La Parole et le témoignage

H. Rossier

La Parole

Plus je considère ce sujet, plus je découvre que la Parole doit jouer un rôle non seulement prépondérant, mais unique et absolu dans la vie du chrétien. À mesure que nous approchons de l’éclosion dernière du mal, de l’antichristianisme avec l’apostasie et toutes les formes d’idolâtrie qui le caractériseront, il est urgent que le chrétien fidèle se tienne strictement à la Parole. Elle est la ceinture de sauvetage qui nous permet de nager sans enfoncer contre le courant des eaux effrayantes de l’incrédulité.

La chrétienté a traversé deux grandes époques dans lesquelles le rôle de la Parole a été remis en mémoire. Nous ne parlons pas du moment qui ne dépassa pas la vie du dernier apôtre où la grâce et la vérité venues par Jésus Christ furent pleinement établies, et définitivement révélées par les saintes Écritures, et exercèrent une influence puissante, quoique momentanée, sur le cœur et la conscience de l’Église. À cette révélation première et immuable, il ne restait rien à ajouter ; elle n’était susceptible d’aucun développement subséquent. Cette Parole qui « demeure éternellement » est restée dès lors complète, inaltérable, et c’est à sa manifestation initiale que tout chrétien doit et devra recourir jusqu’au bout.

L’autorité de la Parole fut pleinement reconnue du temps des apôtres qui furent les instruments pour la compléter, mais, de leur vivant même, les symptômes du déclin se faisaient déjà sentir : ce dernier ne fut complet que du jour où le dernier apôtre eût été retiré de la scène. Dès lors la Parole a subi des éclipses prolongées. La première a duré dès les premiers siècles du christianisme jusqu’à la Réformation. Pendant cette longue période, toutes les vérités qu’elle contient furent graduellement submergées ou altérées par l’effort de Satan pour en soustraire aux âmes la bienfaisante influence. Les fidèles ne réagirent qu’en petit nombre contre le courant et furent persécutés ou mis à mort. C’est alors que les Écritures miraculeusement remises en lumière créèrent pour ainsi dire la Réformation et purent être placées dans toutes les mains pour éclairer les âmes.

Nous avons dans l’Ancien Testament l’exemple d’une révolution semblable. Au commencement du règne de Josias (2 Rois 22), la parole de la loi était ensevelie et les ténèbres seules du lieu très saint la conservaient ignorée à côté de l’arche. Même le souverain sacrificateur n’en connaissait pas l’existence. Comme plus tard à la Réformation, elle fut retrouvée là où, suivant l’ordre de Deutéronome 31, 26, elle devait être conservée. Elle-même n’avait subi aucune altération, mais personne ne la connaissait en ce temps-là. Cette Parole condamnait le peuple : aussitôt que le roi la lut, il déchira ses vêtements, pleura et s’humilia. Pour lui, la seule chose à faire était d’abolir l’idolâtrie (2 Rois 23) qui s’étalait avec impudence jusque dans le temple de Dieu, et d’en revenir à la vérité première, à la Pâque, mémorial de la délivrance d’Égypte. De même, à la Réformation, la Parole retrouvée produisit immédiatement son fruit, c’est-à-dire le reniement de l’idolâtrie romaine et la proclamation du salut gratuit par la foi, salut qui, comme la Pâque, mettait le peuple à l’abri du jugement et le justifiait aux yeux de Dieu.

La seconde éclipse dura depuis la Réformation jusqu’au début du siècle dernier. La ruine de ce qui venait d’être rétabli d’une manière si éclatante s’accentua de plus en plus. Un « état de mort, avec le nom de vivre », remplaça le zèle du début. Le mélange des croyants avec le monde fut à peine limité, en sorte qu’à part quelques remarquables exceptions, il était difficile de distinguer dans la chrétienté professante ce qui était de Dieu ou ne l’était pas. C’est alors que se produisit un réveil comparable à celui dont nous parle le chapitre 8 du livre de Néhémie. Comme, jadis, la nécessité de rebâtir la muraille s’imposa au faible résidu de Juda auquel Dieu ouvrait de nouveau la terre promise ; la séparation du monde devint, dans ce second réveil, la première nécessité pour toute âme fidèle. Dès que, sous Néhémie, la muraille fût rebâtie, la Parole acquit pour le peuple une autorité toute nouvelle. Ce ne fut pas, comme sous Josias, la Parole retrouvée, mais la Parole ouverte (v. 5) par l’Esprit de Dieu, la Parole expliquée par ce même Esprit, lue distinctement devant tous, en sorte de la faire comprendre. Le résultat fut la répudiation de toute alliance avec le monde (Néh. 9) et la fête des tabernacles. De même le réveil dont nous parlons n’eut plus pour sujet, comme à la Réformation, l’abolition de l’idolâtrie romaine et la justification par la foi, mais la séparation du monde dans le témoignage public et la vie privée des chrétiens. Les résultats ne se firent pas attendre. Comme pour le résidu de Juda, lors de la fête des tabernacles, toutes les vérités de la Parole furent remises en lumière, comme étant les choses enseignées dès le commencement du christianisme. Il y eut, comme jadis, une expression remarquable de la joie et de la liberté du peuple de Dieu, et la connaissance (selon le type du huitième jour de la fête) des bienfaits de la résurrection de Christ et du don du Saint Esprit ; la connaissance de l’Église formée à la Pentecôte, par ce même Esprit envoyé du ciel, en un seul corps ici-bas ; celle des divers ministères donnés par Jésus Christ à Son Église et libres de s’exercer ; les privilèges célestes révélés aux chrétiens ; la joie du culte en Esprit et en vérité, retrouvée ; enfin la prédication de l’évangile en dehors de toute restriction ecclésiastique.

Ce régime est celui sous lequel l’Assemblée de Christ se trouve maintenant. La vérité, toute la vérité de la Parole, est remise en lumière dans ses grands traits, sans infirmer en rien les vérités du salut individuel révélées à la Réformation. Mais il ne faut pas oublier, et c’est un sujet de douleur et d’humiliation, que ce réveil a failli comme la Réformation et comme tout ce qui a été confié à la responsabilité de l’homme ; cependant les vérités qu’il a apportées demeurent, comme celles que la Réformation avait introduites, et il n’y en aura pas de nouvelles jusqu’à la venue du Seigneur.

Il est néanmoins certain qu’aujourd’hui les chrétiens ne sont pas mis à l’épreuve par la vérité du salut par la foi, car la profession chrétienne s’en est saisie, et chacun, dans le protestantisme, proclame y croire. Ce sont les vérités remises en lumière en dernier lieu qui mettent les âmes à l’épreuve et les séparent du monde. Or c’est précisément cette séparation qui empêche un si grand nombre de chrétiens de reconnaître ces vérités et même ils les admettraient volontiers si leur conscience n’y voyait la nécessité de les mettre en pratique, selon cette parole : « Sortez du milieu d’eux, et soyez séparés, dit le Seigneur », et celle de « la réunion en un de tous les enfants de Dieu dispersés ». Certainement le sentiment de cette obligation pousse seul un si grand nombre de chrétiens à se constituer en adversaires de ces vérités.

Pour ceux qui les maintiennent et combattent pour elles, la question solennelle se pose maintenant : Jusqu’à quel point exercent-elles une influence absolue et essentielle sur notre vie chrétienne ? Avons-nous compris et réalisé quel est le caractère du monde aux yeux de Dieu ? Savons-nous que, depuis la croix, Satan est devenu « le prince de ce monde » ou bien, nous bornons-nous à le dire ? Veillons-nous soigneusement à ce que l’Ennemi ne s’empare pas de nos cœurs par toutes les convoitises « qui sont dans le monde » ? Avons-nous compris que notre place doit être avec Christ « hors du camp » ? Avons-nous réalisé que le caractère du corps de Christ est d’être, comme la muraille de Jérusalem, exclusif de tout élément étranger ? qu’il y a « un seul corps » et non plusieurs corps de Christ ? que notre appel est céleste, et que nous entrerons en possession de notre héritage à la venue du Seigneur ? Je n’énumère pas toutes les choses que l’Esprit de Dieu a remises en lumière pour ces derniers temps ; je pose seulement cette question : Si nous connaissons ces vérités, qu’en faisons-nous ? Comme toute vérité de Dieu, elles réclament une obéissance implicite. Si nous ne possédions qu’une révélation, altérée par ceux qui nous l’ont transmise, l’on comprendrait que les chrétiens n’y obéissent qu’en partie, mais il n’en est point ainsi. Le chapitre 3 de la première épître aux Corinthiens nous montre que chaque mot de cette révélation nous est donné par inspiration, en sorte qu’il n’y a aucune excuse quelconque au moindre acte de désobéissance à son égard. Cette obéissance implicite est du reste le secret de notre force et la source de tous nos progrès. Si nous n’obéissons pas à une première vérité, quelle qu’elle soit, que Dieu nous présente dans Sa Parole, jamais Il ne nous en confiera une seconde. De là le pauvre bagage, l’attitude stationnaire de tant de chrétiens. En vérité, l’on peut dire que ce qui crée essentiellement la différence entre les chrétiens de nos jours, c’est le plus ou moins d’obéissance à la Parole, à toute parole sortie de la bouche de Dieu. Oui, l’obéissance à la Parole forme la base même de toute notre vie chrétienne !

Le témoignage (Apoc. 3, 14)

Ceux qui ont compris la pensée de Dieu pour les temps de la fin, ont le privilège de pouvoir réaliser jusqu’au bout ce que le Seigneur attend de Ses témoins, car il ne sera pas suscité de témoignage nouveau jusqu’à la venue du Seigneur.

Cette réalisation de la pensée de Dieu et de Christ, nous la trouvons exprimée dans les épîtres à Philadelphie et à Laodicée. Dans la première, il s’agit d’un témoignage collectif très faible, car sa faiblesse coïncide avec la ruine de l’église professante (Sardes) sortie de la Réformation. Dans la seconde, il s’agit d’un témoignage individuel, le seul qui semble subsister encore quand l’assemblée responsable est sur le point d’être vomie de la bouche de Christ.

Le témoignage collectif actuel est accompagné de l’aveu public que l’on possède peu de force, mais aussi de la conviction qu’Il est notre Boaz (« En lui est la force »), Lui qui a le pouvoir absolu d’ouvrir et de fermer. Mais ce témoignage consiste d’abord à ne pas renier le nom de Celui qui dit : Je suis le Saint ; à répondre, par une vraie séparation du monde, au caractère du Seigneur qui est et a toujours été le Saint, séparé pour Dieu de tout mal. Ce témoignage consiste en second lieu à garder la parole du Seigneur, à la garder dans toute son intégrité, comme étant la vérité même, le caractère de Celui qui est la Parole faite chair, révélé entièrement dans les saintes Écritures.

Il n’est point difficile de réaliser ces choses collectivement, ne fût-on que deux ou trois pour le faire. On trouve dans cette réalisation des liens heureux d’amour entre frères exprimés par le nom de Philadelphie, et découlant du sentiment de l’amour de Christ. Ces liens sont étrangers à ceux qui ne possèdent pas les deux choses que Jésus loue en Philadelphie : garder Sa Parole et ne pas renier Son nom. Le sentiment de la ruine pousse en même temps ces âmes à attendre le Seigneur et Celui-ci leur confirme la promesse qu’Il vient bientôt.

Philadelphie ne serait pas Philadelphie, c’est-à-dire l’amour fraternel uni à peu de force, si l’on devait s’attendre à voir le nombre des chrétiens, attachés à la Parole et séparés du monde, s’augmenter beaucoup et devenir un puissant témoignage au temps de la fin. Cependant, si le témoignage philadelphien était plus fidèle, on pourrait voir, avant l’enlèvement de l’Église, un plus grand nombre d’enfants de Dieu garder « la parole de la patience de Christ » et s’écrier : « Viens ! Amen, viens Seigneur Jésus ! ».

Le témoignage individuel devient toujours plus pressant à mesure que le temps de la fin approche. Ce témoignage est, à le considérer de près, le même témoignage que Philadelphie a rendu collectivement. Le croyant individuel jouit de la communion avec le Seigneur, mais il a le privilège de faire une connaissance encore plus intime de Christ que Philadelphie ne l’a fait comme assemblée. Il comprend mieux ce qu’est l’Amen (Apoc. 3, 14). Ne trouvant plus dans l’Église aucune réalisation de la pensée de Christ, il est rejeté uniquement sur Celui qui est, Lui seul, la pleine révélation et le plein accomplissement de toutes les promesses de Dieu relatives au salut, au Saint Esprit, à la vie éternelle, à l’héritage. Quand le fidèle serait laissé seul au milieu d’un monde apostat, lui manquera-t-il rien, s’il a l’Amen ?

Vous direz que la ruine du témoignage de Dieu dans ce monde doit le remplir de découragement ? Non ; car si vous étiez tout seul à avoir « entendu sa voix » (v. 20), un autre témoin resterait encore. Ce témoin, c’est Lui. Même mon témoignage individuel isolé pourrait venir à manquer (bien que je sois certain que le Seigneur ne se laissera jamais sans témoignage, au milieu de la pire apostasie), que Lui demeurerait le témoin fidèle. Et de plus, Il est le témoin véritable. Il s’est manifesté à Philadelphie comme « le Véritable », pleinement révélé dans la Parole de Dieu qui est la vérité, comme Lui-même est la vérité. Ici, Il se manifeste à l’âme individuellement, quand la Parole de Dieu est abandonnée, comme Celui dont le témoignage peut être connu par cette même Parole.

Que tu es heureux, pauvre témoin isolé de Laodicée ! Ton témoignage, c’est Christ qui le représente, et ce témoignage, tu peux le connaître tout entier dans la Parole, sans qu’il y manque rien ! Es-tu moins puissant, toi, parce que tu es seul ? Non, puisque le témoin fidèle et véritable est avec toi, qu’Il entre chez toi, s’assied à ta table, est en communion avec toi et t’invite à Sa communion (v. 20) !

Nouvelle grâce ! Il est encore « le commencement de la création de Dieu ». Quand tout ce qui est de l’ancienne création s’est moralement effondré, Lui est le commencement de celle de Dieu, d’une nouvelle création basée sur Sa résurrection d’entre les morts. Te voilà, pauvre isolé, introduit dans cet ordre de choses tout nouveau, tout spirituel et céleste, peuplé des milliers de myriades dont Il est le Chef ! Regrettes-tu la faillite de l’ancienne création ? Cette création disparaîtra entièrement, consumée par le feu inexorable du jugement, elle passera avec un bruit sifflant de tempête. La nouvelle création seule subsistera. Elle a son commencement en Christ, et ce commencement n’aura point de fin à jamais !