C’est une chose délicieuse de contempler les triomphes moraux du christianisme — les victoires obtenues contre soi et contre le monde, et la manière merveilleuse selon laquelle de telles victoires sont obtenues. La loi disait : « Tu feras ceci ; et tu ne feras pas cela ». Mais le christianisme parle un langage totalement différent. En lui, nous voyons la vie accordée comme un libre don — la vie découlant d’un Christ ressuscité et glorifié. C’est quelque chose qui est tout à fait au-delà de la portée de la loi. Le langage de la loi était : « L’homme qui aura fait ces choses vivra par elles ». Une longue vie dans le pays était tout ce que la loi proposait à l’homme qui pouvait la garder. La vie éternelle en un Christ ressuscité était quelque chose de totalement inconnu et même hors de toute pensée, sous le système légal.
Mais le christianisme ne donne pas seulement la vie éternelle ; il donne aussi un objet duquel cette vie peut être occupée — un centre autour duquel les affections de cette vie peuvent se mouvoir — un modèle sur lequel cette vie peut être formée. Ainsi, elle obtient ses puissants triomphes moraux. Ainsi, elle obtient ses conquêtes sur une nature égoïste et un monde égoïste. Il donne la vie divine et un centre divin ; et comme la vie se meut autour de ce centre, nous sommes sortis du moi.
C’est le secret du renoncement à soi-même. Il ne peut être atteint d’aucune autre manière. L’homme inconverti trouve son centre en lui-même, et de ce fait, lui dire de ne pas être égoïste, c’est lui dire de ne pas être du tout. Cela reste vrai même en matière de simple religion. Un homme s’occupera de sa religion afin, pense-t-il, de promouvoir ses intérêts éternels. Mais c’est une chose tout à fait différente de trouver un objet et un centre en dehors de soi. Le christianisme seul peut les fournir. L’évangile de la grâce de Dieu est la seule chose qui peut effectivement répondre au besoin de l’homme et le délivrer de l’égoïsme qui lui appartient. L’homme non renouvelé vit pour lui-même. Il n’a pas d’objet plus élevé. La vie qu’il possède est aliénée de la vie de Dieu. Il est loin de Dieu. Il se meut autour d’un tout autre centre, et jusqu’à ce qu’il soit né de nouveau, jusqu’à ce qu’il soit renouvelé, régénéré, né de la Parole et de l’Esprit de Dieu, il ne peut en être autrement. Le moi est son objet, son centre en toutes choses. Il peut être moral, aimable, religieux, bienveillant, mais jusqu’à ce qu’il soit converti, il n’en a pas fini avec lui-même comme la base de son être ou comme le centre autour duquel tourne cet être.
Le courant de pensées qui précède nous amène naturellement à la belle et frappante illustration de notre thème que nous offre Philippiens 2. Là, nous avons une série d’exemples de renoncement à soi, en commençant par un exemple divinement parfait, le Seigneur Lui-même.
Avant de poursuivre la contemplation de ce magnifique tableau, il peut être bon de se demander ce qui avait rendu nécessaire la présentation d’un tel tableau devant les saints de Philippes. Le lecteur attentif observera, dans le cours de cette très charmante épître, certaines touches délicates de la plume inspirée, menant à la conclusion que l’œil appliqué et vigilant de l’apôtre avait discerné une certaine racine de mal dans le sein de la chère et bien-aimée assemblée réunie à Philippes. Il s’adresse lui-même à elle pour cela, non avec une massue ou un long fouet, mais avec un raffinement et une délicatesse bien plus puissants que l’un ou l’autre. Les plus puissants résultats moraux sont atteints par ces touches délicates venant de la main de Dieu le Saint Esprit.
Quelle était la racine à laquelle nous avons fait référence ? Ce n’était pas une division en sectes et en partis, comme à Corinthe. Ce n’était pas un retour à la loi et au ritualisme, comme en Galatie. Ce n’était pas une envie de philosophie et des éléments du monde, comme à Colosses. Qu’était-ce donc ? C’était une racine d’envie et de querelle. Le produit de cette racine est clairement vu dans le conflit entre deux sœurs, « Évodie et Syntyche » (Phil. 4, 2), mais on l’aperçoit dans les premières parties de l’épître, et un remède divin y est fourni.
C’est un point important, pour un médecin, non seulement de comprendre ce qui va mal chez son patient, mais aussi de comprendre quel est le vrai remède. Certains médecins sont habiles à découvrir la racine du mal, mais ils ne savent pas aussi bien quel remède appliquer. D’autres sont doués dans la connaissance des médicaments, le pouvoir des diverses drogues, mais ils ne savent pas comment les appliquer aux cas individuels. Le divin Médecin connaît à la fois la maladie et son remède. Il sait exactement ce qui ne va pas chez nous, et Il sait ce qui nous fera du bien. Il voit la racine du mal et Il applique un remède radical. Il ne traite pas les cas superficiellement. Il est parfait dans Son diagnostic. Il ne devine pas notre maladie d’après de simples symptômes en surface. Son œil avisé pénètre immédiatement jusqu’au fond même du problème, et Sa main habile applique le véritable remède.
Ainsi en est-il dans l’épître aux Philippiens. Ces saints occupaient une grande place dans le cœur large de l’apôtre. Il les aimait beaucoup, et eux l’aimaient. Encore et encore, il parle en termes reconnaissants de leur communion avec lui dans l’évangile, depuis le commencement. Mais tout cela ne devait pas, et ne pouvait pas, lui fermer les yeux sur ce qui n’allait pas parmi eux. On dit que « l’amour est aveugle ». Dans un sens, nous considérons ce dicton comme une diffamation de l’amour. Si nous disions que « l’amour est supérieur aux fautes », ce serait plus proche de la vérité. Que donnerait-on pour un amour aveugle ? Ou à quoi servirait-il d’être aimé par quelqu’un qui ne nous aimerait que parce qu’il ignore nos taches et nos défauts ? Si on veut dire par là que l’amour ne verra pas nos taches, c’est une vérité bénie (Nomb. 23, 21), mais nul ne se soucierait d’un amour qui ne soit pas à la fois conscient et supérieur à nos manquements et à nos infirmités.
Paul aimait les saints à Philippes et se réjouissait dans leur amour envers lui, et goûtait le fruit parfumé de cet amour, encore et encore. Mais alors, il voyait que c’était une chose d’aimer et d’être aimable envers un apôtre distant, et une toute autre chose d’être d’accord entre eux. Sans doute, Évodie et Syntyche avaient toutes deux contribué à envoyer un présent à Paul, quoiqu’elles ne s’entendissent pas harmonieusement dans l’usure de la vie quotidienne et du service. Ce n’est pas un cas rare. Beaucoup de sœurs et de frères aussi sont prêts à contribuer de leurs biens pour aider quelque serviteur de Christ au loin, mais ne marchent pas ensemble de manière agréable. Comment cela se fait-il ? Il y a un manque de renoncement à soi. C’est là, nous pouvons en être assurés, le vrai secret de bien des « esprits de parti ou vaines gloires », si douloureusement manifestés au milieu même du peuple de Dieu. C’est une chose de marcher seul, et c’en est une autre de marcher en compagnie de nos frères, en reconnaissant pratiquement cette grande vérité de l’unité du corps, et dans le souvenir que « nous sommes membres l’un de l’autre ».
Les chrétiens n’ont pas à se considérer comme de simples individus, comme des atomes isolés, comme des personnes indépendantes. Ce n’est pas possible, en voyant que l’Écriture déclare : « Il y a un seul corps », et nous en sommes les membres. C’est une vérité divine — un grand fait — une réalité positive. Nous ne devons pas demeurer dans une individualité solitaire. Nous sommes des membres vivants d’un corps vivant, chacun ayant affaire avec les autres membres avec lesquels nous sommes liés par un lien qu’aucune puissance de la terre ou de l’enfer ne peut briser. En un mot, il y a une relation formée par la présence du Saint Esprit qui non seulement habite dans chaque membre individuellement, mais qui est la puissance de l’unité du seul corps. C’est la présence de Dieu l’Esprit dans l’Assemblée, qui fait de cette Assemblée le corps vivant de la Tête vivante.
C’est quand nous sommes appelés à marcher dans la connaissance réelle de cette grande vérité, qu’il y a un besoin de renoncement à soi. Si nous étions seulement des individus solitaires, marchant chacun dans le chemin de son propre choix, accomplissant ses propres pensées uniques, marchant d’après les étincelles qu’il a allumé, poursuivant sa propre et unique ligne de conduite, cédant à sa propre volonté, alors en effet, une certaine quantité du moi pourrait être conservée. Si Évodie et Syntyche avaient pu marcher seules, il n’y aurait pas eu de collision — pas de conflit. Mais elles étaient appelées à marcher ensemble, et c’est là que se trouvait le besoin de renoncement au moi. Et il faut toujours se souvenir que les chrétiens ne sont pas les membres d’un club, d’une secte ou d’une association ; ils sont membres d’un corps, chacun en lien avec tous, et tous reliés par le fait de l’habitation du Saint Esprit avec la Tête ressuscitée et glorifiée dans le ciel.
C’est une immense vérité, et sa réalisation pratique nous coûtera, non seulement tout ce que nous avons, mais tout ce que nous sommes. Il n’y a pas de lieu, dans tout l’univers, où le moi sera ainsi mis en pièces, comme dans l’Assemblée de Dieu. Et n’est-ce pas une bonne chose ? N’est-ce pas une preuve puissante du terrain divin sur lequel est réunie cette Assemblée ? Ne devrions-nous pas être heureux que notre haïssable moi soit ainsi mis en pièces ? Nous enfuirons-nous, ou devons-nous nous enfuir, loin de ceux qui le font pour nous ? Ne sommes-nous pas heureux — ne prions-nous pas souvent pour être débarrassés du moi ? Et nous querellerions-nous avec ceux qui sont les instruments de Dieu pour répondre à nos prières ? Il est vrai, ils peuvent faire ce travail maladroitement et sans ménagements, mais ne vous en inquiétez pas. Quiconque m’aide à écraser et à faire couler le moi, me rend un grand service, quelque maladroitement qu’il puisse le faire. Une chose est certaine, aucun homme ne peut jamais nous dérober ce qui, après tout, est la seule chose digne d’être possédée, à savoir Christ. C’est une précieuse consolation. Que le moi s’en aille, et nous aurons davantage de Christ. Évodie pouvait mettre le blâme sur Syntyche, et Syntyche sur Évodie ; l’apôtre ne soulève pas la question de savoir qui avait raison ou qui avait tort, mais il supplie toutes deux d’avoir « une même pensée dans le Seigneur ».
Là gît le secret divin. C’est le renoncement à soi. Mais ce doit être une chose réelle. Il ne sert à rien de parler de couler le moi tandis qu’en même temps, le moi est nourri et caressé dans le dos. Nous prions quelquefois avec ferveur pour pouvoir fouler aux pieds le moi dans la poussière, et le moment d’après, si quelqu’un semble croiser notre chemin, le moi est comme un porc-épic avec tous ses piquants dressés. Cela n’ira jamais. Dieu veut de la réalité en nous. Certainement, nous pouvons dire, avec toute notre faiblesse et notre folie, que nous voulons être vrais — vrais en toute chose et donc vrais quand nous prions pour avoir la puissance de nous renoncer nous-mêmes. Mais, très certainement, il n’y a pas d’endroit où il y a un besoin plus urgent de demander cette grâce aimable, que dans le sein de l’assemblée de Dieu.
Nous pouvons parcourir tout le vaste domaine de l’inspiration et ne pas trouver de modèle plus magnifique de renoncement à soi-même, que celui qui nous est présenté dans ces premières lignes de Philippiens 2. Il est impossible que quelqu’un respire la sainte atmosphère d’un tel passage, et ne soit pas guéri des maux douloureux de l’envie et de la jalousie, de la querelle et de la vaine gloire. Approchons-nous de ce merveilleux tableau et, en le contemplant attentivement, cherchons à saisir son inspiration.
« Si donc il y a quelque consolation en Christ, si quelque soulagement d’amour, si quelque communion de l’Esprit, si quelque tendresse et quelques compassions, rendez ma joie accomplie en ceci que vous ayez une même pensée, ayant un même amour, étant d’un même sentiment, pensant à une seule et même chose. Que rien ne se fasse par esprit de parti, ou par vaine gloire ; mais que, dans l’humilité, l’un estime l’autre supérieur à lui-même, chacun ne regardant pas à ce qui est à lui, mais chacun aussi à ce qui est aux autres. Qu’il y ait donc en vous cette pensée qui a été aussi dans le christ Jésus, lequel, étant en forme de Dieu, n’a pas regardé comme un objet à ravir d’être égal à Dieu, mais s’est anéanti lui-même, prenant la forme d’esclave, étant fait à la ressemblance des hommes ; et, étant trouvé en figure comme un homme, il s’est abaissé lui-même, étant devenu obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix » (v. 1-8).
Là donc se trouve le remède divin contre l’envie et la jalousie, la querelle et la vaine gloire — contre l’occupation de soi sous toutes ses hideuses formes. L’écrivain inspiré présente à nos cœurs l’homme dépouillé de lui-même, humble et obéissant, le Christ Jésus. Voilà Celui qui possédait toute puissance dans les cieux et sur la terre. La majesté et la gloire divines Lui appartenaient. Il était Dieu sur toutes choses, béni éternellement. Toutes choses furent faites par Lui, et c’est par Lui qu’elles subsistent. Et pourtant, Il est apparu dans ce monde comme un homme pauvre — un serviteur — quelqu’un qui n’avait pas un lieu où reposer Sa tête. Les renards et les oiseaux, les créatures qu’Il a formées, étaient mieux pourvues que Lui, leur Créateur. Ils avaient un lieu où se reposer ; Lui n’en avait pas. Il pensait aux autres, prenait soin d’eux, travaillait pour eux, pleurait avec eux, les servait, mais Il ne fit jamais une chose pour Lui-même. Nous ne Le trouvons jamais prenant soin de se pourvoir de quelque chose. Sa vie était une vie de parfait renoncement à soi. Lui qui était tout, s’est Lui-même fait rien. Il se tenait en parfait contraste avec le premier Adam qui, n’étant qu’un homme, avait pensé se faire égal à Dieu, et devint l’esclave du serpent. Le Seigneur Jésus, le Dieu Très-haut, prit la place la plus basse parmi les hommes. Il est tout à fait impossible qu’un homme puisse jamais prendre une place plus basse que celle de Jésus. Le passage est : « Il s’est anéanti lui-même ». Il est descendu si bas, que personne ne pourrait jamais Le mettre encore plus bas. « Il est devenu obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix ».
Observez que la croix est vue ici comme la consommation d’une vie d’obéissance — l’achèvement d’un travail d’abandon de soi. C’est ce que nous pourrions appeler, pour utiliser un terme du Lévitique, le côté de l’holocauste de la mort de Christ, plutôt que celui du sacrifice pour le péché. Il est vrai que le même acte qui consomma une vie d’obéissance, ôta aussi le péché, mais dans le passage qui est maintenant devant nous, porter le péché n’est pas tant la pensée que l’abandon de soi. Jésus abandonna tout. Il mit de côté Sa gloire et descendit dans ce pauvre monde. Quand Il vint, Il évita toute la pompe et la grandeur humaines, et devint un homme pauvre. Ses parents étaient pauvres. Ils n’avaient pu se procurer que le niveau le plus bas des sacrifices que la loi autorisait pour les pauvres ; non pas un taureau, ni un agneau, mais une paire de tourterelles. Comparez Lévitique 12, 8 et Luc 2, 24. Lui-même travailla et fut connu comme un charpentier. Nous ne devons pas manquer la force morale de ce fait, en disant que tout Juif était élevé dans un métier. Notre Seigneur Jésus Christ a réellement pris une position abaissée. La ville même où Il fut élevé était un proverbe réprobateur. Il fut appelé « le Nazaréen ». Et il fut demandé, avec un rictus de mépris : « Celui-ci n’est-il pas le charpentier ? ». Il était une racine sortant d’une terre aride. Il n’avait ni forme ni éclat, aucune beauté aux yeux de l’homme. Il fut l’homme méprisé, négligé, vidé de lui-même, doux et humble, du début à la fin. Il abandonna tout, même la vie. Son renoncement à Lui-même était complet.
Remarquez le résultat. « C’est pourquoi aussi Dieu l’a haut élevé et lui a donné un nom au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus se ploie tout genou des êtres célestes, et terrestres, et infernaux, et que toute langue confesse que Jésus Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père ».
Le bien-aimé Seigneur Jésus a pris la place la plus basse possible, mais Dieu Lui a donné la plus élevée. Il s’est anéanti Lui-même, mais Dieu L’a fait être tout. Il a dit : « Je suis un ver, et non point un homme », mais Dieu L’a placé comme Tête sur tout. Il est allé jusque dans la poussière même de la mort, mais Dieu L’a placé sur le trône de la majesté dans les cieux.
Qu’est-ce que tout cela nous enseigne ? Cela nous enseigne que le chemin pour être élevé est de s’abaisser. C’est une grande leçon, et que nous avons très fortement besoin d’apprendre. Elle nous délivrerait effectivement de l’envie et de la jalousie, de la querelle et de la vaine gloire, de sa propre importance et de l’occupation de soi. Dieu exaltera assurément ceux qui, dans l’esprit et la pensée de Christ, prennent la position basse. D’un autre côté, Il abaissera tout aussi certainement ceux qui cherchent à être quelqu’un.
Oh ! n’être rien ! C’est la vraie liberté — le vrai bonheur — la vraie élévation morale. Quelle puissance d’attraction intense en celui qui ne se fait rien lui-même ! D’un autre côté, combien est repoussant un esprit qui se met en avant, qui joue des coudes, qui s’exalte lui-même ! Combien c’est entièrement indigne de quelqu’un qui porte le nom de Celui qui ne s’est fait aucune réputation ! C’est une vérité invariable que l’ambition ne peut jamais vivre dans la présence de Celui qui s’est anéanti Lui-même. Un chrétien ambitieux est une contradiction flagrante.
Il y a d’autres exemples de renoncement à soi qui nous sont présentés en Philippiens 2 ; inférieurs au divin modèle que nous avons contemplé, car en cela comme en toutes choses, Jésus doit avoir la première place. Pourtant, quoique inférieurs et imparfaits, ils sont profondément intéressants et de grande valeur pour nous. Regardez Paul. Voyez combien profondément il avait bu à l’esprit de renoncement à soi de son Maître. Écoutez les paroles suivantes de quelqu’un qui, naturellement, n’aurait permis à personne de le dépasser dans sa carrière ambitieuse. « Oui », dit-il, « mais si même je sers d’aspersion [comme une libation] sur le sacrifice et le service de votre foi, j’en suis joyeux et je m’en réjouis avec vous tous » (v. 17).
C’est d’une justesse peu commune. Paul était prêt à n’être rien — à être dépensé — à être aspergé comme une libation sur le sacrifice des Philippiens. Il lui importait peu qui présentait le sacrifice ou qui effectuait le service, pourvu que la chose soit faite. Cela ne fait-il pas honte à certains de nous ? Combien peu nous connaissons de cet excellent esprit ! Combien avons-nous tendance à attacher de l’importance à l’œuvre si nous avons quelque chose affaire avec elle ! Combien peu sommes-nous capables d’être heureux et de nous réjouir avec les autres dans leur sacrifice et leur service ! Notre travail, notre prédication, nos écrits, ont un intérêt à nos yeux, bien différent de celui de tout autre. En un mot, le moi, le moi, le détestable moi, se faufile même dans ce qui semble être le service pour Christ. Nous sommes attirés vers ceux qui pensent du bien de nous et de notre œuvre, et nous nous retirons de ceux qui pensent autrement. Tout cela a besoin d’être jugé. Ce n’est pas être semblable à Christ, et c’est indigne de ceux qui portent Son saint nom. Paul avait appris le Christ de telle façon, qu’il était capable de se réjouir dans l’œuvre et le service des autres aussi bien que dans le sien propre ; et même là où Christ était prêché par esprit de parti, il pouvait se réjouir.
Regardez alors au fils de Paul, Timothée. Écoutez le témoignage éclatant qui lui est rendu par la plume de l’inspiration. « Or j’espère dans le seigneur Jésus vous envoyer bientôt Timothée, afin que moi aussi j’aie bon courage quand j’aurai connu l’état de vos affaires ; car je n’ai personne qui soit animé d’un même sentiment avec moi pour avoir une sincère sollicitude à l’égard de ce qui vous concerne ; parce que tous cherchent leurs propres intérêts, non pas ceux de Jésus Christ. Mais vous savez qu’il a été connu à l’épreuve, savoir qu’il a servi avec moi dans l’évangile comme un enfant sert son père » (v. 19-22).
Voilà le renoncement à soi-même. Timothée prenait naturellement soin des saints ; et cela, aussi, à un moment où tous cherchaient leurs intérêts propres. Et pourtant, quelque cher que fût Timothée au cœur de Paul — appréciable comme devait l’avoir été pour lui dans le travail de l’évangile, un tel serviteur s’abaissant lui-même — il voulait se séparer de lui pour l’amour de l’Assemblée. Timothée, de même, voulait être séparé de son précieux ami et père dans la foi afin de soulager son esprit anxieux quant à l’état des Philippiens. C’était en effet donner la preuve d’un réel dévouement et de l’abandon de soi. Timothée ne parlait pas de ces choses ; il les pratiquait. Il ne faisait pas étalage de ses œuvres, mais Paul, par le Saint Esprit, les gravait sur une tablette d’où elles ne pourraient jamais être effacées. C’était infiniment meilleur. Qu’un autre te loue et non toi-même. Timothée ne faisait aucun cas de lui-même, mais Paul faisait grand cas de lui. C’est divin. Le sûr chemin pour s’élever est de s’abaisser. Telle est la loi de la route céleste.
Un homme qui fait grand cas de lui-même épargne aux autres la peine de le faire. Il n’y a pas d’utilité à ce que deux personnes fassent la même chose. La propre importance est une herbe nocive qui ne doit se trouver nulle part dans tout le domaine de la nouvelle création. Elle se trouve souvent, hélas, dans les voies de ceux qui professent appartenir à cette bienheureuse et sainte création, mais elle n’est pas d’origine céleste. Elle provient d’une nature tombée — une herbe qui croit de façon luxuriante dans le sol de ce monde. Les hommes de notre temps pensent qu’il est louable de se mettre en avant et de se frayer un chemin pour soi-même. Un style agité, suffisant, prétentieux, se développe avec les enfants de cette génération. Mais notre céleste Maître était l’inverse direct de tout cela. Lui qui avait fait les mondes, se baissa pour laver les pieds des disciples (Jean 13) ; et si nous Lui sommes semblables, nous ferons de même. Il n’y a rien de plus étranger aux pensées de Dieu, à l’esprit du ciel, à l’esprit de Jésus, que l’importance de soi et l’occupation de soi. D’un autre côté, il n’y a rien qui soit apprécié ainsi de Dieu, du ciel et de Jésus, que le renoncement à soi.
Regardez une fois de plus à notre tableau dans Philippiens 2. Examinez avec un soin particulier cette personne qui occupe une place si proéminente. C’est Épaphrodite. Qui était-il ? Était-il un grand prédicateur — un orateur très éloquent — un frère particulièrement doué ? Cela ne nous est pas dit. Mais ce qui nous est dit, et dit puissamment et de façon touchante, c’est qu’il était quelqu’un qui avait montré un esprit aimable de renoncement à soi-même. C’est bien meilleur que tous les dons et l’éloquence, la puissance et le savoir qui pourraient être concentrés dans un seul individu. Épaphrodite était quelqu’un de cette classe illustre de ceux qui cherchent à s’anéantir eux-mêmes. En conséquence, l’apôtre inspiré n’épargne aucune peine pour l’exalter. Voyez comment il écrit en détail tous les actes de cette personne particulièrement attirante. « Mais j’ai estimé nécessaire de vous envoyer Épaphrodite mon frère, mon compagnon d’œuvre et mon compagnon d’armes, mais votre envoyé et ministre pour mes besoins ».
Quel ensemble de dignités ! Quel brillant tableau de titres ! Combien peu ce cher serviteur de Christ sans prétention imaginait qu’il aurait un tel monument érigé à sa mémoire ! Mais le Seigneur ne permettra jamais que les fruits du sacrifice de soi se flétrissent, ni que le nom de celui qui s’est anéanti sombre dans l’oubli. C’est pourquoi le nom de celui dont, autrement, nous n’aurions jamais entendu parler, brille dans les pages de l’inspiration comme le frère, le compagnon et le compagnon d’armes du grand apôtre des Gentils.
Qu’avait fait cet homme remarquable ? Avait-il dépensé une fortune princière pour la cause de Christ ? Cela ne nous est pas dit, mais il nous est dit ce qui est bien meilleur — il s’est dépensé lui-même. C’est là le point important que nous avons à saisir et à peser. Ce n’était pas seulement l’abandon de sa fortune, mais l’abandon de lui-même. Écoutons le rapport qui est fait de l’un des hommes forts du vrai David. « Il pensait à vous tous avec une vive affection, et il était fort abattu ». Pourquoi ? Était-ce parce qu’il était malade ? À cause de ses souffrances, de ses douleurs et de ses privations ? Rien de la sorte. Épaphrodite n’appartenait pas à la génération de ceux qui geignent et se plaignent. Il pensait aux autres. « Il était fort abattu parce que vous aviez entendu dire qu’il était malade ». Combien c’est beau ! Il était préoccupé des Philippiens et de leur tristesse à son sujet. La seule chose qui l’affectait dans sa maladie était la pensée de comment celle-ci les affecterait. C’est parfaitement exquis ! Ce serviteur honoré de Christ s’était avancé jusqu’aux portes de la mort pour servir les autres, et quand il fut là, au lieu d’être occupé de lui et de ses maux, il pensait à la tristesse des autres. « Il a été malade, fort près de la mort, mais Dieu a eu pitié de lui, et non seulement de lui, mais aussi de moi, afin que je n’eusse pas tristesse sur tristesse ».
Peut-on trouver quelque chose de moralement plus beau que cela ? C’est un des tableaux les plus rares jamais présentés à un œil humain. Voilà Épaphrodite proche de la mort pour l’amour des autres, mais il est plein de tristesse au sujet des Philippiens, et les Philippiens sont pleins de tristesse à son sujet ; Paul est plein de tristesse pour les deux, et Dieu vient et se mêle à la scène, et, en miséricorde pour tous, Il fait lever le bien-aimé de son lit de mort.
Remarquez alors le tendre soin de l’apôtre béni. C’est comme une tendre mère envoyant son cher fils au loin et le confiant avec une ferveur affectueuse aux soins d’un ami. « Je l’ai donc envoyé avec d’autant plus d’empressement, afin qu’en le revoyant vous ayez de la joie, et que moi j’aie moins de tristesse. Recevez-le donc dans le Seigneur avec toute sorte de joie, et honorez de tels hommes ». Pourquoi ? Était-ce à cause de ses dons, de son rang ou de sa richesse ? Non ; mais à cause de son renoncement à lui-même. « Car, pour l’œuvre, il a été proche de la mort, ayant exposé sa vie, afin de compléter ce qui manquait à votre service envers moi ». Oh ! cher lecteur chrétien, pensons à ces choses. Nous vous avons présenté un tableau et nous vous laissons le contempler. Le regroupement est divin. Il y a une ligne de pensée morale qui court dans toute cette scène et qui relie les figures en un seul groupe frappant. C’est comme l’onction du vrai Aaron, et l’huile qui découlait sur le bord de ses vêtements. Nous avons le bienheureux Seigneur, parfait dans Son propre abandon, comme en toute autre chose ; et puis nous avons Paul, Timothée et Épaphrodite, chacun montrant, selon sa mesure, la rare et aimable grâce du renoncement à soi-même.