Livre:Voyage du chrétien vers l’éternité bienheureuse/Conclusion

De mipe
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Après avoir donné à ces choses toute l’attention qu’elles méritent, je tournai la tête en arrière, et je vis l’Ignorant qui marchait le long du fleuve, qu’il passa assez promptement et sans avoir essuyé la moitié autant de peine que les autres[1] ; car il se trouva là un batelier, nommé l’Espérance vaine, qui le passa dans son bateau. Par ce moyen il monta aussi bien que les deux autres tout droit vers le haut du coteau ; mais il marchait seul, et personne ne vint au-devant de lui pour l’encourager. Étant arrivé à la porte, il vit l’inscription et il se mit à heurter dans l’espérance d’être introduit dans la cité sans difficulté.

On lui demanda aussitôt d’où il venait et ce qu’il souhaitait. — J’ai, dit-il, mangé et bu en la présence du Roi, et Il a enseigné dans nos rues[2].

On lui demanda là-dessus son témoignage, pour le montrer au Roi ; mais ayant fouillé dans son sein pour en chercher un, et n’ayant rien su produire, il demeura tout confus. Cela fut rapporté au Roi, qui ne voulut pas seulement s’avancer pour jeter un regard sur lui ; mais Il commanda aux deux Rayonnants qui avaient accompagné le Chrétien et l’Espérant, et qui les avaient conduits à la cité, d’y aller, de lier les pieds et les mains à l’Ignorant, et de le jeter dehors ; ce qu’ils exécutèrent sur-le-champ. Ils le saisirent et le portèrent à travers les airs jusqu’à une porte qui est à l’opposite de la porte du ciel, et le jetèrent dedans. Je vis par là qu’il y a plus d’une manière d’aller en enfer[3] ; et sur cela je m’éveillai, et voilà : c’était un songe.

Ainsi, mon cher lecteur, c’est à vous maintenant de savoir si vous pouvez l’expliquer, soit à vous, soit à quelqu’un de vos amis. Mais gardez-vous bien de l’interpréter en mal ; car, en ce cas-là, au lieu d’en tirer de l’avantage, vous vous nuiriez, et vous vous abuseriez vous-même.

Prenez garde aussi que vous ne mettiez trop d’importance au côté extérieur de mon songe, pour en tirer quelque sujet de raillerie. Laissez faire cela aux enfants et aux fous ; mais appliquez-vous à l’essentiel et à la réalité de la chose. Levez le voile, et portez vos yeux jusqu’au fond. Ne vous laissez pas trop éblouir par les figures du discours, mais tâchez d’y trouver des choses utiles à une âme pieuse, si toutefois vous en cherchez de telles.

Si vous trouvez que j’y aie mêlé de mon cru, du bois, de la paille, du chaume, et autres choses semblables, rejetez-les hardiment, et ne mettez en réserve que l’or ; et si par hasard je l’ai couvert de boue, souvenez-vous qu’on ne néglige pas la pomme à cause des pépins, ni le blé à cause de la paille.



  1. Les personnes qui ignorent les moyens du salut meurent très tranquilles, parce que, comme le dit l’auteur, elles passent le fleuve de la mort au moyen d’une vaine espérance qu’elles se font à elles-mêmes.
  2. Il se fait un vain appui d’avoir eu beaucoup de relations avec le christianisme (voir Luc 13, 26, où l’on trouve ce même propos).
  3. (Rom. 10, 2, 3) La Parole de Dieu nous enseigne qu’il y a une ignorance (vraiment ignorance) qui provient d’un endurcissement du cœur, et qui conduit ainsi à la damnation (Éph. 4, 18).