Un homme en Christ

2 Corinthiens 12
J.N. Darby

Il y a, dans l’Écriture, des chapitres qui contiennent un exposé si complet et si béni de quelque grande vérité de Dieu, qu’ils acquièrent et conservent une place toute particulière dans l’esprit du croyant. Bien que toute l’Écriture soit inspirée de Dieu et ait la même autorité, cet effet exceptionnel de certains passages ne peut cependant pas être blâmé, parce qu’on trouvera toujours qu’il est produit par quelque portion qui contient une révélation spéciale de Dieu et de ses voies, ou de l’amour de Christ envers nous. À peine peut-on dire que le chapitre, dont je désire parler, ait ce caractère ; toutefois, je pense que quelques développements pratiques sur cette portion de l’Écriture pourront être utiles. Il y a là un déploiement très remarquable et complet des merveilleuses hauteurs auxquelles les saints peuvent s’élever, et des déplorables profondeurs dans lesquelles ils peuvent descendre ; on y trouve les principes puissants, soit du bien, soit du mal. Ces principes sont à l’œuvre dans les croyants, qui participent aux deux natures du bien et du mal. Dans ces natures, on les voit associés, d’un côté, à ce qu’il y a de plus élevé et de plus excellent ; de l’autre, à la plus vile dégradation. On voit aussi, dans ce chapitre, la manière dont la grâce divine agit pour faire triompher le bien en nous ; il nous donne une vue claire de toute l’œuvre de cette grâce, pour produire le résultat parfait, en bien et en bénédiction, du combat spirituel dans lequel nous sommes, par la connaissance du bien et du mal que la chute nous a fait acquérir.

Il est très frappant de voir de quelle manière, dans ce seul chapitre, nous trouvons l’état le plus glorieux auquel un chrétien puisse être élevé (état exceptionnel sans doute comme expérience), et la condition la plus misérable dans laquelle il puisse tomber, ainsi que tous les principes pratiques, d’après lesquels l’œuvre divine agit entre ces deux extrêmes. Au commencement du chapitre, nous voyons un saint dans le troisième ciel, dans le paradis, où la chair ne pouvait rien comprendre ni recevoir. Paul ne savait pas s’il était là, dans le corps ou hors du corps. Il n’y avait plus, pour lui, aucune conscience de l’existence humaine dans la chair ; aussi ne put-il pas exprimer ce qu’il avait entendu, lorsqu’il eut de nouveau la conscience de l’existence dans la chair. Tel est le saint au commencement de ce chapitre. À la fin, nous en trouvons un, peut-être plusieurs qui, tombés dans la fornication, l’impureté et l’impudicité, étaient sans repentance au sujet de ces péchés. Quel contraste entre cette élévation dans le troisième ciel, et cette vile dégradation charnelle ! Et le chrétien est capable des deux ! Quelle leçon ! Quel avertissement pour chaque saint, quand même il ne serait ni à l’un ni à l’autre de ces extrêmes ! Combien cela n’est-il pas propre à donner la conscience des deux natures qui sont à l’œuvre, et des éléments qui sont en lutte, dans la vie spirituelle du croyant ici-bas ! Une autre partie de ce chapitre nous montrera où se trouve la seule puissance capable de faire marcher le saint tout le long de sa course, d’une manière conséquente avec le bien céleste auquel il est appelé.

Lorsque Paul parle de son ravissement dans le troisième ciel, il emploie une expression remarquable quant à lui-même : « Je connais, dit-il, un homme en Christ ». Quelques pensées préliminaires, au sujet de la loi, faciliteront l’intelligence de cette expression. La loi donnait à l’homme une règle divine et parfaite pour sa conduite sur la terre ; mais elle ne l’a jamais introduit dans le ciel. Les êtres célestes, comme les anges, par exemple, agissent d’après la perfection abstraite de cette règle divine, telle que le Seigneur Lui-même l’a donnée : ils aiment Dieu de tout leur cœur, et leur prochain comme eux-mêmes. C’est la perfection de la créature ; mais c’est leur nature dans laquelle Dieu les a maintenus. Prescrire des sentiments et une conduite au moyen d’une loi, c’est tout autre chose ; voilà ce que les chrétiens oublient bien souvent. Tout ce que la loi contient est parfait, à sa place et dans son but ; elle nous dit quel est le bon état d’une créature, elle défend le mal auquel la chair est portée. Mais pourquoi prescrire cela ? Sans doute, l’obéissance est une partie de la perfection dans la créature. Pour un être assujetti à Dieu, faire simplement le bien ne suffit pas pour qu’il marche justement, parce que Dieu a une autorité absolue sur lui. C’est ainsi que Dieu peut prescrire, et qu’Il prescrit, aux anges certains actes particuliers de service, et ils obéissent.

Mais quand un état d’âme est prescrit, pourquoi l’est-il ? Parce que cela est nécessaire, à cause de l’état de la personne à laquelle le commandement est adressé. Elle a des dispositions qui la portent à faire le contraire de ce qui est prescrit. Commander à quelqu’un de faire une chose, c’est supposer qu’il ne la fait pas, et qu’il ne se propose pas de la faire sans un commandement. Si nous ajoutons que neuf commandements sur dix, défendent des péchés positifs et de mauvaises dispositions, parce que les hommes sont enclins à commettre ces péchés et qu’ils ont ces mauvaises dispositions (car autrement, il n’y aurait eu aucune nécessité de les interdire), nous trouverons que la nature même et l’existence d’une loi qui, par l’autorité de Dieu, prescrit le bien, suppose le mal dans la nature de l’homme, laquelle est opposée au bien. Examinez le cas sous toutes ses faces, vous verrez que c’est là une vérité déplorable. Vous ne pouvez pas commander l’amour, c’est-à-dire le produire en le commandant ; et vous ne pouvez pas non plus ôter les convoitises, en les interdisant à une nature dont elles font partie. C’est cependant ce que la loi fait, et ce qu’elle doit faire, si Dieu en donne une. Elle démontre que ce qui est défendu est péché, et que ce dernier est en l’homme pour être défendu ; mais elle n’ôte jamais le péché. Elle prescrit le bien dans la créature, mais elle ne le produit pas. Elle montre ce qui est bien dans la créature sur la terre ; mais combien cela est loin d’élever un homme dans les lieux célestes ! La loi ne peut avoir une telle prétention. L’homme a maintenant, par la chute, la connaissance du bien et du mal, et la loi agit d’après cette étonnante faculté, de laquelle Dieu a pu dire : « l’homme est devenu comme l’un de nous, pour connaître le bien et le mal » [Gen. 3, 22]. Mais comment ? L’homme est sous l’empire du mal ; or la loi exige de lui le bien qu’il n’a pas, et lui montre tout le mal qui est en lui. Elle lui présente avec force le mal qui est en lui, et les conséquences du mal en jugement ; et, quant au bien qu’elle requiert de lui, cela n’a d’autre effet que de lui donner la conscience qu’il ne l’a pas en lui.

La loi, en outre, ne montre à l’homme aucun bien, comme objet placé devant son âme. Je le répète, afin de rendre la chose claire : la loi exige le bien dans l’homme ; aimer Dieu et son prochain, par exemple ; mais elle ne lui présente aucun bien. La loi ne révèle aucun objet propre à produire le bien dans l’homme, ou qui puisse être pour lui le bien suprême, en puissance de vie. Ainsi la loi produit la colère. Où il n’y a pas de loi, il n’y a pas de transgression. Mais la grâce agit d’une manière toute différente ; elle n’exige pas le bien là où il n’est pas, quoiqu’elle puisse le produire. Elle ne condamne pas les coupables, mais elle pardonne et ôte leur péché ; elle nous présente un objet, Dieu Lui-même, mais Dieu venu près de nous, en amour. Elle fait plus : elle communique ce qui est bien. Ce n’est pas une loi ; elle n’exige pas le bien où il n’est pas ; elle le produit. Dans le combat que nous avons à soutenir entre le bien et le mal, la grâce n’agit pas en nous faisant sentir le mal comme un fardeau, dont il est impossible de nous débarrasser, parce que nous en sommes les esclaves, en nous faisant sentir que nous sommes sous la puissance de « ce corps de mort » [Rom. 7, 24], vendus au péché. Non, c’est la loi qui agit ainsi ; et si nous sommes régénérés, nous ne sentons que plus profondément qu’il nous est impossible de satisfaire à ses exigences de manière à être justes par elle, même si nous avions, au plus haut degré, la volonté de faire le bien. En un mot, dans la connaissance du bien et du mal, avec laquelle elle a affaire, la grâce ne nous conduit pas, dans le combat, par le sentiment de la puissance du mal, auquel nous sommes assujettis, ni par la terreur de ses conséquences, mais par la possession d’un bien parfait et divin, au moyen duquel nous sommes élevés au-dessus du mal et le jugeons ; par la possession d’un objet parfaitement bon, qui est nos délices aussi bien que notre vie ; par la possession de Christ Lui-même, en qui nous sommes et qui est en nous. « Je connais, dit l’apôtre, un homme en Christ ».

Cette expression demande quelques développements, car l’idée d’un homme en Christ est souvent très vague, dans le cœur de bien des chrétiens. Dans le paradis, sans loi, sous la loi, et quand Christ lui a été présenté : dans toutes ces positions, l’homme a toujours été responsable de sa conduite, comme homme vivant, pour les choses faites dans le corps. Il était considéré comme enfant d’Adam, ou « dans la chair » ; c’est-à-dire qu’il se trouvait, devant Dieu, dans la nature dans laquelle il avait été créé et, dans cette nature, responsable de sa conduite, responsable de ce qu’il était dans la chair. Or le résultat a été, que l’homme a failli dans chacune de ces positions différentes : il a failli dans le paradis ; laissé sans loi, il s’est vautré dans le mal ; sous la loi, il a été transgresseur ; enfin, pour comble de mal, quand Christ est venu, l’homme L’a haï, Lui et le Père, et ainsi le péché de l’homme a été entièrement mis à découvert ; cette haine est le dernier et principal sujet du jugement ; l’homme était perdu. Mis à l’épreuve pendant quatre mille ans, l’arbre s’est montré mauvais ; plus il a reçu de soins, plus son fruit a été mauvais. Toute chair était jugée ; l’arbre ne devait plus produire désormais aucun fruit. Non seulement il a été démontré, de toutes manières, que l’homme est pécheur, mais encore il a repoussé le remède qui lui était offert en grâce ; car Christ vint dans un monde déjà plein de péché, et Il fut rejeté et méprisé des hommes. Ce n’est pas seulement que l’homme, tombé et coupable, ait été chassé du paradis ; mais, pour autant que cela dépendait de la volonté de l’homme, Christ, venu en grâce, fut chassé d’un monde plongé dans la misère par le péché, et qu’Il visitait en bonté. L’histoire de l’homme était moralement close. « Maintenant est le jugement de ce monde » (Jean 12, 31), dit le Seigneur quand les Grecs montèrent pour adorer. C’est pourquoi il est dit : « Maintenant, en la consommation des siècles, Il a été manifesté une fois » [Héb. 9, 26].

Mais alors vient l’œuvre de Dieu pour le pécheur : Celui qui n’avait pas connu le péché a été fait péché pour nous [2 Cor. 5, 21]. Par grâce et volontairement, Christ a bu la coupe qui Lui avait été donnée à boire. Il a laissé la vie dans laquelle Il a porté le péché, et tout est fini avec elle. La vie même, dans laquelle notre péché était porté, fut laissée sur la croix ; le sang de Christ a été versé. Par le sacrifice de Lui-même, Christ a ôté le péché de tous les croyants, et les a rendus parfaits pour toujours. Celui qui est mort est quitte du péché. Or Christ est mort : Il est donc quitte du péché[1]. Mais du péché de qui ? Du nôtre, à nous, qui croyons en Lui. Le péché est ôté tout entier, il est ôté avec la vie à laquelle il était attaché. La mort de Christ a mis fin, pour la foi, à l’existence du vieil homme, de la chair, du premier Adam, vie dans laquelle nous étions responsables devant Dieu, et dans laquelle Christ, en grâce, s’est placé pour nous. « Ce qui était impossible à la loi, en ce qu’elle était faible par la chair, Dieu, ayant envoyé son propre Fils, en ressemblance de chair de péché, et pour le péché, a condamné le péché dans la chair » (Rom. 8, 3). « Car en ce qu’il est mort, il est mort une fois pour toutes au péché ; mais en ce qu’il vit, il vit à Dieu » (Rom. 6, 10).

La foi anticipe le jugement quant au vieil homme, quant à la chair et à toutes ses voies. Sur le principe de la responsabilité, nous sommes complètement perdus. Nous pouvons apprendre cette triste vérité, d’une manière expérimentale, en passant sous la loi et en perdant ainsi toute espérance de plaire à Dieu, comme étant dans la chair ; ou bien nous pouvons l’apprendre, en voyant notre opposition à Christ et notre indifférence pour Lui. Mais, pour le croyant, tout cela est fini depuis la croix ; il est crucifié avec Christ ; néanmoins il vit, non pas lui, mais le Christ vit en lui. Si la croix a démontré que, dans la chair, il n’y a que péché et haine contre Dieu, elle a ôté aussi le péché qu’elle démontre. Tout est fini ; la vie est finie. Si un criminel meurt en prison, que peut la loi contre lui ? De même aussi, quant à nous, la vie, dans laquelle nous péchions, a pris fin, car Christ est mort ; volontairement sans doute, mais parce que Dieu a eu affaire, d’une manière judiciaire, avec le péché que Christ a porté pour nous. Nous sommes en vie, maintenant, sur un pied tout nouveau ; nous sommes en vie, en Christ, devant Dieu : les choses vieilles sont passées ; il y a une nouvelle création, nous sommes créés de nouveau en Jésus Christ.

Notre position, devant Dieu, n’est plus dans la chair ; elle est en Christ. Comme homme, Christ a pris une position entièrement nouvelle, qui n’a rien de commun avec celle d’Adam innocent, ou d’Adam pécheur. La « plus belle robe » [Luc 15, 22] du fils prodigue ne faisait point partie de son premier héritage ; elle était en la possession du père et une chose toute nouvelle. Christ a pris cette position, en conséquence de l’œuvre par laquelle Il a ôté nos péchés, œuvre terminée et qui a glorifié Dieu au sujet du péché. Il a pris cette place en justice, et, en Lui, l’homme a acquis une nouvelle position en justice devant Dieu. Quand il est vivifié, il l’est par la vie dans laquelle vit Christ, le second Adam ; et, se soumettant à la justice de Dieu, sachant qu’il est totalement perdu dans le vieil homme, le premier Adam ; s’inclinant devant cette solennelle vérité que la croix lui enseigne, il est scellé du Saint Esprit, uni d’une manière vivante au Seigneur, un seul Esprit avec Lui : c’est « un homme en Christ ». Il n’est pas dans la chair ou dans le premier Adam. Tout cela a pris fin pour lui à la croix, où Christ s’est rendu responsable pour lui à l’égard du vieil homme ; Christ est mort une fois au péché, et le croyant vit à Dieu par notre Seigneur Jésus Christ. Il appartient à une nouvelle création, ayant, pour la vie, la vie de Celui qui en est la Tête. Il a appris, à la croix, que ce qu’il était auparavant a été entièrement jugé, condamné et mis de côté pour toujours. La croix est, pour le croyant, cette mer Rouge et ce Jourdain infranchissables, mais qu’il a traversés, ainsi délivré, pour toujours, de l’Égypte, et introduit, en Christ, dans la terre de Canaan. Les eaux du Jourdain (la puissance de la mort) ont beau déborder, l’arche de l’alliance les a traversées pour lui ; elle lui a ouvert le chemin de Canaan. Ce qui aurait été sa destruction, s’il avait essayé lui-même de traverser les eaux, comme les Égyptiens, a été un mur à sa droite et à sa gauche, et a détruit tout ce qui était contre lui.

Autrefois un homme dans la chair, le croyant est devenu un homme en Christ. Changement merveilleux et complet de toute la condition et de la position, où il était, dans le premier Adam, responsable de ses propres péchés ; maintenant, il est en Christ qui a porté, à sa place, toutes les conséquences de cette responsabilité, et qui, selon la puissance de cette vie, nouvelle pour nous, dans laquelle il est ressuscité d’entre les morts, lui a donné une place en Lui et avec Lui, tel qu’Il est maintenant, comme homme, devant Dieu. Telle est la position à laquelle l’apôtre fait allusion ; quant à lui, il lui fut donné, pendant le temps de son séjour sur la terre, de jouir un moment, d’une manière extraordinaire, de tout le fruit et de toute la gloire de cette position. Son langage, à l’égard de la vérité dont nous parlons, est parfaitement clair et par conséquent très puissant : « Quand nous étions dans la chair » [Rom. 7, 5], dit-il. C’est ainsi que nous nous exprimons pour décrire un état de choses passé, dans lequel nous ne sommes plus. « Quand nous étions dans la chair » signifie donc que nous ne sommes plus dans cette position-là. « Or, dit-il encore, vous n’êtes pas dans la chair, mais dans l’Esprit, si du moins l’Esprit de Dieu habite en vous » (Rom. 8, 9). Nous sommes maintenant vivants dans le Christ. « Si, dit-il ailleurs, vous êtes morts avec Christ aux éléments du monde, pourquoi établissez-vous des ordonnances ? » (Col. 2, 20). « Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Quand le Christ qui est notre vie, sera manifesté, alors vous aussi, vous serez manifestés avec Lui en gloire » (Col. 3, 3, 4).

Le lecteur me pardonnera de m’être arrêté si longtemps sur cette première expression de notre chapitre ; je l’ai fait à cause de son extrême importance. C’est le cœur même de la doctrine de Paul, le seul vrai chemin qui conduise à une entière et divine liberté, à la puissance de la sainteté ; c’est parce que plusieurs chrétiens n’ont pas saisi la force de cette vérité ni compris les expressions de l’apôtre, qu’ils considèrent la mort de Christ comme un remède pour le vieil homme, ou qu’ils n’y voient, tout au plus, que le pardon des péchés passés, au lieu d’apprendre que, par cette mort, ils sont sortis du vieil homme, quant à leur position devant Dieu, et qu’ils sont maintenant dans le nouvel homme, selon la puissance de la vie qui est en Christ. Demandez à plusieurs croyants sincères ce que signifie : « quand nous étions dans la chair », ils ne pourront pas vous donner de réponse claire ; ils n’ont pas une idée exacte du sens de ces mots. Demandez-leur ce que c’est que d’être en Christ ; — leur réponse sera tout aussi vague. Un homme régénéré peut être dans la chair, quant à l’état de son âme, quoique, aux yeux de Dieu, il ne soit pas dans cette position ; un tel cas est supposé en Romains 7 ; il regarde à lui-même comme s’il était devant Dieu sur le pied de sa propre responsabilité, quoique régénéré, il ne peut jamais satisfaire aux exigences de Dieu, ni atteindre à Sa justice. Peut-être que, ayant compris cela, il a recours au sang de Christ, pour tranquilliser sa conscience mal à l’aise ; il répétera ce recours au sang de Christ pour calmer sa conscience troublée, comme un Juif aurait répété un sacrifice, ou comme un homme superstitieux redemande l’absolution ; il n’a pas l’idée qu’il a été purifié et rendu parfait une fois pour toutes, qu’il a été tiré hors de sa position dans la chair, lavé et placé, en Christ, devant Dieu. Or si nous sommes en Christ, les droits et les privilèges de Christ sont nos privilèges et nos droits. Selon les conseils de la sagesse et de l’amour de Dieu, Paul fut rendu capable de jouir pleinement des merveilleux fruits de tout cela, d’une manière spéciale et extraordinaire. La chair, la nature mortelle, n’y a aucune part et n’en peut point avoir, quoique nous, vivants en Christ, nous y ayons part, même pendant que nous sommes dans cette nature mortelle, quel que soit le degré auquel nous réalisons cette participation.

Voilà ce qu’il a été donné à Paul de connaître, de telle manière, qu’en en jouissant au plus haut degré, dans le nouvel homme, dans sa vie en Christ, « la vie cachée avec Christ en Dieu » [Col. 3, 3], le « non pas moi, mais Christ vit en moi » [Gal. 2, 20] — il n’avait aucune conscience de cette autre partie mortelle qui, cependant, par sa nature même (aussi bien que par le péché, si la volonté est à l’œuvre), pèse sur l’homme nouveau et céleste qui est en nous. Paul ne pouvait pas dire s’il était dans le corps ou hors du corps, lorsqu’il fut dans le troisième ciel ; il n’en avait pas eu la conscience ; mais en rentrant dans son état ordinaire, il eut de nouveau la conscience d’être dans le corps. Le lecteur remarquera aussi avec quel soin l’apôtre distingue entre « un homme en Christ » et « lui-même », tel qu’il se connaissait par l’expérience pratique de lui-même ici-bas ; ayant bien, en vérité, la vie de Christ et l’Esprit qui l’unissait à la Tête, mais ayant aussi la chair en lui, quoiqu’il ne fût pas dans la chair. Paul ne voulait pas se glorifier de ce qu’il était et avait la conscience d’être ici-bas ; mais il lui avait été donné de jouir de sa position comme homme en Christ, sans aucune conscience de ce qu’il était sur la terre ; voilà de quoi l’apôtre voulait se glorifier.

Or, quoique nous n’ayons jamais été dans le troisième ciel pour réaliser pleinement la gloire et les privilèges de notre position, cependant nous sommes aussi des hommes en Christ, et nous connaissons — le plus faible des saints qui comprend sa position en Christ, connaît assez — combien cette position est bénie, pour que nous puissions nous réjouir d’une « joie ineffable et glorieuse » [1 Pier. 1, 8]. Paul se glorifie dans la position de l’homme en Christ, position qui est très sûrement et parfaitement sienne et qu’il peut réaliser aussi, de manière à ne pas éprouver, de façon sensible, le travail du péché en lui, quoiqu’il sache bien que le péché est toujours là. Nous pouvons être remplis de l’Esprit, de telle sorte que l’Esprit soit la seule source actuelle de nos pensées. En vérité, c’est là l’état qui nous convient, comme chrétiens ; non pas, il est vrai, que l’activité de l’Esprit, procurant une perception sensible de la gloire et des choses de Christ, et élevant l’âme à ce qui est en haut, soit toujours la même ; mais de telle sorte, qu’on n’a pas la conscience d’avoir, dans l’esprit, la moindre chose qui soit en contradiction avec cet état[2]. Il est vrai que, même sans aucune conscience de mal, il peut y avoir l’effet d’une intelligence peu éclairée, au point même d’impliquer des fautes, de la négligence, le manque d’un œil simple et de la paresse spirituelle, choses qui éloignent du chemin dans lequel un œil simple nous conduit, et qui produisent naturellement du malaise dans l’âme, parce que l’Esprit qui demeure en nous est contristé ; il peut, avec cela, n’y avoir aucun élément actuel de trouble dans la conscience[3].

Être dans le troisième ciel, comme disent les hommes, n’est pas toujours notre place et notre portion. C’est une erreur de croire que cela nous enflerait. Quand une créature est en présence de Dieu, quand elle a Dieu devant sa pensée, elle n’est jamais enflée. C’est quand l’œil s’est détourné de Lui, c’est lorsqu’on se souvient d’avoir été dans le troisième ciel et qu’on n’y est plus, que le danger commence. Nous sommes en danger de nous enorgueillir d’avoir été au troisième ciel, quand nous avons perdu le sentiment de l’excellence de ce qui y est ; mais quand l’excellence des choses du ciel remplit notre âme, nous perdons le sentiment du moi. C’est ce que nous voyons dans le cas de Paul. L’homme en Christ a Christ pour titre ; ainsi, il a droit à tout ce dont Christ jouit : aux joies et aux gloires que l’intelligence humaine ne peut concevoir, que le langage humain ne peut exprimer, et qui ne sauraient être communiquées sur la scène des capacités de l’homme. Elles appartiennent à un autre ordre de choses.

Mais, quelque merveilleuse que soit la position où nous sommes introduits en Christ, l’importante question du bien et du mal, dont nous avons acquis la connaissance par la chute, et dont nous ne pouvons dès lors nous débarrasser (il ne serait nullement désirable que nous cherchions à le faire), est une question qu’il nous faut résoudre, à fond, par l’expérience. Par rapport à notre acceptation, cette question du bien et du mal est résolue définitivement et pour jamais devant Dieu, par la mort et la résurrection de Christ. Mais il faut que nous apprenions à juger le mal et à nous réjouir dans le bien. La loi, nous l’avons vu, fait connaître le mal en annonçant la punition. Mais la grâce nous place d’abord dans une position de parfaite bénédiction en Christ, et alors nous jugeons ce qui est contraire à cette position. C’est la différence entre l’esclavage et la liberté. Toutefois, nous avons à juger le mal et à croître dans la connaissance du bien. L’apôtre, appelé à enseigner constamment les autres, a appris cela pleinement et promptement par un contraste complet.

Si, de fait, le troisième ciel n’a pas mis de côté la chair pour toujours, cela doit assez nous faire voir qu’elle est désespérément incorrigible. Or, c’est ce qui a été démontré. Paul était entré dans le ciel, sans aucune conscience de l’empêchement du corps ; bien plus encore, sans que la chair fût, d’une manière quelconque, en activité. Mais il dut rentrer dans l’état pratique de l’existence en laquelle il avait à servir Christ, avec la conscience de ce qu’il était comme Paul. Ici, la seule action de la chair, la seule manière dont elle aurait pris connaissance du fait que Paul avait été dans le troisième ciel, le seul parti qu’elle aurait cherché à en tirer, s’il lui avait été permis d’agir, c’eût été d’enorgueillir Paul, à cause de l’excellence des révélations qu’il avait reçues. Ainsi, la chair n’était ni changée, ni corrigée. Paul dut l’apprendre d’une manière pratique, même par une élévation au troisième ciel, au lieu de voir, comme résultat de ce merveilleux privilège, la chair mise de côté ou annulée. Il ne fut pas permis à la chair d’agir, mais Paul dut apprendre à la juger véritablement en lui-même. Remarquez la différence. Il n’est pas nécessaire, quand nous sommes en Christ, que la chair agisse, pour que nous apprenions à la juger en nous-mêmes. Hélas ! c’est le plus souvent de cette manière que nous l’apprenons ; mais je répète qu’il n’est pas nécessaire qu’elle agisse, même en pensée, pour que nous apprenions à la juger. Par les voies de Dieu et par la communion avec Lui, nous pouvons apprendre à juger le mal en nous, dans sa racine, sans qu’il porte du fruit. Si nous n’apprenons pas à le juger dans la communion avec Dieu, où il peut y avoir un exercice réel à cet égard et même un grand conflit de la volonté contre Dieu, lorsque le mal a atteint quelque degré, nous l’apprendrons par ses fruits, en cédant aux tentations de Satan. Quand le mal n’est pas jugé, nous apprenons, sans doute, à connaître le mal, quoique non encore dans sa racine ; mais alors Christ est déshonoré, le Saint Esprit contristé et, si la grâce n’intervenait pas, le péché prendrait sur nous un funeste pouvoir de séduction.

Dans ce qui précède, nous avons trouvé, en 2 Corinthiens 12, trois points importants : 1° l’homme en Christ ; 2° le mal grossier de la chair, si nos membres ne sont pas mortifiés ; 3° que cette même chair n’est jamais corrigée dans ses tendances, même par le ravissement d’un homme dans le troisième ciel, ni par quoi que ce soit d’autre. Paul eut besoin d’un messager de Satan pour le souffleter, de peur qu’il ne s’élevât. Il y a un autre point accessoire que je ferai remarquer ici, en passant, savoir, la différence entre notre position abstraite comme hommes en Christ (or nous avons le droit de nous considérer comme tels ; c’est notre position vraie comme chrétiens, selon la grâce), et notre condition actuelle, avec la conscience de l’existence de la chair et de toutes nos circonstances et nos infirmités corporelles ici-bas. C’est là que nous avons maintenant à suivre Paul, dans ce chapitre, afin d’apprendre où se trouve la puissance pour marcher droitement dans cette condition.

D’abord, il faut remarquer que l’étendue de la connaissance, même quand elle est donnée de Dieu, n’est jamais, en elle-même, la puissance spirituelle de nos âmes. Les merveilleuses révélations que Paul avait reçues dans le troisième ciel, fortifièrent sans doute sa foi ; elles lui firent comprendre qu’il valait bien la peine de sacrifier la vie misérable de ce monde pour les gloires futures ; elles lui donnèrent la conscience de ce pour quoi il combattait, et un sentiment des choses divines avec lesquelles il avait affaire, qui a dû nécessairement exercer une influence immense sur sa carrière dans ce monde. Mais là n’était pas la puissance immédiate pour le combat, dans l’état mixte où il se trouvait quand il avait à parler de « moi Paul ». Il devait, comme nous, marcher par la foi et non par la vue. L’homme le plus méchant ne voudrait pas pécher, tant qu’il aurait, devant les yeux, la gloire de Dieu Lui-même ; mais cela ne montrerait nullement le véritable état de son cœur et de ses affections dès qu’il n’aurait plus cette gloire devant lui : comme Balaam, il retournerait à ce qu’il avait vomi.

Ainsi, de fait, le chrétien, quoique fortifié et rafraîchi parfois sur sa route, par ce qui est presque la vue pour lui, et par les communications de l’amour divin à son âme, est appelé cependant à marcher par la foi, et non pas toujours dans ces perceptions sensibles des résultats divins dans la gloire. Ce n’est pas qu’il doive marcher selon la chair, ou perdre la communion ; mais il n’est pas toujours sous la puissance des communications spéciales de la gloire qui lui est acquise, et de l’amour divin pour son âme. Paul connaissait un homme qui, il y a quatorze ans, fut ravi, non pas qu’il fût ravi tous les jours. Il pouvait toujours se réjouir dans le Seigneur. Quelques chrétiens confondent ces deux choses : une joie spéciale et une communion permanente. Ils supposent que la première n’existant pas toujours, il faut nécessairement en conclure que la dernière n’est pas continue. C’est une grande erreur. Des cas de joie particulière peuvent être accordés au chrétien ; mais une constante communion avec Dieu et avec le Seigneur Jésus est le seul bon état du croyant, le seul état reconnu dans l’Écriture. Nous sommes appelés à nous réjouir toujours dans le Seigneur [Phil. 4, 4] ; mais la chair et Satan, par la chair, cherchent toujours à nous en empêcher. Ici, nous trouvons, d’abord, le privilège d’avoir le droit de nous tenir pour morts. Nous ne sommes pas redevables à la chair ; elle n’a aucune espèce de droit sur nous. Nous ne sommes pas dans la chair. Nous pouvons faire notre compte que nous sommes morts et que nous vivons pour Dieu, et le péché n’aura pas domination sur nous.

Il est très important de retenir fermement cette vérité. La chair n’est pas changée, mais il n’y a aucune nécessité de marcher selon la chair, pas plus quant à nos pensées que quant à notre conduite extérieure. La loi de l’Esprit de vie qui est en Jésus Christ m’a affranchi de la loi du péché et de la mort [Rom. 8, 2] ; le péché en la chair est condamné par la mort de Christ ; la puissance qu’il avait sur nous, quand nous étions sous la loi (sinon sans loi), il ne l’a plus. Quand nous étions dans la chair, les passions des péchés, lesquelles sont par la loi, agissaient dans nos membres pour porter du fruit pour la mort. Or, nous ne sommes pas dans la chair, mais dans l’Esprit, si toutefois l’Esprit de Dieu habite en nous. Nous sommes délivrés de la loi, étant morts en ce en quoi nous étions retenus. Notre condition tout entière est changée. Ce qui était impossible à la loi, en ce qu’elle était faible par la chair, Dieu ayant envoyé Son propre Fils, en ressemblance de chair de péché, et pour le péché, a condamné le péché en la chair [Rom. 8, 3].

Mais si la chair n’est pas changée, comment cela est-il réalisé dans la pratique ? C’est ce que nous apprenons ici. D’abord, la conscience de la faiblesse et du néant de la chair nous est donnée. Ce n’est pas, sans doute, la puissance ; mais c’est le moyen pratique d’y atteindre. Nous avons le droit, quant à notre position devant Dieu, de nous tenir pour morts au péché et vivants à Dieu, par Jésus Christ notre Seigneur ; et, selon cette position, nous avons aussi le droit, dans la pratique, de nous considérer comme n’étant pas redevables à la chair pour vivre selon la chair ; le péché n’aura pas domination sur nous, parce que nous ne sommes pas sous la loi, mais sous la grâce. Mais notre chapitre va plus loin que cela : il nous fait connaître la puissance pour marcher ainsi. La chair est alors pratiquement soumise, selon la mesure qui est exposée par l’apôtre : « portant toujours partout dans le corps la mort de Jésus, afin que la vie aussi de Jésus soit manifestée dans notre corps ». Il n’avait pas pour but d’obtenir la vie : il l’avait en Christ ; mais il tenait tout mouvement, toute pensée et toute volonté de la chair, sous le jugement de la croix, et ainsi la vie de Jésus pouvait agir librement. Tel est notre chemin. Admis en la présence même de Dieu, dans le lieu très saint, par le sang de Jésus ; en communion avec Lui, selon Sa grâce infinie, nous jugeons, jusqu’à la racine, tout ce qui n’est pas de Christ en nous ; et la grâce que nous rencontrons et dont nous sommes faits participants, dans cette communion, nous conduit, tout le long de la route, dans l’humilité et dans l’amour. Nos tendances charnelles ne sont ainsi qu’une occasion de recevoir la grâce qui nous préserve de leur pouvoir. Je puis être plus humble que les hommes ordinaires, si j’ai eu affaire avec Dieu au sujet de mon orgueil ; et ainsi pour chaque mauvais penchant. La puissance présente de Christ éloigne le mal de nos pensées. Dieu a été introduit dans notre vie à cet égard. Ce n’est pas seulement l’absence, comparativement parlant, d’un caractère particulier du mal. La chair, le mal, est jugée selon Dieu, et je suis humble d’esprit, je marche paisiblement et sûrement. Quand il y a des dangers réels, Dieu est là pour nous secourir. Non seulement nous portons partout la mort du Seigneur, mais nous qui vivons, nous sommes toujours livrés à la mort pour l’amour de Jésus [2 Cor. 4, 11]. Dieu agit ; quelque messager de Satan est envoyé ; non pas le péché, loin de là, Dieu ne peut pas l’envoyer ; mais Il envoie quelque épreuve humiliante, qui empêche le péché et l’orgueil d’agir — désagréable au cœur humain, mais qui lui est nécessaire. Toute activité propre de la chair est péché ; le corps est mort à cause du péché [Rom. 8, 10]. Mon corps n’est pas compté comme vivant, et ne doit pas l’être dans sa volonté. Ce qui est de ma volonté et de ma nature, de moi, comme homme vivant, comme enfant d’Adam, dans ce monde, est annulé ou n’est qu’un empêchement ; cela n’a aucun rapport avec Dieu, un homme dans la chair ne peut plaire à Dieu : « Je suis crucifié avec Christ ; et je ne vis plus, moi, mais Christ vit en moi » [Gal. 2, 20].

Nous trouvons, dans les Philippiens, la confiance dans la chair (non pas les convoitises corrompues) jugée par l’apôtre : il rejetait tout ce qui pouvait lui donner de l’importance vis-à-vis de lui-même ou des autres. S’il ne l’avait pas fait, il aurait eu confiance en la chair. Notre part est d’être en la présence de Dieu, afin que tout ce qui est du moi soit jugé. Mais Dieu, comme je l’ai dit, nous aide. L’abondance et l’importance des révélations que Paul avait reçues de Dieu étaient une occasion dont la chair pouvait profiter. Mais Dieu, dans Sa grâce, pourvoit à ce danger, auquel Paul n’aurait certainement ni pu ni voulu pourvoir lui-même convenablement ; car Dieu n’afflige pas volontiers [Lam. 3, 33]. Il lâche sur Paul ce messager de Satan, mais pour faire Sa propre œuvre, comme dans le cas de Job. Paul avait quelque infirmité qui tendait à le rendre méprisable quand il prêchait. « Vous n’avez point méprisé, ni rejeté avec dégoût ma tentation qui était en ma chair » [Gal. 4, 14], dit-il aux Galates. C’était un contrepoids naturel à l’abondance des révélations qui lui avaient été données. La chair aurait épargné à Paul ce qui semblait être un obstacle pour lui. Mais il fallait que Paul fût tenu dans l’humilité — vérité effrayante pour nous ! Pour être employés et bénis, il faut que nous soyons rendus faibles en nous-mêmes. Il le faut, parce que, misérables vermisseaux que nous sommes, nous courons le danger de nous appuyer sur la force et l’efficacité de la chair. C’est Dieu Lui-même qui fait les œuvres sur la terre, et surtout l’œuvre spirituelle. C’est Lui qui donne l’accroissement. Si, dans un certain sens, Il met en danger le pauvre vase, si, en bien des cas, le vase s’y place lui-même, Dieu pourvoit au danger, en frappant à la racine même du moi qu’Il réduit à néant. Il rend l’incapacité totale de la nature non seulement évidente, mais évidente pour nous-mêmes, et c’est ce dont nous avons besoin. C’est une œuvre vraiment divine, que nous sentions que nous ne sommes rien, et que le moi n’est qu’un obstacle. Mais le moyen dont Dieu se sert peut être misérable et vil, comme il convient pour réduire la chair à néant. C’est une honte, pour un homme qui a été dans le troisième ciel, de se croire quelque chose pour cela : mais la chair est incorrigible. Si la mort est notre délivrance de tout péché, il faut que nous la goûtions, pour notre délivrance pratique. Quand les eaux salées de la mer Rouge nous ont sauvés pour toujours de l’Égypte, nous devons goûter les eaux amères de Mara. Mettez dans ces eaux le bois, la croix de Christ dans notre croix, et l’amertume sera changée en douceur. « Être crucifié » est une chose terrible ; être crucifié avec Christ, c’est la joie et la délivrance ; l’opprobre est cruel ; l’opprobre de Christ, un plus grand trésor que les richesses de l’Égypte [Héb. 11, 26].

Il y a des cas, où il s’agit de la volonté de la chair et de sa répugnance naturelle à souffrir ; il y a aussi des cas qui sont caractérisés par le danger d’un mal positif, comme l’orgueil et la vanité dans celui de Paul. Dans tous ces cas, il faut qu’on goûte la mort. Il faut que nous sentions le néant et l’incapacité de la chair, là où elle serait disposée à se trouver compétente. Quand la chair a des prétentions, ou qu’elle voudrait en avoir, il faut qu’elles soient mises de côté et arrêtées ; il faut que la chair ait conscience de sa faiblesse et de son impuissance, là où elle pourrait espérer être forte ou capable de quelque chose. Quant à toutes les choses sur lesquelles le moi voudrait s’appuyer, il faut qu’il découvre que la chair n’est qu’un obstacle, là où elle prétend être une aide. Le moi, ou la chair, n’est réellement rien dans l’œuvre et le chemin de Dieu ; et quand elle veut absolument être quelque chose, il faut qu’elle en vienne à reconnaître qu’elle n’est qu’un empêchement positif. Cela n’est pas le but, mais le moyen.

Quand nous ne sommes pas humbles ou même que nous sommes en danger de ne pas l’être, il faut que nous soyons humiliés ; cette œuvre peut se faire pour prévenir le mal. Mais il faut que la chair soit réduite à néant, pour qu’il y ait bénédiction et afin que le nouvel homme, qui est content que Dieu soit tout et qui sait que sa seule force est en Christ, puisse être libre, heureux, et que, selon son désir, Dieu soit glorifié. La puissance de Satan et la puissance de la mort concourent à nous rendre utiles en Christ, parce que Satan manie cette puissance pour tuer pratiquement la chair, et que nous avons une autre vie qui vit en Christ et pour Christ. Comme nous l’avons vu, cette question est d’abord résolue quant à la justice. Nous sommes morts et ressuscités ; mais elle doit aussi être résolue, d’une manière pratique, quant à la vie et à la puissance de la marche. Ainsi nous pouvons dire, dans notre petite mesure : « Pour moi, vivre c’est Christ » [Phil. 1, 21].

Mais le fait que la chair est ainsi pratiquement mortifiée, n’est pas, en lui-même, la puissance ; nous devons être absolument dépendants d’un autre, et nous sommes heureux de l’être, si notre cœur est au service de Christ et si nous apprenons que Son secours seul peut nous rendre capables de Le servir. Posséder Christ est une joie de toute manière. Aussi est-il dit ensuite : « Je me glorifierai… dans mes infirmités » ; non pas dans le péché, mais dans ce qui brise la volonté de la chair et arrête le péché, « afin que la puissance du Christ demeure sur moi ». Voilà la puissance positive qui nous rend capables de tout, dans le chemin de l’obéissance ; je dis : dans l’obéissance, parce que ce pouvoir ne s’exerce pas, ne se communique pas en dehors de ce chemin-là ; mais il nous rend capables d’accomplir toute l’énergie de l’amour dans l’obéissance. Car la marche chrétienne n’est pas une simple obéissance légale, se soumettant à une volonté qui arrête et bride la nôtre ; mais c’est une obéissance qui sert, avec joie, dans l’amour, obéissance dans laquelle l’amour est positivement et énergiquement actif en faisant le bien. Cette marche est réglée par la volonté du Seigneur, et s’accomplit par Sa puissance ; mais cette puissance ne peut avoir aucun secours accessoire. Il faut qu’elle soit, en nous, la force d’une nature dépendante. En ceci consiste la vraie condition de la créature : dans l’obéissance à Celui qui seul a droit aux louanges, et dans la dépendance joyeuse de Celui qui nous aime et dont l’amour nous soutient.

L’énergie de l’amour de Christ nous pousse dans le chemin du service, Sa puissance nous y soutient et nous rend capables de servir. La chair, qui n’est qu’un obstacle à ce service, doit être soumise et pratiquement annulée, afin que Christ puisse agir librement en nous, selon la bénédiction de Son amour. Alors nous disons que l’amour de Christ nous presse. Je puis tout en Christ qui me fortifie [Phil. 4, 13].

Tel est le véritable état du chrétien, qu’il soit petit enfant ou père en Christ ; seulement, selon qu’on est père ou enfant, on peut avoir des choses différentes à faire, et aussi des tentations différentes. Dans tous les cas, Dieu est fidèle, et Il ne permettra pas que nous soyons tentés au-delà de nos forces [1 Cor. 10, 13]. Quand donc un homme est en Christ, racheté, vivifié, uni à la Tête et accepté dans le Bien-aimé, alors l’œuvre de Dieu, quant à la puissance, est d’humilier la chair et de lui donner la conscience de son néant, non pas en l’amendant, en l’améliorant, en l’employant ; mais en la brisant, si elle veut être quelque chose, et même en en faisant un obstacle sensible à l’action des capacités humaines. Voilà tout ce que Dieu fait de l’homme, quant à la chair et à la compétence de la chair. Outre que c’est le chemin de la puissance comme source, il y a là une leçon profonde et bénie. Nous sommes débarrassés du moi ; et Christ, c’est-à-dire la pureté, l’amour, la bénédiction, Dieu connu en grâce, devient tout pour nous, la joie simple et sans entrave de notre âme ; nous devenons, en pratique, semblables à Jésus.

Alors nous devenons sensiblement dépendants, et Christ devient notre force, je ne dis pas sensiblement notre force ; car quoiqu’il puisse y avoir conscience de la force de Christ, le service et l’œuvre se font sans une force dont on ait conscience. L’œuvre peut être faite avec joie, dans la communion avec Christ, et ainsi nous sommes heureux dans le service lui-même. Elle peut être faite avec crainte et tremblement, et par conséquent sans joie, bien qu’avec confiance. Cela dépend beaucoup de ceci, savoir, jusqu’à quel point nous avons affaire avec la puissance de l’ennemi ; toujours dans la faiblesse quant à nous-mêmes, toujours dans la confiance quant à Christ, dans la confiance que c’est Son œuvre, que c’est Lui qui la fait, quoiqu’Il puisse nous employer comme instruments.

Cette opération n’est pas simplement un effet en nous, quoiqu’il y en ait un, mais c’est la puissance positive de Christ, une action réelle de Sa puissance, en vue de laquelle l’humiliation de la chair n’est que le travail préparatoire, afin qu’il soit manifeste que ce n’est pas la puissance de la chair, et que, dans notre esprit, il n’y ait pas confusion entre la puissance de Christ et l’énergie de la chair. Par l’action de la puissance de Christ, la chair s’affaiblit. Cette puissance repose sur nous, de sorte que c’est une joie pour notre âme de savoir qu’Il nous emploie, qu’Il nous lie à Lui-même, pour ainsi dire, daignant faire de nous les instruments et les serviteurs joyeux et volontaires de cette puissance. C’est Sa puissance, mais elle repose sur nous. Ceci n’est pas l’homme en Christ, mais Christ avec l’homme ; Sa puissance reposant sur lui, tandis qu’il est délivré du moi.

Ainsi, le chemin de la force, c’est de connaître et de sentir notre propre faiblesse, afin que la force divine puisse se produire, qui ne sera jamais un supplément à celle de la chair ; il y a ainsi une dépendance entière, et l’intervention positive de la puissance de Christ, pour agir par nous. Si la présence corporelle de Paul et sa parole étaient faibles (or il y avait en lui quelque chose qui tendait à le rendre méprisable), par quelle puissance tant de bénédictions ont-elles été répandues de tous côtés, dans le monde entier, depuis Jérusalem et les lieux d’alentour, jusqu’en Illyrie ?

Une ou deux remarques encore, et je terminerai mes imparfaites réflexions sur ce chapitre. Remarquez d’abord que l’humiliation envoyée à Paul n’avait pas pour but de le priver de l’abondance des révélations, ni d’affaiblir la conscience qu’il avait d’être un homme en Christ. C’eût été une perte positive. Il maintenait pleinement ces choses et s’en glorifiait. L’usage que la chair aurait voulu faire des révélations, lorsque Paul eut, de nouveau, la conscience d’être ici-bas, dans le corps, fut contrebalancé par l’humiliation de la chair elle-même. Remarquez ensuite que ce n’est pas seulement la puissance qu’on acquiert de cette manière ; le discernement du bien et du mal, dans ses caractères les plus subtils, est considérablement augmenté ; le jugement de la chair et la connaissance de ce qu’elle est, deviennent plus fermes et plus profonds. La liberté du nouvel homme avec Dieu, la confiance en Lui, le sentiment du tendre intérêt qu’Il nous porte, les relations fondées sur cette intimité, sont considérablement développés. Remarquez, en outre, que lorsque nous avons affaire avec le moi, notre propre condition spirituelle est le secret de la puissance, et non pas le nombre des révélations divines que nous pourrions communiquer, quelque valable que cela soit, à sa place. S’il s’agissait de la puissance, Paul avait affaire avec sa propre âme, ses propres dangers et son propre état, et alors la puissance de Christ reposait sur lui. Enfin, il est bien que nous nous glorifiions de notre position en Christ. « Je me glorifierai d’un tel homme, mais je ne me glorifierai pas de moi-même, si ce n’est dans mes infirmités ». Quand je pense à ma position en Christ, « à l’homme en Christ », je dois me glorifier d’un tel homme. Ce n’est pas de la présomption. Il ne peut en être autrement, dès que nous savons que nous sommes en Christ. Pensez-vous que je puisse faire autre chose que me glorifier d’être en Christ, et comme Christ dans la gloire ? Je me glorifierai d’être un tel homme ! Qu’une prétendue humilité n’empêche aucun croyant de se glorifier ainsi ! Cette humilité serait du légalisme. De moi-même, de ce que j’ai la conscience d’être, comme homme vivant ici-bas, je ne puis pas me glorifier, si ce n’est dans ces souffrances pour Christ, et ces infirmités, quelles qu’elles soient, qui ont pour but d’humilier la chair, afin que la puissance de Christ repose sur moi.

J’ajouterai que le Seigneur peut unir la discipline aux souffrances pour Christ, quoique les deux choses soient bien distinctes. Quand Paul était exposé au mépris dans sa prédication, il souffrait pour l’amour de Christ ; cependant, comme nous l’avons vu, cette souffrance portait le caractère d’une discipline, pour l’empêcher de s’enorgueillir. On peut voir cette doctrine exposée en Hébreux 12, 2-11. Dans les versets 2-4, nous voyons les souffrances avec Christ, en combattant contre le péché, même jusqu’au martyre et à la mort. Dans les versets 5-11, nous trouvons la discipline du Seigneur, afin de nous rendre participants de Sa sainteté. Que les voies du Seigneur sont sages et pleines de grâce ! Il convertit la discipline, dont nous avons besoin, en un privilège : celui de souffrir pour l’amour de Christ, en sorte que nous pouvons nous glorifier dans nos infirmités. Mais le châtiment n’a pas ce caractère ; il est infligé pour un mal positif, quoique, là aussi, nous ayons, sans doute, à rendre grâces à Dieu.

Enfin, devant Dieu, nous avons « l’homme en Christ », position bénie, qui est la perfection dont nous avons besoin ; et, quant à notre position devant les hommes, outre Christ en nous, comme vie, nous avons la puissance de Christ qui nous est nécessaire pour la pratique, dans la marche et le service ; elle repose sur nous qui ne sommes, par nous-mêmes, que faiblesse et imperfection. L’homme en Christ est la base de toute notre marche, mais cela ne suffit pas pour la puissance. Celle-ci ne s’acquiert qu’en marchant dans une dépendance constante, humiliés en nous-mêmes, afin que Christ soit glorifié, et la chair, pratiquement annulée.