La lumière et l’amour divins

W.J. Lowe
1878

« Au commencement était la Parole ; et la Parole était auprès de Dieu ; et la Parole était Dieu. Elle était au commencement auprès de Dieu. Toutes choses furent faites par elle, et sans elle pas une seule chose ne fut faite de ce qui a été fait. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas comprise » (Jean 1, 1-5).

Telles sont les profondes et merveilleuses paroles par lesquelles Jean commence son évangile. Arrêtons un moment notre attention sur celles que renferme le verset 4 : « En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes ».

On voit sans peine quel est le caractère du monde où cette lumière agit — ce sont des ténèbres morales. « Guerre à Dieu », voilà le terrible principe qui gît à la base de tout son système ! La pensée de l’homme naturel est inimitié contre Dieu (Rom. 8, 7 ; Ps. 36, 1 ; 10, 4).

Entrez dans les salons du riche de ce siècle, dans le bureau du négociant, dans le cabinet de l’homme de lettres, dans l’atelier, dans l’humble chambre du pauvre, partout vous trouverez que les choses de Dieu sont hors de saison. Si l’on y entend le nom de Dieu, ce sera le plus souvent sur des lèvres qui le nomment en vain ou qui le blasphèment. À part le changement que peut seul produire l’Esprit de Dieu, n’est-il pas vrai que, depuis le palais jusque dans la chaumière, hommes, femmes et enfants, tous, ainsi que le gouverneur Félix, attendent, pour s’occuper de Dieu et des besoins de leur âme, « un moment convenable » qui ne se trouve jamais, ou bien confient ce soin à d’autres hommes qui sont établis pour s’en occuper, et qui sont tenus de débiter de la religion comme le boulanger débite du pain ?

On veut bien un peu de religion pour tranquilliser sa conscience, quant à la responsabilité où l’on est comme créature vis-à-vis de Dieu ; mais on n’en veut pas assez pour gêner le cœur dans la poursuite de ses désirs. Tel est le caractère du monde civilisé et respectable ; mais que dirons-nous des vices et des crimes dans lesquels se plongent et vivent tant d’êtres humains ? On aime à jeter un voile sur les horreurs sous lesquelles tremble et gémit la terre.

Voilà les ténèbres morales dans lesquelles Satan, le chef de ce monde, garde l’humanité, aveuglant les pensées des incrédules. C’est là qu’est descendu en grâce Celui qui se nomme la Parole, et qui est l’auteur de toutes choses.

En contemplant la scène du monde, il aurait semblé que Dieu n’avait plus qu’à mettre fin à tant d’iniquités en exterminant de dessus la terre, comme à l’époque du déluge, les hommes qui ne cessaient de transgresser toutes Ses lois ; mais non : le dessein de Dieu n’était pas de juger, Il voulait sauver. En même temps, la manifestation de Sa grâce parfaite dans le monde devait mettre en évidence jusqu’où allait la haine de l’homme contre Lui.

La transgression continuelle de la loi donnée par Moïse avait démontré que l’homme est un être foncièrement désobéissant. En rejetant le Fils de Dieu, il se montrait totalement dépravé, corrompu, incapable d’apprécier le bien, animé d’une haine diabolique contre tout ce qui procède de Dieu. À ses yeux, aucune mort n’était trop ignominieuse pour Celui dont le seul crime avait été de manifester dans ce monde les richesses de la grâce de Dieu !

Mais la lumière devait resplendir, encore que les hommes dans leurs ténèbres ne la comprissent pas. Celui qui a fait toutes choses — qui a tout arrangé, la terre et les sphères célestes, pour l’utilité des hommes — est descendu ici-bas pour communiquer aux hommes la vie, la vie de la part de Dieu, la vie éternelle. « Il était dans le monde, et le monde fut fait par Lui ; et le monde ne l’a pas connu. Il vint chez soi, et les siens ne l’ont pas reçu » (Jean 1, 10, 11). Il n’a trouvé qu’opposition et haine, même de la part de ceux qui auraient dû Lui être spécialement attachés ; malgré cela, bien que les siens ne voulussent pas Le recevoir, Il ne voulait ni ne pouvait cesser Son œuvre divine. En dépit de tout, « la lumière des hommes » devait briller, cette lumière qui était « la vie ».

Certes, « la lumière » ne pouvait manquer de faire ressortir les profondeurs ténébreuses de l’état moral des hommes au milieu desquels elle brillait : sa nature est de manifester tout. Mais son œuvre par excellence était de mettre en évidence la lacune, le besoin moral, que l’amour divin venait combler. Sa tâche toute divine était de produire, dans le cœur endurci et insensible des hommes, le sentiment de leur misère, et les forcer ainsi à recourir au Dieu de toute grâce, au Dieu qu’ils avaient haï — pour être sauvés de leur ruine, être pardonnés et justifiés. Voilà l’œuvre merveilleuse que le Fils de Dieu a accomplie dans ce monde, et qu’Il accomplit encore par Sa Parole divine et par Son Esprit. Pour mieux faire comprendre la manière dont Il agit, nous prendrons les deux exemples que nous fournissent les chapitres 3 et 4 de l’évangile de Jean. Les deux personnes qui nous y sont présentées, Nicodème et la femme samaritaine, occupent les deux positions extrêmes dans la société ; en eux, nous voyons l’humanité sous son meilleur et sous son pire aspect.

Nicodème, homme instruit dans les Écritures, intègre, reconnaissant les droits de Dieu sur lui et la puissance divine que déployait le Seigneur Jésus, se rend de nuit auprès de Lui pour être davantage instruit dans la vérité. Le fait qu’il vient de nuit montre clairement que ce n’était pas une curiosité oiseuse qui le poussait vers Jésus ; encore moins avait-il la pensée de tenter le Seigneur ou de Le mettre à l’épreuve, comme les pharisiens en général aimaient à le faire pour invalider Son autorité et la puissance morale de Ses actes. Un tel désir de sa part lui aurait attiré des partisans parmi la foule incrédule, et aurait pu être accompli en plein jour ; mais non, Nicodème avait un autre but. En présence de la vérité qu’il entrevoyait sans la connaître encore, sa conscience avait été atteinte, et, ne sachant pas ce que la connaissance qu’il désirait pouvait lui coûter, il se rend de nuit auprès de Celui qui était méprisé par les chefs de la nation juive, craignant l’opprobre qu’une telle démarche lui vaudrait si elle venait à être connue.

Le docteur d’Israël se trouve donc en présence de la « lumière du monde », et aussitôt, son état véritable est mis à découvert. Les choses qu’il entend lui sont toutes nouvelles ; il doit reconnaître qu’il ne comprenait pas même les Écritures qu’il enseignait à d’autres, et qu’il ignorait les premiers éléments de la vérité. Toute son intelligence, tout son savoir, toute sa religion tombent d’un seul coup, et Nicodème, dépouillé de son brillant extérieur, est là devant Jésus comme tout autre homme, un pécheur perdu, totalement incapable de s’approcher de Dieu ou de Le trouver par lui-même. « Il faut être né de nouveau », lui dit Jésus, et le docteur d’Israël se voit confondu devant l’impossibilité de sortir de sa situation, car comment se faire renaître ? L’homme n’y peut rien, Dieu seul est capable d’agir en pareille matière ; le fera-t-Il ?

Il y avait, chez Nicodème, un désir sincère d’être éclairé par la vérité, et ce n’est pas en vain qu’il s’est adressé à Jésus. La grâce ne repousse pas plus celui qui vient de nuit, que celui qui ose se présenter de jour. La parole divine ne présente aucune condition quant à la manière de rechercher Dieu. Il faut aller personnellement, voilà tout ; il faut se rendre à l’invitation qui dit : « Viens » ; et l’on a la certitude d’être reçu : « Celui qui vient à moi, dit Jésus, je ne le mettrai point dehors » (Jean 6, 37). C’est là précisément ce dont Nicodème fait l’expérience. La lumière avait dévoilé son état et manifesté ses besoins réels ; elle avait mis en évidence le vide que laissaient subsister au fond de son cœur toute la forme religieuse et toute la science qui paraissaient au-dehors et que les hommes admiraient. Mais ce n’était certes pas pour le plaisir d’étaler au grand jour la misère humaine, que le Fils de Dieu était descendu ici-bas. Qui l’a connue mieux que Lui qui, sans péché, en a pris sur Lui tout le poids ? Il n’était pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver. Si la lumière faisait voir ce qui manquait, l’amour était là aussi, prêt à y subvenir. Le même Jésus qui avait dit : « Il faut être né de nouveau », ajoute : « Il faut que le Fils de l’homme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle ». Il s’offrait Lui-même pour subir les conséquences du péché de l’homme, pour en porter le jugement dans Son propre corps sur le bois, afin que Dieu pût, avec justice, sauver dans Sa grâce des pécheurs qui s’étaient perdus eux-mêmes.

Voilà la délivrance parfaite annoncée à Nicodème, délivrance actuelle pour lui, comme pour tous ceux qui périssent. Tel qu’avait été le serpent d’airain, dans le désert, pour les enfants d’Israël qui mouraient sous les morsures des serpents brûlants, tel était le Fils de l’homme élevé sur la croix pour le docteur d’Israël, moralement mort dans ses péchés. Par la foi en cette œuvre expiatoire, Nicodème devient un humble disciple de Jésus, étant entré comme un petit enfant dans le royaume de Dieu. Il était sauvé, non pas par sa religion, ni par sa science, mais par sa foi simple en l’œuvre de Christ, œuvre que sans doute il ne comprenait pas encore dans son étendue, mais à laquelle il se confiait pleinement, sachant que son salut ne venait pas de lui, mais uniquement de Dieu.

Quelle puissance de grâce et d’amour ! L’homme instruit et honorable est amené à comprendre que l’œuvre du salut est toute à faire pour lui ; mais en même temps, il apprend que Dieu est intervenu pour le tirer de son état de ruine et de perdition. C’est en présence de son Sauveur qu’il voit l’état désespéré de son âme. Où aurait-il pu mieux en juger ? Mais aussi, où, autre part, aurait-il osé regarder en face sa ruine et en sonder les profondeurs ? La lumière et l’amour divins ont accompli leur œuvre de salut pour le docteur d’Israël.

Cher lecteur, êtes-vous tel que Nicodème ? Vous confiez-vous aussi à ce que vous avez appris dès l’enfance des choses de Dieu, sans être pour cela plus avancé que lui dans la connaissance de la vérité divine, je veux dire dans la connaissance qui sauve ? Ne voulez-vous pas, comme lui, venir au Seigneur Jésus, et recevoir gratuitement de Sa part tout ce qu’Il est venu apporter ?

L’autre scène, à laquelle nous avons fait allusion, l’entrevue du Seigneur Jésus avec la femme samaritaine, présente sous tous les rapports le contraste le plus frappant avec celle que nous avons considérée précédemment. Mais la même lumière qui a dépouillé le docteur d’Israël de son appareil de science et de propre justice, pénètre jusqu’au fond du cœur de cette pauvre femme, méprisée à juste titre par ses semblables, et éclaire tous les recoins de sa vie de péché. Puis l’amour, qui n’avait pas repoussé celui qui venait de nuit pour être instruit, sait attirer et gagner celle qui, si elle s’était d’abord connue, aurait fui loin de son Sauveur et se serait cachée, si possible, à Ses regards pénétrants.

Combien il est vrai que les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées, et que Ses voies ne sont pas les nôtres (És. 55, 8). « L’homme a égard à ce qui est devant les yeux, l’Éternel a égard au cœur » (1 Sam. 16, 7). Il le sonde, Il en découvre les pensées cachées, mais c’est dans un but de miséricorde, afin que le pécheur soit attiré au Sauveur et se confie en Lui.

La propre justice, la bonté, la bienveillance et autres qualités personnelles, naturelles ou acquises, dont on tire avantage (Prov. 20, 6), sont un des plus grands empêchements pour celui qui cherche Dieu. Ce n’est pas sans lutte que l’on consent à abandonner ce qui vous distingue du reste des hommes, et que l’on arrive à l’estimer à sa juste valeur devant Dieu. Aimer et tenir fortement à ce que nous voyons de bon en nous, est le résultat naturel d’une éducation qui a développé ces principes de vertu et d’honneur humains. À quel prix, en effet, ne devient-on pas sage ? C’est le fruit de nos meilleures pensées, de nos plus héroïques efforts. Ce n’est donc pas sans peine que l’on en vient à reconnaître que toute cette justice ne sert en rien pour obtenir le salut dont l’âme a besoin. Elle a certes sa valeur entre les hommes ; mais lorsque Dieu agit, Il veut agir seul, et Il fait une œuvre qui, de toute manière, est digne de Lui. Il donne et ne vend pas ; et, en donnant dans Sa grâce ce que les efforts de l’homme ne peuvent jamais acquérir, Il dépasse infiniment, par l’excellence de Son don, la plus haute idée que l’homme pourrait s’en faire, et lui imprime à tous égards le cachet de Sa grandeur. De là vient que lorsqu’un pharisien irréprochable, comme Saul de Tarse, est saisi par la grâce, il est heureux de faire le sacrifice même des choses qu’il avait auparavant estimées excellentes, afin de laisser dans son cœur toute la place à Christ seul (voyez Phil. 3).

Dans ses circonstances spéciales, Nicodème a dû apprendre cette précieuse leçon. Parmi les hommes, chacun lui aurait décerné une place d’honneur que lui-même n’aurait guère osé prendre. Mais en présence de la « lumière du monde », il lui faut faire l’abandon de tout ce qui lui était un gain, et l’estimer comme une perte à cause de Christ. C’est à ce prix seulement qu’il pouvait s’instruire dans les voies de Dieu. Peut-être ne s’en rendait-il pas bien compte lorsqu’il vint trouver Jésus, et son cœur éprouvait-il quelques craintes, qu’il semble avoir voulu cacher dans l’ombre de la nuit. Mais lorsqu’il eut réellement compris ce qu’était Christ, le sacrifice ne devait plus lui paraître grand ; le trésor divin qu’il avait trouvé ne laissant plus place dans son cœur aux choses anciennes, celles-ci ne pouvaient plus avoir d’attrait pour son âme.

Tout autre était la position de la femme de Samarie. Sa vie, ses connaissances, son caractère, étaient d’un ordre entièrement différent. Prise à l’autre extrémité de l’échelle sociale, elle ne peut être placée à côté de Nicodème, si ce n’est comme contraste. Si le docteur d’Israël partageait les vues des autres pharisiens, il n’aurait pas même daigné la toucher, non seulement à cause de son état moral, mais parce qu’elle était d’une race méprisée — une Samaritaine. Autant l’un était honorable, savant, intègre et respecté, autant l’autre était dégradée, ignorante et avilie.

Habituée au péché où elle s’était plongée, elle avait perdu tout sentiment de pudeur ; pour elle, la fidélité n’avait aucune existence réelle et semblait n’être qu’un mot sans valeur ; « la vérité » lui apparaissait vaguement, dans les nuages d’un lointain avenir, quand viendrait « le Messie », dont elle avait entendu parler, mais duquel personne ne savait dire quand Il arriverait ; aussi ne s’en inquiétait-elle pas davantage. N’ayant pas joui des avantages que possédait Nicodème, jamais, dans le monde qui l’entourait, elle n’aurait eu la pensée de chercher la vérité ; en fait de religion, elle ne connaissait que le mensonge, et sa vie intérieure et extérieure en portait l’empreinte. Sa préoccupation était de passer ses jours avec le moins d’ennui possible ; aussi, pour éviter l’expression du mépris des personnes plus honnêtes qu’elle, elle s’en va à la fontaine puiser de l’eau à midi, heure inaccoutumée aux autres.

C’est là qu’elle rencontre cet étranger inconnu qui allait bientôt opérer un changement radical dans sa vie entière.

La réponse de la femme à la première parole que Jésus lui adresse : « Donne-moi à boire », montre la difficulté immense, ou plutôt impossible pour l’homme, d’atteindre un tel cœur ; un cœur qui, endurci dans son avilissement, était, en même temps, orgueilleux au point de refuser le plus léger service à un étranger, parce qu’il était Juif. « Comment, toi, qui es Juif, dit-elle, me demandes-tu à boire, à moi qui suis une femme samaritaine ? ». La femme partageait toute la haine de sa nation contre les Juifs, et leur rendait mépris pour mépris. Sa position morale, si triste fût-elle, ne l’empêchait nullement de manifester cette inimitié.

Comment faire naître, dans une âme animée de semblables sentiments, le désir de connaître la grâce, chose dont elle ignorait la valeur et dont elle ne sentait pas le besoin ? Tel est le problème que nous voyons résolu dans cette touchante histoire, par l’amour divin du Sauveur. Les paroles de la femme auraient repoussé tout autre, mais elles ne peuvent ni froisser Jésus, ni le détourner de Son but. Il voulait gagner ce cœur, et, avec une délicatesse exquise, Il sait y trouver et y toucher la corde qui pouvait vibrer.

Sa seconde parole fait ressortir la divine beauté de la première. En ne dédaignant pas de prendre, vis-à-vis de la Samaritaine, l’humble attitude de quelqu’un qui demande, le Seigneur lui enseigne quelle est la vraie, la seule manière de recevoir de la part de Dieu — savoir, de demander. Pour cela, il fallait que son orgueil fût humilié. Il la place donc dans la présence de Dieu, non pas en jugement, mais en grâce. Il voile, pour ainsi dire, la tendre répréhension que renferment Ses paroles, derrière la parfaite bonté du caractère de Dieu, qu’Il lui fait entrevoir : « Si tu connaissais », lui dit-Il, « le don de Dieu et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire, toi, tu lui eusses demandé, et il t’eût donné de l’eau vive ».

Quelle profondeur ne trouverons-nous pas dans ces paroles, si nous arrêtons notre pensée sur Celui qui les prononça ! C’était le Fils du Dieu vivant, descendu ici-bas pour nous faire connaître Dieu et nous révéler l’étendue infinie de l’amour dont Il jouissait de toute éternité, Lui, « le Fils unique dans le sein du Père ». C’est Lui qui, pour gagner une âme à Dieu Son Père, condescend jusqu’à s’humilier devant une misérable pécheresse telle qu’était la Samaritaine. Le caractère du Dieu qui « est amour » trouve ainsi sa parfaite expression dans la manière dont Jésus agit.

Cet appel produit son effet ; mais, quelles ne sont pas les contradictions étranges du cœur humain ! Plus la misère est grande, plus on voit trop souvent comme une sorte de désespoir qui ôte à l’âme le désir d’en sortir.

La femme se sent mal à l’aise en la présence de Dieu ; elle n’aime pas à entendre parler d’un don gratuit qui exclut les efforts de l’homme, et elle se hâte de changer de terrain pour tranquilliser sa conscience.

Ce qui concerne les besoins matériels est plus simple et a pour elle plus d’attraits que ce qui tient à Dieu, et elle s’efforce, si possible, de ramener l’entretien à ce niveau des choses tangibles et pratiques : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond ; d’où as-tu donc cette eau vive ? Es-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné le puits ; et lui-même en a bu, et ses fils, et son bétail ? ».

« Jésus répondit et lui dit : Quiconque boit de cette eau-ci aura de nouveau soif, mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai, moi, n’aura plus soif à jamais ; mais l’eau que je lui donnerai sera en lui une fontaine d’eau jaillissante en vie éternelle. La femme lui dit : Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie pas soif et que je ne vienne pas ici pour puiser ». La réponse du Seigneur dissipe entièrement la défiance du cœur de la Samaritaine ; elle l’amène à se placer elle-même dans la position qu’Il avait d’abord prise pour l’instruire. À son tour, elle demande. Sans doute, elle ne comprend pas encore ce qui est l’objet de sa requête, mais son cœur est gagné à Jésus, et elle est préparée pour recevoir dans sa conscience la sonde divine.

Les dernières paroles de la pauvre femme décèlent son état véritable ; la tristesse cachée qui remplissait son âme se fait jour, et montre combien elle avait besoin de l’eau vive qu’elle demandait. Être obligée de sortir pour puiser de l’eau, exposer sa honte, combien cela devait être pénible, en effet, pour celle qui n’osait affronter les regards et les mépris des autres. Pour la première fois, elle rencontre quelqu’un qui veut bien sympathiser avec sa misère, et son cœur, altéré d’un bonheur qu’elle a vainement cherché dans un monde qui ne le possède pas, trouve un asile dans le cœur de Christ. Elle peut verser sa tristesse dans le sein de cet étranger inconnu, et, bien qu’elle ignore encore qu’Il était descendu de la gloire du ciel pour chercher des misérables comme elle, son âme se sent attirée vers Lui.

L’instant était venu de toucher sa conscience. « Jésus lui dit : Va, appelle ton mari, et viens ici ». Elle veut parer le coup et dit : « Je n’ai point de mari ». Elle ne savait pas être en la présence de Celui qui est « la lumière du monde ». Jésus lui dit : « Tu as bien dit : Je n’ai pas de mari ; car tu as eu cinq maris, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ; en cela, tu as dit vrai ».

La conscience de la femme est atteinte et réveillée, et, par là, une certaine intelligence pénètre dans son âme : « Seigneur, dit-elle à Jésus, je vois que tu es un prophète » ; elle comprend que les circonstances de sa vie Lui sont connues ; ce qui fait sa honte est dévoilé par Celui qui lui a parlé avec une si parfaite bonté ; elle ne peut Le quitter ; mais, se sentant serrée de trop près, elle cherche à détourner la question personnelle en s’engageant dans une polémique religieuse.

Que d’âmes, ainsi remuées dans leur conscience, s’efforcent d’échapper de la même manière ! Une forme religieuse en vaut une autre, dit-on, et pour quelques différences secondaires, on n’est pas dans une pire position que ceux qui se vantent d’une religion meilleure et plus vraie ; c’est une affaire de convenance, de naissance, d’habitude ou bien d’école où les docteurs doivent décider, et, si ceux-ci diffèrent entre eux, qui osera affirmer que l’un a raison plutôt que l’autre ? Voilà ce que disent tant de gens de nos jours, et c’est ainsi que pensait la femme samaritaine : « Nos pères, dit-elle, ont adoré sur cette montagne-ci, et vous (vous autres Juifs), vous dites qu’à Jérusalem est le lieu où il faut adorer ».

Mais le Seigneur ne se laisse point écarter du but qu’Il poursuit. Il fait entendre à la femme des choses nouvelles et glorieuses, dans les profondeurs desquelles elle ne pouvait entrer alors, et qui ne devaient lui être pleinement révélées que plus tard. Mais ces choses étaient une partie des bénédictions que Dieu donnait gratuitement et que Son Fils était venu faire connaître dans ce monde. « Jésus lui dit : Femme, crois-moi, l’heure vient que vous n’adorerez le Père ni sur cette montagne, ni à Jérusalem. Vous, vous adorez vous ne savez quoi ; nous, nous savons ce que nous adorons, car le salut vient des Juifs. Mais l’heure vient, et elle est maintenant, que les vrais adorateurs adoreront le Père en Esprit et en vérité, car aussi le Père en cherche de tels qui l’adorent. Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité ». Connaître Dieu, le Dieu vivant ; Le connaître comme Père ; être rendu capable de L’adorer en esprit et en vérité : telles étaient les grandes et merveilleuses choses que Jésus annonçait à la femme de Sichar.

Elle semblait presque en possession de ces grâces. Le Seigneur de gloire la sollicitait de croire. Mais cela paraissait trop grand, trop excellent pour être vrai ; en tout cas, il semblait que ce fût impossible à réaliser sur l’heure. Comme le roi Agrippa et tant d’autres depuis, elle voulait renvoyer à un autre temps le moment de se rendre et de se soumettre pleinement à la vérité. Ce serait à la venue du Messie, pensait-elle, et jusque-là, elle pouvait bien attendre. Voilà son dernier effort contre la grâce, alors qu’elle se trouvait presque entre les bras de son Sauveur. « Je sais, dit-elle, que le Messie, qui est appelé le Christ, vient ; quand celui-là sera venu, il nous fera connaître toutes choses. Jésus lui dit : Je le suis, moi qui te parle ». Telle est la parole suprême de Jésus, et la Samaritaine, forcée dans son dernier retranchement, devient la captive du Seigneur.

L’arrivée des disciples interrompt l’entretien, mais l’œuvre de grâce était accomplie ; ce pauvre cœur, naguère si vide, était rempli et débordait. Le puits, la cruche, tout est oublié. Elle retourne à la ville et dit aux habitants : « Venez, voyez un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait ; celui-ci n’est-il point le Christ ? ».

Elle n’a plus rien à cacher maintenant ; elle peut parler hardiment de sa vie passée, car Celui qui connaît tout, qui pénètre au fond des cœurs, lui a révélé les richesses de la grâce de Dieu. Elle ne dit rien des choses nouvelles que le Seigneur lui avait annoncées, et qui auraient été de nature à exciter la curiosité des hommes de Sichar. C’est la personne même de Christ qui remplit sa pensée ; c’est à Lui qu’elle veut les amener. Sa conscience avait été atteinte, sa vie de péché avait été mise à nu ; par là, elle avait connu le Sauveur ; c’est de la même manière qu’elle veut agir sur les autres. L’amour qu’elle avait trouvé en Christ était un trésor trop grand pour qu’elle le gardât pour elle seule ; il fallait qu’elle en fît part à d’autres, et la pauvre pécheresse est transformée en un messager de la bonne nouvelle.

La lumière et l’amour divins avaient accomplis leur œuvre bénie. Un vase de louanges à Dieu le Père avait été cherché et trouvé parmi les plus vils d’une race méprisée.

Il y a plus : la grâce qui avait sauvé la Samaritaine, la fait aussi entrer dans cette joie qui est inséparable des activités de l’amour divin — la joie qui remplit le cœur du Berger lorsqu’Il retrouve Sa brebis perdue et appelle Ses amis à se réjouir avec Lui — la joie qui se trouve au ciel devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se repent (Luc 15). Voici ce que nous dit le récit divin :

« Or, plusieurs des Samaritains de cette ville-là crurent en lui, à cause de la parole de la femme qui avait rendu témoignage : Il m’a dit tout ce que j’ai fait. Quand donc les Samaritains furent venus vers lui, ils le priaient de demeurer avec eux ; et il demeura là deux jours. Et beaucoup plus de gens crurent à cause de sa parole ; et ils disaient à la femme : Ce n’est plus à cause de ton dire que nous croyons ; car nous-mêmes nous l’avons entendu, et nous connaissons que celui-ci est véritablement le Sauveur du monde ».

Deux choses étaient indispensables pour avoir cette connaissance personnelle du Sauveur : l’exercice de conscience produit dans l’âme par la lumière qui manifeste tout, en sorte que l’on soit amené à confesser : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait » ; puis, l’action bénie de l’amour de Dieu qui attire le cœur, en lui apprenant que le même Jésus qui dévoile les pensées secrètes du pécheur, est le Sauveur du monde. En Lui est la lumière ; en Lui est la vie.

Mais, bien que les Samaritains eussent fait la connaissance personnelle du Sauveur, ils n’en sentent pas moins le besoin de faire part à la femme de la paix qu’ils avaient trouvée en Christ. Elle conserve la position que la grâce lui avait donnée, celle d’avoir été le héraut de la bonne nouvelle pour la ville de Sichar. D’une manière toute spéciale, elle avait part à la joie du « Sauveur du monde ».

Qu’il est beau, cet amour qui, ayant saisi le cœur d’un pauvre pécheur, le remplit tellement que celui qui vient d’être sauvé n’a rien de plus pressant que d’aller chercher d’autres âmes pour les amener à la source de sa joie nouvelle !

Le docteur d’Israël et la femme de Sichar reçoivent tous deux de Jésus la vie éternelle, et ils seront dans la gloire des témoins de ce que l’amour de Dieu a opéré sur la terre.

Bien-aimé lecteur, la même grâce vous est présentée, car « c’est maintenant le jour du salut ». Ne voulez-vous pas entrer aussi dans la jouissance de cet amour qui a atteint une des plus viles aussi bien que l’un des plus honorables parmi les hommes, tout en montrant que l’une et l’autre étaient des pécheurs perdus ?

Ne vous laissez pas détourner par la pensée que Nicodème et la Samaritaine étaient particulièrement favorisés par le Seigneur, tandis que vous êtes privés de leurs avantages. Rappelez-vous que cette histoire se trouve dans la Parole de Dieu, qu’elle est écrite pour vous, s’adressant directement à vous, pour vous faire voir comment le Dieu d’amour « attend pour vous faire grâce » (És. 30, 18).

Une remarque en terminant. De même que nous trouvons deux « il faut » dans le chapitre 3 de l’évangile de Jean, on trouve aussi, dans le chapitre 4, une double nécessité, qui sert à mettre en évidence le caractère de l’œuvre de la grâce. « Dieu est Esprit, dit le Seigneur Jésus, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité ». Mais où trouver ces adorateurs réels ? Pour cela, il fallait (v. 4) que Jésus traversât la Samarie et qu’Il rencontrât personnellement la femme de Sichar. Il connaissait la nécessité divine de l’amour qui voulait absolument trouver le chemin du cœur du pécheur même le plus endurci. Il poursuit son but et l’atteint. Quel bonheur pour nous, de savoir que cette nécessité divine est la raison suprême de notre salut, et qu’elle est la cause qui fait que Dieu cherche et trouve encore actuellement sur la terre de vrais adorateurs.

Puissions-nous, cher lecteur, être du nombre de ceux qui adorent Dieu en esprit et en vérité, et être toujours plus pénétrés du caractère qui appartient au véritable culte que demande le Père.