Service et attente

T.A. Powerscourt

La nécessité des persécutions et des tribulations pour garder l’Église pendant qu’elle est dans le monde, nous démontre la sagesse miséricordieuse de notre Dieu. Les temps de persécution sont ceux de sa prospérité. Satan ne dort pas ; il est plus à redouter quand il mine sourdement, que quand il détruit ouvertement ; son but est de séduire même les élus, s’il était possible, en les engageant par des motifs spécieux à faire son œuvre, en dépit de la sincérité de leur cœur. Dans son désir de rectifier l’idée fausse que la religion consiste tout entière à vivre différemment des autres, l’Église a fini par vivre dans une étroite conformité au monde. Elle a voulu prévenir une méprise, mais elle est devenue infidèle à sa mission, en présentant le christianisme sous un faux jour, et en donnant une fausse ressemblance de son Seigneur. Il est vrai que par là le monde a été réconcilié, en grande partie, avec des choses qui, si elles étaient fidèlement représentées, n’obtiendraient jamais son approbation ; mais l’Église, en atteignant ce but, a rendu contre elle-même un bien triste témoignage. N’est-ce pas là la raison pour laquelle le christianisme est beaucoup plus une profession qu’une confession ? — Quoique nous soyons errants et dispersés, nous n’allons pas çà et là « annonçant la bonne nouvelle de la Parole » [Act. 8, 4]. Nous sommes entrés dans le monde ; nous avons marché au milieu de ses enfants ; nous nous sommes arrêtés, nous nous sommes assis auprès d’eux ; nous leur avons présenté notre main ; ils nous ont présenté la leur, et maintenant nous marchons agréablement ensemble. Si nous ne les imitions pas dans le luxe et la vanité, ils ne viendraient pas au-devant de nous. Si notre conduite et notre conversation étaient en témoignage de la vérité et de la justice, ils auraient bientôt pris congé de nous. Les temps sont dangereux, lorsque les chrétiens ont le loisir de jouer avec les idoles.

Un ami, qui m’est cher, disait que l’Église est maintenant si satisfaite de son veuvage qu’elle a cessé d’attendre le retour du Seigneur. Telle est notre position. Les temps de persécution ont l’avantage de faire converger toutes les facultés de l’âme vers un seul point. Combien la grâce de l’attente patiente est magnifique chez Rutherford et chez d’autres croyants persécutés ! L’amour appellerait presque des temps difficiles, dans la crainte que la cause de Celui que nous aimons ne soit déshonorée ; et plus nous nous réjouissons dans le Seigneur, plus cette crainte nous afflige. En mener deuil est de peu d’utilité ; la grande question pour nous est de savoir comment nous pourrons rendre témoignage contre ce mal, tout en cherchant le bien de notre génération. Et puisque dans tous les âges il doit y avoir un certain nombre de personnes qui rendent à Dieu un fidèle témoignage, comment nous conduirons-nous au milieu de ces êtres privilégiés ? Il se confie à notre amour ; nous sommes comme des volumes de Sa bibliothèque destinés à être lus par le monde ; par quels moyens remplirons-nous fidèlement notre mission ? Ne sera-ce pas en obéissant au commandement si souvent répété et si souvent foulé aux pieds, de nous aimer les uns les autres ; en contribuant à une heureuse communion entre membres du corps ; en répandant davantage autour de nous l’atmosphère céleste de l’amour, et en en démontrant davantage l’existence par toute notre conduite ? Avec quelle instance Il nous excite à cette grâce, et cela sans y apporter aucune limite : « Je vous donne un commandement nouveau que… comme je vous ai aimés, vous aussi vous vous aimiez l’un l’autre ! » [Jean 13, 34]. Cet amour porte au renoncement à soi-même ; « Étant riche, Il a vécu dans la pauvreté pour vous » [2 Cor. 8, 9]. C’est un amour dévoué ; « Il s’est donné lui-même pour nous » [Tite 2, 14] ; — « étant attachés les uns aux autres par affection fraternelle » [Rom. 12, 10] ; — « étant obligeants et compatissants » [1 Pier. 3, 8] ; — « pleurant avec ceux qui pleurent, étant dans la joie avec ceux qui sont dans la joie » [Rom. 12, 15] ; — « si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui » [1 Cor. 12, 26] ; — « chacun ne regardant pas à ce qui est à lui, mais chacun aussi à ce qui est aux autres » [1 Cor. 10, 24] ; — « marchant dans l’amour, comme aussi le Christ nous a aimés » [Éph. 5, 1-2] ; « nous associant aux humbles » [Rom. 12, 16] ; — « prenons garde l’un à l’autre, pour nous exciter à l’amour et aux bonnes œuvres ; n’abandonnant pas le rassemblement de nous-mêmes,… et cela d’autant plus que nous voyons le jour approcher » [Héb. 10, 24-25] ; montrant en toute chose débonnaireté, douceur, fidélité, pardon et support. Je pense que si chaque corps de chrétiens visait davantage à cela, en action, en parole et en esprit dans les diverses localités où ils sont placés, le monde serait beaucoup plus convaincu par cette unité-là que par tous les autres moyens qu’on cherche à employer. Les hypocrites auraient honte de se couvrir de Christ comme d’un vêtement honorable, tandis que les croyants se revêtiraient bien plus complètement de Lui, et pourraient Le supporter étroitement lié à eux par le lien de la perfection, qui est le signe auquel on reconnaît Ses disciples.

Il me semble que les ministres fidèles se bornent trop à l’évangélisation, et qu’ils négligent la partie la plus difficile de leur œuvre, qui consiste à sonder les cœurs. Ils devraient veiller sur les âmes, les avertir, les exhorter ; montrer, d’après les Écritures, les erreurs de l’intelligence et celles de la vie ; de cette manière, les membres du corps entreraient mieux dans les circonstances les uns des autres, et s’identifieraient mieux aussi aux intérêts de l’Église ; les actions de grâces seraient multipliées, et un plus grand nombre de personnes rendraient gloire à Dieu. Il est plus facile de faire des démonstrations extérieures d’amour qu’il ne l’est d’avoir l’Esprit de Dieu ; et cependant, sans l’Esprit, tous nos efforts pour aimer, pour montrer de l’humilité et de la spiritualité, seraient une parodie de Christ, une carcasse sans âme. Rien ne me paraît plus propre à nous placer dans un état d’attente et à nous séparer du monde, que de fixer sans cesse nos yeux sur le second avènement du Seigneur. C’est alors que notre âme s’élance en avant, joyeuse d’être délivrée de tous les efforts de Satan pour la maintenir dans de fausses vues sur ce sujet. J’aimerais aussi sentir davantage que le don de notre argent est le plus faible de tous les témoignages de notre amour. Tout en produisant le renoncement à soi-même, l’amour produit aussi la générosité sous toutes les formes possibles. Contemplons donc chaque jour davantage, comme dans un miroir, la gloire de Dieu, jusqu’à ce que nous ayons été transformés à Son image. Réchauffons-nous en nous tenant plus près de la fournaise de l’amour. Qu’Il veuille amollir nos cœurs en les imprégnant de Son Esprit ; qu’Il fasse déborder Ses sources tout autour de nous ! N’avons-nous pas été aimés ? N’aimons-nous pas à notre tour ? Ne sommes-nous pas dans la lumière ? N’avons-nous pas été les objets de cette prière : « Afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi » [Jean 17, 21] ? Il est possible que ma pauvreté dans l’amour me fasse sentir plus vivement les besoins de l’Église à cet égard. Il faut que je prie avec plus d’ardeur pour avoir « une affection fraternelle sans hypocrisie », pour « aimer ardemment, d’un cœur pur » [1 Pier. 1, 22], en œuvre et en vérité [1 Jean 3, 18], comme je m’aime moi-même, non de cet amour qui provient du devoir, mais de l’amour qui engendre le devoir ; pour aimer comme des frères les enfants de Dieu avec lesquels je dois vivre, aussi bien que ceux que je rencontre occasionnellement. Cette grâce divine n’est-elle pas rehaussée encore à nos yeux, si nous pensons qu’elle est le commandement de Christ, Son dernier, je dirai même Son seul commandement, lequel Il donna à Ses disciples, lorsque, oubliant Ses propres sentiments et Ses propres angoisses, Il ne s’occupait qu’à les consoler ? Je pense souvent que nous n’apprécions pas assez la grâce qui a déjà été accordée. Il y a tant de mal au-dedans de nous, que nous craignons d’y regarder pour y voir cette grâce ; et souvent nous la voyons tellement mélangée chez les autres, que nous ne pouvons la séparer de la créature ; mais encore un peu de temps, et toute l’œuvre de Dieu en nous sera manifestée à Sa louange et à Sa gloire. Tous ceux qui auront reçu un seul verre d’eau froide seront là pour en rendre témoignage, alors même que nous en aurons perdu le souvenir (Matt. 25, 37).

Nous avons tous l’occasion de souffrir pour le nom de Christ, et ce qui me paraît distinguer nos souffrances d’avec celles que nous avons en commun avec le monde, c’est qu’elles proviennent d’un principe, d’une épreuve de la foi, d’un choix volontaire de souffrir en la chair, afin de ne renier Christ en aucune manière. Elles consistent à renoncer à soi-même, à se charger de Sa croix chaque jour, à se couper la main droite, à s’arracher l’œil droit, plutôt que de pécher. Oh ! combien il y a de ces martyres secrets, inconnus aux hommes, mais précieux devant Dieu ! Je crois qu’il n’y eut jamais un temps où l’union qui existe entre le règne et la souffrance dût être mise en avant avec plus de force, car la vie de beaucoup de chrétiens est comme un refus du martyre, elle dit hautement qu’ils ne veulent pas du bûcher. C’est par expérience que je parle. Le Seigneur veut bien plutôt des preuves que des paroles. Après que Pierre, dans sa grande détresse, eut répondu : « Seigneur, tu connais toutes choses, tu sais que je t’aime » [Jean 21, 17] ; Jésus, en lui disant : « Pais mes brebis », lui en demanda la preuve. Les chrétiens sont quelquefois si subjugués, si captivés par ce qui tombe sous les sens, qu’ils ne font que peu de cas de cette parole sérieuse : « Si vous m’aimez, gardez mes commandements » [Jean 14, 15] ; et, dans la conviction que leur âme ne peut être perdue, ils vivent en s’accordant des jouissances illégitimes, plutôt que de passer par la torture d’un cœur entièrement déchiré et brisé. Mais assurément, si le règne de Christ pendant mille ans doit être pour Lui une récompense particulière à cause de Ses souffrances, comme « Fils de l’homme, Fils de David », récompense distincte de la gloire éternelle, ceux-là seulement qui auront participé avec Lui aux souffrances, régneront avec Lui. Il me semble que, quoiqu’il y ait maintenant beaucoup de chrétiens sauvés, il n’y en a que peu qui soient prêts pour ce règne. « En tant que vous avec part aux souffrances de Christ, réjouissez-vous, afin qu’aussi, à la révélation de sa gloire, vous vous réjouissiez avec transport. Si vous êtes insultés pour le nom de Christ, vous êtes bienheureux, car l’Esprit de gloire et de Dieu repose sur vous » [1 Pier. 4, 13-14]. — « Si nous sommes morts avec lui, nous vivrons aussi avec lui » [2 Tim. 2, 11]. — « Si nous souffrons, nous régnerons aussi avec lui » [2 Tim. 2, 12]. — « Nous-mêmes nous nous glorifions de vous dans les assemblées de Dieu, au sujet de votre patience et de votre foi dans toutes vos persécutions, et dans les tribulations que vous supportez, lesquelles sont une démonstration du juste jugement de Dieu, pour que vous soyez estimés dignes du royaume de Dieu, pour lequel aussi vous souffrez » [2 Thess. 1, 4-5]. « Celui qui vaincra,… je lui donnerai autorité sur les nations ; et il les paîtra avec une verge de fer, comme sont brisés les vases de poterie, selon que moi aussi j’ai reçu de mon Père ; et je lui donnerai l’étoile du matin » [Apoc. 2, 26-28]. « Tiens ferme ce que tu as, afin que personne ne prenne ta couronne ». « J’écrirai sur lui le nom de mon Dieu, et le nom de la cité de mon Dieu, de la nouvelle Jérusalem, qui descend du ciel d’auprès de mon Dieu, et mon nouveau nom » [Apoc. 3, 11-12]. « Je lui donnerai de s’asseoir avec moi sur mon trône, etc. » [Apoc. 3, 21]. « Si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers, héritiers de Dieu, cohéritiers de Christ ; si du moins nous souffrons avec lui, afin que nous soyons aussi glorifiés avec lui » [Rom. 8, 17]. « Pour le connaître, Lui, et la puissance de sa résurrection, et la communion de ses souffrances, étant rendu conforme à sa mort, si en quelque manière que ce soit, je puis parvenir à la résurrection d’entre les morts » [Phil. 3, 10-11]. « D’autres furent torturés, n’acceptant pas la délivrance, afin d’obtenir une meilleure résurrection » [Héb. 11, 35]. Lorsque la mère des fils de Zébédée demanda à Jésus que ses fils eussent les premières places dans Son royaume, Il répondit : « Vous ne savez ce que vous demandez ; pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, et être baptisés du baptême dont je suis baptisé ? » [Marc 10, 38]. Les disciples se réjouissaient d’avoir été jugés dignes de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus [Act. 5, 41], et de ce qu’il leur avait été donné, non seulement de croire en Lui, mais aussi de souffrir pour Lui [Phil. 1, 29].

N’allez pas croire, d’après ce que je dis, que je fasse peu de cas du principe de l’amour, et que je veuille retourner à celui des récompenses. Non ; gagnez le cœur et vous avez gagné l’homme. L’amour élève les choses les plus basses. L’amour ne peut s’arrêter ; il dépasse la loi, et la laisse à grande distance derrière lui. La question n’est pas : Que dois-je faire ? mais : Que puis-je faire ? En attristant l’objet qu’il aime, l’amour s’attriste lui-même. C’est là ce ressort secret des actions du chrétien, qui le fait souvent passer dans le monde pour un enthousiaste. Rien ne peut arrêter l’amour ; il se charge de sa croix et poursuit son objet à travers des montagnes de difficultés. C’était l’amour qui fortifiait le cœur de Marie, lorsque les soldats tremblaient de peur. C’était l’amour qui la retenait près du sépulcre, lorsque tous les disciples s’en étaient allés. L’amour voudrait que tous fussent participants de son bonheur ; il passe par-dessus les opinions humaines ; il ne cesse de s’écrier : « Que rendrai-je à l’Éternel ? Tous ses bienfaits sont sur moi » [Ps. 116, 12]. « Parle, Seigneur, car ton serviteur écoute » [1 Sam. 3, 9]. Cependant l’amour lui-même a besoin d’être sans cesse ranimé et réveillé, car souvent il est comme mort, la chair l’endort par ses douces chansons, et le démon l’engourdit en lui donnant son opium.

Quelles pauvres créatures nous sommes, avec nos continuelles oscillations ! Tantôt élevés jusqu’aux cieux, tantôt abaissés jusqu’au fond des abîmes, par la force de l’angoisse ! Satan est si vigilant, qu’il sait fort bien quand et comment il pourra assaillir notre âme de la manière la plus efficace. Il se réjouit quand il peut nous plonger dans l’abattement par des tentations multipliées, et, bien que nous sachions que chaque vague nous rapproche davantage du pays de notre héritage, souvent la foi chancelle, lorsque, pendant plusieurs jours, il ne paraît ni soleil, ni étoiles, et qu’une grande tempête nous presse [Act. 27, 20]. Ordinairement ces choses nous arrivent, ou pour que le bâtiment soit déchargé, ou pour que notre foi soit éprouvée, ou pour que nous voyions combien elle est petite. Mais quelque excellent qu’en soit le résultat, l’exercice n’en est pas moins pénible ; et il est humiliant d’entendre le Seigneur nous dire : « Où est votre foi ? » [Luc 8, 25]. Néanmoins, c’est dans de tels moments que nous sommes excités à la reconnaissance envers Celui dont l’amour et la fidélité ne manquent jamais, alors même que notre foi et notre espérance ont manqué ; et si nous sommes obligés de dire : « Mon pied a glissé », nous pouvons aussi ajouter : « Ta bonté, ô Éternel ! m’a soutenu » [Ps. 94, 18]. L’or du sanctuaire est éprouvé avant d’être accepté, et il passe par le creuset, non pas parce qu’il est sans valeur, mais parce qu’il est très précieux.