Livre:La sympathie chrétienne/Lettre 10
Mon cher Monsieur… Celui dont je vous parle était une lumière brillante par laquelle Dieu fut glorifié ; je crois que la puissance de Dieu dans l’homme intérieur a été manifestée en lui plus que dans beaucoup d’autres ; il était comme imprégné de l’Esprit de Christ, toutes ses pensées paraissaient soumises à son Maître. Mais il fallait être auprès de lui et le suivre dans tous les détails de sa vie, pour se faire quelque idée de la manière dont l’Esprit le formait à l’image de Jésus. Il me semble que quatre grands traits le caractérisaient principalement.
Le premier était un oubli continuel de lui-même, d’où s’ensuivait une attention constante à tout ce qui pouvait être agréable aux autres, ainsi qu’une sympathie qui entrait dans tous leurs sentiments, qui se faisait à tous leurs préjugés, et qui se plaçait, autant que cela était possible, à leur point de vue, afin d’en gagner quelques-uns. Le second et le plus frappant, était un vrai dégoût de lui-même. Il paraissait avoir réellement senti le péché comme un insupportable fardeau, et en même temps son assurance en Christ pour tout son salut était illimitée. Il m’a souvent rappelé Ésaïe 59, 19. La corruption du cœur naturel lui semblait un fleuve prêt à l’engloutir, et auquel il n’échappait qu’en attachant constamment son âme à Jésus comme à sa haute retraite.
Le troisième trait de son caractère chrétien était une telle soif de la vérité sous tous les rapports, qu’il pouvait se dépouiller de tous les préjugés et éloigner tous les obstacles qui auraient pu l’arrêter dans son chemin. Il ne cherchait qu’à atteindre son but et à se mettre en possession de l’objet qu’il avait en vue.
Le quatrième et dernier trait était une piété telle qu’il paraissait toujours au-dessus de la nature humaine. Son âme était sans cesse occupée de Christ, et semblait ne prendre plaisir qu’en Lui seul. On eût dit qu’il n’avait de vie que pour les choses spirituelles, aussi y faisait-il des progrès de moment en moment. Il savait défendre la vérité avec zèle ; il jouissait avec reconnaissance de la société de ses amis ; et quoiqu’il dût habituellement s’occuper de beaucoup d’affaires, il pouvait vivre seul, et il avait appris la science si difficile d’user de ce monde sans en user pleinement. De même que l’aiguille de la boussole reprend bientôt sa position naturelle quand elle a été détournée du pôle par une force supérieure, de même son esprit se hâtait de se reposer en Dieu lorsqu’il avait pu secouer le poids des affaires.
Je crois que si je disais toute ma pensée, je le peindrais comme un homme parfait, car l’amour couvre tous les péchés ; et les divers fruits de l’Esprit qu’il portait étaient si liés les uns aux autres, qu’il était difficile de savoir quel était celui qui dominait. On peut dire de lui en toute vérité, qu’il rendait honorable à tous égards la doctrine de Dieu son Sauveur. Quand on parle d’un homme qu’on a autant apprécié, on court le risque d’abaisser le Sauveur en élevant trop la créature, et en négligeant de rappeler que le péché était ce qui lui appartenait en propre, et que Christ l’avait revêtu de tout ce qui en lui était aimable.
Je vous écris bien longuement, mais vous savez que c’est le propre des femmes d’user de beaucoup de paroles pour dire peu de choses…
- Votre, etc.
T.A. Powerscourt