Le grand souper

Luc 14
J. Lebrat

Au chapitre 13 de cet évangile, le Seigneur Jésus a annoncé l’introduction des Gentils dans le royaume, où ils auront place, par la grâce, avec Abraham, Isaac et Jacob, héritiers de la promesse, et les prophètes, tandis que les Juifs seront jetés dehors (13, 28-29). Le royaume devant prendre une forme particulière à cause du rejet du Roi, ceux qui auront rejeté le Roi au jour de Son humiliation seront eux-mêmes rejetés au jour de Sa gloire. Mais en outre, Jérusalem elle-même, n’ayant pas voulu que Celui qui était là en grâce, Jéhovah Lui-même, quoique abaissé, rassemblât Ses enfants comme une poule rassemble Sa couvée sous Ses ailes — et que de fois avait-Il voulu le faire ! — verra sa maison abandonnée, dit le Seigneur (non pour toujours, heureusement ; car après le jugement, il y aura encore la grâce pour elle), mais jusqu’à ce qu’elle dise : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ». Dans l’intervalle, de grandes choses ont été accomplies pour nous, et la grâce de Dieu nous y donne entrée.

Puisque cette dispensation prenait fin par suite du rejet de la grâce venue en la personne du Fils, la guérison de l’homme hydropique (14, 1-6) opérée le jour du sabbat, montrait que la relation, établie entre l’homme sous la loi et Dieu, et dont le sabbat, incorporé à la loi, était le signe (Ex. 31, 17 ; 20, 8-11), était rompue. L’homme, ayant manqué en toute manière, s’est montré incapable de jouir du repos après le travail. Et quant à avoir part au repos de Dieu, comment pourrait-il s’y trouver tant que le péché n’a pas été ôté ? De fait il n’y a point de repos pour Dieu dans une scène de péché : la justice se reposerait-elle quand l’homme n’a point de justice ? Et l’amour pourrait-il se reposer là où doit s’exercer le jugement ? Aussi Jésus, dans une occasion semblable, avait-Il dit : « Mon Père travaille jusqu’à maintenant, et moi je travaille » (Jean 5, 17). La question est de savoir si le repos peut être accordé à l’homme après le travail. Sur ce terrain, l’homme ayant constamment failli, le repos n’est pas possible. Il faut que Dieu agisse en grâce, jusqu’à ce que le repos de Dieu, dont le sabbat est la figure, soit établi sur la base de la rédemption. Ainsi qu’il est écrit : « Il reste un repos sabbatique pour le peuple de Dieu » (Héb. 4, 9) ; mais ce repos-là est le repos de Dieu — un repos à venir — où Dieu se reposera dans Son amour (Héb. 4, 1-10 ; Soph. 3, 17). Au reste, dans les évangiles, nous voyons constamment Jésus agir le jour du sabbat ; le péché n’était pas ôté ; pouvait-Il donc se reposer ?

Mais quelle place Jésus, venu ici-bas s’occuper de Sa créature déchue, a-t-Il prise dans ce monde ? Celle que prend l’amour ; celle qui nous convient à nous aussi, si nous avons connu l’amour : « Il s’est anéanti, s’est abaissé, est devenu obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix » (Phil. 2, 5-9). C’est aussi la place qu’Il nous engage à prendre en attendant le moment où, si nous avons su l’occuper quelque peu, il nous sera dit : « Ami, monte plus haut ». Aujourd’hui, il nous serait dangereux d’être élevés ; alors, nous donnerons toute gloire à Celui qui est digne. Jésus Lui-même a attendu ce moment-là : « C’est pourquoi aussi Dieu L’a haut élevé et Lui a donné un nom au-dessus de tout nom » (Phil. 2, 9). Le premier Adam a voulu s’élever, et il est tombé bien bas ; Jésus s’est abaissé et Il a été élevé en gloire. Puissions-nous Le suivre dans ce chemin !

Mais, dans un monde où Jésus n’a point eu de place et où Dieu Lui-même, en la personne du Fils, a été rejeté, comment faut-il employer les avantages temporels que nous tenons de la part de Dieu ? Le monde s’en sert, ainsi que des talents et des facultés qu’il possède, pour se donner du relief, s’attirer l’estime, s’exalter loin de Dieu, se satisfaire lui-même. Nous, au contraire, notre privilège est de nous servir de ces choses en faveur des déshérités, de qui nous n’avons rien à attendre en retour. Nous pouvons, sans ostentation, les faire asseoir à notre table, en nous occupant de leurs nécessités, et leur procurer quelque soulagement, même un peu de joie, tout au moins quelque adoucissement à leurs peines, heureux de n’avoir maintenant pour témoin de ce dévouement, fruit de la grâce, que l’œil de notre Père. La glorieuse résurrection des justes va venir, et tout ce qui, pendant notre court passage ici-bas, aura été fait dans l’amour, aura sa valeur ce jour-là. Combien peu nous pensons que : « Celui qui sème pour sa propre chair, moissonnera de la chair la corruption ; mais celui qui sème pour l’Esprit, moissonnera de l’Esprit la vie éternelle. Or, ne nous lassons pas en faisant le bien, car, au temps propre, nous moissonnerons, si nous ne défaillons pas » (Gal. 6, 8-9). La grâce s’est déployée en notre faveur ; nous en sommes maintenant les objets. Christ Lui-même est venu dans un monde ruiné, où nous gisions loin de Dieu, perdus, sans ressources. Étant descendu en grâce, là où le péché nous a placés, Il n’a pas reculé devant le sacrifice de Sa propre vie pour nous en retirer, nous amener à Dieu. Et, nous ayant fait siens, Il nous a donné pour part éternelle et bénie une place dans la gloire où Il est maintenant entré après Son œuvre accomplie. La résurrection d’entre les morts, « résurrection des justes », fera participer nos corps à cette puissance de la vie à laquelle ont déjà participé nos âmes ; alors notre service sera récompensé par le Maître.

Mais hélas ! quel accueil la grâce de Dieu, manifestée en Christ, a-t-elle reçu ? « Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même, ne leur imputant pas leurs fautes » (2 Cor. 5, 19). Le grand souper que Dieu s’était proposé, dès le commencement, de donner à Son peuple, était prêt à la fin du jour, quand le Messie était là ; mais le champ, les bœufs, etc. lui sont préférés. Beaucoup de gens honorables y étaient préalablement conviés, et le moment était maintenant venu où l’esclave du Maître leur apportait ce message : « Venez, car déjà tout est prêt ! ».

La bonté de Dieu, annoncée depuis longtemps par les prophètes, était maintenant manifestée : le Fils était là. Les Siméon, les Anne, « ceux qui attendaient la consolation d’Israël », s’étaient réjouis à Sa naissance, que les anges avaient célébrée. C’était la fête à laquelle les conviés auraient dû être heureux de venir. Et quelle fête ! Voyez-en le caractère dans les louanges de l’armée céleste : « Gloire à Dieu dans les lieux très hauts ; et sur la terre paix, et bon plaisir dans les hommes ! ». Oui, Il était là, sur la terre, l’homme du bon plaisir de Dieu, le Fils bien-aimé, objet de toutes les délices du Père ; et les hommes étaient invités à ce banquet qui faisait la joie du ciel.

Mais que font les conviés ? « Ils commencèrent tous unanimement à s’excuser ». Ils ne disent pas, immédiatement du moins, « nous ne voulons pas aller » ; mais : le moment est mal choisi, quel dommage ! sans cela nous serions allés, mais voilà : le champ, les bœufs, nous empêchent pour le moment. « Je te prie, tiens-moi pour excusé ». Telle est la réponse des deux premiers conviés. Elle est moins catégorique que celle du troisième : « J’ai épousé une femme, et à cause de cela je ne puis aller », mais vaut-elle mieux ? Si celui-ci y met moins de forme, ses motifs sont pour le moins tout aussi légitimes, son refus est donc formel.

Il est bon pour nous de peser sérieusement ces excuses, car elles sont les mêmes aujourd’hui. Ce ne sont pas de mauvaises choses en elles-mêmes, au contraire. Mais si elles retiennent le cœur loin de Dieu, lui font mépriser Christ, ou l’empêchent de jouir de Lui, voilà le mal. Nous avons des aptitudes, certaines capacités ; on dit qu’il faut s’en servir, les développer… Et qu’en fait-on ? Le cœur se tourne vers la terre, vers le monde, honnêtement peut-être, mais Christ est dédaigné ; on n’a pas le temps de s’occuper de Lui, aujourd’hui du moins. Demain peut-être !… Ah ! pensez-y !… Mais, dit-on, ne faut-il pas que je me fasse une position, et ne faut-il pas que j’y mette toute mon intelligence, tout mon temps, toute mon activité ? Il faut vivre, après tout. Et quand la grâce, en Christ, est présentée au pécheur, peut-être en sent-il quelque peu le besoin, mais c’est vague. Et puis, on aura le temps, plus tard. Quand on est jeune, n’est-ce pas le moment de passer agréablement son temps, ou du moins de se mettre à même de faire face à la vie et à ses nécessités ? Quand mes études, mon apprentissage seront achevés, je m’occuperai de l’évangile ; j’admets bien que c’est une bonne chose, mais vraiment, je n’en ai pas le temps : il faut que j’acquière ce champ ! Plus tard j’irai au souper.

Et maintenant que vous avez atteint cette première étape de la vie, voici encore l’invitation : « Venez car déjà tout est prêt ! ». Ah ! mais je veux bien ! c’est encore le temps qui me manque. Le moment n’est pas propice. Je ne puis pas laisser inculte un champ qui m’a coûté tant de travail, ni improductif le capital que j’ai consacré à l’acquérir ; il faut qu’il me rende tout au moins l’intérêt de mon argent. J’ai dû encore acheter des bœufs pour le labourer, et ce n’est que d’hier ; il faut que je voie la somme de travail qu’ils peuvent fournir, et je ne puis laisser à d’autres le soin de les éprouver. Je ne puis différer cela. J’en suis fâché, mais : « Je te prie, tiens-moi pour excusé ». La conscience crie peut-être : « Mais malheureux, tu es perdu ! Comment se passe ta vie ? Veux-tu la finir ainsi sans Christ, sans la connaissance de Dieu ? Que deviendras-tu ? ». Sans doute, mais je n’ai pas désespéré de me convertir, de profiter de la grâce de Dieu, de venir à Christ. Seulement, pas maintenant, reviens plus tard ! Eh ! mon cher ami, savez-vous s’il y aura pour vous un plus tard dans ce monde, si de ce moment même ne dépend pas votre avenir éternel ? Et puis, ce qui vous occupe à tel point rend-il votre cœur heureux, vraiment heureux ? Hélas ! quand il y a lutte entre le cœur et la conscience, c’est malheureusement toujours le cœur qui l’emporte ; la conscience importune, il faut lui imposer silence. Le cœur retourne à ses goûts, à ses affaires, toujours plus absorbé, sans répit ni trêve, se payant de bonnes raisons pour endormir la conscience, et le grand souper est négligé.

Voici maintenant la troisième étape : Vous avez non seulement le champ, les bœufs, mais encore le ménage. C’est très bien, et personne n’a rien à y redire ; Dieu Lui-même a dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ». Mais voici le message : « Venez, car déjà tout est prêt ! ». Il nous est encore adressé ; maintenant, au moins je l’espère, vous ne le refuserez pas, ni ne différerez d’y répondre. Votre jeunesse est passée, vous avez mis de l’ordre dans vos affaires, et, en homme intelligent et réfléchi, vous avez pensé qu’il serait bien de ne pas jouir seul et en égoïste du résultat de votre travail. Eh bien, mon cher ami, le grand souper est prêt, la table est servie. Christ vous attend ; vous serez le bienvenu, le bien reçu. Oh ! pensez au souper, au grand souper, pensez à l’excellence de Christ, au Bien-aimé de Dieu ! Venez ! — Je n’ai aucune envie du Christ dont vous me parlez ; que me donnerait-Il ? Il ne me manque rien ; mes rapports avec ma femme sont parfaits, le Christ dont vous me parlez ne ferait que les gâter et troubler mon repos. Vous avez beau dire, Il n’a point d’attrait pour moi, non : « J’ai épousé une femme, et à cause de cela, je ne puis aller ». Quel refus ! Sera-t-il définitif ?…

La vie s’écoule, le temps s’enfuit, l’éternité s’avance, mais le cœur devient de plus en plus insensible à la beauté de Christ, la grâce a toujours moins d’attraits pour l’âme. Pauvre malheureux ! votre conscience a été si souvent réduite au silence, que maintenant elle ne fait plus entendre qu’une voix affaiblie, si toutefois elle parle encore timidement. Peut-être aussi les difficultés de la vie ont-elles aigri votre cœur ; il n’est pas loin d’accuser Dieu Lui-même de ne pas être un Dieu d’amour, un Dieu de bonté, de L’accuser même d’injustice, Lui qui a donné Son Fils ! Écoutez donc l’avertissement de l’Écriture si vous n’en êtes pas encore là ; et si même vous en étiez là, que Dieu vous donne d’en profiter : « Souviens-toi de ton Créateur dans les jours de ta jeunesse, avant que soient venus les jours mauvais, et avant qu’arrivent les années dont tu diras : Je n’y prends point de plaisir ! » (Eccl. 12, 1). Oui, lecteur, écoute et médite !… Arrête-toi sur la pente fatale où tu glisses si rapidement. Tu t’es peut-être promis des jours calmes et tranquilles, des jours heureux, une vieillesse paisible. Mais penses-y, les jours mauvais viennent, et l’Ecclésiaste dit qu’ils sont « en grand nombre ». Tes belles années s’en vont ; elles arrivent rapides, celles où tu diras, avec tant d’autres, hélas ! « Je n’y prends point de plaisir ». Et puis, elle peut être prononcée d’un instant à l’autre, cette parole à laquelle nul ne peut résister : « Insensé ! cette nuit même ton âme te sera redemandée » (Luc 12, 20). Que vaudra alors, que te donnera ce qui pour toi a tant de prix maintenant ? Écoute encore : « C’est maintenant le temps agréable ; voici, c’est maintenant le jour du salut » (2 Cor. 6, 2). Et que Dieu te donne de ne pas différer !

Mais ce n’est pas à ceux-là seuls qui n’ont pas Jésus comme Sauveur que s’adresse l’invitation : « Venez, car déjà tout est prêt ! ». Qu’en pensez-vous, chrétiens qui avez fait de la connaissance du pardon et du salut en Jésus, un oreiller de sécurité, et dont le cœur est absorbé par le champ, les bœufs ou la famille ? Quelle place Christ a-t-Il dans vos affections ? Votre cœur jouit-il de Lui ? Je suis sauvé, dites-vous. Ce n’est pas la question que je vous adresse, mais bien plutôt celle-ci : Quelle valeur Christ a-t-Il pour vous ? Il était tout pour Paul : « Je regarde toutes choses comme des ordures, afin que je gagne Christ » (Phil. 3, 8). Un jour viendra où vous voudrez jouir de Lui, mais toutes ces choses, bonnes en elles-mêmes, rempliront tellement votre cœur, qu’elles n’auront point laissé de place à Christ, et alors vous ne pourrez pas jouir de Lui. Combien n’avons-nous pas besoin, vous et moi, de veiller à cela ! Bien des choses, petites ou grandes, peuvent insensiblement envahir notre cœur ; elles commencent par nous ôter la fraîcheur de Christ et finissent par nous priver de Lui. Or un moment viendra où nous apparaîtra le vide de ces choses, et notre cœur n’aura rien pour les remplacer.

Mais si les conviés ne veulent pas venir, la grâce, parce qu’elle est la grâce, ne peut rester inactive. Elle s’adressera à ceux qui n’ont ni champ, ni bœufs, et qui, s’ils ont un ménage, n’y ont guère de confort : « les pauvres, les estropiés, les boiteux, les aveugles », seront heureux qu’il y ait un souper pour eux. Peut-être ont-ils jeûné tout le jour ? Mais qui donc pensera à eux dans leur misérable réduit ? Qui se donnera la peine d’aller les chercher dans leur demeure ? Car ils ne peuvent venir, tout leur manque ; ils ne peuvent trouver le chemin de la maison du festin : ils sont aveugles ; ils n’ont pas la force de s’y rendre : ils sont estropiés, boiteux ; ni le moyen de payer les frais du voyage : ils sont pauvres. Celui qui a préparé le grand souper, et celui-là seul, est assez bon pour donner ce message au serviteur : « Amène ici les pauvres, les estropiés, les boiteux, les aveugles ». C’est quand la grâce opère qu’on sent sa misère, sa ruine, son incapacité d’y porter remède ; et que faire ? Courage ! la grâce a pris une forme particulière. Cette misère est constatée, Dieu la connaît et y a pourvu dans Son amour. Non seulement le Fils est venu dans ce monde où Il a été méconnu, rejeté, crucifié, mais Dieu L’a donné : « Il a été livré par le conseil défini et la préconnaissance de Dieu », « livré pour nos fautes, ressuscité pour notre justification ». « Lorsque nous étions encore sans force, au temps convenable, Christ est mort pour des impies » (Act. 2, 23 ; Rom. 4, 25 ; 5, 6). C’est bien là ce qu’il fallait pour des êtres sans force, des impies : la mort de Christ. Quels que soient cette misère, cet éloignement de Dieu, l’amour de Dieu a pu y atteindre, les dépasser même. « Dieu constate son amour à Lui envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore pécheurs, Christ est mort pour nous… Car aussi Christ a souffert une fois pour les péchés, le juste pour les injustes, afin qu’il nous amenât à Dieu » (Rom. 5, 8 ; 1 Pier. 3, 18).

Non seulement Dieu en grâce a franchi la distance que mes péchés avaient mise entre Lui et moi, pour s’occuper de ma misère, ôter mes péchés, mais je suis amené à Dieu par cette œuvre glorieuse de la rédemption, pour jouir de Sa présence, de Dieu Lui-même ; et je me trouve devant Sa face en justice, selon toute l’excellence de la sainte victime dont le sang a coulé à la croix.

Et cette grâce, franchissant même l’enceinte du peuple bien-aimé, s’étend hors des rues et des ruelles de la ville, où se trouvent « dans les chemins et le long des haies », des misérables sans aveu, pour lesquels il y a aussi place au grand souper. « Va, dit le Maître, dans les chemins et le long des haies, et contrains les gens d’entrer, afin que ma maison soit remplie ». Tel est le pressant message confié au serviteur qui vient de dire : « Il y a encore de la place ! ». C’est ce que l’évangile proclame maintenant à tous, en tous lieux : « Il y a encore de la place !… Contrains les gens d’entrer, afin que ma maison soit remplie ! ». C’est à nous, pauvres Gentils, dont l’état correspond parfaitement à ceux qui sont « dans les chemins et le long des haies », qu’il a été envoyé, et qu’il continue à s’adresser. Non seulement il dit : « Venez, car déjà tout est prêt ! » ou encore, « amène ici… », quoique tout cela demeure vrai et ne soit pas retiré, mais de plus : « Contrains les gens d’entrer, afin que ma maison soit remplie ».

Cet amour ne peut se résoudre à laisser dehors ceux qui vont périr ; il veut que la maison soit remplie. Quelle sainte et puissante contrainte que celle-là ! « Nous sommes donc ambassadeurs pour Christ, Dieu, pour ainsi dire, exhortant par notre moyen ; nous supplions pour Christ : Soyez réconciliés avec Dieu ! Celui qui n’a pas connu le péché, il l’a fait péché pour nous, afin que nous devinssions justice de Dieu en Lui » (2 Cor. 5, 20, 21).

Y a-t-il quelque chose de plus propre à toucher le cœur, que ce déploiement de l’amour de Dieu en Christ, et que le résultat heureux de cette œuvre bénie ? « Mais maintenant, dans le Christ Jésus, vous qui étiez autrefois loin, vous avez été approchés par le sang de Christ. Car c’est lui qui est notre paix… Et il est venu et a annoncé la bonne nouvelle de la paix à vous qui étiez loin ; et la bonne nouvelle de la paix à ceux qui étaient près ; car par lui, nous avons, les uns et les autres, accès auprès du Père par un seul Esprit » (Éph. 2, 13-19). « Car nous étions, nous aussi, autrefois, insensés, désobéissants, égarés, asservis à diverses convoitises et voluptés, vivant dans la malice et dans l’envie, haïssables, nous haïssant l’un l’autre. Mais quand la bonté de Dieu et son amour envers les hommes sont apparus il nous sauva » (Tite 3, 3-4). Bien plus encore, Il veut que nous connaissions « l’amour de Christ qui surpasse toute connaissance » (Éph. 3, 19). Quelle grâce merveilleuse !

Hélas ! malgré tout, l’homme résiste à cette contrainte. Malgré les richesses de cette grâce son cœur y demeure insensible, ou n’y entre que peu. Que le vôtre réponde ! Jouit-il des délices ineffables que Dieu le Père trouve en la personne de Son Fils ? Eh bien ! dit Dieu, il faut que je vous contraigne encore d’une autre manière. À cet effet, Il se sert des circonstances pénibles que nous traversons. Il nous montre, en nous faisant rencontrer l’épreuve ou la douleur, qu’il faut à notre cœur quelque chose de meilleur que ces choses si fragiles sur lesquelles nos affections se portent, qu’il leur faut Christ. Des exemples, même propres à frapper les sens, disent au pauvre pécheur à qui l’évangile est parvenu, combien il est fragile lui-même. Le Saint Esprit s’en sert quelquefois pour appliquer à son âme la puissance de la Parole qu’il a lue ou entendue. Il lui rappelle que « toute chair est comme l’herbe, et toute sa gloire comme la fleur de l’herbe ». Quelquefois même, par la maladie, il arrive aux portes de la mort : « Châtié sur son lit par la douleur, la lutte de ses os est continuelle, et sa vie prend en dégoût le pain, et son âme l’aliment qu’il aimait ; sa chair est consumée et ne se voit plus, et ses os, qu’on ne voyait pas, sont mis à nu ; et son âme s’approche de la fosse, et sa vie de ceux qui font mourir ». Bienheureux alors celui qui apprend « qu’il y a un messager, un interprète, un entre mille, pour montrer à l’homme ce qui, pour lui, est la droiture. Il lui fera grâce et il dira : Délivre-le pour qu’il ne descende pas dans la fosse : j’ai trouvé une propitiation » (Job 33, 19-24). « Dieu est un, et le médiateur entre Dieu et les hommes est un, l’homme Christ Jésus qui s’est donné lui-même en rançon pour tous » (1 Tim. 2, 5-6). Oui, qu’est-ce que Dieu ne fait pas, pour faire sentir au pauvre pécheur coupable le besoin d’un Sauveur, sans lequel il n’y a point de pardon, point de salut, point de paix, point de joie !

Et quand « nous avons connu et cru l’amour que Dieu a pour nous », Il ne cesse encore d’agir, afin que nos cœurs jouissent toujours davantage de cet amour, tellement que nous puissions dire : « Mon bien-aimé est blanc et vermeil, un porte-bannière entre dix mille… Son palais est plein de douceur, et toute sa personne est désirable » (Can. 5, 10-16). « Mon âme s’attache à toi pour te suivre, ta droite me soutient ». « Je suis à mon bien-aimé, et son désir se porte vers moi » (Ps. 63, 8 ; Can. 7, 10). Quel repos alors ! Bienheureux sommes-nous, si notre cœur jouit ainsi de Christ.

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Comme de grandes foules allaient avec Jésus (v. 25-35), il faut encore qu’Il leur montre combien les meilleures affections naturelles, quoique établies et reconnues de Dieu, peuvent donner prise à l’ennemi pour tirer nos cœurs vers le monde. Famille, amis, tout ce que vous avez, même votre propre vie, tout doit céder la place à Jésus. Vous avez pris la place au grand souper, tant mieux. Mais l’ennemi ne veut pas vous laisser tranquille. Il faut que vous soyez éprouvé ; et quand il s’agit, non seulement d’être sauvé, mais de jouir de Christ et de Le suivre, asseyez-vous, faites bien votre compte pour voir si vous pouvez marcher dans ce chemin. Ce n’est qu’en Le suivant que vous jouirez de Lui. Vous tremblez en pensant à vous-mêmes ; tant mieux, il y a de quoi. Vous dites : Mais je n’ai pas de force, pas de ressource en moi-même. Eh bien, non ! Mais en Lui, n’y en a-t-il pas ? Peut-être, si vous voulez Lui être fidèle, vous entendrez-vous dire, comme Delila à Samson : « Comment dis-tu : Je t’aime, et ton cœur n’est pas avec moi ?… Et il arriva, comme elle le tourmentait tous les jours par ses paroles et le pressait, que son âme en fut ennuyée jusqu’à la mort ; et il lui déclara tout ce qui était dans son cœur » (Jug. 16, 15-17). Pourrez-vous résister aux reproches sensibles dont vous serez tourmenté ? Ou ferez-vous comme Samson ? Vous aurez besoin d’une tour, pour vous mettre en sûreté quand l’ennemi viendra vous attaquer ainsi. Soyez sur vos gardes ; il veut vous ôter la jouissance de Jésus. Prenez pour exemple le roi de Juda, Jotham, qui « fit ce qui est droit devant l’Éternel… Ce fut lui qui bâtit la porte supérieure de la maison de l’Éternel… ». C’est le vrai zèle : la première chose est « la maison de l’Éternel ». Mais ce n’est pas tout : il faut aussi se fortifier contre l’ennemi, pour soutenir son attaque quand le moment sera venu, afin de faire la guerre avec succès : « … Et il fit beaucoup de constructions sur la muraille d’Ophel. Et il bâtit des villes dans la montagne de Juda ; et il bâtit dans les forêts des châteaux et des tours ». Dans la paix, il pensait à la guerre. Lisez ensuite : « Et il fit la guerre contre le roi des fils d’Ammon, et l’emporta sur eux ; et les fils d’Ammon lui donnèrent cette année-là cent talents d’argent, et dix mille cors de froment, et dix mille d’orge ; les fils d’Ammon lui payèrent cela aussi la seconde année et la troisième. Et Jotham devint fort, car il régla ses voies devant l’Éternel, son Dieu » (2 Chron. 27, 1-6). Histoire courte, mais bénie. Puissent la vôtre et la mienne lui ressembler !

Pour ne pas fuir dans la bataille, ou accepter, même avant le combat, « les conditions de paix » que l’ennemi ne demande qu’à vous imposer pour vous ruiner entièrement, il vous faut encore vous asseoir et délibérer si, « avec dix mille hommes », vous pourrez résister à celui qui s’avance « avec vingt mille » ! Vous êtes faible, n’est-ce pas ? Un autre roi de Juda, Asa, quand l’Éthiopien Zérakh vint contre lui avec une « armée d’un million d’hommes et de trois cents chars », invoqua « l’Éternel, son Dieu, et dit : Éternel ! il n’y a point de différence pour toi, pour aider, entre beaucoup de force et point de force. Aide-nous, Éternel, notre Dieu ! car nous nous appuyons sur toi ; et c’est en ton nom que nous sommes venus contre cette multitude. Tu es l’Éternel, notre Dieu ; que l’homme n’ait point de force contre toi ! ». La victoire ne fut point indécise, et elle vint de la main de l’Éternel : « Et l’Éternel frappa les Éthiopiens devant Asa et devant Juda, et les Éthiopiens s’enfuirent… » (2 Chron. 14, 9-15). Oui, comme il est écrit : « Le nom de l’Éternel est une forte tour ; le juste y court et s’y trouve en une haute retraite » (Prov. 18, 10). Il nous faut, comme Josué, faire connaissance avec « le chef de l’armée de l’Éternel », et nous fortifier « dans le Seigneur et dans la puissance de sa force ». « Revêtez-vous, est-il dit, de l’armure complète de Dieu, afin que vous puissiez résister contre les artifices du diable, car notre lutte n’est pas contre le sang et la chair… ». « C’est pourquoi, prenez l’armure complète de Dieu, afin que, au mauvais jour, vous puissiez résister et, après avoir tout surmonté, tenir ferme… Priant par toutes sortes de prières et de supplications, en tout temps, par l’Esprit ; et veillant à cela avec toute persévérance » (Jos. 5, 13-15 ; Éph. 6, 10-18). Malheur à celui qui, effrayé par l’ennemi, s’informe « des conditions de paix » ! Son christianisme sera ruiné et pour toujours, à moins d’une intervention particulière de la grâce de Dieu ; mais, même alors, recouvrera-t-il toute sa vigueur ? Non, il devient un sujet de dérision : « Cet homme a commencé à bâtir et il n’a pu achever ! ».

Qu’il nous soit donné, chrétiens, de ne pas manquer de sel, de cette sainte séparation pour Dieu qui donne à notre vie, dans tous ses détails, la saveur de la piété ; qui garde le cœur dans de saintes affections et préserve de la corruption qui est dans le monde par la convoitise. S’il n’y a pas de sel, que reste-t-il ? « Si le sel devient insipide, avec quoi l’assaisonnera-t-on ? Il n’est propre ni pour la terre, ni pour le fumier ; on le jette dehors ». Triste, mais fidèle image d’une vie où manque la saveur de Christ ! Un tel homme est pour le monde même un objet de mépris. Rappelons-nous l’exhortation qui termine ce chapitre : « Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! ».

Que notre Dieu, dans Sa grâce, nous attache à Christ, bien-aimés, de telle sorte que chacun de nous puisse dire : « Pour moi, vivre, c’est Christ » (Phil. 1, 21).