Sur l’autorité de l’Assemblée

H. Rossier
1914

Dans les temps fâcheux où nous vivons (2 Tim. 3, 1), nous sommes aux prises avec une puissance spirituelle ennemie qui accumule de nombreux obstacles devant les fidèles pour les détourner du droit chemin, et n’y réussit que trop souvent. Toutefois, ces obstacles ne pourront jamais arrêter sérieusement ceux qui ont la Parole de Dieu pour guide et qui « marchent humblement avec leur Dieu » (Mich. 6, 8). Peut-être leur arrivera-t-il de ne pas mesurer dès le début tout le danger du piège qui leur est tendu ; peut-être éprouveront-ils au premier moment quelque hésitation ; mais si la difficulté les oblige à un arrêt momentané pour se recueillir, cette temporisation leur sera salutaire et leur fera rechercher plus scrupuleusement la communion avec le Seigneur, par un contact plus intime avec les Écritures. Leurs hésitations elles-mêmes leur apprendront à perdre toute confiance propre, à connaître plus à fond leur insuffisance, et à s’en remettre plus complètement à la direction du Saint Esprit qui peut seul révéler les pensées de Dieu contenues dans la Parole. En effet, notre ignorance provient toujours de ce que nous ne dépendons pas suffisamment de cette direction.

Mais nous avons encore un autre danger à éviter. Si nous avons acquis quelques connaissances dans la fréquentation des choses divines, nous sommes tentés de nous élever en nous en attribuant la possession. Cet orgueil spirituel nous expose au péril d’imposer à d’autres nos propres pensées, que nous sommes portés, parce qu’elles sont nôtres, à estimer plus ou moins infaillibles. Soyons certains que, si nous cédons à cette tentation, l’Ennemi aura atteint son but et gagné la partie engagée contre nous. Et ainsi, nous qui prétendions être les guides des ignorants, nous devenons des bergers infidèles, jouets eux-mêmes des ruses de Satan. Au lieu de conduire les brebis aux gras pâturages et aux eaux paisibles que Jésus possède, nous les aurons menées à leur ruine morale dans le désert aride de misérables pensées humaines, où elles meurent de faim et de soif.

Souvent, il n’est pas besoin, pour égarer les âmes, de leur présenter un système doctrinal, un ensemble élaboré de pensées logiques, séduisant pour l’intelligence naturelle de l’homme. Des esprits philosophiques ont, de tout temps, édifié de tels systèmes sur la Parole de Dieu, pour attirer des disciples après eux. Un seul mot, détourné de son vrai sens, peut devenir le point de départ de graves erreurs ou d’aberrations mortelles. Ceux qui n’ignorent pas les desseins de l’Ennemi ne s’en étonnent guère. Ils savent qu’un grain de poussière entrave, arrête même, la marche du meilleur chronomètre, et que le cœur du chrétien est un ensemble de rouages d’une grande délicatesse qui exige une surveillance continuelle, et où la moindre interruption de communion avec le Seigneur peut devenir la source des plus grandes perturbations. Aussi le chrétien humble, et averti des dangers qu’il court, surtout si Dieu lui a confié une responsabilité dans l’Assemblée, devra veiller sur lui-même avec crainte et tremblement, pour ne pas laisser l’Ennemi introduire dans son esprit quelque pensée subtile, cachée sous un terme spécieux, et propre à tromper ou à égarer les âmes.

Nous pourrions multiplier les preuves des dégâts funestes produits par la fausse interprétation d’un mot. La Parole elle-même nous en donne des exemples. Ainsi le mot « résurrection », le mot « jour du Seigneur », ont servi à propager les plus graves erreurs (1 Cor. 15, 12 ; 2 Tim. 2, 18 ; 2 Thess. 2, 2). En des temps plus récents, le mot « église » a été employé pour sanctionner toutes les sectes de la chrétienté. Plus tard, le mot « éternel » a été détourné de son vrai sens pour combattre l’éternité des peines et détruire le christianisme à sa base ; récemment encore, le mot « vie éternelle », détourné de la personne de Christ, a servi de base à une sorte de perfection mystique, excluant de la vie éternelle le plus grand nombre des enfants de Dieu.

Tel est aussi le cas pour le mot « autorité » qui a subi des altérations analogues, et dont je désire entretenir aujourd’hui mes lecteurs chrétiens. Sur ce mot, Rome a édifié un système qui annule l’autorité de Christ et de Sa Parole ; avec lui, le protestantisme a sanctionné les droits de l’état dans l’Église ; sur lui, le clergé établit, en tout lieu, ses prétentions.

Plus récemment encore, ce principe d’autorité a été revendiqué de divers côtés pour l’Assemblée, propagé par divers écrits, et préconisé comme servant de base à son administration.

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Hâtons-nous, dès l’abord, de reconnaître la grande importance du mot autorité (en grec, ἐξουσία) dans l’Écriture. Cette importance peut être mesurée au fait que ce mot revient plus de cent fois dans le Nouveau Testament. L’excellente « version Pau-Vevey » le traduit de diverses manières : très souvent par pouvoir, très souvent par autorité (sous ce dernier terme sont aussi comprises les autorités célestes et terrestres, l’autorité du gouverneur et du magistrat, etc.) ; d’autres fois par droit, rarement par liberté, juridiction. Le terme « autorité » ne signifie pas seulement le pouvoir, la puissance (δύναμις), mais : la puissance avec le droit de l’exercer. Ce qui le prouve, c’est qu’en certains passages, les deux mots grecs « puissance » et « autorité » sont cités l’un à côté de l’autre (Act. 1, 7, 8 ; Luc 9, 1 ; 1 Pier. 3, 22).

Cette autorité ne réside pas dans l’homme, ne lui appartient pas en propre, comme faisant partie de son être ; elle réside en Dieu Lui-même. Elle réside de la même manière en Christ, qui est Dieu manifesté en chair. Il enseignait avec autorité (Matt. 7, 29 ; Marc 1, 22 ; Luc 4, 32), commandait avec autorité aux esprits immondes, et ceux-ci Lui obéissaient (Marc 1, 27 ; Luc 4, 36). Il avait le pouvoir et le droit (ἐξουσία) de pardonner les péchés (Matt. 9, 6, 8, etc.) ; le pouvoir et le droit, quant à Sa propre vie, de la laisser et de la reprendre (Jean 10, 18). En outre, en vertu de Sa mort et de Sa résurrection, toute autorité Lui est donnée dans le ciel et sur la terre (Matt. 28, 18), et aussi l’autorité de juger, parce qu’Il est Fils de l’homme (Jean 5, 27).

L’autorité, Dieu ne la possède pas seulement pour Lui-même, mais Il la confère à l’homme, soit au gouverneur (Jean 19, 11), soit au magistrat (Rom. 13, 1-3), soit à toute principauté sur la terre ou dans les cieux. De même, Christ la confère aux siens. Pendant Sa carrière ici-bas, Il envoie les douze et leur donne autorité sur les esprits immondes (Marc 6, 7) ; autorité de guérir (Luc 9, 1) ; mais Lui seul peut conférer cette autorité. Les apôtres ne pouvaient donner à d’autres la puissance de faire des miracles ou de chasser des démons. Après Sa résurrection, toute autorité, dans le ciel et sur la terre, Lui étant donnée, Il la communique aux onze pour faire disciples toutes les nations et les enseigner (Matt. 28, 18-20), mais aussi pour vaincre et surmonter toute la puissance de l’Ennemi (Marc 16, 15-18). De même, le Seigneur confère à l’apôtre Pierre l’autorité pour administrer le royaume des cieux (Matt. 16, 19) et, plus tard, à l’apôtre Paul, cette autorité en vue de l’édification de l’Assemblée (2 Cor. 10, 8 ; 13, 10).

Il est donc évident, d’après tous ces passages, que le Seigneur confère aux hommes l’autorité, c’est-à-dire le pouvoir avec le droit de l’exercer ; mais le fait qu’Il les confère, nous montre que la source de cette autorité ne se trouve jamais, ni dans l’homme, ni dans un groupe d’hommes, à l’exclusion de Celui qui la communique. Toutefois, ayant reçu l’autorité, sans laquelle ils ne seraient pas capables de rien accomplir, ils peuvent aller et l’exercer sous leur propre responsabilité, de la part du Seigneur, et, dans ce sens, si l’on désire s’exprimer ainsi, d’une manière indépendante, mais jamais d’une manière indépendante du Seigneur et de Sa Parole, ni sans un état d’âme qui ne serait pas le brisement de la chair (Matt. 9, 29).

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Quand il s’agit de l’Assemblée, détail digne de remarque, jamais le mot autorité (continuellement appliqué à des individus ou groupes d’individus : un apôtre, un magistrat, les douze, les soixante-dix) n’est employé. Cela ne veut pas dire qu’elle ne possède pas, de fait, ce que ce mot représente, mais elle le possède d’une tout autre manière. L’autorité n’est pas déléguée et confiée à l’Assemblée, comme aux apôtres, aux disciples et aux magistrats, qui pouvaient en user librement, tout en étant responsables envers Celui qui la leur avait confiée. L’Église ou Assemblée a un tout autre caractère. Elle est unie à Christ comme à son Chef, et forme un seul corps avec Lui, ce qui n’est pas le cas de l’individu, quelque privilégié qu’il puisse être. Pour l’Assemblée, corps de Christ, l’autorité réside tout entière dans la Tête, et c’est d’elle que descend la croissance collective du corps, comme, d’autre part, cette croissance remonte au Chef (Éph. 4, 15-16).

Il en est de même quand le Seigneur se présente comme centre de l’Assemblée, de la maison de Dieu, de cette Église qu’Il a bâtie et qui est réunie à Son nom (Matt. 16, 18 ; 18, 18-20). Le pouvoir administratif et judiciaire est confié, dans le second de ces passages, à l’assemblée locale, à ce qui, dans un temps de ruine, est reconnu comme l’Église (aux « deux ou trois ») ; mais il n’y réside et n’y peut être exercé qu’en vertu de ce que Lui est « là, au milieu d’eux ». L’exercice de cette autorité n’est donc pas précisément assimilable à celui d’un apôtre ou d’un magistrat ; aussi la Parole a-t-elle soin de ne pas lui donner le nom d’autorité — le pouvoir de lier ou de délier, l’administration en un mot, n’existant jamais indépendamment de Sa présence, à Lui, dans l’Assemblée[1].

L’Assemblée peut être aussi considérée comme un ensemble responsable du témoignage et de l’administration que le Seigneur lui a confiés. Cette administration, elle est tenue de l’exercer, ce témoignage, de le rendre, dans la dépendance immédiate de Celui qui les lui a remis. Les sept assemblées de l’Apocalypse nous sont présentées à ce point de vue. Le Seigneur, au lieu d’être leur centre, marche au milieu d’elles dans Sa majesté, Sa justice, Sa sainteté et Son autorité suprêmes. Alors se pose cette question : L’Assemblée a-t-elle gardé intactes ses relations avec Christ, par lesquelles seules elle peut subsister ? À cet effet, le Seigneur s’adresse aux anges des sept assemblées, c’est-à-dire, en langage symbolique, à leur élément responsable, à un ensemble personnifié, auquel le Seigneur a confié une administration, avec le droit et le devoir de l’exercer. L’Assemblée responsable, qu’a-t-elle fait de cette prérogative ? N’oublions pas que les anges des sept assemblées nous sont présentés comme sept étoiles, présidant à chacune des diverses phases de l’Assemblée, dans les chapitres 2 et 3 de l’Apocalypse. Les étoiles ont, en langage symbolique, le sens d’autorités subordonnées ou secondaires, ayant une origine céleste, et dont chacune a la responsabilité de luire et de diriger ceux qu’elle éclaire.

À Éphèse, dans la première phase de l’Église responsable, le Seigneur se présente sous deux aspects : comme Celui qui tient les sept étoiles dans Sa droite, et qui marche au milieu des sept lampes d’or. Les sept lampes d’or sont l’Assemblée, établie par Lui en justice selon Dieu, pour rendre un témoignage brillant au-dehors. C’est dans cette église d’Éphèse seulement que le Seigneur se fait connaître en rapport avec la vocation de l’Église responsable, telle qu’Il l’a établie au commencement (les sept lampes d’or) ; et non pas, comme dans les églises suivantes, en rapport avec ce que l’Église est devenue. De même, c’est seulement à Éphèse que nous voyons le Seigneur tenir dans Sa main droite les sept étoiles, c’est-à-dire l’autorité subordonnée, telle qu’elle a été instituée au commencement. Lui seul soutient les étoiles et leur communique Sa puissance. Sans contact avec Lui, elles n’ont ni puissance, ni autorité. S’Il les laissait tomber de Sa main, elles n’auraient pas plus de pouvoir que toutes les puissances subordonnées du monde, autres étoiles que nous voyons souvent, dans l’Apocalypse, quitter leur place pour tomber sur la terre et la ravager, ou s’y éteindre (6, 13 ; 8, 10 ; 9, 1).

La sauvegarde de l’Assemblée était là. Si elle abandonnait sa relation de dépendance et le contact intime avec cette main puissante, elle tombait et sa clarté disparaissait, car elle n’avait pas plus d’autorité que de valeur intrinsèque.

C’est ce qui est arrivé à Éphèse, l’Église responsable à son début. Elle a abandonné son premier amour, c’est-à-dire l’amour de Christ, réalisé dans le cœur des croyants ; son contact immédiat avec le Seigneur a été perdu ; l’étoile pourra briller un moment encore de sa lumière propre avant de s’éteindre, mais le Seigneur déclare que la lampe sera ôtée de son lieu, et cette menace s’accomplira certainement. Que devient alors l’autorité subordonnée de l’étoile, séparée de la source de son pouvoir ? Tout chrétien sérieux ne manquera pas d’en convenir : cette autorité est perdue.

Voilà donc ce qui est arrivé à l’Église comme ensemble ; mais, nous le voyons ici, c’est ce qui peut arriver à toute assemblée locale, car les sept églises sont autant d’assemblées locales, bien qu’elles soient surtout des symboles de l’Église responsable dans son ensemble.

L’assemblée de Thyatire nous fait faire un pas de plus quant à la question de l’autorité de l’Église. Le Seigneur, cela est important, ne reconnaît plus l’église de Thyatire comme ensemble. Il ne cherche plus à la ramener au premier amour, comme Il l’avait fait à Smyrne par les persécutions, ou à Éphèse et Pergame par la repentance. Thyatire a eu du temps pour se repentir, mais elle ne l’a pas voulu (Apoc. 2, 21). Aussi le Seigneur n’adresse plus désormais à l’ensemble de l’église l’appel, à « celui qui a des oreilles », mais au résidu fidèle qui s’y trouve ; ce que dénote, comme on l’a souvent remarqué, le changement de position de ces mots dans les quatre dernières églises. C’est de ce résidu, et non pas de l’ensemble de Thyatire, qu’Il reconnaît les œuvres (2, 19), car Thyatire elle-même, comme ensemble, n’en a point, ou plutôt n’en a que de mauvaises. Or ces œuvres, quelles sont-elles ? Remarquons-le bien : « Je connais tes œuvres, et ton amour, et ta foi, et ton service, et ta patience, et tes dernières œuvres qui dépassent les premières » (v. 19). L’œuvre de foi, le service d’amour et la patience d’espérance du Seigneur, caractérisent ici le résidu de Thyatire. Ces choses manquaient à Éphèse, laquelle, coupable d’avoir abandonné son premier amour, n’avait plus que l’œuvre, le travail et la patience, sans le ressort qui les met en jeu. Elles avaient caractérisé autrefois les Thessaloniciens. Elles caractérisent, dans ce passage, le résidu de Thyatire, quoique son premier amour n’ait peut-être pas ici toute l’activité qui caractérisait les saints de Thessalonique. Les œuvres de l’ange de Thyatire sont donc le premier amour retrouvé par un résidu repentant, quand l’Église ne veut pas se repentir. L’ange de Thyatire devient ainsi, dans un sens, l’ange des « autres qui sont à Thyatire », c’est-à-dire que le résidu dans l’église prend ici, pour la première fois, aux yeux de Christ, le caractère d’église. C’est comme un recommencement, au milieu d’une ruine complète.

Mais que devient, au sein de cet état de choses, l’autorité de l’Église ? À Thyatire, Jésabel, comme reine et prophétesse, revendique le principe d’autorité résidant en elle-même, et nous savons que cette prétention aboutit, dans le catholicisme, à l’infaillibilité papale. Jésabel se dit prophétesse pour répandre, sous ce couvert, ses doctrines délétères. Le Seigneur reconnaît si peu cette autorité que, dans Son indignation, Il « la jette sur un lit », faible et impuissante, et fait mourir de mort ce qui est sorti d’elle. À qui donc le Seigneur confiera-t-Il cette autorité ? À un faible résidu, à ces « autres qui sont à Thyatire », accusés, par la malice de leurs ennemis, d’avoir connu les « profondeurs de Satan ». Il dit : « Et celui qui vaincra, et celui qui gardera mes œuvres jusqu’à la fin — je lui donnerai autorité sur les nations ; et il les paîtra avec une verge de fer… et je lui donnerai l’étoile du matin ».

Remarquez — et cela est de toute importance — que l’autorité n’est pas confiée à ce résidu pour le temps actuel, car elle est présentement, comme nous allons le voir, complètement et définitivement perdue. Elle sera donnée au résidu de Thyatire dans l’avenir, et cette autorité sera, du reste, absolument inséparable de celle de Christ (Apoc. 2, 26 ; 19, 15 ; Ps. 2, 9) — ces deux autorités n’en feront, pour ainsi dire, qu’une seule, quand le royaume millénaire sera établi sur la terre. De même, quant à la part céleste du résidu, il possédera dans l’avenir « l’étoile du matin » : Celui qui vient, et dont la brillante lumière resplendira à toujours, tandis que l’étoile de Thyatire s’est éteinte.

De Thyatire, passons à Sardes. Le résidu — « les autres » — est sorti du milieu de Thyatire, et a pris, lors de la Réformation, forme d’église à Sardes. À l’époque de la Réforme, il y eut une grande puissance de l’Esprit de Dieu pour mettre en lumière les Écritures ; les fidèles eurent recours à la seule autorité du Seigneur et de Sa Parole ; c’était comme si l’étoile de Sardes était tout de nouveau soutenue par la main droite de Celui qui les tient toutes ; mais le moment béni dont nous parlons n’est pas mentionné dans cette épître. Il n’est pas plus question ici du début de Sardes qu’il n’a été question au chapitre 2 de l’état d’Éphèse à l’heure de son premier amour. L’Esprit nous présente ce que Sardes, le résidu sorti de Thyatire, et livré à sa responsabilité, est devenu. Il était responsable (2, 25) de tenir ferme ce qu’il avait, jusqu’à la venue du Seigneur. L’a-t-il fait ? — Ce qu’est devenu le réveil protestant, comme ensemble, nous l’avons sous les yeux dans ce passage. Il est séparé de sa source ; la relation vitale de l’Église responsable avec le Chef de l’Église, n’existe plus. Sardes a entièrement remplacé le Saint Esprit et Sa plénitude, « les sept Esprits de Dieu », par des arrangements humains ; elle se passe de l’autorité du Seigneur et de Sa Parole, et les remplace par l’autorité du clergé ; elle s’assimile au monde et s’asservit à lui, qu’il soit l’état ou le peuple ; aussi aura-t-elle le sort du monde (3, 3). L’étoile, l’ange de l’assemblée de Sardes, n’est plus dans la main droite de Christ, ni aucune des sept étoiles. Lui seul a les sept étoiles qui représentent l’autorité, envisagée dans son ensemble et sa plénitude.

De même, la puissance de vie, « les sept Esprits de Dieu », la plénitude de l’Esprit qui discerne toutes choses, juge tout, met tout en lumière (Apoc. 1, 4 ; 4, 5 ; 5, 6), n’est plus dans l’Église, car Sardes est morte : Christ seul a les sept Esprits de Dieu. Lui seul possède tout le discernement, toute la puissance et l’autorité tout entière. Sardes ne les a plus ; s’il en était autrement, elle vivrait.

Ce qui était au commencement le résidu — « les autres qui sont à Thyatire » — est devenu à Sardes un corps mort, au milieu duquel on peut distinguer encore « un reste qui s’en va mourir », un résidu nouveau, hélas ! bien plus restreint que celui dont Sardes avait été formée, « quelques noms », connus du Seigneur, qui n’ont pas souillé leurs vêtements en s’alliant avec le monde. Mais ces quelques-uns ne sont pas à plaindre : s’ils n’ont aucune ressource en eux-mêmes, ils sont entièrement rejetés sur Christ, sur la plénitude de l’Esprit et la plénitude de l’autorité qui Lui appartiennent. Lui n’en a jamais perdu la moindre parcelle, mais, s’Il les a, Il les possède pour les siens et les met à leur disposition, quand l’Église n’a plus ni l’une ni l’autre.

Passons maintenant à Philadelphie.

Les « quelques noms », sortis de l’atmosphère mortelle de Sardes, ont pris, aux yeux de Christ, forme d’église — et pourtant, ils ne sont que « deux ou trois ». Quel caractère prend-Il vis-à-vis d’eux ? Va-t-Il se révéler de nouveau à eux comme Celui qui tient les sept étoiles dans Sa main droite ? Non ; comme nous l’avons vu, l’infidélité de l’Église responsable lui a fait perdre sa place de dépendance de Christ, ainsi que l’autorité que le Seigneur lui avait confiée ; mais cette autorité, chose infiniment précieuse à constater, existe néanmoins pour Philadelphie ; le résidu véritable la voyant tout entière en Christ. Le Seigneur sait quelle est l’extrême faiblesse du petit noyau de Ses témoins, mais il Lui plaît de le reconnaître comme une des phases de Son Église, et de le maintenir en dépit de son peu de force.

Philadelphie a non seulement peu de force ; elle n’a aucune autorité et aucune puissance pour l’exercer. En moi est la force, lui dit le Seigneur. Il est, pour le temps actuel, la vraie colonne Boaz (1 Rois 7, 21) de l’Église ; seulement, Il promet à Philadelphie qu’elle sera — elle aujourd’hui si faible — en un temps à venir, cette colonne dans le temple glorieux de Son Dieu.

De plus, Jésus se présente à Philadelphie comme ayant la clef de David. Vrai Éliakim (És. 22, 22), Il a le pouvoir d’ouvrir et de fermer ; Il possède l’autorité et le droit d’administrer la maison de Dieu, administration ôtée à Shebna, l’infidèle. Il ne dit pas à Philadelphie : « Je te confère l’autorité, le droit et le pouvoir », mais Il lui dit : Moi, je les ai, et cela doit te suffire. Faible résidu, je les mets à ta disposition. Tu peux compter sur moi, et sur moi seul. La clef de David ouvre, devant l’Assemblée, la porte pour sortir librement et accomplir son service au-dehors, et personne ne peut la fermer.

Remarquez encore que c’est maintenant Lui qui a les clefs — car, dans l’Apocalypse, Il les a toutes (voyez 1, 18) — et non plus un apôtre. C’est Lui qui a la clef de l’administration de la maison de Dieu — la clef de David — comme Il a les clefs de la mort et du hadès. Autrefois, Il avait confié les clefs du royaume des cieux, le droit de l’administrer, à l’apôtre Pierre (Matt. 16, 19) ; ensuite, Il a confié à l’Église, comme ensemble, l’administration d’elle-même, le droit de lier et de délier dans son sein, en vertu de Sa présence au milieu d’elle, comme Église responsable. Elle y a été totalement infidèle, et l’administration lui sera retirée, comme à l’économe de Luc 16, 1 et 2, bien que laissée encore pour un peu de temps entre ses mains. Maintenant, c’est Lui qui a l’administration d’une manière générale, et Il s’en sert pour la bénédiction des deux ou trois, d’un résidu sans force, mais qui a gardé Sa Parole et n’a pas renié Son nom. Oui, si l’autorité, si la puissance d’administrer, sont dans l’assemblée de Philadelphie, réduite, pour ainsi dire, à la condition des « deux ou trois » d’une assemblée locale, c’est parce que Lui qui s’y trouve la possède. Philadelphie y a part, parce qu’elle est en communion avec Lui, non pas parce qu’elle possède elle-même la clef de David.

Ajoutons encore ici un point d’une importance capitale. Celui qui a la clef de David a aussi, dans l’assemblée de Philadelphie, un certain caractère, inséparable de Son administration. Il est le Saint et le Véritable, et l’Assemblée agit en accord avec ce caractère. C’est à cela que l’on reconnaît ce faible résidu ; il ne serait pas Philadelphie s’il abandonnait la Parole du Véritable et reniait le nom du Saint par sa marche et par sa conduite. Ce sont ces choses, jointes à l’attente du Seigneur, à l’amour pour Christ et pour les frères, que Philadelphie doit « tenir ferme ». Elle n’a pas à maintenir ses droits, mais ceux du Seigneur au milieu d’elle. Philadelphie possédera une fois, comme nous l’avons dit, l’exercice de la puissance, mais pas ici-bas. Le pouvoir et l’autorité, jadis perdue par l’infidélité de l’Église, ne peut se retrouver ; mais, comme « les autres qui sont à Thyatire » auront et partageront, dans le royaume, l’autorité publique de Christ sur les nations (2, 26), Philadelphie, ou résidu du résidu, aura le pouvoir dans le temple céleste de Dieu. Identifiée avec Christ, vrai Boaz et vrai Jakin, elle aura, dans ce lieu, la force en elle-même, et sera établie pour toujours dans la gloire.

Si, enfin, nous passons à Laodicée, nous y trouvons la prétention à être quelque chose, à se suffire elle-même à elle-même. On y trouve une certaine connaissance, sortie, je n’en doute pas, des vérités réalisées à Philadelphie ; — connaissance que Laodicée s’attribue et qu’elle croit avoir acquise par la volonté de l’homme déchu et les facultés qui appartiennent à l’ancienne création corrompue ; — vérités qu’elle altère de manière à être un objet de dégoût pour le Seigneur.

À Laodicée, Christ est abandonné ; on Lui a substitué l’homme et sa vaine gloire. Mais Lui reste : Il est ce que l’Église a cessé d’être, « le témoin fidèle et véritable », comme, à Sardes, Il a ce que l’Église a cessé d’avoir. Quant aux fidèles, il n’y a plus même quelques noms comme à Sardes, ou deux ou trois comme à Philadelphie, mais « quelqu’un » (3, 20) : des individus fidèles qui ouvrent au Seigneur, quand, se tenant dehors, Il frappe à la porte.

Aujourd’hui, l’Église marche au-devant de cet état de choses. Mille symptômes l’indiquent, et le témoignage, au milieu du mal grandissant, devient de plus en plus individuel. Cependant, grâce à Dieu, le caractère philadelphien sera conservé jusqu’au bout de cette humiliante histoire : jamais la bénédiction de la présence du Seigneur au milieu des deux ou trois, réunis en Son saint nom, ne sera perdue.

À Laodicée, il y a moins que « peu de force », et l’on peut affirmer que « l’Amen, le témoin fidèle et véritable, le commencement de la création de Dieu », ayant été abandonné pour Lui substituer l’homme et sa force, il ne reste plus rien. Aussi est-ce l’individu qui est appelé à entendre Sa voix, à Le laisser entrer chez lui, à souper seul en tête à tête avec le Seigneur.

Si toute autorité de l’Église a disparu pour toujours, elle n’en sera pas moins à Laodicée, comme à Thyatire et à Philadelphie, la part éternelle des fidèles en un temps à venir. À Thyatire, c’était l’autorité gouvernementale avec Christ (2, 26, 27) ; à Laodicée, l’autorité royale avec Lui (3, 21) ; à Philadelphie, l’autorité céleste de la nouvelle Jérusalem (3, 12).

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Nous venons de montrer que, s’il s’agit de l’Église responsable, dans son ensemble, elle a perdu toute autorité, dès le début, en ne maintenant pas son contact avec Christ, comme seule source de sa puissance.

Mais, direz-vous, l’autorité n’est-elle pas conférée aujourd’hui à l’assemblée locale, à deux ou trois qui sont « assemblés en Son nom » ?

Sans aucun doute ; et nous ne contestons en aucune manière le pouvoir administratif confié par le Seigneur à l’assemblée locale, c’est-à-dire dans un milieu restreint, et les moyens qu’Il emploie pour y maintenir l’ordre. Ce sujet touche à la discipline et à l’unité d’action de l’Assemblée, et a été traité à plus d’une reprise. Aujourd’hui, en un temps de ruine, le pouvoir administratif pour lier ou délier, admettre ou rejeter de son sein, et autres actes semblables, est confié à deux ou trois qui sont assemblés à Son nom, bien que la Parole, comme prévoyant qu’on en pourrait abuser, n’emploie pas, pour le désigner, le mot « autorité ». Cette administration, l’assemblée locale l’exerce en vertu de la présence de Christ au milieu d’elle, et son pouvoir dépend uniquement de cette présence. Il est vrai que Dieu emploie, pour toute décision à prendre, des instruments humains, des individus dans l’Assemblée ; mais ce ne sont pas eux qui décident, alors même que leur activité est reconnue. L’assemblée décide, elle seule, parce que Christ y est. Il est très important de remarquer qu’en Matthieu 18, le « Je vous dis » du verset 18 (l’exercice de la discipline) et le « Je vous dis encore » du verset 19 (l’exaucement de la prière) se lient l’un à l’autre, au fait que l’assemblée locale est constituée et caractérisée au verset 20 par la présence de Christ au milieu d’elle. Donc, l’autorité (je ne m’oppose pas à ce mot, s’il est bien compris) de l’assemblée a un caractère tout autre que, par exemple, celle de l’apôtre Pierre, tout en étant, quant à l’administration, la seule succession apostolique. Pierre, Paul, allaient, exerçant de la part du Seigneur cette autorité qu’Il avait mise entre leurs mains ; l’assemblée locale ne l’exerce qu’en ayant le Seigneur au milieu d’elle, et si elle ne réalise pas cette vérité, elle n’a aucune autorité, aucun droit quelconque, ou, plus encore, elle n’est pas l’Assemblée.

Mais en outre, vérité si possible plus importante encore, affirmer cette présence serait une vaine et mensongère prétention, si la sainteté de Celui au nom duquel l’assemblée est réunie était reniée par elle, soit en paroles, soit par sa conduite. Si le caractère de Celui qui est au milieu de l’assemblée est renié, l’assemblée locale n’existe pas, Christ n’y étant pas. Pour jouir de l’autorité que le Seigneur exerce, et y avoir part, il faut d’abord, comme Philadelphie, reconnaître et reproduire Son caractère. Christ se présente à Philadelphie comme employant la clef de David, après lui avoir fait connaître qu’Il est le Saint et le Véritable, et avoir constaté qu’elle répondait, dans sa conduite, à ce caractère — gardant Sa Parole et ne reniant pas Son nom.

Tout cela, cher lecteur, est d’une grande importance. Il n’y a pas plus de ratification d’un acte d’administration d’assemblée, que d’exaucement d’une prière d’assemblée (Matt. 18, 19-20), si Jésus n’est pas au milieu d’elle, si Son caractère de Saint et de Véritable n’est pas maintenu, et si elle-même ne correspond pas à ce caractère. En elle-même, elle n’a jamais eu, ni n’a, dans le jour actuel, aucune puissance, aucun droit, aucune autorité, sans Christ ; elle ne peut prétendre exercer cette autorité, sans maintenir le caractère de Celui autour duquel elle est réunie.

Cette présence ne consiste pas dans l’affirmation de notre part qu’Il est là, car cette affirmation peut être un simple mensonge. Sa présence ne peut être séparée de Son caractère. Jamais le Saint et le Véritable ne sanctionne dans l’assemblée aucune iniquité, aucun acte de propre volonté, aucune injustice. C’est une pensée solennelle et bien faite pour nous remplir d’une crainte selon Dieu.

Mais, direz-vous encore, dans ce cas, l’assemblée ne perd-elle pas, vu notre infirmité, toute possibilité d’exercer une discipline ou de prendre une décision quelconque ? Nullement.

Il est parfaitement vrai que l’assemblée locale, ayant peu de force, comme Philadelphie, est capable de manquer en plusieurs manières, et toute assemblée qui est en communion avec Lui, ne peut qu’en être profondément persuadée ; aussi sa seule sauvegarde, et Il l’en assure, est de compter à la fois sur Sa puissance et sur Son amour. Si elle manque de sainteté, de discernement, qui remédiera à ces choses, si ce n’est Lui-même ? Il a mille ressources et peut employer à cet effet « des aides, des gouvernements », cent instruments divers. Jamais ce secours ne manquera, si, pareille à Philadelphie, une assemblée locale, quelque peu de force qu’elle ait, regarde à Lui, compte humblement sur Lui et Lui est affectionnée. Mais si, au lieu de regarder à Lui, l’assemblée locale se laisse diriger par des motifs ou des considérations personnelles, par l’influence ou l’autorité de l’homme, elle s’expose à la plus sévère discipline et devient souvent une cause de trouble et de désordre, au lieu de maintenir, dans la maison de Dieu, un ordre selon Lui.

Au reste, il ne nous faut plus qu’un peu de « patience » ; le temps de l’épreuve actuelle va prendre fin. Le Seigneur vient, et le pauvre résidu de Philadelphie sera gardé, selon Sa promesse, de l’heure de la terrible épreuve universelle qui fondra sur la terre.

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Chers lecteurs, ne mettons jamais en avant notre autorité. Combien souvent nous lui donnons, à tort, le titre d’autorité de l’assemblée, pour être libres de faire notre volonté. Ce que nous avons à maintenir, c’est l’autorité de Christ en amour, en sainteté et en vérité dans Son Église, la présence du Saint Esprit parmi les saints. Nos prétentions à l’autorité, en faisant abstraction de Christ et de Son caractère au milieu des siens, nous conduiraient nécessairement à sanctionner le mal, sous toutes ses formes : le manque d’amour, l’orgueil, les haines, la désobéissance, les jalousies, la désunion, les sectes. Ah ! que nous serions loin, dans ce cas, du caractère de Philadelphie, qui porte l’amour fraternel gravé sur son front, la communion et l’attente du Seigneur, gravées dans son cœur, la sainteté, sceau de sa marche !

Qu’Il nous donne, en ces temps fâcheux, un vrai esprit philadelphien. Qu’Il nous garde de penser que nous puissions avoir aucune force, si ce n’est dans la dépendance de Christ. Évitons de recouvrir du nom d’autorité de l’Assemblée ce qui ne serait que le fruit de notre indépendance et de notre propre volonté. Si nous nous sommes égarés en suivant nos propres pensées, hâtons-nous de nous en repentir. L’humiliation est salutaire ; il faut que les herbes amères précèdent la fête des pains sans levain — la sainteté retrouvée dans notre marche.

D’autre part, gardons-nous de souiller nos vêtements comme Sardes. La mondanité, sous quelque forme que ce soit, détruit la communion et laisse l’âme désemparée quand le mauvais jour arrive. Proclamer le nom du Saint ne peut s’accorder avec des vêtements souillés. Nous sommes appelés à faire partie de ces « quelques noms », bien connus de Christ, qui, à Sardes, marchent en communion avec Lui dans les vêtements blancs de la sainteté, dans les vêtements de fin lin de la justice pratique.