Livre:La sympathie chrétienne/Lettre 5

De mipe
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Septembre 1823

Cher Monsieur, j’aurais répondu plus promptement à votre bonne lettre, si j’avais eu quelque chose d’agréable à vous dire. Mais, hélas ! j’ai été dans la désolation de toutes manières. Mon époux terrestre m’a été enlevé, je ne puis trouver mon époux céleste, et Satan ne cesse de me harceler en cherchant à me faire dire : Qu’ai-je donc fait de si coupable que mon Père se soit ainsi irrité contre moi ? Cher Sauveur, ne permets pas qu’il règne au-dedans de moi ; éteins ses dards enflammés, fais-moi comprendre que je mérite beaucoup au-delà même de toute la colère d’un Dieu offensé ! Mais toi, Jésus, tu as porté nos langueurs, tu t’es chargé de nos douleurs. Mes épreuves ne sont que bénédictions, elles sont l’accomplissement de ce qui reste de tes afflictions ! J’ai aussi la tentation de croire que je n’appartiens pas à Dieu, parce que je ne jouis d’aucune des consolations que Ses enfants éprouvent, après en avoir toujours joui auparavant à l’heure de l’épreuve… « Jonas, est-ce bien fait à toi de t’être ainsi mis en colère ? ». « Je porterai l’indignation de l’Éternel, parce que j’ai péché contre lui ». Oh ! cher Monsieur, vous ne savez ce que c’est que de perdre un être si cher, si profondément cher ; il semble que toutes les fibres du cœur sont déchirées. Ce qui me reste à vivre se présente sous un aspect si sombre. Après avoir veillé nuit et jour auprès de lui avec tant d’anxiété, je me laissais aller à l’espérance de pouvoir le conserver encore, et cette espérance a été renversée d’une manière si inattendue, que pendant quelques jours je ne croyais pas pouvoir le supporter. J’oubliais alors que ma force doit durer autant que mes jours. Dans aucune des pertes que j’ai faites précédemment, je n’ai pu prier pour la conservation de la vie de ceux que j’aimais ; mais cette fois, combien tout était différent !

Je ne pouvais m’empêcher de supplier nuit et jour le Seigneur de m’épargner ce coup terrible. J’ai cru qu’Il voulait m’exaucer, et j’ai espéré jusqu’au jour où cet être si cher a rendu le dernier soupir… « Je connais, ô Éternel ! que tes jugements ne sont que justice, et que tu m’as affligée suivant ta fidélité ». — Je dois attendre, pour connaître les raisons du Seigneur, le temps où je connaîtrai comme j’aurai été connue. Que ce soit par amour qu’Il m’ait châtiée, c’est ce dont je ne puis douter, parce que Celui qui l’a fait est pour moi, non point un ami nouveau, mais un ami éprouvé et précieux, et quand cela me sera bon, Il permettra que je voie qu’Il est amour. Mais c’est avec effroi que je pense à ma rébellion et à mon ingratitude pendant cette douloureuse lutte. J’ai fait pendant cette année bien des découvertes dans mon cœur ; la boue qui se cachait sous une belle apparence a été manifestée. Quel serait votre étonnement, quel serait l’étonnement des anges, si mes péchés n’avaient pas été effacés par le sang de l’Agneau et que le livre en fût ouvert devant tous !

Le contraste que présente ma position de l’année dernière avec celle où je me trouve maintenant, me paraît être une des plus fortes leçons que l’on puisse recevoir sur la vanité des choses terrestres. Où est-elle la perspective de bonheur que j’avais au-devant de moi ? Je suis comme un monument vivant de la vanité de l’homme ; je vois combien mon cœur, à mon insu, était attaché à la terre. Je n’aurais jamais cru qu’après avoir fait profession de croire aux joies du ciel et les avoir réalisées par la foi, on pût ainsi mener deuil, et que, semblable à ceux qui sont sans espérance, on pût rappeler par ses désirs ceux qui s’en sont allés. Mais je n’en dirai pas davantage ; mes plaintes ne font qu’offenser Dieu et vous fatiguer. Je suis par moments excessivement oppressée, et ce soir il me semble que le démon travaille à me déchirer intérieurement et à m’empêcher tout repos. Je vous demande instamment de prier pour moi et de m’écrire.

Croyez à l’affection invariable de votre reconnaissante

T.A. Powerscourt