, la souillure s’étendait à tout ce qui était dans la tente, et particulièrement à tout vaisseau non couvert. Combien cette sorte de souillure est fréquente parmi les chrétiens ! Quand on est aux champs, en public, au milieu du monde, on est ordinairement plus vigilant, parce qu’on se sent observé par des gens hostiles qui cherchent à nous trouver en faute, pour avoir l’occasion de blâmer l’évangile. Dans la tente, dans le cercle plus ou moins fermé de la famille, on est aisément moins attentif, on veille moins sur soi-même. Des choses sont tolérées que l’on ne ferait pas devant tous ; il y a moins de retenue, parce qu’on se trouve entre soi. Certaines mondanités sont acceptées, qu’on se garderait de porter en public ; tel mal excusé, parce qu’il n’y a personne pour le critiquer. La mort est dans la tente. Qu’en résulte-t-il ? S’il y a là un vase découvert, il est atteint par la souillure. La souillure que nous contractons dans la tente s’étend à nos alentours immédiats. D’où vient que, si souvent, les enfants suivent une voie de mondanité et abandonnent la vérité qui leur avait été enseignée dans la maison paternelle ? Sans doute, il peut y avoir à cela bien des causes, et j’accorderai que, dans la plupart des cas, une grande mondanité des parents n’en est pas la raison ; mais n’ont-ils pas souvent à reconnaître, avec humiliation, qu’ils ont toléré, dans le cercle de famille, telle souillure mondaine qui a influencé des vases non gardés, préparés par notre négligence à subir cette influence ?

La seconde espèce de souillure pour un mort était celle qui se contractait aux champs. Là, si l’on manquait de vigilance, on pouvait toucher à la mort sous quatre aspects divers : l’ossement, l’homme ayant succombé de mort violente, ou de mort ordinaire, enfin le sépulcre.

Un ossement n’avait qu’un rapport bien éloigné avec un cadavre. La corruption initiale ne s’y voyait plus. Depuis longtemps, le soleil, la pluie, l’air du temps, les oiseaux ou les bêtes des champs, l’avaient dépouillé des chairs corrompues qui y adhéraient. Pour ne se ressentir guère de son origine, l’ossement n’en était que plus commun ; à chaque instant, il se rencontrait aux champs sous les pieds. Les hommes en sont arrivés à le considérer comme utile ou même indispensable. Quel est donc ce péché commun, figuré par l’ossement, ce péché accepté de tous, si fréquent qu’on n’y prend plus garde et que le monde s’étonne de le voir en scandale et en réprobation à quelques-uns ? Cher lecteur chrétien, vous le rencontrez partout, lorsque, comme l’Israélite aux champs, vous êtes obligé de sortir au milieu du monde. Vous verrez à chaque pas le commerçant qui trompe l’acheteur sur la qualité de ses produits, le banquier qui fait passer ses intérêts avant ceux de ses clients, le médecin qui ment à ses malades, l’homme du monde qui complimente en face, et dénigre par derrière ; tout cela, et mille autres choses encore, n’est-il pas le commun ossement ? Dans quelle mesure, nous chrétiens, sommes-nous envahis par de tels principes, jusqu’à ne plus les considérer comme une souillure ? Prenons-y bien garde, car ils détruisent la communion de Dieu.

Le second et le troisième cas étaient ceux de mort violente ou de mort naturelle : la violence et la corruption, les deux grandes classes de péchés que Dieu avait sous les yeux, quand Il résolut de détruire le monde par le déluge. Le monde n’a pas changé. Ces déclarations : « Ils se sont corrompus » ; « La destruction et la ruine sont dans leurs sentiers » ; « La violence les couvre comme un vêtement », sont toujours vraies, mais la question est, pour nous chrétiens, si, dans nos rapports avec le monde, ces choses sont absentes de notre propre marche. Quand nous sommes lésés, calomniés ; quand nous avons des griefs personnels contre les autres, que manifestons-nous ? Est-ce un esprit de paix ou un esprit de violence ? D’autre part, il y a une corruption morale qui nous enveloppe de toutes parts, comme l’air que nous respirons. Elle se trouve dans ce qu’on entend, dans ce qu’on lit, dans ce qu’on voit, dans l’homme, dans la femme qui passent ; elle s’étale au grand jour, se glisse dans les ombres de la nuit. Nos désirs vont-ils après ces choses, et nous laissons-nous atteindre par cette corruption ambiante ? Ah ! soyons vigilants pour garder nos yeux et nos oreilles, nos mains et nos pas, nos pensées et nos cœurs, de toutes ces souillures ; haïssons même la robe souillée par la chair !

Le quatrième cas était le sépulcre. On pouvait marcher sur un sépulcre sans le savoir (Luc 11, 44). Le Seigneur emploie l’image du sépulcre pour peindre l’hypocrisie du cœur qui, au-dehors, a de belles apparences, même un renom de piété, tandis qu’au-dedans, il est plein d’ossements de morts et de toutes sortes d’impuretés (Matt. 23, 27, 28). Le sépulcre est un cœur cachant volontairement, sous de beaux dehors, la corruption qu’il renferme. Tels étaient les pharisiens que le Seigneur censure. Et combien de milliers d’enfants de Dieu touchent ces sépulcres dans leur marche, acceptant les principes de la religion du monde et se contentant d’une piété de formes à laquelle l’état du cœur ne correspond nullement ! Hélas ! un chrétien peut se souiller par un sépulcre ; lui aussi peut, dans ce cas, être un hypocrite ! L’apôtre Paul avait évité cette souillure ; il ne cherchait pas l’approbation des hommes, mais celle de Dieu ; il disait : « Nous avons été manifestés à Dieu, et j’espère aussi que nous avons été manifestés dans vos consciences » (2 Cor. 5, 11).

Toucher au sépulcre souille, et détruit la communion. Une seule mauvaise pensée suffit, une seule convoitise gardée dans le cœur et qui n’est jamais tombée sous les regards d’aucun homme. Souvent, nous sommes secs et stériles, la Parole ne nous intéresse plus, la joie et la puissance sont absentes. Pourquoi ? Nous ne savons peut-être pas la cause de tout cela, mais de fait, la communion est perdue. Demandons à Dieu pourquoi ; Il nous répondra que nous avons touché le sépulcre. Peut-être n’aurons-nous à juger qu’une seule convoitise, que notre cœur conserve volontairement sans même lui donner d’exécution… elle suffit pour faire de nous des êtres souillés.

Considérons maintenant ce qu’il y avait à faire quand un Israélite s’était souillé en touchant un mort.

Le moyen de purification était une génisse rousse, sans tare, et n’ayant pas porté le joug, type de Christ, homme sans péché, n’ayant pas même été assujetti, dans Sa nature, aux conséquences du péché. Cette génisse devait être égorgée devant Éléazar, le sacrificateur, et son sang aspergé sept fois, droit devant la tente d’assignation, endroit où le peuple se tenait devant Dieu pour Lui rendre culte. Ce n’était pas comme au jour des expiations, où le sang était porté dans le sanctuaire au-delà du voile et placé sur le propitiatoire, sous les regards de Dieu ; ici, le sang se présentait aux regards de l’homme qui s’approchait de Dieu, après s’être rendu coupable. C’était un acte analogue à celui du sacrifice pour le péché, quoique, dans ce dernier cas, l’aspersion du sang se fît en d’autres endroits. Il fallait avant tout, pour la restauration, que les yeux de la foi rencontrassent le sang offert pour la propitiation et qui avait précédé le pécheur à l’endroit où il pouvait rencontrer Dieu[8]. Sans ce premier acte, pas de restauration possible. Quand nous avons failli, si nous ne savons pas que Jésus Christ, le juste, est devant Dieu la propitiation pour nos péchés, nous nous tenons loin, au lieu de nous approcher de Lui. Notre ignorance nous fait estimer avoir perdu, par le péché, une chose qui ne peut jamais être perdue, nos relations avec Dieu, et nous faisons dépendre ces relations de notre conduite, tandis que c’est notre communion qui en dépend. Le fruit de cette ignorance est non pas la restauration, mais le désespoir. Une vraie purification dans notre marche sera toujours basée sur la pleine assurance que donne à nos âmes le sang de Christ placé sous le regard de Dieu, et que nos regards rencontrent comme satisfaisant Dieu parfaitement à l’égard du péché.

Le corps tout entier de la génisse qui avait été égorgée, était brûlé hors du camp. Il en était de même, comme on le voit au chapitre 4 du Lévitique, de la victime offerte pour le péché du souverain sacrificateur ou du peuple, et, au chapitre 16, pour le sacrifice du grand jour des expiations ; car il était dit : « Nul sacrifice pour le péché, dont le sang sera porté dans la tente d’assignation pour faire propitiation dans le lieu saint, ne sera mangé ; il sera brûlé au feu » (Lév. 6, 23). Le corps brûlé hors du camp démontrait la sainteté de Dieu qui devait bannir de Sa présence le péché, même porté par Christ. Quelle était donc la rigueur de Son jugement, puisque ce jugement consumait la sainte victime qui portait le péché ? — La victime, est-il dit, était chose très sainte. — Mais la génisse réduite en cendres proclamait du même coup, hautement, que le péché n’était pas imputé au pécheur, et que cette grande question avait été définitivement réglée entre Christ et Dieu.

Trois choses étaient jetées dans le feu pour être consumées avec la victime (v. 6) : du bois de cèdre, de l’hysope et de l’écarlate. Le bois de cèdre représente, dans l’Écriture, la grandeur de l’homme, l’hysope sa petitesse, les deux extrêmes entre lesquels est compris l’homme naturel tout entier, les deux extrêmes aussi de sa sagesse et de sa connaissance (1 Rois 4, 33) ; tout cela n’était bon que pour le feu. L’homme tout entier, de quelque manière qu’on le considère, trouve sa fin et son jugement dans la croix de Christ. L’écarlate est l’image de la gloire du monde, de ce qui est en renom ici-bas — du monde, sous l’aspect qui attire le plus les regards de l’homme. Or Dieu a jugé le monde à la croix[9].

Ainsi, l’Israélite qui s’était souillé, rencontrait dès le début, avant qu’il fût procédé à l’œuvre de sa purification, trois grands faits sans lesquels sa restauration eût été impossible, trois faits accomplis en dehors de lui et en sa faveur, et propres à l’encourager dans les moments solennels qu’il allait avoir à traverser. C’est ainsi que Dieu montre au croyant qui a contracté une souillure en marchant dans le monde, que la propitiation et la non-imputation du péché répondent à son état ; et de plus, qu’il a été crucifié avec Christ et que le monde lui est crucifié.

Un détail s’ajoute à ceux-ci. Tous ceux qui avaient touché au corps consumé de la génisse étaient souillés jusqu’au soir. Combien cela est propre à imprimer à l’âme du croyant le sentiment de l’horreur du péché, puisque la valeur même de la victime parfaite n’a rien pu changer à la souillure qui le caractérise ! Remarquons d’autre part (Lév. 6, 17-23) que tous ceux qui touchaient la chair du sacrifice pour le péché ou la mangeaient, en étaient sanctifiés. C’était « une chose très sainte ». Si Dieu a détourné Sa face de Christ fait péché, le Sauveur n’en était pas moins le très saint, et dans le moment même où Il s’offrait, l’objet de la parfaite satisfaction du cœur du Père. L’expiation accomplie, le Père a exprimé Son bon plaisir en Lui, en Le ressuscitant et Le faisant asseoir à Sa droite.

Examinons maintenant de quelle manière s’effectuait la restauration de celui qui était impur.

Un homme pur ramassait la cendre de la génisse, qui était soigneusement gardée en réserve. Puis, lorsqu’un Israélite s’était souillé par un mort, on prenait de cette cendre sur laquelle on versait de l’eau vive dans un vase. Alors un homme pur en faisait aspersion avec de l’hysope sur la tente et les ustensiles, et sur l’homme souillé. L’Écriture nous apprend la signification de ce type. L’eau vive (Jean 7, 38, 39) est l’Esprit Saint, appliquant, dans ce cas, à l’âme, par le moyen de la Parole, non pas le sang pour la purifier de nouveau, mais le souvenir des souffrances que Christ a endurées sous le jugement de Dieu, souffrances par lesquelles Dieu a jugé l’homme et condamné le monde. Son amour, en donnant Christ à cet effet, a accompli cette œuvre pour nous délivrer, afin que nous fussions à Lui, afin que nous pussions marcher en sainteté dans Sa présence. Cet acte typique nous présente donc, d’une manière vivante, tout le travail de conscience nécessaire pour qu’un enfant de Dieu, s’il a péché, retrouve la communion avec son Père. Quoi ! par ma négligence, j’ai perdu cette communion, la chose la plus précieuse avec le salut, le privilège le plus élevé qu’un croyant puisse posséder, et en vue duquel j’ai reçu la vie éternelle (1 Jean 1) ; — la communion, le fait d’être appelé à partager les pensées ou les joies du cœur de Dieu à l’égard de toutes choses ? Eussé-je gardé cette communion, je n’aurais pas été négligent ; j’aurais eu même, instinctivement, horreur de tout ce dont Dieu a horreur. L’eussé-je gardée, j’aurais estimé Christ et Son sacrifice comme Dieu les estime. J’aurais reculé devant cette souillure qui a été la cause des souffrances de Christ ; j’aurais eu assez d’affection pour Lui, pour ne pas toucher à ce qui L’a fait souffrir !

Voilà ce que la cendre mêlée d’eau vive apportait en type à la conscience de l’Israélite impur. Cette aspersion purificatrice amène nécessairement avec elle l’humiliation, tout en présentant à l’âme la valeur infinie de ce qui a été accompli à la croix pour elle. Enfin, l’âme restaurée apprend qu’elle ne peut avoir aucune confiance en la chair. Nos manquements, jugés en la présence de Dieu, ouvrent nos yeux pour voir que Dieu, ni nous, n’avons rien à attendre de nous-mêmes, puisqu’à la croix, Dieu a condamné le péché dans la chair ; qu’il ne s’agit pas pour nous de prendre la résolution de ne plus pécher, les résolutions de l’homme ne pouvant aboutir, mais d’accepter le fait que l’homme est totalement ruiné, afin de pouvoir marcher dans la sainte liberté du nouvel homme et dans sa puissance.

Il ne fallait pas laisser écouler un long temps entre la faute et la restauration. Dieu donnait trois jours, au bout desquels, pour la première fois, on appliquait l’eau de la purification. Celui qui croit avoir tout fait en confessant son péché, au moment même de la souillure, est d’ordinaire un cœur plus ou moins léger ; celui qui tarde à s’humilier laisse, la plupart du temps, sa conscience s’émousser par le retard. Satan lui persuade que la faute n’est pas si grave, que bien d’autres en ont fait autant ; et ainsi, le cœur s’endort et oublie la gravité de la faute. Dans bien des cas, cet oubli laisse le champ libre à Satan pour revenir à la charge. C’est ainsi que l’on voit la marche de tant de chrétiens aboutir au retranchement de l’Assemblée : « L’homme qui sera impur, et qui ne se sera pas purifié, cette âme-là sera retranchée du milieu de la congrégation, car il a rendu impur le sanctuaire de l’Éternel ; l’eau de séparation n’a pas été répandue sur lui, il est impur » (v. 20).

L’homme souillé était aspergé deux fois, le troisième et le septième jour. La communion se perd facilement et se retrouve difficilement. L’humiliation n’est pas la communion, elle n’en est que le chemin. Il fallait pour la restauration une période de sept jours. Si nous avons joui des bénédictions de l’intimité avec le Seigneur, nous voudrions bien être restaurés tout de suite, lorsque nous avons péché. Nous voudrions retrouver immédiatement et la puissance perdue par notre négligence, et ces heureuses communications avec le Père, fruit d’une confiance sans nuage. Il n’en est pas, il ne peut en être ainsi. Cette purification pratique ne se fait pas du premier coup, il faut y revenir. L’humiliation doit précéder la joie. Pensons-y bien, cher lecteur. Si nous estimons pour quelque chose la puissance et la joie de la communion avec le Père et le Fils, ne nous la laissons pas dérober. D’un côté, rien ne lui est comparable, de l’autre, tout ce que nous rencontrons dans le monde la détruit. Le monde n’est qu’un lambeau d’écarlate qui, malgré l’éclat de sa surface, n’est bon que pour le feu ; il n’est au fond que l’endroit des ossements, de la corruption et des sépulcres ; et si nos cœurs, faciles à tromper, se mettent à marcher sans précaution sur ce sol souillé, nous serons bien vite souillés nous-mêmes et ferons la perte lamentable de notre communion. Gardons-nous donc soigneusement de toutes ces choses. Estimons assez haut la communion avec Dieu pour haïr, de tout notre être renouvelée, ce qui pourrait l’interrompre.