Livre:La sympathie chrétienne/Lettre 4

De mipe
Sauter à la navigation Sauter à la recherche

Londres, le 9 avril 1823

Mon cher Monsieur, j’espère que vous ne regarderez pas mon long silence comme une preuve d’ingratitude. Vous avez eu la bonté de m’écrire une longue et affectueuse lettre ; mais pendant la maladie de M… j’ai eu peu de moments dont je pusse disposer, et vous préférez que je les consacre à la lecture de la Bible plutôt qu’à vous écrire. D’ailleurs je désirais vous annoncer le rétablissement de M… et c’est ce que, par la grâce de Dieu, je crois pouvoir faire actuellement. Cette maladie a été une longue et douloureuse épreuve, et cela d’autant plus que les nerfs en souffraient beaucoup. Mais le Seigneur ne nous a placés en présence de circonstances aussi pénibles que pour nous faire mieux sentir notre dépendance, et nous rendre plus vigilants à rechercher Sa grâce, par laquelle nous sommes préparés à tout. J’aimerais pouvoir vous dire qu’un tel effet a été produit sur moi, et que mon cœur si dur a reçu de profondes impressions. Pendant quelque temps j’ai été fort affligée à cet égard, et j’aurais dû m’entretenir avec vous. Je m’étais décidée à vous aller voir la veille du jour où nous avons quitté Powerscourt, mais je fus retenue par la pensée que peut-être vous me trouveriez indiscrète et trop remplie de moi-même ; — et comme vous aviez l’intention de m’écrire, je pris le parti d’attendre que vous l’eussiez fait pour vous demander vos conseils. Il me semble que je dois vous faire des reproches, car il est impossible que vous ne vous soyez pas aperçu que je suis bien éloignée du Seigneur ; je n’ai jamais cherché à vous le cacher et vous auriez dû m’en parler. Je ne puis qu’être étonnée de n’être pas plus malheureuse ; il me semble que je suis devenue complètement indifférente, et que c’est à peine si l’incertitude où je suis à l’égard de mon état spirituel me cause quelque inquiétude. Mon âme est aussi malade que lorsque je quittai l’Irlande. Je n’avais rien à perdre. Souvent j’ai la crainte que mon nom ne soit effacé du livre de vie, et que le Seigneur ne se soit lassé de me solliciter à recevoir toutes les bénédictions de l’évangile. Je sais que vous essaierez de me donner quelque consolation, mais ce n’est pas ce dont j’ai besoin ; car dans l’incertitude où je suis, je n’éprouve qu’apathie et indifférence à la vue des promesses.

Oh ! si vous saviez combien mes sentiments actuels sont différents de ceux que j’avais l’année dernière !… Alors j’étais si heureuse dans le Seigneur. Il me semblait que jamais je ne pourrais me détourner de Lui ; Sa bonté m’avait rendue si forte. Je me souviens d’avoir dit : Quels que soient les événements, mon bonheur est assuré ; même quand je serais enfermée pour la vie dans un cachot, je serais encore heureuse dans l’assurance d’être unie à mon Sauveur. Mais Il m’a caché Sa face et j’ai été troublée. Pour moi, qui ai une fois joui de Son amour, toutes les autres choses ont perdu leur saveur. Je ne prends intérêt à rien, ni aux choses éternelles, ni aux choses passagères du temps. Au lieu de lire ma Bible avec une avidité semblable à celle d’un homme affamé qui dévore la nourriture, je ne la lis que comme une tâche.

La prière n’est plus la plus douce de mes jouissances ; elle n’est plus pour moi qu’un devoir que je serais satisfaite de pouvoir accomplir, et lorsque je veux m’en acquitter, je n’ai plus rien à dire à mon Seigneur. La contemplation du ciel, qui précédemment m’était si douce, ne fait que décolorer à mes yeux toutes les choses de la terre. Si l’on me disait que je serai demain dans la gloire, je n’en éprouverais pas le moindre plaisir. Vous ne pourriez comprendre combien mon cœur est insensible à tous les moyens de grâce dont je jouis ; j’entends des prédications excellentes, mais sans aucun effet ! La vue d’un chrétien ne me procure presque plus de plaisir. Au lieu d’aimer à entendre parler du Sauveur, je suis à chercher quelque chose à dire ; je n’éprouve qu’indifférence pour le salut d’autrui… Mon état est affreux. Je pourrais vous en dire davantage, mais je ne ferais que vous affliger. Je n’ai pas l’espérance que vous puissiez me comprendre, car je ne suppose pas que jamais quelqu’un se soit trouvé dans ma position. Je le sais, vous ne pouvez rien faire pour moi ; cependant, j’espère que vous ferez une chose, que vous combattrez pour moi devant Dieu ; oui, combattez pour moi dans vos prières. Je vous dois bien plus que je ne puis le dire, et je ne vous écrirais pas tout cela, si je ne sentais pas que vous êtes la seule personne au monde qui soit capable de s’associer à la sollicitude que j’éprouve pour ma pauvre âme. Ce que je puis dire, c’est que vous êtes net de mon sang. Oh ! si je pouvais être votre joie et votre couronne au dernier jour ! Puissent toutes vos instructions ne pas me précipiter plus profondément dans l’enfer ! Je pense qu’autrefois j’avais trop l’habitude de considérer la piété comme un plaisir, et qu’après avoir perdue l’amie avec qui je partageais toutes les jouissances qu’elle me procurait, je ne sais plus en trouver maintenant.

Vous ne me trouverez occupée que de moi-même, mais j’ai besoin de vos conseils et de vos prières. Nous avons été tellement renfermées par la maladie de lord P., que je n’ai pu entendre aucune prédication pendant la semaine, mais je vais régulièrement entendre M…, le dimanche. Dimanche dernier je fus à la chapelle de M. Howell, et je l’entendis avec plaisir, quoique son style soit un peu bizarre. Ce qu’il dit est très fort ; il abaisse la créature et élève le Sauveur.

… Pardonnez-moi cette longue lettre, et croyez-moi votre très affectionnée et reconnaissante

T.A. Powerscourt