Traité:Le vin et la dissolution
S. Prod’hom 1908
On s’étonne parfois que l’épître aux Éphésiens exhorte les saints à ne pas mentir, à ne pas dérober, à travailler de leurs propres mains, à ce que la fornication et l’impureté ne soient pas même nommées parmi eux, à n’avoir rien de commun avec les œuvres infructueuses des ténèbres, à ne pas être sans intelligence, mais à comprendre quelle est la volonté du Seigneur, à ne pas s’enivrer de vin en quoi il y a de la dissolution, etc., quand leur état pratique les rendait capables de recevoir les enseignements relatifs à leur plus haute position en Christ. On voit la raison de cette exhortation dans le fait que les croyants d’Éphèse étaient brusquement sortis du paganisme, où toutes ces choses défendues se pratiquaient couramment par habitude, sans gêner la conscience, ce qui les exposait à retomber continuellement dans ces péchés. La remarque est juste ; mais ce qui doit étonner davantage, c’est de constater l’opportunité de toutes ces exhortations, non seulement au sein de la chrétienté qui se vante des lumières qu’elle possède, en opposition avec les temps du paganisme et de la barbarie, mais aussi au milieu de vrais chrétiens, responsables de posséder, par la Parole de Dieu, des lumières que n’ont pas connues tant de fidèles croyants des générations qui nous ont précédés.
Nous savons que la chair est la même, qu’il s’agisse d’un païen, d’un chrétien sans vie, ou d’un croyant. La conversion n’est pas due à un changement de la nature adamique, mais à la réception de la vie de Dieu, le croyant ayant revêtu le nouvel homme qui est créé selon Dieu, en justice et sainteté de la vérité (Éph. 4, 24). C’est sur ce fait merveilleux que l’apôtre base ses exhortations. Or la chair, étant la même chez tous, les exhortations de l’apôtre ont aujourd’hui, comme alors, leur application et leur à-propos ; mais il est profondément humiliant de voir combien ces paroles, opportunes pour des croyants sortis du paganisme, ne le sont pas moins au milieu des chrétiens d’aujourd’hui, dont un grand nombre sont des enfants ou petits-enfants de chrétiens, élevés, par conséquent, dans la discipline et sous les avertissements du Seigneur (Éph. 6, 4).
Sans méconnaître l’importance d’aucune des exhortations de l’apôtre dans l’épître aux Éphésiens — les chrétiens ayant à s’examiner devant Dieu au sujet de chacune — il est une de ces exhortations qui réclame notre attention d’une manière toute particulière, avec toute la soumission due à la Parole de Dieu : « Et ne vous enivrez pas de vin, en quoi il y a de la dissolution » (chap. 5, 18).
Cette exhortation doit être prise dans son sens absolument littéral, et pas seulement dans son sens figuré. Les conséquences de l’ivresse sont présentées abstraitement par un mot qui les résume toutes : la dissolution. L’usage du vin, l’un des moyens d’alimentation donnés de Dieu à l’homme, dès qu’il dépasse la mesure exigée pour la santé, est nuisible comme tout excès dans le manger et le boire.
L’abus de vin et de toute boisson alcoolique produit chez l’homme une dissolution morale, sans parler de ses conséquences déplorables au point de vue physique. La dissolution est l’état de relâchement et de corruption des facultés morales de l’homme, qui lui enlève sa dignité de créature intelligente mise en rapport avec Dieu, l’empêche de remplir ses obligations envers Dieu, envers les hommes, dans sa famille et dans son travail, le prive de l’énergie et de la force de caractère nécessaires pour lutter contre les penchants naturels et les vices ; ces derniers peuvent ainsi se développer, ne rencontrant plus la résistance morale dont Dieu a doué l’homme qui est dans un état sain.
Un tel état, dit l’apôtre, est la conséquence du fait que l’on s’enivre. Le prophète Osée dit (chap. 4, 11) : « La fornication, et le vin, et le moût ôtent le sens ». Si telles sont les conséquences de l’abus du vin pour l’homme en général, combien ne sont-elles pas plus déshonorantes chez le chrétien, à cause de l’influence désastreuse qu’elles produisent sur la vie spirituelle ? Aussi, rien n’est plus triste, plus affligeant, que de voir un croyant faire abus du vin. Le chrétien est appelé à ne point livrer ses membres au péché comme instruments d’iniquité, mais à se livrer lui-même à Dieu, comme instrument de justice (Rom. 6, 13).
Les membres physiques et intellectuels du croyant ne doivent pas être livrés au péché ; s’il le fait, non seulement il pèche, ce qui est en contradiction avec son état chrétien, mais il détruit les facultés naturelles et spirituelles dont Dieu l’a doué et que le Saint Esprit pourrait employer au service du Seigneur, comme instruments de justice. Il devient incapable d’éprouver ce qui est agréable au Seigneur, il est privé de l’intelligence nécessaire pour comprendre quelle est la volonté du Seigneur, et de la sagesse indispensable pour marcher soigneusement, saisissant l’occasion dans ces jours mauvais. Et, si même, par la présence de la nouvelle nature en lui, celui qui s’enivre est repris dans sa conscience ; si, en face de la Parole, il reconnaît la justesse de ses exhortations, il est sans énergie pour réagir, sans force pour obéir ; il prend de bonnes résolutions qu’il ne peut accomplir, et dans cet état misérable, privé de la communion avec Dieu, il s’en va, déshonorant le Seigneur et Son témoignage, au-devant des conséquences du saint gouvernement de Dieu, et s’expose à quitter ce monde — si vraiment il est croyant — avec le triste regret d’avoir livré à ses passions des membres qui appartenaient au Seigneur, et par lesquels il aurait pu Le glorifier selon les enseignements de la grâce, car, est-il dit : « Le péché ne dominera pas sur vous, parce que vous n’êtes pas sous la loi, mais sous la grâce » (Rom. 6, 14).
Que Dieu, dans Sa miséricorde, arrête quiconque aurait mis le pied sur le chemin qui aboutit à une telle fin. Pendant qu’il en est temps, qu’il écoute la Parole qui l’avertit, dès le début, de la fin de sa voie. « Pour qui les : Hélas ? Pour qui les : Malheur à moi ? Pour qui les querelles, pour qui la plainte, pour qui les blessures sans cause ? Pour qui la rougeur des yeux ? Pour ceux qui s’attardent auprès du vin, qui vont essayer le vin mixtionné. — Ne regarde pas le vin quand il est vermeil, quand il est perlé dans la coupe, et qu’il coule facilement ; à la fin, il mord comme un serpent, et il pique comme une vipère : tes yeux regarderont les étrangères, et ton cœur dira des choses perverses ; et tu seras comme celui qui se coucherait au cœur de la mer, et comme celui qui se coucherait au sommet d’un mât… On m’a frappé, et je n’en ai point été malade ; on m’a battu, et je ne l’ai pas su. Quand me réveillerai-je ? J’y reviendrai, je le rechercherai encore ! » (Prov. 23, 29-35). Un chrétien serait-il déjà avancé dans cette voie dégradante, sentant qu’il ne peut pas lutter contre une passion plus forte que lui, l’action dissolvante du vin l’ayant déjà privé de la force nécessaire pour vaincre ? Devra-t-il être à jamais vaincu par celui qui s’est établi en maître chez lui, n’y a-t-il donc point de remède ? Grâces à Dieu, il y en a un ! Dieu, dans Sa Parole, a pourvu à tout, Il présente un remède, un remède efficace, un remède radical, mais, notez-le bien, un seul : c’est l’abstention rigoureuse, en d’autres termes, l’abstinence que le Seigneur enseigne dans l’évangile, disant : « Si ta main ou ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-les et jette-les loin de toi : il vaut mieux pour toi d’entrer dans la vie boiteux ou estropié, que d’avoir deux mains et deux pieds, et d’être jeté dans le feu éternel. Et si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi ; car il vaut mieux pour toi d’entrer dans la vie n’ayant qu’un œil, que d’avoir deux yeux, et d’être jeté dans la géhenne du feu » (Matt. 18, 8-9 ; Marc 9, 43-47). Il n’existe donc pas d’état en présence duquel Dieu soit sans ressources ; ressources qui sont à la disposition de chacun, accessibles à tous. Pour en profiter, il faut obéir. Nous voyons clairement par les passages cités plus haut et d’autres, qu’il ne s’agit pas de demi-mesures : « Ne regarde pas le vin » ; si ta main, ou ton pied, ou ton œil — les membres les plus indispensables — sont pour toi une occasion de chute : coupe-les, arrache-les, jette-les, non pas à quelque distance pour avoir la latitude d’y revenir, mais loin de toi. Cela peut être pénible, mais la force du Seigneur et Sa bénédiction se trouvent dans l’obéissance. Impossible de compter sur la puissance et la bénédiction hors du chemin de l’obéissance, et par conséquent point de victoire et partant, point de paix, point de communion.
* *
En écrivant ces lignes, nous ne pensons pas seulement à ceux qui, hélas ! se sont déjà laissés entraîner sur la pente de la boisson, en leur présentant, de la part du Seigneur, l’abstinence comme seul moyen d’échapper à la ruine qui les menace à tous égards ; nous pensons, avant tout, à la gloire du Seigneur ; mais nous désirons encourager et exhorter quiconque discernerait en lui-même le moindre attrait vers « la liqueur qui perle dans la coupe », à éviter tout ce qui peut fortifier ce penchant. Il faut à tout prix refuser toute invitation à boire, éviter toute occasion, et surtout ne pas se les offrir à soi-même, car il est encore plus facile de refuser à quelqu’un un verre de vin que de se le refuser à soi, lorsque l’on n’a qu’à aller le prendre à la maison. Il faut aussi se demander si l’on ne boit pas trop de vin comme usage ordinaire, sans parler de s’enivrer. Une chose pénible à constater, c’est avec quelle facilité, quel sans-gêne, en certains endroits, des chrétiens ne craignent pas de s’attabler dans un débit de vin, sous un prétexte ou sous un autre, mais qui rarement se justifie aux yeux de Dieu. Examinez, chers amis qui pourriez avoir cette faiblesse, dans combien de cas le Seigneur a pu vous approuver. Le chrétien doit avoir pour principe de ne pas aller au café, et doit avoir affaire avec le Seigneur au sujet de chaque exception, pesant devant Lui les raisons qui pourraient la motiver. Dans certaines contrées, on prétend que les affaires l’exigent, que c’est l’habitude, etc. Mais peut-on attendre la bénédiction du Seigneur sur un marché conclu ou tout autre décision prise, dans des lieux qu’un serviteur de Dieu appelait, non sans raison, « l’antichambre de l’enfer » ? Il est difficile de se conserver pur du contact du monde, dans le courant ordinaire de la vie, mais il est impossible de ne pas se souiller dans un lieu où le Seigneur ne peut nous suivre et où nous sommes exposés sans armes à la puissance de Satan.
Il est humiliant de devoir présenter les exhortations qui précèdent, à des chrétiens ; mais la légèreté et l’indifférence qui nous caractérisent, hélas ! dans ces derniers jours, quant au témoignage du Seigneur et à Sa gloire, sont une raison pour insister plus sérieusement que nous ne l’avons fait jusqu’ici, sur ce que la Parole nous présente, relativement à l’abus du vin. N’est-il pas affligeant de voir des chrétiens qui possèdent une certaine mesure d’intelligence des Écritures, incapables de se les appliquer pour marcher d’une manière digne du Seigneur, parce qu’ils ne veulent pas s’abstenir radicalement de cette boisson qui « ôte le sens », lorsqu’ils ne peuvent en user modérément ? Cela frappe surtout en présence de tous les efforts qui se font dans le monde pour lutter contre l’alcoolisme, efforts fondés sur des passages tels que Matthieu 18, 8-9 et Marc 9, 43-47, mais ne tenant pas suffisamment compte des enseignements de la Parole au sujet de la ruine de l’homme.
Il est aussi regrettable d’entendre parler de « l’abstinence » avec un certain mépris, sous prétexte de plus de spiritualité et de liberté chrétienne, quand cette liberté n’est souvent autre chose que la liberté de satisfaire sa chair, alors qu’on devrait être abstinent soi-même. Car si, fondé sur la Parole, je ne puis faire partie d’une société de tempérance, pourrai-je, fondé sur la même Parole, refuser au Seigneur de renoncer complètement au vin quand je ne puis le boire à Sa gloire, et qu’Il me dit positivement de jeter loin de moi un membre scandaleux ? D’autre part, si, désirant être délivré de l’esclavage de sa passion, quelqu’un était tenté de mettre sa signature sur un registre d’abstinence, afin d’obtenir, pour résister au mal, une force puisée dans l’amour-propre charnel, nous l’engageons à considérer si l’amour de Dieu, l’amour de Christ subissant à sa place le jugement qu’il avait mérité, la position de témoin du Seigneur devant ce monde, tous les privilèges ineffables du chrétien, l’honneur dû au Seigneur, à l’Assemblée, à sa propre famille, etc., ne sont pas des motifs suffisants pour obéir à son Sauveur et Seigneur, sans qu’il faille invoquer pour cela la volonté, l’amour-propre et l’énergie du vieil homme.
Daniel avait arrêté dans son cœur, qu’il ne se souillerait pas avec les mets délicats du roi et les vins qu’il buvait. Cette ferme décision du cœur était motivée simplement par sa relation avec Jéhovah, le Dieu saint, car cette relation implique l’obéissance ; c’est dans la séparation du mal, dans l’obéissance, que se trouvent la puissance et la bénédiction. « Comme celui qui vous a appelés est saint, vous aussi soyez saints dans toute votre conduite ; parce qu’il est écrit : « Soyez saints, car moi je suis saint ». Et si vous invoquez comme Père celui qui, sans acception de personnes, juge selon l’œuvre de chacun, conduisez-vous avec crainte pendant le temps de votre séjour ici-bas, sachant que vous avez été rachetés de votre vaine conduite, qui vous avait été enseignée par vos pères, non par des choses corruptibles, de l’argent ou de l’or, mais par le sang précieux de Christ, comme d’un agneau sans défaut et sans tache » (1 Pier. 1, 15-19). N’oublions pas que nous avons le caractère de sacrificateurs, qui ont à passer leur vie tout entière dans l’accomplissement de leur service, en la présence de Dieu où l’œuvre parfaite de Christ les a placés. Les fils d’Aaron ne devaient boire ni vin, ni cervoise, pour s’approcher de l’Éternel, évitant ainsi tout ce qui pouvait les priver du discernement nécessaire, « pour juger entre ce qui est saint et ce qui est profane, et entre ce qui est pur et impur » (Lév. 10, 8-11). Ils devaient être constamment capables de faire leur service selon les exigences de la sainteté de l’Éternel, qui « veut être sanctifié en ceux qui s’approchent de Lui ». Le service du chrétien ne s’accomplit pas temporairement dans la présence de Dieu comme celui des fils de Lévi ; mais le croyant a le privilège de pouvoir se tenir, de servir toujours en cette bienheureuse et sainte présence, en vertu du sang de Christ qui l’a purifié de ses péchés et lui a ouvert l’accès au-dedans du voile. La lumière de Dieu est donc l’élément dans lequel nous avons à accomplir notre service ici-bas, en attendant la gloire. On comprend alors que l’on doive s’abstenir de tout ce qui est contraire à une telle position et de tout ce qui pourrait altérer notre sens spirituel et nous rendre incapables de discerner le pur et l’impur. Nous maintiendrons ainsi pratiquement la sainteté de Dieu dans un monde où nous ne rencontrons que souillure, en attendant le glorieux et prochain moment où la cité ne présentera devant nos pieds que son or pur et transparent.
Puissions-nous être plus vigilants pour marcher à la hauteur de notre vocation chrétienne ; à la gloire de Celui qui nous a aimés plus que Sa propre vie, qui a souffert sur la croix afin d’ôter nos péchés, et veut qu’en nous tenant pour morts, nous puissions pratiquement « nous reposer du péché, pour ne plus vivre le reste de notre temps dans la chair, pour les convoitises des hommes, mais pour la volonté de Dieu » (1 Pier. 4, 1-2).
Bientôt nous serons hors d’atteinte de la souillure. Délivrés à tout jamais du moi, nous pourrons poser les armes, étant consommés dans la gloire, et semblables à Christ. « Que celui qui a cette espérance en Lui, se purifie comme lui est pur ! ».