Paroles du roi Lemuel

Proverbes 31, 1 à 9
H. Rossier
1908

En contraste avec les paroles d’Agur, homme stupide, sans intelligence et sans sagesse, mais inspiré de Dieu qui lui communiquait sa sagesse (Prov. 30), nous trouvons, au chapitre 31, les paroles d’un roi. Tout roi qu’il fût, Lemuel n’était pas inspiré, ce qui empêche de le confondre avec Salomon, comme le voudraient les rabbins juifs. Sa mère était inspirée ; elle avait reçu l’oracle de Dieu et l’avait enseigné à son fils, car Dieu ne lie l’inspiration ni au sexe, ni à l’instruction, ni aux dons naturels, ni à la position ou à l’autorité sociales.

Le fait que cette mère avait enseigné l’oracle à son fils est très caractéristique. La femme n’est pas appelée à enseigner l’homme, et la Parole le lui défend, mais elle peut, comme mère, enseigner ses enfants. Lemuel devait donc être un enfant quand sa mère l’enseigna.

Le nom de Lemuel, qui ne se rencontre nulle part dans la Parole, signifie : « Voué à Dieu ». Ce nom a beaucoup exercé la sagacité humaine. Outre les commentateurs rabbiniques, dont nous avons parlé, plusieurs pensent qu’il désigne Ézéchias. D’autres font de lui un frère d’Agur, d’autres encore considèrent ce nom comme une personnification poétique de la royauté, etc. Peut-être la Parole de Dieu nous fournira-t-elle quelque indication sur ce sujet.

Trois rois sont nommés dans les Proverbes. En tout premier lieu, Salomon, roi d’Israël (1, 1), l’auteur inspiré de la plus grande partie du livre, le roi par excellence. Il est toujours nommé le roi dans les Proverbes. Il y est, comme du reste dans toute son histoire, le type de Christ pendant son règne millénaire. En second lieu, Ézéchias, roi de Juda (25, 1), l’instrument du premier réveil, dont les gens transcrivirent un bon nombre de proverbes de Salomon. On voit par là le prix que ce roi pieux attachait aux paroles données de Dieu. Enfin le roi Lemuel, qui nous occupe. À son sujet, je ferai remarquer, sans y attacher une grande importance, que cinquante-sept ans après Ézéchias, son arrière-petit-fils Josias, instrument du second réveil de Juda, monta sur le trône. Il succédait aux mauvais règnes de Manassé et d’Amon. Josias était un enfant de huit ans quand il commença de régner. Dès son enfance, c’est-à-dire dès le début de son règne, il commença de rechercher le Dieu de David, son père. Il était donc réellement voué à Dieu. En outre, sa mère était une fille de Juda, où le culte de l’Éternel se maintenait encore. Elle se nommait Jedida, fille d’Adaïa, de Botskath. À elle était confié le soin d’enseigner son fils, jeune garçon. On pourrait donc supposer, sans l’affirmer, que Lemuel et Josias ne forment qu’un personnage.

Lemuel reçut dans son cœur l’enseignement inspiré de sa mère, accompagné selon l’esprit du livre des Proverbes (1, 8, etc.), de l’autorité maternelle qui veillait sur lui, s’occupant à le redresser et à le conformer aux pensées de Dieu. Cet oracle, prononcé par la mère, reçu dans le cœur du fils, et transmis par lui, fait maintenant partie des Saintes Écritures.

C’était un ardent amour, l’amour d’une mère, qui parlait à Lemuel : « Quoi, mon fils ? Et quoi, fils de mon ventre ? Et quoi, fils de mes vœux ? ». Les entrailles de sa mère étaient émues à son égard, ses vœux à l’Éternel avaient été exaucés par le don d’un fils, et, pleine de reconnaissance, elle les avait rendus à Dieu en lui consacrant Lemuel. Ces exclamations, Lemuel les répète ; elles ont touché son cœur en le convainquant de l’amour de sa mère, et en lui faisant désirer de ne pas être infidèle à l’enseignement donné avec tant d’affection. Il en est de même pour nous. Notre service ne peut être efficace, notre marche agréable au Seigneur, si l’amour de Dieu, si l’amour de Christ, n’en sont pas le point de départ.

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La première recommandation de la mère de Lemuel à son fils est celle-ci : « Ne donne point ta force aux femmes, ni tes voies à celles qui perdent les rois ». Elle désire que la force de celui qui a été consacré à Dieu reste en son entier, afin que son service n’en soit aucunement affaibli. Les femmes jouent un grand rôle, dans les Proverbes. Comme images, elles sont d’un côté la sagesse, de l’autre la « femme étrangère », la corruption. Lemuel devait éviter cette dernière. Toute convoitise, par laquelle nous nous laissons séduire, tend à nous dérober l’énergie nécessaire pour le service de Dieu. Du moment que notre cœur est gagné par elle, notre caractère et notre autorité sont affaiblis. Il n’est pas besoin de beaucoup de convoitises pour produire ce résultat. Si notre cœur s’y attache, alors que nul que nous, peut-être, ne s’en est aperçu, nous perdons une bonne conscience devant Dieu et devant les hommes, et nous n’exerçons plus notre mission avec un cœur droit, car nous avons laissé la fraude s’y introduire. Nous devenons faibles ; les âmes que nous sommes appelés à gouverner, le sentent, sans peut-être s’en rendre compte, et nous perdons toute influence sur elles. Mais quand nous « donnons nos voies » aux convoitises corruptrices, quand notre conduite a pour but de les satisfaire, alors elles sont notre perte. La dignité que Dieu nous a confiée est jetée à terre et ne se retrouve pas. Ces voies aboutissent à la ruine morale.

N’en fut-il pas ainsi de Salomon ? Ce roi, auquel Dieu avait tout confié pour rendre son règne glorieux sur la terre, ce roi qui réunissait à l’inspiration (Prov. 16, 10) la sagesse, le juste jugement (20, 8), dont la présence apportait la lumière, la justice (16, 15) et la paix, ce roi qui était appelé à dispenser sa faveur aux purs et aux droits de cœur (22, 11), et qui se faisait craindre comme représentant de Dieu ici-bas, selon cette parole : « Mon fils, crains l’Éternel et le roi » (24, 21) — ce roi donna sa force aux femmes et ses voies à celles qui perdent les rois. Lui, le type du Seigneur dans Son règne millénaire, finit lamentablement sa carrière, entraîné par les femmes à l’idolâtrie, comme jadis Israël à Baal-Péor, et fut la cause de la ruine de son peuple. Et c’est par les paroles du roi Lemuel qui, lui, n’est nullement un type de Christ, mais simplement un roi voué à Dieu pour Le servir, que le grand roi Salomon est jugé ! Celui qui remplit les pages des Proverbes de ses sentences inspirées, reçoit, à la fin de son livre, pour les générations futures, sa condamnation par un enfant, simplement attentif à l’avertissement inspiré, dicté par l’amour de sa mère.

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Voici la seconde recommandation de la mère de Lemuel : « Ce n’est point aux rois, Lemuel, ce n’est point aux rois de boire du vin, ni aux grands de dire : Où sont les boissons fortes ? de peur qu’ils ne boivent, et n’oublient le statut, et ne fassent fléchir le jugement de tous les fils de l’affliction ».

La première parole était de garder sa force en son entier et de n’en rien livrer aux femmes, pour soutenir le caractère et la dignité que Dieu lui avait confiés. La seconde est de s’abstenir de ce qui enivre. Sans doute, l’ivresse n’est pas amenée uniquement par le vin. Au sens spirituel, il y a d’autres choses qui produisent moralement le même résultat. De là cette recommandation d’être sobres, souvent répétée dans le Nouveau Testament. Mais ici, la chose est plus simple et plus directe. Il s’agit de vin et de boissons fortes au sens littéral du mot, ce qui, naturellement, n’empêche pas une application plus étendue.

Je crois qu’il est de toute importance d’attirer l’attention des enfants de Dieu sur ce sens restreint. Les chrétiens sont rois, bien plus que Lemuel, car ils le sont par la dignité céleste qui leur a été confiée. N’ont-ils pas aussi besoin de ces exhortations ? N’est-il pas attristant de voir des enfants de Dieu, sous prétexte de liberté chrétienne, se laisser entraîner à l’abus du vin ou des boissons fortes ? Mieux vaut mille fois l’abstinence complète, dès qu’ils se rendent compte de l’esclavage auquel les livre leur secret penchant, que des demi-mesures qui les exposent toujours à de nouveaux périls. « Où sont les boissons fortes ? ». Voilà ce qui hante leur esprit, et plusieurs ne rougissent pas d’aller s’asseoir dans les débits de boissons ! Quelle honte pour la dignité de leur caractère et pour le nom qu’ils portent !

Mais ce n’est pas seulement ce nom qu’ils déshonorent. Il est dit : « Ne vous enivrez pas de vin, en quoi il y a de la dissolution » (Éph. 5, 18), parole qui correspond à ce qui est dit ici : « De peur qu’ils ne boivent et n’oublient le statut ». Il y a de l’oubli dans le vin. Nous verrons plus bas pour qui l’oubli est un gain, mais il est présenté ici comme une perte immense. La mémoire du statut, c’est-à-dire des choses que Dieu a établies, qui ont de l’autorité et lient le cœur de l’homme, cette mémoire est perdue. La dissolution est survenue. On ne se trouve plus lié par des principes divins. Le vin livre le chrétien, sans qu’il s’en doute, à des principes terrestres ou sataniques qui le conduisent, sans qu’il puisse leur résister. Le sens moral fait défaut, dès que les liens avec Dieu sont relâchés.

« Et ne fassent fléchir le jugement de tous les fils de l’affliction ». Cet oubli du statut rend l’âme indifférente à ce qui est juste et injuste. Quand il s’agit de faire droit aux affligés, pour lesquels le roi et les grands sont établis, on viole ce droit, parce qu’on n’a plus de règle morale basée sur la connaissance des pensées de Dieu. Ainsi la vie a perdu sa rectitude ; le monde qui surveille les chrétiens, peut se moquer de leur dignité, puisqu’elle ne les empêche pas de se conduire d’une manière que les incrédules même condamnent.

« Donnez de la boisson forte à celui qui va périr, et du vin à ceux qui ont l’amertume dans le cœur : qu’il boive et qu’il oublie sa pauvreté, et ne se souvienne plus de ses peines ».

Ce passage n’est en aucune manière une autorisation donnée à ceux qui ont des chagrins, de les noyer dans l’ivresse. Il nous est dit : « Donnez ». Le souci pour les mourants, les pauvres, ceux qui traversent l’amertume du deuil, m’engagera à leur donner ce qui peut leur faire oublier ces peines. C’est une allusion à la coutume juive dont parle Jérémie (16, 7). « On ne rompra pas pour eux le pain dans le deuil, en consolation au sujet d’un mort, et on ne leur donnera pas à boire la coupe des consolations pour leur père ou pour leur mère ». La pauvreté, la maladie, la perte de ceux qui nous sont chers, peuvent avoir pour effet d’abattre le courage et de détruire toute énergie en ramenant continuellement nos pensées sur notre épreuve. Tel n’est pas le but de Dieu en l’envoyant. Il est bon que l’âme compatissante du serviteur de Dieu vienne nous offrir le « vin d’oubli », en nous prouvant sa sympathie et en s’ingéniant à détourner notre cœur de ses peines et à lui apporter la joie qui les bannit. De même, en Néhémie 8, 9 et 10, le peuple qui pleurait en entendant la loi, est engagé à ne pas pleurer ni mener deuil. Néhémie leur dit : « Allez, mangez de ce qui est gras et buvez de ce qui est doux… et ne vous affligez pas, car la joie de l’Éternel est votre force ».

Telle est l’occupation humble et modeste, non seulement du roi, mais aussi de tous, car « Donnez » s’adresse à tous. Mais pour cela, il faut avoir réalisé ce précepte : S’abstenir soi-même de ce qui affaiblit et de tout ce qui enivre.

Nous trouvons, dans la Parole, trois classes de personnes qui ont à s’abstenir de vin : les rois, afin que, se souvenant toujours des principes divins, ils embrassent la cause des affligés et bien plus, qu’ils sympathisent avec eux et les secourent en leur prodiguant les consolations que le vin représente. Les sacrificateurs (Lév. 10, 9), de peur qu’ils offrent un feu étranger dans le culte et ne soient consumés comme Nadab et Abihu. Aaron et ses fils durent, à la suite de cet événement (Lév. 10, 8), s’abstenir de vin et de boisson forte avant d’entrer dans la tente d’assignation. C’était le moyen pour eux de discerner entre ce qui était saint et ce qui était profane, entre ce qui était impur et ce qui était pur, car la boisson faisait perdre le discernement.

N’en est-il pas de même pour les chrétiens ? Comme ils sont rois, ils sont aussi sacrificateurs. Un chrétien qui s’abstient de vin et de boissons fortes est souvent péniblement impressionné par le sens spirituel émoussé d’enfants de Dieu qui ne sont plus capables de juger, dans les assemblées, que la sainteté convient à la maison de Dieu. Dans un bon nombre de cas, le vin, au sens littéral du mot, en est la cause. Ces chrétiens sauront très bien condamner l’ignorance d’une société d’abstinence, basée sur le faux principe de l’amélioration de l’homme pécheur, mais cette ignorance n’est-elle pas infiniment moins coupable que l’abus de la liberté chrétienne dont on se sert comme prétexte pour se livrer à ses propres convoitises ?

Les nazaréens composaient la troisième classe de personnes qui devaient s’abstenir du vin. Un nazaréen se vouait entièrement à Dieu et se séparait afin d’être à l’Éternel, séparation complète des joies du cœur naturel et des plaisirs de l’homme dans la société de ses semblables. Le nazaréen avait ses joies autre part, et elles ne pouvaient s’accorder avec celles que la terre pouvait lui fournir. Les Récabites étaient des nazaréens perpétuels. Ils avaient cette ordonnance de leur ancêtre Récab et la gardaient fidèlement. Il n’était pas commandé à tous les nazaréens de s’abstenir pour toujours de boissons capables d’enivrer à l’occasion, mais Dieu approuvait hautement les Récabites et avait des promesses spéciales et précieuses pour toute cette famille (Jér. 35).

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« Ouvre ta bouche pour le muet et pour la cause de tous les délaissés. Ouvre ta bouche, juge avec justice, et fais droit à l’affligé et au pauvre » (v. 8-9).

Telles sont les fonctions du roi voué à Dieu. Combien elles paraissent modestes ! Ne se serait-on pas attendu pour Lemuel à un cercle d’action moins restreint ? Et cependant, pour les remplir, il fallait que le roi eût toute sa force et s’abstînt de tout ce qui pouvait lui faire oublier les pensées de Dieu !

« Ouvre ta bouche », lui est-il dit deux fois. D’abord, il est capable de devenir la bouche de celui qui ne peut parler et de plaider pour les délaissés, pour ceux qui n’ont aucun appui humain dans ce monde. Ils trouvent en haut lieu leur appui, auprès du roi lui-même, dont le cœur est rempli de compassion pour leur misère. Ensuite, il ouvre sa bouche pour juger justement, n’ayant d’autre considération que l’équité ; et pour faire droit à ceux qu’on opprime, et dont il est dit (v. 6-7) qu’ils ont besoin d’être encouragés et de retrouver l’espoir qui les a quittés en présence de leur malheur.

Ces paroles ne sont-elles pas comme une image de ce qui doit se passer au milieu du peuple de Dieu ? Le chrétien, placé dans une position privilégiée, comme Lemuel, a une immense responsabilité. Quand il se « voue à Dieu », au service du Seigneur, il faut qu’il sache éviter les deux dangers que le monde place devant lui, les deux pièges par lesquels l’ennemi cherchera à détruire l’œuvre que Dieu lui a confiée. Éviter la corruption, « haïr même le vêtement souillé par la chair », se garder soigneusement de ce qui enivre. Alors il sera capable de parler, au milieu du peuple de Dieu, pour le muet qui ne peut exprimer ce qu’il porte dans son cœur, et il deviendra sa bouche. Son action produira de la joie chez le moindre des membres de l’Assemblée de Dieu. Il saura mettre en lumière la cause des délaissés qui, au lieu de se sentir abandonnés, éprouveront les chaudes sympathies du Seigneur par la bouche de celui qui est le canal de Son amour pour les siens. « Ouvre ta bouche », lui est-il dit une seconde fois. Personne n’a le droit de la fermer à celui qui n’est responsable de sa liberté qu’à Dieu. Il a à juger, comme le Dieu qu’il représente, sans faire acception de personnes, avec discernement, avec justice, car il est le porteur de la gloire de Christ. On trouve l’amour au verset 8, la justice pratique au verset 9, les deux grands traits auxquels on reconnaît celui qui est voué à Dieu. Et ce qui attire l’exercice de cette justice secourable, c’est l’affligé et le pauvre. Des trésors de consolation leur sont offerts par les vrais Lemuels. Le cœur de Dieu se porte vers les malheureux et les déshérités. Leur venir en aide, c’est être un vrai disciple de Christ, mas cela ne va pas sans la consécration à Dieu, sans une vraie séparation du monde et de ses joies. « Le service religieux pur et sans tache devant Dieu le Père, est celui-ci : de visiter les orphelins et les veuves dans leur affliction et de se conserver pur du monde » (Jacq. 1, 27).