Dans son épître aux Philippiens, Paul exhorte les saints à éviter toute exaltation de soi, et à cultiver un esprit d’humilité (Phil. 2, 1-4). L’apôtre ne considère pas la disposition à l’humilité comme une vertu, dans un sens abstrait, mais comme une excellence unique parfaitement illustrée par le Christ Jésus. Il écrit : « Qu’il y ait donc en vous cette pensée qui a été aussi dans le christ Jésus, lequel, étant en forme de Dieu… s’est anéanti lui-même, prenant la forme d’esclave » (Phil. 2, 5-7).
De cette révélation par l’Esprit de Dieu concernant l’incarnation du Fils de Dieu, nous apprenons que son caractère exceptionnel réside en ce qu’Il s’est fait oublier Lui-même, ou s’est anéanti Lui-même, ce dernier étant un rendu préférable du texte grec[1]. L’apôtre enseigne que le Christ Jésus, qui était en « forme de Dieu », prit volontairement sur Lui « la forme d’esclave (ou de serviteur) », par quoi Il « s’anéantit Lui-même ». Étant « à la ressemblance des hommes », Il s’abstenait de faire usage des prérogatives de Sa déité en dehors de la volonté de Celui qui L’avait envoyé. Cet acte de propre abnégation exprimait « la pensée qui a été dans le Christ Jésus », cette « pensée » dont l’apôtre désirait qu’elle soit aussi dans Ses saints.
En lien avec l’anéantissement de Christ, une accusation d’hétérodoxie a été élevée contre feu William Kelly, sur la base, semble-t-il, d’une demi-douzaine de mots se trouvant dans une de ses premières méditations de l’épître. Cette accusation de fausse doctrine est absurde, mais nous espérons qu’elle n’est pas aussi malveillante que mal fondée. Les mots de W. Kelly cités contre lui sont : « Lui (Christ) s’est dépouillé de Sa déité ». Et sur la preuve de cette courte phrase, on a déclaré que W. Kelly enseignait qu’en devenant homme, Christ avait cessé d’être Dieu, fondant cette grave accusation sur ce qui n’est que leur propre interprétation hâtive d’une courte phrase sélectionnée dans les remarques de l’orateur exposant bien plus longuement le passage des Philippiens (2, 5-8).
De fait, la fausseté de cette insinuation est évidente, même d’après les remarques de l’orateur qui précèdent les mots cités. Avant de les utiliser, W. Kelly avait clairement dit à ses auditeurs ce que lui-même considérait être exprimé par le passage qu’il exposait (2, 5-8), et en particulier le sens de l’expression, « anéanti lui-même ». Il enseignait à ses auditeurs que « s’anéantir Lui-même » signifiait, non pas que le Christ Jésus, en prenant la forme d’un esclave, se dépouillait par là de Son absolue déité, mais de Ses prérogatives en s’abstenant de les utiliser de Sa propre initiative.
Mais sur ce point, nous pouvons laisser W. Kelly parler pour lui-même. Du long passage (environ cinq pages imprimées) qui traite du chapitre 2, 5 à 8, nous avons sélectionné des notes les extraits suivants, qui traitent de la déité du Christ Jésus.
« Qu’il y ait donc en vous cette pensée qui a été aussi dans le Christ Jésus, lequel, étant en forme de Dieu, n’a pas regardé comme un objet à ravir d’être égal à Dieu, mais s’est anéanti lui-même, étant fait à la ressemblance des hommes (Phil. 2, 5-7). Quel glorieux témoignage à la divinité vraie, personnelle, intrinsèque de Christ ! Témoignage d’autant plus fort que, comme beaucoup d’autres, il est indirect » (p. 46)… « Rien de plus concluant ne peut être avancé pour prouver Sa propre gloire suprêmement divine que le simple énoncé du texte… De Christ seul il pouvait être dit en vérité qu’Il prit la forme d’esclave ; de Lui seul cela pouvait être vrai, parce qu’Il était en forme de Dieu. Il subsistait originellement dans cette nature, et cela aussi véritablement qu’Il reçut celle d’esclave ; toutes deux étaient réelles, également réelles — l’une intrinsèque, l’autre celle qu’Il condescendit à prendre, dans Sa grâce infinie » (p. 47)…
Il nous faut cependant bien garder à l’esprit qu’il serait aussi impossible pour une personne divine de cesser d’être Dieu, que pour un homme de devenir une personne divine. Mais ce fut la joie et le triomphe de la grâce divine que Celui qui était Dieu, égal au Père, lorsqu’il s’agit de devenir homme, ne vint pas ici-bas dans la gloire et la puissance de la déité pour confondre l’homme devant Lui, mais s’anéantit Lui-même… Il était Dieu ; toutefois, dans la place d’homme qu’Il a réellement prise, Il a eu, comme cela convenait, la volonté de n’être rien. Il s’est anéanti Lui-même. Combien cela est admirable ! Combien cela magnifie Dieu ! Il a mis de côté toute Sa gloire (p. 47-48)…
Remarquez les deux grandes étapes dans la venue et l’humiliation du Fils de Dieu. La première est en rapport avec Sa nature divine, Sa divinité propre ; Il s’est anéanti Lui-même. Il ne voulait pas agir sur un terrain qui L’exemptât de l’obéissance humaine lorsqu’Il prit ici-bas la place d’esclave (p. 49)… Mais il y a autre chose : si, lorsqu’il prit la forme d’esclave, il s’est dépouillé de sa déité, une fois devenu homme, il s’abaissa Lui-même et devint obéissant jusqu’à la mort (p. 50). »
De ces extraits, on voit que W. Kelly maintenait la pleine déité du Christ Jésus, et aussi que Sa déité ne fut pas touchée quand Il prit l’humanité. Étant en forme de Dieu, Il s’est anéanti Lui-même, prenant la forme d’esclave. De Sa propre volonté, Il se débarrassa de Ses prérogatives comme Dieu, choisissant de ne pas commander comme Dieu mais d’obéir comme un serviteur. Tous les droits inhérents à la déité sont à Lui de façon inaliénable ; l’obéissance, toutefois, est une fonction non de la déité, mais de celui qui prend la place de soumission à la volonté d’un autre. Étant Dieu, et étant venu en ressemblance de l’homme, le Christ Jésus s’engagea dans la position de servitude. « Quoiqu’il fût Fils, il a appris l’obéissance par les choses qu’il a souffertes » (Héb. 5, 8). Pourtant, Lui, « selon la chair, est le Christ, qui est sur toutes choses Dieu béni éternellement. Amen » (Rom. 9, 5).
Telle est la doctrine de l’Écriture concernant le Christ Jésus, et de cette doctrine, W. Kelly ne semble pas s’être écarté, même dans la phrase sur laquelle certains semblent avoir achoppé, par manque d’attention à son contexte. Dans son discours, W. Kelly était à ce moment-là en train de passer de la considération des versets 5 à 7 au verset 8. Dans les premiers, le sujet est l’humiliation de Christ ; comme quelqu’un en « forme de Dieu », Il prend « la forme d’esclave ». Dans le dernier, Christ s’humilie encore davantage et est obéissant comme homme même jusqu’à la crucifixion. En faisant référence à ce changement de sujet, le conférencier dit : « Mais il y a autre chose : si, lorsqu’Il prit la forme d’esclave, Il s’est dépouillé de Sa déité (v. 5-7), une fois devenu homme, Il s’abaissa Lui-même et devint obéissant jusqu’à la mort (v. 8) ». « Déité » et « homme » sont les deux mots-clés dans les deux sections de cette phrase, et le mot « si » doit particulièrement être remarqué.
Clairement, l’enseignement de W. Kelly n’est pas représenté de façon juste en citant seulement six mots de cette phrase, et aussi en omettant le petit mot « si ». Ainsi, « Il s’est dépouillé de Sa déité » est présenté comme une phrase indépendante et absolue, ce qu’elle n’était pas censée être. L’auteur ne disait pas que Christ fit ainsi, mais « si » Il fit ainsi. Le but de l’orateur était, à ce moment-là, d’indiquer que, dans le verset 7, l’humiliation de Christ est liée à Sa déité, et au verset 8, à Son humanité.
W. Kelly n’est pas seul dans cette interprétation. La même distinction est soulignée par J.N. Darby dans son « Étude de la Parole » du passage. Dans un langage similaire, il déclare que comme Dieu, Christ s’est anéanti Lui-même et, comme homme, Il s’est abaissé Lui-même. Il écrit : « Christ… quand Il était en forme de Dieu, s’est anéanti par amour, de toute Sa gloire extérieure, de la forme de Dieu, et a pris la forme d’un homme, et même quand Il a été en forme d’homme, Il s’est encore humilié, faisant ainsi un second pas en s’abaissant. Comme Dieu, Il s’est anéanti ; comme homme, Il s’est humilié et est devenu obéissant jusqu’à la mort. Son humiliation même est la preuve qu’Il est Dieu. Dieu seul pouvait quitter Son premier état dans les droits souverains de Son amour ; pour une créature quelconque, quitter son premier état c’est péché » (p. 468-469).
La déité est manifestée par l’exercice de ses attributs et de ses prérogatives. Dans Son incarnation, ceux-ci étaient supprimés par Christ, mais n’étaient pas abandonnés, ce qui ne se pouvait pas. C’est pourquoi Christ est apparu parmi les hommes comme Celui qui s’était (pour utiliser l’expression de W. Kelly) « dépouillé de Sa déité ». En quelque sorte, Il avait mis de côté Ses vêtements (Sa robe sans couture) et s’était ceint d’un linge pour le service domestique aux pieds des disciples. Son dé-vêtement n’affectait pas Sa relation personnelle avec eux comme le Seigneur et le Maître (Jean 13, 14). Quand le Christ Jésus s’est anéanti Lui-même pour l’obéissance, Il était encore Dieu, car il ne pouvait en être autrement. Mais, si nous pouvons parler ainsi, Il se plut à ce que, dans Son incarnation, Sa déité demeure latente, et que Son service d’esclave soit manifesté.
Dans le désert après Son baptême, le Christ Jésus fut tenté deux fois par Satan pour qu’Il exerce Sa propre déité et fasse ce qui était impossible à l’homme, quoique possible à Dieu. Mais s’étant anéanti Lui-même pour le service, et étant là comme un esclave, Il demeura inébranlable dans Son obéissance et dans Son respect de la volonté de Son Père. C’est pour cela qu’Il ne fit jamais des pierres du pain, ni ne se jeta en bas du temple pour prouver qu’Il était le Fils de Dieu, ce que cependant Il était, et qu’Il est.
Dans le jardin de Gethsémané, Christ est vu comme Celui qui s’est anéanti, choisissant la volonté du Père, et non la sienne. Là, dans une anticipation angoissée de la coupe devant Lui, Il s’écria : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ; toutefois, non pas comme moi (emphatique) je veux, mais comme toi tu veux » (Matt. 26, 39). Avec cette connaissance omnisciente de ce qui était devant Lui le lendemain, il y avait la manifestation de la pensée, non d’affirmation de soi et d’échapper, mais d’abandon de soi et de soumission. Il mit de côté Sa propre volonté, acceptant celle de Son Père, et faisant cette volonté sur la croix, s’offrant Lui-même à Dieu dans la bonne odeur de Son obéissance parfaite, comme le serviteur de l’Éternel.
Nous conclurons avec trois autres citations du ministère de J.N.D., se rapportant toutes à l’anéantissement de Christ dans Son incarnation : (1) « Il y a deux degrés dans l’humiliation de Christ. Il s’est d’abord dépouillé de Sa propre gloire, et est devenu un homme ; puis, étant homme, Il s’est abaissé jusqu’à la mort même de la croix » ; (2) « Il mit de côté la forme de la déité, et fut trouvé comme un homme ; et, étant un homme, Il prit sur Lui la forme d’esclave » ; (3) « Laissant Dieu dans la gloire, laissant la forme de Dieu, en suspens, Il devint un serviteur pour la bénédiction des autres ». Ces trois extraits sont tirés de ses Collected Writings (Vol. 27 p. 255, 274, 323). Tous traitent de l’abaissement en grâce pris par le Christ Jésus quand Il fut trouvé en figure comme un homme, et tous notent les deux étapes de Son humiliation, comme W. Kelly l’indique aussi.
Note. — Ce qui suit est une brève histoire de l’expression considérée. Elle est apparue tout d’abord il y a près d’un siècle dans les « Notes sur l’épître aux Philippiens » de W. Kelly (Bible Treasury, Vol. 5). Les mots en question se trouvent dans l’article aux pages 283-284 (juin 1865). Ces notes compilées depuis des rapports sténographiés du ministère oral de W. Kelly ont été publiées sous forme de livre en 1867, et intitulées « Méditations sur l’épître aux Philippiens ». Depuis cette date, de nouvelles impressions de l’original ont été publiées, sans révision, selon les besoins.
En lien avec l’expression de W. Kelly, « dépouillé de Sa déité », il est intéressant de rapporter une remarque de sa part sur le même sujet, faite quelque dix années auparavant, et se trouvant dans The Christian Annotator de l’année 1855. Dans ce journal (Vol. 2, p. 91), un contributeur, écrivant sur les paraboles du trésor et de la perle (Matt. 13, 44-46) déclarait : « L’homme est Celui qui s’est séparé de tout ce qu’Il avait, même de Sa déité, qu’Il a mise de côté, et… acheta… ». En page 119 du même volume, en critiquant cette remarque sur la renonciation de notre Seigneur, W. Kelly écrivait : « Notre Seigneur n’a pas, et ne pouvait pas, cesser d’être sur toutes choses Dieu béni éternellement ». En conséquence, en page 158, l’auteur de la remarque retira « complètement » son expression originale, substituant la « gloire de la déité » à la « déité ». Il avait parlé sans délibération appropriée.
On observera que W. Kelly, avant d’utiliser l’expression « dépouillé Lui-même de Sa déité », avait pleinement expliqué que cela n’était pas possible, à savoir que le Christ Jésus abandonne la possession de Sa déité ou de Sa divinité, ou Son être essentiel, ce qui est une impossibilité. Dans Sa chair, Il était encore Dieu, béni éternellement. Prenant la forme d’un esclave, Il s’est ainsi anéanti Lui-même, se soumettant absolument à la volonté d’un autre. Pour notre bien, « étant riche, il a vécu dans la pauvreté » : mystère insoluble pour l’entendement, mais consolation extraordinaire et joie sans fin pour le cœur de la foi.