Le joug mal assorti

C.H. Mackintosh

Il n’y a personne qui désire sincèrement parvenir, lui-même, ou qui cherche à faire arriver les autres à une marche chrétienne plus pure et plus élevée, qui n’éprouve un sentiment inexprimable d’accablement et de tristesse en contemplant le christianisme de nos jours. Le ton en est si excessivement bas, l’aspect si malsain et l’esprit si faible, qu’on est quelquefois tenté de désespérer de rencontrer quelque chose qui ressemble à un témoignage vrai et fidèle, à un Seigneur absent. — Tout cela est d’autant plus déplorable quand nous nous rappelons les motifs impérieux qui, par privilège spécial, devraient nous animer. Soit que nous regardions au Maître que nous sommes appelés à suivre — au sentier sur lequel nous sommes appelés à marcher — au but vers lequel nous sommes appelés à fixer constamment nos regards — ou aux espérances qui devraient nous encourager, il nous est impossible de ne pas reconnaître, que si nous entrions de cœur dans toutes ces choses, que si nous les réalisions par une foi plus simple, nous ferions voir assurément une marche chrétienne plus fervente. « L’amour de Christ, dit l’apôtre, nous étreint ». Voilà le motif le plus puissant de tous. Plus le cœur est rempli de l’amour de Christ, et l’œil de l’âme fixé sur Sa personne bénie, plus nous chercherons à suivre de près Ses traces célestes. Ses traces ne peuvent être découvertes que par un « œil simple » ; et à moins que la volonté ne soit brisée, la chair mortifiée et le corps soumis, nous manquerons tout à fait dans notre marche de disciple et nous ferons naufrage quant à la foi et à une bonne conscience.

Que mon lecteur ne s’y méprenne pas. Il ne s’agit nullement ici de la question du salut personnel. Il s’agit de tout autre chose. Rien ne peut être plus bassement égoïste, après avoir obtenu le salut comme le fruit de l’agonie de Christ, de Sa sueur de sang, de Sa croix et de Sa passion, que de nous tenir à une distance aussi grande que possible de Sa sainte personne, sans perdre notre sécurité personnelle. C’est là, même au jugement naturel, l’indice d’un caractère qui ne mérite que le mépris ; mais lorsque cet exemple est donné par un homme qui professe devoir tout son bonheur présent et éternel à un Maître rejeté, crucifié, ressuscité et absent, aucun langage ne saurait exprimer cette bassesse morale. « Pourvu que j’échappe au feu de l’enfer, peu importe ma marche comme disciple ». N’avez-vous pas en horreur, cher lecteur, un tel sentiment, ne le détestez-vous pas jusqu’au fond de votre âme ? S’il en est ainsi, tâchez sérieusement de le fuir et de vous placer au point opposé de la boussole, et que votre langage fidèle soit : « Pourvu que mon Maître soit glorifié, peu importe comparativement ma sécurité personnelle ». Plût à Dieu que ce fût là l’expression vraie de beaucoup de cœurs de nos jours, où, hélas ! on peut dire en vérité que « tous cherchent leurs propres intérêts, non pas ceux de Jésus Christ » (Phil. 2, 21). Plût à Dieu que le Saint Esprit suscitât, par Sa puissance irrésistible et par Son énergie céleste, un troupeau de disciples séparés du monde et dévoués à l’Agneau dont chacun se trouvât lié, par les cordes de l’amour, aux cornes de l’autel — une compagnie, pareille aux trois cents de Gédéon dans l’ancien temps, sachant se confier en Dieu et renoncer à la chair. Comme le cœur désire ardemment voir cela ! Comme l’esprit, accablé, par moments, à l’aspect glaçant et desséchant d’une profession froide et sans influence, aspire sérieusement à un témoignage plus vigoureux, d’un cœur non partagé pour Celui qui s’anéantit Lui-même et laissa Sa gloire afin que, par Son sang précieux, versé pour nous, nous pussions être élevés jusqu’à être Ses compagnons dans une félicité éternelle.

Parmi les nombreux obstacles qui s’opposent à cette entière consécration du cœur à Christ que je désire ardemment pour moi-même et pour mon lecteur, « le joug mal assorti » se trouvera occuper une des premières places. « Ne vous mettez pas sous un joug mal assorti avec les incrédules ; car quelle participation y a-t-il entre la justice et l’iniquité ? ou quelle communion entre la lumière et les ténèbres ? et quel accord de Christ avec Béliar ? ou quelle part a le croyant avec l’incrédule ? et quelle convenance y a-t-il entre le temple de Dieu et les idoles ? Car vous êtes le temple du Dieu vivant, selon ce que Dieu a dit : « J’habiterai au milieu d’eux, et j’y marcherai, et je serai leur Dieu, et eux seront mon peuple » (Lév. 26, 11, 12). « C’est pourquoi sortez du milieu d’eux et soyez séparés, dit le Seigneur, et ne touchez pas à ce qui est impur, et moi je vous recevrai » (És. 52, 11) ; et je vous serai pour père, et vous, vous me serez pour fils et pour filles, dit le Seigneur, le Tout-puissant » (2 Cor. 6, 14-18). L’économie mosaïque nous enseigne le même principe moral : « Tu ne sèmeras pas ta vigne de deux espèces de semence, de peur que la totalité de la semence que tu as semée et le rapport de ta vigne ne soient sanctifiés. — Tu ne laboureras pas avec un bœuf et un âne attelés ensemble. — Tu ne te vêtiras pas d’une étoffe mélangée, de laine et de lin tissés ensemble » (Deut. 22, 9-11 ; Lév. 19, 19). Ces passages de l’Écriture suffiront pour montrer le mal moral d’un « joug mal assorti ». On peut affirmer avec une assurance entière, que personne ne peut être un disciple de Christ, libre de tout lien, s’il se trouve, d’une manière ou d’une autre, « sous un joug mal assorti ». Il se peut qu’il soit sauvé, qu’il soit un enfant de Dieu — un croyant sincère ; mais il ne peut être un disciple entièrement intègre ; et non seulement cela, mais il y a un empêchement positif à une pleine manifestation de ce qu’il peut être en effet, malgré le joug inégal qu’il porte. « Sortez… et moi je vous recevrai… et vous me serez pour fils et pour filles, dit le Seigneur, le Tout-puissant ». C’est-à-dire : « Sortez votre nuque de dessous le joug mal assorti, et je vous recevrai, et alors il y aura une manifestation pleine, ouverte et pratique de votre relation avec le Seigneur Tout-puissant ». Cette idée est évidemment différente de celle qui est exprimée dans l’épître de Jacques : « De sa propre volonté, il nous a engendrés par la parole de la vérité ». Et aussi dans celle de Pierre : « Vous qui êtes régénérés, non par une semence corruptible, mais par une semence incorruptible, par la vivante et permanente parole de Dieu ». Et encore dans la première épître de Jean : « Voyez de quel amour le Père nous a fait don, que nous soyons appelés enfants de Dieu ». De même dans l’évangile selon Jean : « Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il leur a donné le droit d’être enfants de Dieu, savoir à ceux qui croient en son nom, lesquels sont nés non pas de sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu ». Dans tous ces passages, la relation d’enfants est fondée sur le conseil et l’opération de Dieu, et nous est présentée comme la conséquence de quelque chose qui ne vient pas de nous ; tandis que dans 2 Corinthiens 6, elle nous est présentée comme le résultat de notre affranchissement du joug mal assorti. En d’autres termes, c’est ici une question entièrement pratique. Ainsi dans Matthieu 5, nous lisons : « Mais moi je vous dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous font du tort et vous persécutent ; en sorte que vous soyez les fils de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et envoie sa pluie sur les justes et sur les injustes ». Ici encore, c’est l’établissement pratique et la manifestation publique de la relation, et l’influence morale qui en découle. Il convient aux fils d’un tel Père d’agir d’une telle manière. En résumé, nous avons la position abstraite ou la relation de fils, fondée sur la volonté souveraine de Dieu et sur Sa propre opération ; puis nous avons le caractère moral qui en est la conséquence, émanant de cette relation, qui fait que Dieu peut à juste titre publiquement reconnaître cette relation. Dieu ne peut reconnaître pleinement et publiquement ceux qui portent un joug mal assorti avec les incrédules, car, s’Il le faisait, ce serait reconnaître le joug. Or Il ne peut reconnaître « les ténèbres », « l’iniquité » — « Béliar » — « les idoles » — et un « incrédule ». Comment le pourrait-Il ? Ainsi donc, si je me mets volontairement sous le même joug avec un de ceux-là, je m’identifie moralement et publiquement avec eux, et nullement avec Dieu. Je me suis placé dans une position que Dieu ne peut reconnaître, et par conséquent, Il ne peut me reconnaître, moi non plus ; mais si je me retire de cette position — si j’en sors et que je me sépare — si je secoue de dessus mon cou le joug mal assorti, alors, et seulement alors, je puis être publiquement et pleinement reçu et reconnu pour « un fils ou une fille du Seigneur tout-puissant ». Ce principe est solennel et pénétrant pour tous ceux qui sentent que malheureusement, ils se sont laissé prendre dans un tel joug. Ils ne marchent pas comme des disciples, et ne se trouvent ni publiquement ni moralement sur le terrain des fils. Dieu ne peut les reconnaître. Leur relation secrète n’est pas ce dont il s’agit ; mais ils se sont placés eux-mêmes complètement en dehors du terrain de Dieu. Ils ont follement passé leur cou dans un joug, qui, n’étant pas le joug de Christ, doit être celui de Béliar ; et ce n’est que lorsqu’ils auront jeté ce joug, que Dieu pourra les reconnaître comme Ses fils et Ses filles. La grâce de Dieu est infinie, sans doute ; et elle peut venir au-devant de nous dans tous nos manquements, dans toutes nos faiblesses ; mais si nos âmes soupirent après une marche plus élevée comme disciples, il nous faut secouer aussitôt le joug mal assorti, coûte que coûte, si du moins il est en notre pouvoir de le faire ; dans le cas contraire, nous n’avons qu’à baisser la tête avec confusion de face et à nous attendre à Dieu pour une pleine délivrance.

Il y a quatre rapports distincts, sous lesquels nous pouvons considérer le joug mal assorti : le mariage, le commerce, la religion, la philanthropie. Quelques chrétiens seraient peut-être disposés à borner le sens de 2 Corinthiens 6, 14 au premier de ces rapports ; mais l’apôtre ne le fait pas. Voici ses paroles : « Ne vous mettez pas sous un joug mal assorti avec les incrédules ». Il ne spécifie pas le caractère ou l’objet de ce joug, ce qui nous autorise à donner à ce passage l’application la plus étendue, et à en porter le tranchant sur toute espèce de joug mal assorti ; et nous verrons l’importance de ce procédé, avant que nous terminions ces observations, si le Seigneur le permet.

I. Considérons d’abord le joug domestique ou conjugal. Quelle est la plume qui pourrait dépeindre les angoisses d’âme, la misère morale, de même que les conséquences pernicieuses pour la vie spirituelle et le témoignage, découlant du mariage d’un chrétien avec une personne non convertie ? Il me semble que rien ne doit être plus déplorable que la condition de quelqu’un qui découvre, quand il est trop tard, qu’il s’est uni pour la vie à une personne avec laquelle il ne peut avoir ni une pensée, ni un sentiment en commun. L’un désire servir Christ, l’autre ne peut servir que le diable ; l’un soupire après les choses de Dieu, l’autre n’aspire qu’aux choses de ce monde ; l’un cherche sérieusement à mortifier la chair avec toutes ses affections et ses désirs, l’autre ne cherche qu’à les satisfaire. Ils sont pareils à une brebis et à un bouc, enchaînés l’un à l’autre ; la brebis languit après les verts pâturages, tandis que le bouc ne désire que brouter les ronces qui croissent le long des fossés. La triste conséquence en est que tous les deux souffrent de la faim. L’un ne veut pas paître dans la prairie, l’autre ne peut pas se nourrir des ronces, et ainsi ni l’un ni l’autre n’obtient ce qu’il faut à sa nature, à moins que le bouc, grâce à sa plus grande force, ne réussisse à forcer son compagnon qui porte le joug avec lui, de rester parmi les ronces, pour y languir et mourir. La moralité de ceci est assez simple ; et de plus elle est, hélas ! d’une application qui n’est que trop commune. Le bouc réussit ordinairement à arriver à son but. Le compagnon (ou la compagne) mondain l’emporte presque toujours. On trouvera le plus fréquemment que, dans les cas du joug conjugal chrétiennement mal assorti, le pauvre chrétien est celui qui souffre, comme le montrent évidemment les fruits amers d’une mauvaise conscience, l’abattement du cœur, l’esprit sombre et découragé. C’est là assurément payer bien cher la satisfaction de quelque affection naturelle, ou l’acquisition de quelque misérable avantage temporel. C’est un fait qu’un tel mariage est un principe de mort pour le christianisme pratique et pour l’avancement de la vie spirituelle. Il est moralement impossible d’être un disciple de Christ indépendant du monde, tout en ayant son cou sous le joug du mariage avec un incrédule. Pas plus qu’un coureur aux jeux olympiques n’eût pu s’attendre à remporter la couronne de la victoire, en attachant à son corps un poids lourd ou bien un cadavre. C’est certes bien assez d’avoir un corps de mort à porter, sans se charger d’un second. Il n’y eut jamais un vrai chrétien qui n’ait pu faire l’expérience qu’il avait abondamment à faire en cherchant à combattre les misères de son pauvre cœur, sans aller se charger des misères de deux ; sans aucun doute l’homme qui, follement, dans un esprit de désobéissance, épouse une femme non convertie ; ou la femme qui de même épouse un homme non converti, prend volontairement sur soi le fardeau des misères réunies de deux cœurs : et qui est suffisant pour ces choses ? Un saint peut compter pleinement sur la grâce de Christ pour parvenir à subjuguer sa propre mauvaise nature ; mais il ne peut certainement pas compter, de la même manière, sur cette grâce, par rapport à la mauvaise nature du compagnon de son joug mal assorti. Si c’est par ignorance qu’il s’est mis sous ce joug, le Seigneur viendra à son aide, sur le terrain d’une pleine et entière confession, et amènera son âme à une restauration complète ; mais quant à son état de disciple, il ne le recouvrera jamais. Paul pouvait dire : « Je mortifie mon corps et je l’asservis, de peur qu’après avoir prêché à d’autres, je ne sois moi-même réprouvé »[1]. Et il dit ceci en connexion immédiate avec la lutte pour remporter le prix : « Ne savez-vous pas que ceux qui courent dans la lice courent tous, mais un seul reçoit le prix ? Courez de telle manière que vous le remportiez. Or quiconque combat dans l’arène vit de régime en toutes choses ; eux donc, afin de recevoir une couronne corruptible ; mais nous, afin d’en recevoir une incorruptible. Moi donc je cours ainsi, non comme ne sachant vers quel but ; je combats ainsi, non comme battant l’air », etc. (1 Cor. 9, 24-27). Ce n’est pas ici une question de vie ou de salut, mais simplement une question de course dans la lice ; il s’agit de courir de telle sorte que nous remportions le prix, non pas la vie, mais une couronne incorruptible. Le fait d’être appelé à courir suppose que nous avons la vie, car personne n’engagerait des hommes morts à courir dans la lice. J’ai évidemment la vie avant de commencer à courir, et par conséquent, je ne pourrai la perdre, bien que je puisse manquer à remporter la couronne promise ; car ce n’est pas la vie qui est proposée comme le prix à obtenir. Nous ne sommes pas appelés à courir pour avoir la vie, car elle ne vient pas de celui qui court, mais de Dieu par la foi en Jésus Christ, qui par Sa mort nous a acquis la vie, et la plante en nous par l’énergie puissante du Saint Esprit. Or cette vie, étant la vie d’un Christ ressuscité, est éternelle ; car Il est le Fils éternel, comme Il le dit Lui-même en s’adressant au Père, en Jean 17 : « Tu lui as donné autorité sur toute chair, afin que, quant à tout ce que tu lui as donné, il leur donne la vie éternelle ». Cette vie est donnée sans aucune condition. Il ne nous donne pas la vie, comme à des pécheurs, pour nous appeler ensuite à courir afin de l’obtenir, comme des saints, avec la sombre possibilité de perdre cette précieuse grâce en manquant dans notre course. Ce serait là courir « comme ne sachant pas vers quel but », ainsi que plusieurs, hélas ! essayent de le faire, qui professent être entrés dans la carrière, sans savoir cependant s’ils ont la vie ou non. De telles personnes courent pour obtenir la vie et non une couronne ; mais Dieu n’expose pas la vie au bout de la lice, comme prix du vainqueur ; Il la donne au point de départ, comme la force par laquelle nous courons. La capacité de courir et l’objet après lequel nous courons sont deux choses bien différentes ; cependant elles sont sans cesse confondues par ceux qui ignorent le glorieux évangile de la grâce de Dieu, dans lequel Christ est manifesté comme la vie et la justice de tous ceux qui croient en Son nom ; et cela d’ailleurs comme le don gratuit de Dieu et non comme la récompense pour avoir bien couru.

Or, en considérant les conséquences si excessivement fâcheuses d’un joug conjugal mal assorti, c’est principalement dans sa portée sur notre marche comme disciples que nous les considérons. Je dis principalement, parce que tout notre être moral et toutes nos expériences en sont profondément affectés. Je doute beaucoup que quelqu’un puisse donner un coup plus sensible à sa prospérité dans la vie divine qu’en contractant un joug mal assorti. En effet, le fait même d’agir ainsi prouve que le déclin de la vie spirituelle a déjà commencé, avec les symptômes les plus alarmants ; mais quant à son état de disciple et à son témoignage, la lampe peut en être regardée comme presque éteinte, ou si elle donne par occasion une faible lueur, celle-ci ne sert qu’à mettre en évidence ce que sa misérable position a d’effrayant et de sombre, et les affreuses conséquences de l’acte de se mettre sous un joug mal assorti avec un incrédule.

Je me borne à ces observations quant à l’influence du joug mal assorti sur la vie, le caractère, le témoignage et l’état de disciple d’un enfant de Dieu. Je voudrais maintenant dire quelques mots sur son effet moral, manifesté dans le cercle domestique. Ici encore les conséquences en sont vraiment lamentables. Il ne saurait en être autrement. Deux personnes se sont réunies, pour vivre dans les relations les plus étroites et les plus intimes, avec des goûts, des habitudes, des sentiments, des désirs, des tendances et des buts diamétralement opposés. Elles n’ont rien en commun, en sorte que dans chaque mouvement qu’elles font, elles ne peuvent que se heurter l’une l’autre. L’incrédule ne peut, en réalité, aller avec le croyant, et si, grâce à une extrême amabilité, ou à une profonde hypocrisie, il y a une apparence d’harmonie, quelle en est la valeur aux yeux du Seigneur, qui juge de l’état des cœurs par rapport à Lui-même ? Puis encore, si le croyant devait malheureusement se trouver d’accord, en quelque degré, avec son compagnon de joug, cet accord ne peut se faire qu’aux dépens de sa marche comme disciple, et il en résulte une conscience qui le condamne devant le Seigneur ; et ceci encore donne lieu à l’accablement d’esprit et peut-être à de l’aigreur, qui se manifeste dans l’intérieur de la famille, de manière que la grâce de l’évangile ne se recommande nullement et que l’incrédule n’est ni attiré ni gagné. Le joug mal assorti paraît à tous égards une chose fort triste. Il déshonore Dieu, porte atteinte au bien-être spirituel, tend à détruire l’état de disciple et le témoignage, et est tout à fait contraire à la paix et à la bénédiction domestiques. Il produit de l’éloignement, de la froideur et des mésintelligences ; ou bien, si ce n’est pas le cas, il tendra, du côté de celui qui est chrétien, à lui faire perdre son caractère de disciple et sa bonne conscience, qu’il peut être tenté de sacrifier sur l’autel de la paix domestique. Ainsi, de quelque manière que nous le considérions, un joug mal assorti ne peut conduire qu’aux conséquences les plus déplorables.

Puis, quant à son effet sur les enfants, il est tout aussi triste. Ceux-ci sont naturellement enclins à suivre l’exemple de celui de leurs parents qui n’est pas converti. « Leurs fils parlaient à moitié l’asdodien, et ne savaient pas parler le juif ; mais selon la langue de l’un ou de l’autre peuple ». Il ne peut y avoir aucune union de cœurs dans l’éducation des enfants ; aucune harmonie, aucune confiance mutuelle dans leur traitement. L’un désire les élever dans la discipline et sous les avertissements du Seigneur ; l’autre désire les élever selon les principes du monde, de la chair et du diable ; et comme les sympathies des enfants, à mesure qu’ils grandissent, se rangent d’elles-mêmes de ce dernier côté, il n’est pas difficile de prévoir quelle sera l’issue. Enfin, il est tout à la fois vain, inconvenant et opposé à la Parole, d’essayer de labourer avec un « joug mal assorti », ou d’ensemencer le champ « de deux espèces de semence » ; tout cela ne peut produire que des souffrances et de la confusion.

Avant de quitter cette partie de notre sujet, je voudrais faire une remarque sur les raisons qui ordinairement poussent les chrétiens à entrer dans le joug du mariage moralement mal assorti. Nous savons tous, hélas ! combien il est facile pour le pauvre cœur de se persuader lui-même de la droiture d’une démarche qu’il désire faire, et comme le diable nous fournit des arguments plausibles pour nous convaincre qu’elle est bonne — des arguments que le triste état moral de notre âme nous fait envisager comme clairs, satisfaisants et concluants. Le fait même que nous nous donnons à de telles pensées, prouve que nous sommes incapables de peser, avec un esprit impartial et une conscience spirituellement juste, les conséquences sérieuses d’une telle démarche. Si l’œil était simple (c’est-à-dire, si nous n’étions gouvernés que par un seul et même objet, la gloire et l’honneur du Seigneur Jésus Christ), nous n’entretiendrions jamais l’idée de mettre notre nuque sous un joug mal assorti ; et, par conséquent, nous n’éprouverions ni difficulté, ni perplexité à ce sujet. Un coureur, dont l’œil est fixé sur la couronne, ne serait troublé par aucune perplexité sur la question de savoir s’il doit s’arrêter pour s’attacher au col un poids d’un quintal. Une telle pensée ne lui viendrait jamais à l’esprit ; et non seulement cela, mais un coureur bien exercé aurait une si claire intuition de tout ce qui pourrait entraver sa course, que, pour lui, apercevoir quelque chose de ce genre, serait en même temps le rejeter d’une manière décidée. Or, s’il en était ainsi avec les chrétiens quant au mariage qui n’est pas selon la Parole, un monde de souffrances et de perplexités leur serait épargné ; mais il n’en est pas ainsi. Le cœur hors de la communion est moralement incompétent pour discerner les choses qui diffèrent ; et lorsqu’on est dans cette condition, le diable a facilement le dessus, et réussit bientôt dans ses efforts pernicieux à induire le croyant à porter le joug avec « Béliar » — avec « l’injustice » — avec les « ténèbres » — avec un « infidèle ». Si l’âme jouit d’une pleine communion avec Dieu, elle est entièrement soumise à Sa Parole ; elle voit les choses comme Lui les voit, les appelle du même nom que Lui les appelle, et non pas comme le diable ou son propre cœur charnel voudrait les nommer. De cette manière, le croyant échappe au piège et à l’influence d’une déception, qui a souvent un grand pouvoir sur lui dans cette matière ; c’est-à-dire une fausse profession de religion de la part d’une personne qu’il ou qu’elle désire épouser. Voilà ce qui arrive très souvent. Il est facile d’affecter de l’inclination pour les choses de Dieu, et le cœur est assez vil et perfide pour faire une profession de religion, afin d’arriver à son but ; et non seulement cela, mais le diable, qui se « transforme en ange de lumière », provoquera cette fausse profession, afin d’enchaîner d’autant plus efficacement les pieds et le cœur d’un enfant de Dieu. Ainsi il arrive que des chrétiens, dans ces matières, se contentent ou semblent se contenter d’une preuve de conversion, que, dans toute autre circonstance, ils auraient été les premiers à regarder comme fort douteuse et insuffisante. Mais, hélas ! l’expérience ne tarde pas à ouvrir les yeux sur la réalité des choses. Bientôt on découvre que la profession n’était qu’une vaine apparence, et que le cœur est entièrement dans le monde et du monde. Terrible découverte ! Qui saurait en exprimer toutes les amères conséquences : — les angoisses du cœur — les reproches et les remords de la conscience — la honte et la confusion — la perte de la paix, de la bénédiction et de la joie spirituelles — le sacrifice d’une vie utile ? Qui pourrait décrire toutes ces choses ? L’homme, réveillé de son rêve illusoire, ouvre les yeux sur l’affreuse réalité : il se voit lié pour la vie sous le même joug avec « Béliar ». Oui, c’est ainsi que l’Esprit l’appelle. Ce n’est pas une conséquence ou une déduction à laquelle une suite de raisonnements nous ait fait arriver ; mais une simple et positive déclaration de la sainte Écriture, qu’il en est ainsi relativement à celui qui s’est mis sous un joug conjugal bibliquement mal assorti, quels que puissent être les motifs, les raisons ou les fausses apparences qui l’ont séduit.

Oh ! mon cher lecteur chrétien, si vous êtes en danger de vous mettre sous un tel joug, permettez-moi de vous conjurer sérieusement et affectueusement de vous asseoir d’abord et de peser cette affaire dans la balance du sanctuaire, avant de faire un seul pas en avant, dans un chemin aussi dangereux ! Soyez assuré que vous n’auriez pas plus tôt fait ce pas, que vous trouveriez votre cœur en butte à des regrets désespérés, et votre vie à des chagrins amers sans nombre. Que rien au monde ne puisse vous induire à porter le même joug avec un incrédule. S’agit-il d’affections engagées ? Souvenez-vous alors que ce ne peuvent être les affections du nouvel homme en vous ; ce sont, n’en doutez pas, de la vieille nature charnelle qu’elles procèdent, laquelle vous êtes appelés à mortifier et à dépouiller. Aussi vous devriez crier à Dieu pour Lui demander la force spirituelle de pouvoir surmonter l’influence de telles affections, et même les Lui sacrifier. S’agit-il de vos intérêts ? Souvenez-vous alors que ce ne sont que vos propres intérêts ; et s’ils sont favorisés, ceux de Christ sont sacrifiés par le joug mal assorti que vous porteriez avec « Béliar » ! D’ailleurs, il ne s’agit ici que de vos intérêts temporels et non des éternels. Or, en réalité, les intérêts du croyant et ceux de Christ devraient être identiques ; et il est évident que les intérêts de Christ, Son honneur, Sa vérité, Sa gloire, sont inévitablement sacrifiés, lorsqu’un de Ses membres s’allie avec « Béliar ».

Il est à peine nécessaire de faire observer ici que, dans les cas où la conversion a lieu après le mariage, la question change singulièrement de face. Alors il n’y aura pas de déchirements de conscience, par exemple, et toute la chose se trouve modifiée dans une quantité de détails. Sans doute, il y aura encore des difficultés, des épreuves et des afflictions ; la seule et grande différence est celle-ci, qu’on peut apporter, avec plus de bonheur, son épreuve, son affliction en la présence du Seigneur, quand on ne s’y est pas plongé volontairement ; et Dieu soit béni, nous savons combien Il est disposé à nous pardonner, à nous rétablir, et à purifier de toute injustice l’âme qui Lui confesse pleinement ses erreurs et ses manquements. Ceci peut consoler le cœur de celui qui a la conscience d’avoir péché à cet égard ; quant à celui qui a été amené au Seigneur après le mariage, l’Esprit de Dieu lui a donné des directions spéciales et de précieux encouragements dans le passage suivant : « Si quelque frère a une femme incrédule, et qu’elle veuille habiter avec lui, qu’il ne l’abandonne pas ; et si une femme a un mari incrédule, et qu’il veuille habiter avec elle, qu’elle n’abandonne pas son mari. Car le mari incrédule est sanctifié par la femme, et la femme incrédule est sanctifiée par le frère, son mari ; puisque autrement vos enfants seraient impurs, mais maintenant ils sont saints… Car que sais-tu, femme, si tu ne sauveras pas ton mari ? Ou que sais-tu, mari, si tu ne sauveras pas ta femme ? » (1 Cor. 7, 12-16).

II. Considérons maintenant le « joug mal assorti » dans sa phase commerciale, comme on le voit dans des cas d’association pour les affaires. Celui-ci, bien qu’il ne présente pas un aspect aussi sérieux que celui que nous venons d’examiner, en tant qu’il est plus facile de s’en délivrer, n’en est pas moins un obstacle positif au témoignage du croyant. Quand un chrétien se met sous le joug avec un incrédule pour affaires de commerce, que cet incrédule soit un parent ou non — ou quand il s’associe à une maison de commerce du monde, il abandonne virtuellement sa responsabilité individuelle. Dès ce moment, les actes de cette raison de commerce deviennent ses actes propres, et il est complètement évident qu’on ne peut pas faire agir une maison de commerce, établie sur des principes mondains, d’après ceux du royaume de Dieu. On rirait d’une telle idée, comme tout à fait préjudiciable au succès des opérations. Un chrétien associé à un incrédule se trouverait sans cesse dans une position excessivement pénible. Il voudrait se servir de son influence pour chercher à christianiser le mode de conduite des affaires ; mais on l’obligerait à faire les affaires comme les autres, et il n’y aurait pour lui d’autre remède que de s’affliger secrètement sur sa position anormale et difficile, ou bien d’en sortir à grande perte pécuniaire pour lui-même et sa famille.

Si l’œil est simple, il n’y aura point d’hésitation sur celle des deux alternatives à adopter ; mais, hélas ! le fait même de se placer dans une telle position prouve l’absence d’un œil simple ; et le fait d’y être prouve le manque de discernement spirituel pour pouvoir apprécier la valeur et l’autorité des principes divins, qui autrement ne manqueraient pas de faire sortir un chrétien d’une telle association. Un homme qui aurait l’œil simple ne pourrait pas se mettre sous le même joug avec un incrédule dans le but de gagner de l’argent. Cet homme n’aurait d’autre objet, devant lui, que la gloire du Christ ; et on ne saurait jamais obtenir ce but par une transgression positive d’un principe de Dieu. Voilà ce qui rend la question bien simple. Si un chrétien ne peut glorifier Christ en devenant l’associé d’une maison de commerce mondaine, il faut nécessairement que cette idée soit au profit de l’adversaire : il n’y a pas de milieu ; or il est manifeste que Christ ne peut pas être glorifié par là, car Sa Parole dit : « Ne vous mettez pas sous un joug mal assorti avec les incrédules ». Tel est le principe qui ne peut être violé sans nuire au témoignage et sans faire perdre des bénédictions spirituelles. Il est vrai que la conscience d’un chrétien, qui pèche dans cette matière, peut chercher à se soulager de diverses manières — elle peut avoir recours à des subterfuges divers — elle peut mettre en avant divers arguments pour se persuader que tout est bien. On dira que nous pouvons être très dévoués et très spirituels, quant à ce qui nous concerne personnellement, quand même nous nous trouverions, pour affaires de commerce, sous un même joug avec un incrédule. Ceci se trouvera n’être qu’une déception, à l’épreuve d’une pratique journalière. Un serviteur de Christ se verra entravé de mille manières par son association mondaine. Si au sujet de son service pour Christ, il ne rencontre pas une hostilité ouverte, il aura à lutter contre les efforts secrets et continuels de l’ennemi pour arrêter son zèle et verser de l’eau froide sur tous ses projets. On se moquera de lui et on le méprisera, on lui rappellera sans cesse l’effet que son enthousiasme et son fanatisme doivent produire à l’égard des affaires et de la réputation de la maison de commerce. S’il fait usage de son temps, de ses talents ou de ses ressources pécuniaires pour ce qu’il croit être le service du Seigneur, on le déclarera fou ou imbécile, et on lui fera comprendre que le seul mode convenable et raisonnable de servir le Seigneur, pour un homme engagé dans le commerce, c’est de vaquer aux affaires, et uniquement aux affaires ; que c’est la charge exclusive des pasteurs et ministres de s’occuper des matières religieuses, vu qu’ils sont mis à part pour cela. Or, bien que l’esprit renouvelé d’un chrétien puisse être tout à fait convaincu de la subtilité de ces raisonnements, qui peut dire jusqu’à quel point le cœur peut être sous l’influence de ces choses ? Nous nous lassons d’une résistance continuelle. Le courant devient trop fort pour nous, et nous cédons petit à petit à sa force et nous laissons entraîner à sa surface. Peut-être la conscience tente-t-elle quelques derniers mouvements de résistance ; mais l’énergie spirituelle est paralysée, et la sensibilité de la nouvelle nature émoussée, de sorte qu’il n’y a rien qui réponde à ces cris de la conscience, aucun effort assez puissant pour résister à l’ennemi ; la mondanité d’un chrétien s’allie avec les influences contraires de dehors — et à la fin un tel homme se laisse aller à une vie de mondanité complète, réalisant ainsi, dans sa propre personne, la lamentation touchante du prophète : « Ses nazaréens étaient plus purs que la neige, plus blancs que le lait ; leur corps était plus vermeil que des rubis, leur taille un saphir. Leur figure est plus sombre que le noir ; on ne les connaît pas dans les rues ; leur peau s’attache à leurs os ; elle est sèche comme du bois » (Lam. 4, 7, 8). Cet homme, qui était connu un jour comme un serviteur de Christ — un coopérateur pour le royaume de Dieu — qui faisait usage de ses ressources pour avancer les intérêts de l’évangile de Christ, cet homme n’est maintenant, hélas ! plus connu que comme un négociant infatigable, habile et prudent, dont l’apôtre pourrait bien dire : « Démas m’a abandonné, ayant aimé le présent siècle ».

Mais, peut-être n’est-il rien qui agisse sur le cœur pour induire des chrétiens à se mettre sous un même joug commercial avec des incrédules, comme l’habitude de chercher à sauvegarder à la fois son caractère de chrétien et son caractère de négociant. C’est là un piège lamentable. En effet, une telle chose n’existe pas. Un homme doit être l’un ou l’autre. Si je suis chrétien, mon christianisme doit se manifester comme une réalité vivante, dans la position où je me trouve ; s’il ne peut s’y manifester, je ne dois pas y demeurer ; car si je reste dans une sphère ou une position dans laquelle la vie de Christ ne peut se montrer, je ne posséderai bientôt plus rien du christianisme que le nom, sans réalité — la forme extérieure sans la force intérieure — l’écorce sans l’amande. Ce n’est pas seulement le dimanche que je dois être serviteur de Dieu, mais tout aussi bien du lundi matin au samedi soir. Ce n’est pas seulement dans une assemblée publique que je dois être serviteur de Christ, mais tout aussi bien dans mes relations temporelles, dans mes affaires, quelles qu’elles soient. Mais je ne puis être un vrai serviteur de Christ, si je suis lié sous un joug avec un incrédule ; car comment les serviteurs de deux maîtres ennemis pourraient-ils travailler sous le même joug ? C’est de toute impossibilité ; aussi j’en appelle solennellement à la conscience de mon lecteur, en présence du Dieu Tout-puissant, qui jugera les secrets du cœur des hommes par Jésus Christ, sous ce rapport aussi ! Je voudrais lui dire, s’il a la pensée d’entrer dans une association avec un incrédule : Fuyez de là ! Oui, fuyez, lors même que cette association vous promettrait des millions. Vous vous enfonceriez dans un labyrinthe de difficultés et de chagrins. Vous iriez labourer avec un homme dont les sentiments, les dispositions et les tendances sont diamétralement opposés aux vôtres. « Un bœuf et un âne » ne sont pas aussi différents, sous tous les rapports, qu’un croyant et un incrédule. Comment pourrez-vous vous accorder ? Lui cherche à faire de l’argent, à réussir, à faire son chemin dans le monde ; vous sentez (ou du moins vous devriez sentir) le besoin de croître dans la grâce et dans la sainteté, d’avancer les intérêts de Christ et de Son évangile sur la terre et de tendre avec effort vers le royaume éternel du Seigneur Jésus Christ. Son objet est l’argent ; le vôtre, je l’espère, c’est Christ ; il vit pour ce monde ; vous, pour le monde à venir ; il est préoccupé des choses du temps ; vous, de celles de l’éternité. Comment donc pourriez-vous vous rencontrer sur le même terrain ? Vos principes, vos motifs, vos objets et vos espérances sont entièrement opposés. Comment serait-il possible que vous marchassiez ensemble ? Comment auriez-vous quelque chose en commun ? Assurément, il suffit d’envisager tout cela avec un œil simple pour le voir sous son vrai jour. Il est impossible que quelqu’un ait l’œil fixé sur Christ, le cœur rempli de Lui, et qu’il puisse se mettre sous un même joug avec un mondain pour quelque objet que ce soit. Laissez-moi donc, mon cher lecteur chrétien, vous supplier encore, avant que vous preniez un parti aussi effrayant — un parti qui peut avoir des conséquences si terribles — si gros de dangers quant à vos meilleurs intérêts, comme quant au témoignage pour Christ, dont vous êtes honoré — de considérer cette matière avec un cœur honnête dans le sanctuaire de Dieu et de la peser dans Sa sainte balance. Demandez-Lui ce qu’Il en pense, et écoutez avec une volonté soumise et une bonne conscience Sa réponse. Elle est simple et puissante — aussi simple et aussi puissante que si elle nous arrivait directement du ciel. — La voici : « Ne vous mettez pas sous un joug mal assorti avec des incrédules ».

Mais si, malheureusement, mon lecteur est déjà sous le joug, je voudrais lui dire : Délivrez-vous-en le plus tôt possible. Je serais bien étonné si vous n’aviez pas déjà trouvé que ce joug est bien lourd. Il serait superflu de vous détailler les tristes conséquences d’une telle position ; vous les connaissez sans doute. Mon cher frère en Christ, ne tardez pas un instant à secouer ce joug. Il faut que cela se fasse devant le Seigneur, selon Ses principes et par Sa grâce. Il est plus facile de se mettre dans une fausse position que d’en sortir. Une association, qui date de dix ou vingt années, ne peut être dissoute dans un moment. Il faut que cela se fasse avec calme, avec humilité, dans un esprit de prière, comme en présence du Seigneur, et pour Sa seule gloire. Je puis déshonorer le Seigneur par ma manière de sortir d’une fausse position, autant qu’en y entrant. Aussi, si je me trouve associé avec un incrédule, et que ma conscience me dise que je fais mal, il faut que je lui déclare honnêtement et ouvertement que je ne puis plus marcher avec lui ; après quoi il est de mon devoir de faire tous les efforts possibles pour que les affaires se liquident avec droiture, bonne foi et convenance, afin de ne donner aucune occasion à l’adversaire d’en parler d’une manière injurieuse et que le bien que je fais ne soit pas blâmé.

Il nous faut éviter la précipitation, l’imprudence et la présomption, quant nous avons l’air d’agir pour le Seigneur et de défendre Sa sainte cause. Si un homme se trouve pris dans un piège ou égaré dans un labyrinthe, ce n’est pas par des mouvements violents qu’il se dégagera. Non, il faut qu’il s’humilie, qu’il confesse ses péchés devant le Seigneur, et puis qu’il retourne sur ses pas avec patience et dans une entière dépendance de la grâce qui, non seulement, peut lui pardonner de s’être mis dans une fausse position, mais encore le ramener et l’introduire dans une bonne. D’ailleurs, comme à l’égard du joug conjugal, la question est grandement modifiée par le fait d’une association contractée avant la conversion. Non que cette circonstance pût, le moins du monde, justifier quelqu’un qui y demeurerait. Nullement ; mais elle nous épargnerait beaucoup de souffrance de cœur et de souillures de la conscience, qui s’attachent à une telle position, et qui doivent influer considérablement sur le moyen de s’en retirer. En outre, le Seigneur est glorifié par une sainte direction du cœur, et Il a sûrement pour agréable la pente morale de la conscience vers cette sainte direction. Si je me juge quand je me trouve dans une mauvaise voie, et que l’inclination morale de mon cœur et de ma conscience me fasse désirer d’en sortir, Dieu l’agréera et, sans aucun doute, Il me remettra sur le bon chemin. Mais tout en le faisant, Il ne souffrira pas que j’enfreigne une vérité en cherchant à obéir à une autre. La même Parole qui dit : « Ne vous mettez pas sous un joug mal assorti avec les incrédules », dit aussi : « Rendez à tous ce qui leur est dû »« Ne devez rien à personne »« Vous proposant ce qui est honnête devant tous les hommes »« Marchez dans la sagesse envers ceux de dehors ». Si j’ai offensé Dieu en m’associant avec un incrédule, je dois me garder d’offenser un homme par la manière de m’en séparer. Par une profonde soumission à la Parole de Dieu, et par la puissance du Saint Esprit, tout s’arrangera pour le mieux, nous nous trouverons dans un chemin droit et uni, et nous serons rendus capables d’éviter des extrêmes dangereux.

III. En jetant un coup d’œil sur la phase religieuse du joug mal assorti, je voudrais assurer mon lecteur que je n’ai nullement le désir de blesser les sentiments de qui que ce soit, en décrivant les prétentions des différentes dénominations que je vois autour de moi. Ce n’est pas du tout mon intention. Le sujet de ce traité est assez important pour qu’on ne cherche pas à l’obscurcir par l’introduction d’idées qui lui sont étrangères. Il est d’ailleurs trop précis, pour permettre un tel mélange. « Le joug mal assorti », tel est ce sujet, sur lequel nous avons à borner nos méditations.

En parcourant les Écritures, nous trouvons des passages presque sans nombre, exprimant cet esprit de séparation qui devrait toujours décidément caractériser le peuple de Dieu. Que notre attention se dirige vers l’Ancien Testament — dans lequel nous voyons Dieu dans Ses relations avec Son peuple terrestre d’Israël et dans Ses dispensations envers lui ; — ou bien, qu’elle se porte sur le Nouveau Testament, dans lequel nous avons les relations de Dieu avec Son peuple céleste, l’Église, et Ses dispensations envers elle, nous y trouvons la même vérité mise en évidence, savoir la séparation entière de ceux qui appartiennent à Dieu. La position d’Israël est représentée ainsi dans le discours sentencieux de Balaam : « Voici, c’est un peuple qui habitera seul, et il ne sera pas compté parmi les nations ». Leur place était en dehors de toutes les nations de la terre ; et ils furent rendus responsables du maintien de cette séparation. D’un bout à l’autre des livres de Moïse, ils sont instruits, avertis, exhortés à cet effet ; et dans les Psaumes et les Prophètes, nous sont rapportés leurs manquements relativement au maintien de cette séparation ; manquements qui, comme nous le savons, ont attiré sur eux les sévères jugements de la main de Dieu. Cet article deviendrait un volume, si je voulais seulement citer tous les passages qui se rapportent à ce sujet. J’aime à croire que mon lecteur est suffisamment versé dans l’étude de sa Bible, pour rendre de telles citations inutiles. Si pourtant il n’en était pas ainsi, qu’il cherche dans sa concordance les passages où se trouvent les mots « séparer, séparé et séparation » ; ils suffiront pour lui donner, d’un coup d’œil, toute la masse d’évidence que l’Écriture fournit sur ce sujet. Le passage que je viens de citer du livre des Nombres est l’expression des pensées de Dieu touchant Son peuple Israël : « C’est un peuple qui habitera seul ».

Il en est de même, seulement d’après des principes beaucoup plus élevés, par rapport au peuple céleste de Dieu, l’Église — le corps de Christ — composé de tous les vrais croyants. Eux aussi sont un peuple à part. Examinons maintenant quel est le principe de cette séparation. Il y a une grande différence entre être séparé sur la base de ce que nous sommes, et être séparé sur la base de ce que Dieu est. Le premier fait de l’homme un pharisien ; le dernier en fait un saint. Si je dis à un de mes pauvres semblables : « Ne m’approche pas, je suis plus saint que toi », je suis un détestable pharisien et un hypocrite ; mais si Dieu dans Sa condescendance infinie et dans Sa parfaite grâce, me dit : « Je t’ai mis en relation avec moi, dans la personne de mon Fils Jésus Christ ; c’est pourquoi sois saint et séparé de tout mal ; sors du milieu d’eux et t’en sépare », je suis dans l’obligation d’obéir, et mon obéissance est la manifestation pratique de mon caractère comme saint — caractère que je possède non pas à cause de quoi que ce soit qui se trouve en moi-même, mais simplement parce que Dieu m’a rapproché de Lui-même par le sang précieux de Christ. Il est bon d’être au clair là-dessus. Le pharisaïsme et la sanctification divine sont deux choses bien différentes, et cependant on les confond fréquemment. Ceux qui s’efforcent de conserver cette place de séparation, qui appartient au peuple de Dieu, sont constamment accusés de se mettre au-dessus de leurs semblables, et de prétendre à un plus haut degré de sainteté personnelle qu’on n’en possède ordinairement. Cette accusation vient de ce qu’on ne fait pas attention à la distinction dont je viens de parler. Quand Dieu appelle les hommes à se séparer, c’est sur le principe de ce qu’Il a fait pour eux sur la croix, et de la place qu’Il leur a assignée dans une association éternelle avec Lui, en la personne de Christ. Mais si je me sépare sur le principe de ce que je suis en moi-même, c’est la présomption la plus absurde et la plus futile, qui sera dévoilée tôt ou tard. Dieu commande à Son peuple d’être saint, à cause de ce qu’Il est, Lui : « Soyez saints, car moi je suis saint ». C’est évidemment très différent de : « Ne m’approche pas, je suis plus saint que toi ». Si Dieu met des hommes en relation avec Lui-même, Il a le droit de leur prescrire quel doit être leur caractère moral, et ils se trouvent sous l’obligation d’y répondre. Ainsi nous voyons que la plus profonde humilité se trouve au fond de la séparation d’un saint. Il n’y a rien qui soit plus propre à nous mettre dans la poussière, comme l’intelligence de la nature réelle de la sainteté divine. C’est une humilité entièrement fausse que celle qui vient de ce que nous nous contemplons nous-mêmes ; en effet elle est, en réalité, basée sur l’orgueil qui n’a jamais vu jusqu’au fond de sa propre et totale indignité. Il y en a qui s’imaginent pouvoir atteindre à l’humilité la plus profonde et la plus vraie, en se regardant eux-mêmes, tandis qu’elle ne peut être acquise qu’en regardant à Christ. « Plus tes gloires frapperont mes yeux et plus je serai humble ». C’est là un sentiment juste, fondé sur un principe divin. L’âme qui se perd dans la splendeur de la gloire morale de Christ est véritablement humble, aucune autre ne l’est. Nous n’avons qu’à nous humilier, sans doute, quand nous pensons quelles pauvres créatures nous sommes ; mais il suffit de réfléchir un moment avec justesse, pour voir que c’est une pure déception de chercher à produire quelque bon résultat pratique en se regardant soi-même. Ce n’est que lorsque nous nous trouvons en présence d’une excellence infinie que nous sommes vraiment humbles. C’est pour cela qu’un enfant de Dieu devrait refuser de porter le joug avec un incrédule, soit dans des rapports domestiques, soit dans des rapports commerciaux ou religieux, simplement parce que Dieu lui dit d’être séparé, et non pas à cause de sa propre sainteté personnelle. Mettre en pratique ce principe, en matière de religion, doit nécessairement impliquer beaucoup d’épreuves et de douleurs ; on appellera cela de l’intolérance, de la bigoterie, de l’étroitesse, un esprit d’exclusion, etc. ; mais nous ne saurions rien y changer. Pourvu que nous nous tenions séparés d’après un principe juste et dans un esprit droit, nous pouvons sans crainte en laisser à Dieu tous les résultats. Sans aucun doute, le résidu, au temps d’Esdras, dut paraître excessivement intolérant, en refusant la coopération des peuples d’alentour à la construction de la maison de Dieu ; mais ils agirent sur un principe divin en refusant ce secours. « Et les ennemis de Juda et de Benjamin entendirent que les fils de la transportation bâtissaient le temple de l’Éternel, le Dieu d’Israël ; et ils s’approchèrent de Zorobabel et des chefs des pères, et leur dirent : Nous bâtirons avec vous, car nous recherchons votre Dieu, comme vous, et nous lui offrons des sacrifices depuis les jours d’Ésar-Haddon, roi d’Assyrie, qui nous a fait monter ici ». Cela paraissait une offre bien obligeante — une proposition qui manifestait un penchant décidé pour le Dieu d’Israël ; cependant le résidu refusa, parce que ces gens, malgré leur belle profession, n’étaient, au fond, que des incirconcis et des adversaires. « Et Zorobabel et Jéshua, et le reste des chefs des pères d’Israël leur dirent : Vous n’avez pas affaire avec nous pour bâtir une maison à notre Dieu ; mais nous seuls, nous bâtirons à l’Éternel, le Dieu d’Israël » (Esdr. 4, 1-3). Ils ne voulaient pas porter le joug avec les incirconcis — ils ne voulaient pas « labourer avec un bœuf et un âne » — ils ne voulaient pas « semer leur champ de deux espèces de semence » — ils se tinrent séparés, quand même ils s’exposaient par là à être traités de gens bigots, étroits, sans libéralisme et sans charité.

De même, en Néhémie, il est dit : « Et la race d’Israël se sépara de tous les fils de l’étranger, et ils se tinrent là et confessèrent leurs péchés et les iniquités de leurs pères » (9, 2). Ce n’était pas là un esprit de secte ; c’était une obéissance positive. Leur séparation était essentielle à leur existence comme peuple. Ils n’auraient pu jouir de la présence de Dieu sur aucun autre terrain. Il en doit toujours être ainsi du peuple de Dieu sur la terre. Il faut que les chrétiens soient séparés, autrement, ils ne sont pas seulement inutiles, mais ils sont malfaisants. Dieu ne peut les reconnaître ni marcher avec eux, s’ils se mettent sous le joug avec des incrédules, sur quelque terrain ou pour quelque objet que ce soit. Il est fort difficile d’unir un esprit d’intense séparation avec un esprit de grâce, de douceur et d’indulgence, ou, comme on l’a dit : de garder ses pieds sur le chemin étroit, tout en ayant un cœur large. C’est là une véritable difficulté. Comme le maintien, strict et sans compromis, de la vérité tend à rétrécir le cercle autour de nous, nous aurons besoin de la puissance expansive de la grâce pour garder notre cœur large et nos affections vives et chaudes. Si nous combattons pour la vérité autrement que dans la grâce, nous ne présenterons qu’un côté du témoignage, et encore le moins attrayant. Et si, d’un autre côté, nous montrons de la grâce aux dépens de la vérité, cela se trouvera, à la fin, n’être que la manifestation d’un libéralisme vulgaire aux dépens de Dieu — chose des plus indignes. Puis, quant au but pour lequel de vrais chrétiens se mettent ordinairement sous le joug avec ceux qui, de leur propre aveu et au jugement de la charité elle-même, ne sont pas chrétiens, on trouvera, en définitive, qu’on ne peut jamais atteindre un but vraiment divin et céleste en transgressant une vérité de Dieu. Per fas aut nefas (à tort ou à droit), ne sera jamais une devise divine. Les moyens ne sont pas sanctifiés par le but ; mais et les moyens et le but doivent être conformes aux principes de la sainte Parole de Dieu ; autrement tout doit aboutir à la confusion et à la honte. Recouvrer Ramoth de Galaad de la main de l’ennemi avait pu paraître un but bien digne à Josaphat ; de plus, il avait pu passer pour un homme très libéral, gracieux, populaire et large de cœur, lorsqu’il répondait ainsi à la proposition d’Achab : « Moi je suis comme toi, et mon peuple comme ton peuple ; et je serai avec toi dans la guerre ». Il est facile d’être large et libéral aux dépens des principes divins ; mais quelle en fut la fin ? Achab fut tué et Josaphat échappa à grand’peine, après avoir fait naufrage quant au témoignage. Nous voyons par là que Josaphat n’atteignit pas même le but pour lequel il s’était mis sous un joug mal assorti avec un infidèle ; et quand même il l’eût atteint, ce succès n’aurait nullement été une justification de sa démarche[2]. Rien ne peut justifier le joug mal assorti d’un croyant avec un incrédule ; et par conséquent, quelque belle, attrayante et plausible que puisse paraître l’expédition de Ramoth aux yeux des hommes, c’était, au jugement de Dieu, « aider au méchant, et aimer ceux qui haïssent l’Éternel » (2 Chron. 19, 2). La vérité de Dieu dépouille les hommes et les choses du faux brillant dont voudraient les revêtir ceux qui se laissent guider par l’esprit de convenance et d’utilité ; elle les présente sous leur vrai jour ; et c’est une grâce inexprimable que d’avoir le jugement de Dieu sur tout ce qui se fait autour de nous : cela donne du calme à l’esprit, de la fermeté au caractère et à la marche, et nous délivre de cette malheureuse fluctuation de pensées, de sentiments et de principes qui nous rend complètement impropres à la position de témoins fermes et conséquents de Christ. Nous ne pouvons que nous égarer, si nous essayons de former notre jugement d’après les pensées et les opinions des hommes ; car ils jugent toujours selon les apparences extérieures, et non selon le caractère intrinsèque et le principe des choses. Pourvu que les hommes atteignent ce qu’ils appellent un bon but, ils se soucient peu de la manière d’y parvenir. Mais le véritable serviteur de Christ sait qu’il doit faire l’œuvre de son Maître d’après les principes et dans l’esprit de son Maître. Il ne saurait donc jamais être satisfait d’atteindre le but le plus louable, à moins qu’il n’y parvienne par une voie tracée de Dieu. Les moyens aussi bien que la fin doivent être divins. J’admets, par exemple, que c’est un but très désirable que de répandre les Saintes Écritures — la Parole pure et éternelle de Dieu ; mais si je ne pouvais les répandre autrement qu’en me mettant sous le joug avec un incrédule, je devrais m’en abstenir, vu que je ne dois pas faire le mal pour qu’il en résulte du bien. Mais, béni soit Dieu, Son serviteur peut propager Son précieux livre, sans violer les préceptes contenus dans ce livre. Il peut, sous sa responsabilité propre et individuelle, ou en communion avec ceux qui sont vraiment du côté du Seigneur, répandre en tous lieux la précieuse semence, sans pour cela se liguer avec ceux dont toute la marche et la conduite prouvent qu’ils sont du monde.

On peut en dire autant, relativement à tout objet d’un caractère religieux. Il ne peut et ne devrait être poursuivi que d’après les principes de Dieu. On nous objectera, peut-être, qu’il nous est dit de ne pas juger — que nous ne pouvons lire dans le cœur — et que nous devons espérer que tous ceux qui coopèrent à de bonnes œuvres, telles que la propagation de la Bible, la distribution des traités, et aux travaux des missions, doivent être chrétiens ; et que, par conséquent, il ne peut être mauvais de nous lier avec eux. À tout cela, je réponds qu’il n’y a guère, dans le Nouveau Testament, un passage si mal compris et si mal appliqué que Matthieu 7, 1 : « Ne jugez pas, afin que vous ne soyez pas jugés ». Dans le même chapitre, nous lisons : « Soyez en garde contre les faux prophètes… vous les reconnaîtrez à leurs fruits ». Or, comment pourrons-nous nous en garder, si nous n’exerçons pas notre jugement ? Nous lisons encore en 1 Corinthiens 5 : « Car qu’ai-je affaire de juger ceux de dehors aussi ? Vous, ne jugez-vous pas ceux qui sont de dedans ? Mais ceux de dehors, Dieu les juge. Ôtez le méchant du milieu de vous-mêmes ». Ici, il nous est clairement enseigné que ceux « de dedans » ressortissent immédiatement au jugement de l’Église ; et cependant, d’après l’interprétation ordinaire de Matthieu 7, 1, nous n’aurions à juger personne ; cette interprétation doit donc nécessairement être fausse. Si des personnes professent être du « dedans », il nous est commandé de les juger. « Ne jugez-vous pas ceux qui sont de dedans ? ». Quant à ceux du « dehors », nous n’avons rien à faire avec eux, si ce n’est de leur présenter la grâce pure, parfaite, riche, illimitée, insondable, qui brille d’un éclat ineffable dans la mort et dans la résurrection du Fils de Dieu. Tout cela est assez simple. Il est dit au peuple de Dieu d’exercer son jugement quant à tous ceux qui professent être « de dedans » ; il est dit aux saints de se garder des faux prophètes ; il leur est ordonné « d’éprouver les esprits » : et comment le pourraient-ils faire, s’ils ne devaient pas juger du tout ? Que veut donc dire notre Seigneur par ces paroles : « Ne jugez pas » ? Je crois qu’Il veut dire précisément ce que Paul dit par le Saint Esprit, lorsqu’il nous recommande de ne « juger rien » avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur, qui aussi mettra en lumière les choses cachées des ténèbres, et manifestera les conseils des cœurs ; et c’est alors que chacun recevra sa louange de la part de Dieu (1 Cor. 4, 5). Nous n’avons pas à juger des motifs ; mais nous avons à juger la conduite et les principes ; c’est-à-dire la conduite et les principes de tous ceux qui professent être « de dedans ». C’est un fait d’ailleurs, que ceux-là même qui disent : « Nous ne devons pas juger », ne cessent de se livrer à des jugements. Il n’y a pas de vrai chrétien, en qui l’instinct moral de la nature divine ne prononce pas virtuellement des jugements sur le caractère, la conduite et la doctrine, et ce sont là des points qui se trouvent dans le ressort du jugement du croyant.

Tout ce que je voudrais donc mettre sur la conscience de mon lecteur chrétien, c’est qu’il est de son devoir d’exercer un jugement sur ceux avec lesquels il se met sous le joug en matière de religion. Si, dans ce moment, il est chargé d’un joug avec un incrédule, il transgresse positivement le commandement du Saint Esprit. Il se peut qu’il l’ait fait dans l’ignorance jusqu’à ce jour ; s’il en est ainsi, la grâce du Seigneur est prête à pardonner et à rétablir ; mais s’il persiste dans la désobéissance après avoir été averti, il n’est pas possible qu’il puisse attendre la présence et la bénédiction de Dieu, quelque précieux ou important que puisse être le but qu’ils se proposent à atteindre ensemble. « Écouter est meilleur que sacrifice, prêter l’oreille meilleur que la graisse des béliers ».

IV. Nous n’avons plus qu’à considérer la phase philanthropique du joug inégal. Il y en a beaucoup qui diront : « Je conviens pleinement que nous ne devons pas nous unir pour le culte ou le service de Dieu avec des incrédules déclarés ; mais nous sommes bien libres de nous réunir à eux pour avancer des buts de philanthropie — comme, par exemple, pour subvenir aux besoins des pauvres, leur distribuer du pain et des vêtements, pour réformer les vicieux, établir des asiles pour les aveugles, les aliénés, fonder des hospices et des hôpitaux pour les malades et les infirmes, des lieux de refuge pour ceux qui sont abandonnés, pour les veuves et les orphelins ; en un mot, pour tout ce qui peut contribuer à améliorer l’état physique, moral et intellectuel de nos semblables ». Tout cela paraît assez beau à première vue ; car on pourrait me demander si je ne voudrais pas aider un homme sur la route à retirer sa charrette du fossé ? Je réponds, oui, certainement ; mais si l’on me demandait de devenir membre d’une société mélangée de croyants et de gens non convertis, qui aurait pour but de retirer les voitures des fossés, je dirais que non — non pas que je prétende à une plus grande sainteté, mais parce que la Parole de Dieu dit : « Ne vous mettez pas sous un joug mal assorti avec les incrédules ». Telle serait ma réponse, n’importe quel fût le but d’une telle société. Il est commandé au serviteur de Christ d’être « préparé pour toute bonne œuvre »« de faire du bien à tous »« de visiter les orphelins et les veuves dans leur affliction » ; mais alors c’est comme serviteur de Christ et non pas comme membre d’une société ou d’un comité, où des infidèles, des athées et toute sorte de méchants et d’impies pourraient également être admis. De plus, nous devons nous souvenir que toute la philanthropie de Dieu se rattache à la croix du Seigneur Jésus Christ. Voilà le canal par lequel Dieu veut dispenser Ses bénédictions — voilà le puissant levier au moyen duquel Il veut élever l’homme physiquement, moralement et intellectuellement. « Mais quand la bonté de notre Dieu Sauveur et son amour envers les hommes sont apparus, il nous sauva, non sur le principe d’œuvres accomplies en justice que nous, nous eussions faites, mais selon sa propre miséricorde, par le lavage de la régénération et le renouvellement de l’Esprit Saint, qu’il a répandu richement sur nous par Jésus Christ notre Sauveur » (Tite 3, 4-6). Voilà comment Dieu s’y prend pour améliorer la condition de l’homme. Le chrétien peut aisément se placer sous le joug avec tous ceux qui comprennent la valeur de ce mode d’agir, mais avec aucun autre.

Les gens du monde n’en connaissent rien, ne s’en soucient pas. S’ils cherchent à réformer, c’est une réformation sans Christ. S’ils entreprennent d’améliorer, c’est une amélioration sans la croix. S’ils s’intéressent aux progrès moraux et intellectuels, Jésus n’est ni leur point de départ ni le but de leur course. Comment donc le chrétien pourrait-il se placer sous le joug avec eux ? Ils veulent travailler sans Christ, qui est Celui-là même à qui le chrétien doit toutes choses. Peut-il être content de travailler avec eux ? Peut-il même avoir en vue quelque chose de commun avec eux ? Si l’on vient me dire : « Nous avons besoin de votre coopération pour distribuer aux pauvres des vivres et des vêtements, pour fonder des hôpitaux et des maisons d’aliénés, pour pourvoir à l’entretien et à l’éducation des orphelins, pour améliorer l’état physique de nos semblables ; mais nous vous avisons que, d’après un principe fondamental de la société, ou du comité formé à cet effet, le nom de Christ ne doit pas y être prononcé, vu que cela donnerait lieu à des controverses. Notre but n’étant pas du tout religieux, mais uniquement philanthropique, la religion doit être soigneusement exclue de toutes nos assemblées publiques. Nous nous réunissons comme hommes pour une œuvre de bienfaisance ; aussi incrédules, athées, sociniens, ariens et tutti quanti doivent être heureux de s’unir pour faire avancer le char glorieux de la philanthropie ». Quelle devrait être ma réponse à une telle demande ? Le fait est, qu’à celui qui aime vraiment le Seigneur Jésus, les paroles manqueraient pour répondre à un appel aussi monstrueux. Quoi ! faire du bien aux hommes en excluant Christ ! À Dieu ne plaise. Si je ne puis obtenir les buts de la pure philanthropie, sans mettre de côté ce Sauveur béni, qui vécut et mourut, et qui vit éternellement pour moi, alors loin de moi votre philanthropie, car elle n’est certainement pas de Dieu, mais de Satan. Si elle était de Dieu, la Parole est : « Qu’il a répandu richement sur nous par Jésus Christ », Celui-là même que vos statuts laissent complètement de côté. Il en résulte que vos règlements doivent être inspirés par Satan, l’ennemi de Christ. Satan aime toujours à laisser de côté le Fils de Dieu ; et, lorsqu’il parvient à persuader les hommes de faire de même, il leur permettra volontiers d’être bienfaisants, charitables et philanthropes. Mais, de bonne foi, une telle bienfaisance, une telle philanthropie mériteraient qu’on les appelât malveillance et misanthropie ; car comment pourriez-vous plus efficacement montrer du mauvais vouloir et de la haine envers les hommes, qu’en laissant de côté Celui qui seul peut les bénir pour le temps et l’éternité ? Mais quel doit, relativement à Christ, être l’état moral d’un homme, qui pourrait prendre place dans un comité, ou sur une estrade, à condition que ce nom béni ne fût pas prononcé ? Il faudrait que son cœur fût bien froid pour Christ, en vérité ; cela prouverait que les projets et les œuvres d’hommes inconvertis lui paraîtraient assez importants pour le faire consentir à ce qu’on jette, pour ainsi dire, son Maître par-dessus bord, afin de pouvoir les mettre à exécution. Ne nous méprenons pas à ce sujet. C’est là le vrai point de vue, sous lequel il faut considérer la philanthropie du monde. Les hommes de ce monde peuvent « vendre le nard pur trois cents deniers, et les donner aux pauvres » ; tandis qu’ils déclarent que c’est une perte de répandre ce parfum sur la tête du Christ. Le chrétien peut-il adhérer à ce jugement ? Peut-il se mettre sous le joug avec de tels hommes ? Peut-il entreprendre de réformer le monde sans Christ ? Peut-il se joindre à ceux qui cherchent à masquer et à embellir une scène qui est souillée du sang de son Maître ? Pierre pouvait dire : « Je n’ai ni argent ni or, mais ce que j’ai, je te le donne : Au nom de Jésus Christ le Nazaréen, lève-toi et marche ». Pierre voulait guérir un impotent par la puissance du nom de Jésus ; mais qu’aurait-il dit, si on lui avait proposé de se joindre à un comité ou à une société pour assister les impotents, à la condition de mettre tout à fait ce nom de côté ? Nous pouvons, sans grand effort d’imagination, concevoir ce qu’il aurait répondu. Son âme tout entière aurait reculé d’effroi devant une telle pensée. S’il a guéri l’impotent, c’est uniquement dans le but d’exalter le nom de Jésus, d’en manifester toute la valeur, toute l’excellence et toute la gloire à la vue des hommes ; mais le but de la philanthropie du monde est précisément le contraire, en tant qu’elle met entièrement de côté ce nom béni, et le bannit du sein de ses comités et du haut de ses estrades. N’avons-nous donc pas le droit de dire : « Honte au chrétien qui se trouve dans une place d’où son Maître est banni ! » ? Ah ! qu’il s’en retire, et que, dans l’énergie de l’amour de Jésus et par la puissance de Son nom, il fasse tout le bien qu’il peut ; mais qu’il ne se mette pas sous le joug avec les incrédules, pour combattre les tristes conséquences du péché, en excluant la croix de Christ. Le grand objet de Dieu est d’exalter Son Fils — « afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Ceci doit aussi être le grand objet des œuvres du chrétien ; dans ce but il doit « faire du bien à tous » ; mais s’il se joint à une société ou à un comité pour faire du bien, ce n’est pas « au nom de Jésus » qu’il agit, mais au nom de la société ou du comité, sans le nom de Jésus. Cela devrait suffire à tout cœur droit et loyal. Dieu n’a pas d’autre voie de bénir les hommes, si ce n’est par Christ ; et pas d’autre but en les bénissant, si ce n’est d’exalter Christ. Comme du temps de Pharaon, quand les Égyptiens affamés accouraient à lui en foule, il leur disait : « Allez à Joseph », de même la Parole de Dieu dit à tous : « Allez à Jésus ». Oui, il faut que nous allions à Jésus pour l’âme et pour le corps, pour le temps et pour l’éternité ; mais les gens du monde ne Le connaissent pas, et ne sentent pas le besoin de Lui ; ainsi donc, qu’est-ce que le chrétien pourrait avoir à faire avec eux ? Comment peut-il travailler sous un même joug avec eux ? Il ne le peut qu’en reniant d’une manière pratique le nom de son Sauveur. Il y en a beaucoup qui ne voient pas cela ; mais ce fait ne saurait rien y changer pour ceux qui agissent ainsi. Nous devons marcher honnêtement, comme dans la lumière ; et quand même les sentiments et les affections de la nouvelle nature ne seraient pas suffisamment forts en nous, pour nous faire repousser aussitôt la seule pensée d’aller nous placer dans les rangs des ennemis de Christ, la conscience devrait, tout au moins, se soumettre à l’autorité impérative de cette parole : « Ne vous mettez pas sous un joug mal assorti avec les incrédules ».

Que le Saint Esprit veuille revêtir Sa Parole d’une puissance céleste, et en aiguiser le tranchant pour qu’elle pénètre dans la conscience, afin que les saints soient délivrés de tout ce qui les empêche de « poursuivre la course qui leur est proposée ». Le temps est court. Le Seigneur Lui-même apparaîtra bientôt. Alors plus d’un joug mal assorti sera rompu en un clin d’œil ; des brebis et des boucs seront alors éternellement séparés. Puissions-nous être rendus capables de nous purifier de toute association impure, et de toute influence profane, afin que, quand Jésus viendra, nous ne soyons pas couverts de honte, mais que nous puissions aller à Sa rencontre avec des cœurs joyeux et des consciences qui nous approuvent.