Le souper de Béthanie

(Jean 12, 1 à 18)
H. Rossier

Les récits de l’évangile de Jean ont souvent un caractère mystérieux et symbolique, et nous sommes portés à les méditer longuement pour en atteindre le sens profond et découvrir les merveilleux trésors qu’ils contiennent. Telle est, parmi tant d’autres récits de cet évangile, l’histoire du souper de Béthanie. Ses détails si variés frappent d’autant plus que, sauf l’entrée de Jésus à Jérusalem, Sa visite au temple et la multiplication des pains, c’est le seul récit que Jean ait en commun avec les autres évangélistes. En comparant les diverses versions du souper de Béthanie, nous pourrons d’autant plus tirer profit de la portée symbolique du récit de Jean. Commençons par ce dernier.

« Jésus donc, six jours avant la Pâque, vint à Béthanie » (Jean 12, 1). Cette date n’est pas indiquée dans les évangiles de Matthieu et de Marc. Elle tombe sur le premier jour de la semaine, notre dimanche, et rejette à l’arrière-plan la Pâque, appelée par Jean « la Pâque des Juifs » (2, 13 ; 11, 55 ; cf. 6, 4). De plus, le repas même de la Pâque qui joue un si grand rôle dans les autres évangiles, est remplacé dans celui-ci par le souper désigné comme ayant eu lieu « avant la fête de Pâque ». C’est de ce souper que le Seigneur se lève, après avoir mis momentanément « de côté ses vêtements », pour se ceindre et laver les pieds de Ses disciples (13, 1-5). Selon la méthode symbolique de Jean, cet acte indique qu’en mettant de côté Ses vêtements, Christ est allé prendre une position nouvelle pour être à même d’exercer un office qui rende Ses disciples capables d’avoir une « part avec Lui », là où Il les a devancés.

C’est donc le premier jour de la semaine, indiqué ici d’une manière si frappante, qu’a lieu le souper de Béthanie. Dans les évangiles de Matthieu et de Marc, la scène se passe « dans la maison de Simon, le lépreux », détail que Jean passe sous silence. Il dit simplement : « On lui fit là (à Béthanie) un souper ». Quelque intéressante que fût, aux yeux de tous, la personne de Lazare, ce n’était pas en son honneur que le souper était convoqué, mais en l’honneur de Celui qui l’avait ressuscité. Ceux qui s’occupèrent du souper de Jésus disparaissent ici et sont remplacés par ce petit mot : « on ». L’activité humaine qui prépare est supprimée, pour accentuer le grand fait qu’il y eut un souper préparé pour Lui, et pour Lui seul. Cela porte nécessairement nos pensées vers la table chrétienne et non vers la Pâque juive. Cette dernière fut préparée par les disciples. « Où veux-tu », disent-ils à Jésus, « que nous allions préparer ce qu’il faut, afin que tu manges la pâque ? » (Marc 14, 12). Le souper de Béthanie n’a point ce caractère. Il en est de même pour nous, chrétiens ; ce n’est pas nous qui dressons la table du Seigneur ; nous la trouvons dressée, et n’avons qu’à nous y asseoir avec Lui, comme Lazare au souper de Béthanie.

« Lazare, le mort qu’il avait ressuscité d’entre les morts », se trouvait à Béthanie, et « Lazare était un de ceux qui étaient à table avec Lui ». Plusieurs étaient donc à table avec Jésus, mais aucun d’entre eux n’est nommé, sinon Lazare seul. C’est lui qui caractérise les hôtes du Seigneur à Sa table ; ils se groupent, pour ainsi dire, autour de ce seul nom, Lazare. C’est que Lazare est marqué d’un signe qui fait de lui l’homme type parmi les convives. Il est, notons bien cette parole, « Lazare, le mort ». Quoique ayant acquis une vie nouvelle par la résurrection d’entre les morts, il reste, quant à toute sa vie passée jusqu’au moment de sa résurrection, le mort. Son existence antérieure s’est terminée dans la mort, il vit maintenant d’une vie nouvelle qui n’a plus de lien avec l’ancienne. Tel est le seul caractère imprimé sur les convives assis avec Christ au repas de Béthanie. Il en est de même pour ceux qui entourent le premier jour de la semaine la table du Seigneur, le souper en Son honneur. Le caractère de Lazare imprime une grande solennité au repas de la cène. Rien de ce qui appartient à la condition du vieil homme n’y est admis. Des êtres, nés de nouveau, y prennent part, introduits par la résurrection dans une vie nouvelle ; seulement ils manifestent que la vie ancienne a trouvé sa fin définitive dans le tombeau, d’où la puissance de Christ, qui est « la résurrection et la vie », les a sortis.

Lazare était à table avec Lui. Sans Lui, il n’aurait eu aucun droit de s’asseoir à Son souper. En lui-même, il n’était rien qu’un mort, mais avec Lui, il était le vivant témoin, l’illustration de la puissance vivifiante de son Sauveur, en résurrection.

Le fait que Lazare seul est nommé ici, est d’autant plus frappant que les autres évangiles nous présentent les convives d’une autre manière. Dans celui de Matthieu, tous les disciples constituent l’assistance (Matt. 26, 8). Marc parle de « quelques-uns qui étaient là » (Marc 14, 4). Ici, nous le répétons, au milieu de ceux qui étaient à table, l’Esprit concentre nos regards sur Lazare seul, et sur Jésus, pour lequel cette table était dressée.

Il est encore plus remarquable que Jean nomme une seule famille, celle de Béthanie, comme ayant part à la fête. Cette famille est composée de trois personnes, Lazare, Marthe et Marie. Comme nous le verrons, c’est l’ensemble complet et divin quant au nombre, des caractères de la famille de Dieu, selon la portée symbolique de toute cette scène.

Mais revenons à Lazare. Aucune parole ne sort de sa bouche, et, de fait, nul ne parle ici que Christ, dont le cœur approuve pleinement ce qui a lieu, et Judas Iscariote qui s’y oppose formellement. Lazare, avons-nous dit, ne parle pas, mais il est à table avec Lui, et cela lui suffit. Il n’a, comme on pourrait le supposer, aucune place qui le distingue au souper. Cet homme, objet d’un miracle extraordinaire, n’est que « l’un de ceux » ; ce n’est pas lui qui est le personnage en vue, mais Christ, auteur de sa nouvelle existence. Lazare partage Son souper ; il est en communion avec Lui seul ; non pas qu’elle n’existe avec les autres disciples, mais la communion des saints n’est pas même mentionnée ici, pour faire, je n’en doute pas, ressortir d’autant plus celle avec le Seigneur.

« Marthe servait ». Matthieu et Marc omettent Marthe, aussi bien que Lazare, preuve indubitable du caractère symbolique de cette scène dans l’évangile de Jean. Le service de Marthe a ici un caractère très touchant. En Luc 10, 38 à 42, Marthe paraît pour la première fois dans l’histoire ; elle est blâmée par le Seigneur au sujet de son service. Non pas qu’il fût blâmable en lui-même, bien au contraire ; mais les pensées de Marthe étaient dirigées sur son service, et non pas sur le Seigneur qui aurait dû en être le seul objet. Certes, le service était utile, et pouvait même être appelé le « don de grâce » particulier à Marthe (Rom. 12, 7) ; elle était désignée pour cela ; mais, avant de donner au Seigneur, elle aurait dû recevoir de Lui. Dans le passage qui précède ce récit (Luc 10), une instruction semblable est donnée au docteur de la loi. Le Seigneur lui avait fait comprendre, par la parabole du Samaritain, qu’il lui fallait commencer par recevoir la grâce comme pécheur perdu, avant de pouvoir l’exercer envers son prochain. « Va, et toi fais de même », lui dit Jésus après l’avoir placé dans la parabole en présence de sa propre histoire et de ce que le Sauveur avait fait pour lui. Marthe n’appartenait pas à la catégorie des pécheurs, comme le docteur de la loi ; elle était comme Marie, une brebis du Christ, mais il lui fallait commencer là où le pécheur commence : recevoir de Lui, avant d’entrer dans une vie d’activité pour Lui.

Au tombeau de son frère Lazare, Marthe avait appris une grande leçon, entre beaucoup d’autres : l’impuissance absolue de l’homme devant la mort. Dans ces conditions, la résurrection et la vie s’étaient manifestées à elle. Désormais, elle pouvait développer une activité toute autre que par le passé. Autrefois, elle était mécontente de sa sœur, mécontente même de Christ, dans son service, parce que ce service était l’idole de son cœur. Maintenant, elle sert, parce que c’est la fonction qui lui est assignée envers le Fils du Dieu vivant, devenu son objet, qu’elle a appris à connaître comme tel dans la résurrection de Lazare. Lazare est à table avec Jésus, jouissant d’une communion sans activité extérieure, mais, dans la délicieuse intimité que ce repas commun crée entre lui et le bienfaiteur auquel il doit la vie. Marthe a une fonction beaucoup plus humble, toute de dévouement et de fatigue, car elle doit être attentive aux besoins de tous, afin que personne, et le Seigneur moins que tout autre, ne soit privé des soins nécessaires. Ce service exige l’oubli de soi-même : combien différent du caractère que Marthe avait jadis. Position obscure, mais privilégiée, car le Seigneur, étant devenu son tout, elle suit le chemin d’abaissement du divin Serviteur qu’elle a sous les yeux. Il est dit d’elle : « Elle servait » ; non pas : Elle Le servait. Tous ceux qui faisaient partie de cette fête, dont Christ était le centre, étaient également les objets de ses soins comme inséparables du Maître. Lazare était leur représentant, lui qui, par la résurrection, participait à la vie du Fils de Dieu.

Le troisième personnage est Marie. Ce qu’elle a fait pour le Seigneur est proclamé partout, comme la plus haute expression de l’attachement à Sa personne, quand déjà la mort planait sur Lui et que le traître, présent à cette scène, songeait à Le livrer. Nous y reviendrons ; mais remarquons d’abord que le souper de Béthanie nous présente, dans trois personnages, les trois principes qui constituent l’ensemble de la vie chrétienne dans la maison de Dieu. Ces trois principes sont la communion, le service et l’adoration. Nous avons vu l’exemple des deux premiers dans Lazare et dans Marthe, et nous allons considérer le troisième dans la personne de Marie. Mais n’oublions pas que Celui qui rassemble ces trois personnes autour de Lui, c’est Christ, centre unique auquel se rapportent les principes qu’elles représentent. En effet, dans ce repas, fait en Son honneur, la communion est avec Lui, le service pour Lui, le culte ou l’adoration n’a pas d’autre objet que Lui.

Ces trois principes qui caractérisent, comme nous l’avons dit, la vie chrétienne tout entière, dans la maison de Dieu, sont comme résumés dans le repas de la cène qui réunit les croyants le premier jour de la semaine. Le service lui-même, qui joue à cette occasion un rôle en apparence effacé, y est cependant aussi indispensable que la communion ou l’adoration. Servir les saints en les aidant à prendre part à la cène du Seigneur, c’est servir le Seigneur qui les identifie avec Lui. Servir en « faisant part de ses biens », comme cela a lieu le jour où l’on se réunit pour le culte, n’a pas un autre caractère. Aussi l’humble service auquel on prête souvent si peu d’attention, devrait-il nous être très précieux quand nous nous réunissons ainsi. « Marthe servait », et son service était comme le lien de la communion.

Revenons maintenant à celle qui joue le rôle principal dans cette précieuse réunion de famille. Elle représente quelque chose de plus élevé que le service : l’adoration.

La communion, c’est-à-dire la part et la jouissance en commun avec Dieu, remplit le cœur d’une « joie accomplie ». Quelle bénédiction, en effet, que d’être invités, nous, êtres infimes, à la table du Dieu souverain, comme les enfants d’un tel Dieu, pour nous nourrir de Christ qui fait les délices de Son propre cœur ! Cela nous élève à la plus haute place, mais nous pourrions nous enorgueillir d’un tel privilège dont même un apôtre voyait le danger. Or il est une attitude plus précieuse encore en ce qu’elle ne nous fait courir aucun péril, c’est de venir prendre aux pieds du Fils de Dieu, la dernière place dans une adoration où nous ne pouvons que nous oublier nous-mêmes. On ne pense alors ni à ses privilèges, ni à la jouissance de ses bénédictions ; on se trouve devant l’amour insondable, devant l’amour divin, révélé dans un homme qui est Dieu ; on répand, comme Marie, sur les pieds du Sauveur, un parfum dont la perte est une folie pour les hommes, mais qui remplit la maison tout entière, « comme le son subtil de harpes invisibles » !

Il ne s’agit, dans le cas de Marie, ni de ce que l’on éprouve dans la communion, ni de ce que l’on donne dans le service. Un objet, Dieu Lui-même manifesté en chair, car tel est le caractère de Christ dans l’évangile de Jean, s’est emparé de telle sorte des pensées et de l’être tout entier, qu’il n’y a place pour nul autre. Le cœur s’épanche comme le parfum du vase ; il n’a rien d’assez excellent à verser sur les pieds du Dieu d’amour, devenu homme pour accomplir l’œuvre de la rédemption. Marie oint les pieds du Fils de Dieu qui va mourir.

Remarquez combien cette scène diffère de celles de Matthieu et de Marc. Dans ces deux évangiles, Marie n’est pas nommée ; elle est simplement : « une femme ». Il appartient à l’évangile de Jean, où le Seigneur « appelle ses propres brebis par leur nom » (10, 3), de nous donner le nom de celle-ci, de même qu’Il appellera par son nom une autre Marie, au jour de Sa résurrection (20, 16). Dans les évangiles de Matthieu et de Marc, cette femme (Marie) occupe toute la scène ; il n’y a place que pour le Sauveur et pour elle, et malgré cela, le caractère de son acte y est moins élevé que dans l’évangile de Jean. Dans l’évangile de Matthieu (26, 6-13), elle vient à Jésus et répand son parfum, non sur Ses pieds, mais sur Sa tête. Elle accomplit l’onction du Fils de David, dont l’évangile de Matthieu nous entretient. Elle oint la tête du Roi, du Messie méconnu et rejeté, au moment où Il va mourir. Elle seule proclame, devant tous, les droits au royaume de Celui qui va prendre la place d’une victime. Son parfum se répand de la tête « sur le corps » du Seigneur (v. 12). Seul digne de l’onction du royaume, onction accomplie par l’acte de foi d’une faible femme qui reconnaît cette dignité, le Fils de David va mourir ; Son corps va être enseveli, mais Il ne peut rester dans le sépulcre ; et c’est ce que la foi de Marie sent, plus sans doute qu’elle ne le sait. Elle ne songera pas plus tard, comme d’autres, à oindre Son corps mort, car Il devra ressusciter pour entrer dans Son règne avec l’onction précieuse sur Sa tête. Mais elle Lui rend, avant la croix, le témoignage de l’honneur qui Lui est dû, afin qu’Il puisse encore le recevoir sur la terre, à la veille de mourir.

Judas ne paraît pas dans la scène de Matthieu. Les disciples seuls expriment leur indignation sur la prodigalité de Marie. Hélas ! ils ne considèrent pas comme une bonne œuvre ce qui est fait envers Christ, et ne donnent ce nom qu’à la libéralité envers les pauvres, mais ils fournissent ainsi au Seigneur l’occasion de montrer le caractère d’une bonne œuvre. « Quand on distribuerait tout son bien aux pauvres », cela ne profiterait de rien si l’amour, si Jésus Lui-même, n’était à la base de cet acte. Et de plus, avec quelle sévérité affligée le Sauveur ne prend-Il pas la défense de Son humble servante, ne permettant pas qu’on la blesse dans son affection et qu’on viole le sanctuaire de son cœur. L’opposition des disciples aurait pu écraser son cœur sensible et la replier sur elle-même, se demandant peut-être si elle avait contrevenu aux devoirs de la charité. Jésus apprécie cette âme tendre, car qui est tendre comme Lui ? « Pourquoi », dit-Il, « donnez-vous du déplaisir à cette femme ? ».

Dans l’évangile de Marc (14, 3-9), comme dans celui de Matthieu, « la femme » répand aussi son parfum sur la tête de Jésus. Tandis que, dans ce même chapitre, pas un des disciples n’est capable de rendre la pareille à l’amour que Jésus leur témoigne, Marie seule fait exception. Elle apporte son parfum au Sauveur, et, circonstance des plus touchantes, elle ne vient pas ici devant le Roi, mais devant le Serviteur, dont la carrière est le sujet de l’évangile de Marc. C’est donc sur la tête du Serviteur qu’elle répand son parfum ; puis elle brise le précieux vase d’albâtre qui le contenait. Marc seul nous parle de ce vase brisé. Après avoir servi pour l’onction d’un tel serviteur, il ne pourra plus jamais contenir de parfum pour qui que ce soit ! La gloire du Serviteur qui, s’anéantissant Lui-même, traça de Ses pieds adorables un sentier d’obéissance dans ce monde révolté, et descendit jusqu’à la croix pour accomplir la volonté rédemptrice de Dieu ― cette gloire est égale à celle du Roi ― que dis-je ? elle est plus haute encore, et la tête du Serviteur est digne de la même onction. C’est l’huile de joie qui L’élève à jamais au-dessus de Ses compagnons ! Marie fait tout ce qui est « en son pouvoir » pour reconnaître et célébrer ce merveilleux abaissement. Elle déclare, en oignant la tête du Sauveur, qu’après s’être anéanti, Il sera « haut élevé ». Aussi Jésus donne-t-Il toute sa signification à l’acte de cette femme : elle l’a fait « pour ma sépulture ». Un tel acte d’amour, une telle appréciation de l’abaissement du Christ, méritait d’être considéré, comme si Marie avait conscience, par anticipation, des résultats de l’œuvre qu’Il allait accomplir. Ce qu’elle a fait n’est pas seulement enregistré dans le ciel, mais sera proclamé sur la terre aussi longtemps que l’évangile y sera prêché.

Dans l’évangile de Jean (12, 1-8), nous trouvons l’adoration profonde de cette Marie qui avait coutume de prendre place aux pieds du Sauveur (Luc 10, 39 ; Jean 11, 32). Le culte rend la servante de Jésus, prosternée à Ses pieds, étrangère à toute autre chose. Tandis que Marthe sert le Seigneur Lui-même dans les siens, Marie Le sert, Lui, tout seul. Comment prendre une autre attitude devant le Fils de Dieu ? Pourrait-elle oindre Sa tête ? Marie ne peut y songer, mais elle vient oindre les pieds de cet homme qui est Dieu. Cette pensée lui est du reste familière, car toujours elle L’a reconnu comme Dieu, soit que, par Sa parole, Il lui ouvre le trésor des pensées éternelles, ou qu’Il soit déclaré Fils de Dieu en puissance au tombeau de Lazare. Elle ne peut donc oindre de son parfum cette tête divine, mais bien les pieds saints qui, dans une pureté parfaite, ont traversé ce monde de souillures, afin de marcher au but, la rédemption éternelle des pécheurs. Elle se sent tout au plus digne de servir de marchepied à Ses pieds. Sa chevelure, « la gloire de la femme », n’est propre qu’à essuyer le parfum lui-même, ce parfum pur et de grand prix dont elle oint Ses pieds adorables et qui n’a pas pour elle assez de valeur pour y demeurer. Mais en l’essuyant, Marie s’en imprègne, et le parfum remplit la maison tout entière, glorifiant l’amour qui a fait descendre le Fils de Dieu jusque dans la mort.

Le parfum de notre louange
N’est que celui de Son amour.

Marthe sert, avons-nous dit ; Marie Le sert. Seul cas où Jésus ait rencontré de la sympathie sur la terre. Il a trouvé ici et là de la foi, de la confiance, de l’admiration, mais jamais de sympathie. Combien Son cœur si infiniment tendre, devait en souffrir ! Mais, dans le cas de Marie, ce n’est pas de l’admiration, c’est de l’amour pour Celui qui va mourir et que les machinations du traître et la haine de Ses ennemis environnent déjà, pour l’Agneau qui marche à la boucherie sans ouvrir la bouche. Marie accomplit cet acte en présence de son frère, témoin vivant de la résurrection, mais ce qui la jette aux pieds de son Seigneur, n’est pas ce qu’Il a fait pour Lazare ; c’est l’indicible amour de Celui qui, étant Lui-même la résurrection et la vie, consent à mourir. Elle fait cela « pour le jour de sa sépulture » ; sans doute, elle ne raisonne pas la chose, mais la foi est intelligente et ne saurait accomplir un acte d’ignorance. De fait Marie, avec sa simple foi, est plus intelligente que toutes les saintes femmes ensemble. Elle ne pourra s’associer à ces dernières pour embaumer le corps d’un Christ mort qui, ayant été déclaré Fils de Dieu par la résurrection de Lazare, devra l’être infailliblement par Sa propre résurrection. Elle ne se joindra pas à celles qui iront chercher parmi les morts Celui qui est vivant.

Judas, dont les autres évangiles omettent la présence, est mentionné ici. Cette victime de Satan vient profiler son ombre noire au milieu de ce souper où les trois cœurs de la famille de Béthanie battent à l’unisson de celui du Sauveur. Cet homme estime la valeur du parfum à trois cents deniers, puis va vendre son maître pour dix fois moins de pièces d’argent que le parfum lui-même. C’est à un tel prix, « prix magnifique auquel il a été estimé par eux », qu’il consent à vendre son Dieu !

On trouve de grandes analogies entre l’acte de Marie et celui de la pécheresse dans l’évangile de Luc (7, 36-50). Luc, d’accord avec son but qui est essentiellement évangélique, n’enregistre que l’histoire de la pécheresse et l’insère en place du souper de Béthanie. Les extrêmes se touchent, car une chose réunit ces deux femmes dans un même acte et avec un même parfum ; une chose prosterne la pécheresse aux pieds du Fils de l’homme, comme Marie aux pieds du Fils de Dieu, c’est l’amour. Toutes deux aiment beaucoup, parce qu’elles savent être beaucoup aimées, et toutes deux ont conscience de la profondeur de cet amour divin. L’une vient au souper d’un monde hostile, sans voir les conviés ou sans en tenir compte, parce que ses besoins l’attirent à la seule source qui puisse les satisfaire ; l’autre vient, en communion avec les hôtes de Béthanie, mais oubliant même ces hôtes bénis, pour adorer l’amour de Dieu qu’elle a connu en Christ. Toutes deux essuient les pieds de Jésus avec leurs cheveux, mais la pécheresse y essuie ses pleurs de repentance, sentant même cette dernière indigne de l’amour de Jésus dont elle inonde les pieds de larmes. Marie essuie le parfum qu’elle a versé, jugeant même sa louange et son adoration indignes d’un tel objet. La pécheresse est placée en pleine lumière avec ses péchés, pour rencontrer la grâce, et témoigne sa reconnaissance par ses baisers. Marie vient avec un cœur déjà purifié pour adorer l’immensité de l’amour de Celui qui va mourir. Elle ne vient pas comme la pécheresse chercher et remporter le salut, le pardon et la paix ; elle vient avec toute la sympathie d’un cœur aimant et remporte l’approbation du Seigneur qui prend sa défense vis-à-vis de l’ennemi, tout en lui donnant l’intelligence de l’acte d’adoration qu’elle accomplit et dont elle-même ne mesure pas la portée. Elle reçoit au-dedans de son cœur le témoignage d’avoir plu au Sauveur avant Sa mort, et ce qu’elle a fait en est encore aujourd’hui le témoignage devant le monde.

Toutes deux, la pauvre pécheresse et l’amie de Béthanie, ont une place de choix dans le cœur du Sauveur et sont gardées dans Ses trésors comme des joyaux de grand prix !