Livre:Voyage du chrétien vers l’éternité bienheureuse/Chapitre 32

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Là-dessus l’Espérant, s’étant tourné, entrevit l’Ignorant, qu’ils avaient laissé derrière, et dit au Chrétien :

— Voyez combien ce jeune homme vient avant, sur la même route que nous !

Le Chrétien. — Oui, oui, je le vois bien ; mais il ne cherche pas notre compagnie.

L’Espérant. — Et cependant je puis bien dire que s’il s’était attaché à nous, il n’aurait pas eu lieu de s’en repentir.

Le Chrétien. — C’est vrai ; cependant je ne crains pas de vous assurer qu’il est bien éloigné de cette pensée.

L’Espérant. — Je le crois aussi ; mais, quoi qu’il en soit, nous voulons cependant l’attendre.

Lors donc qu’ils se furent approchés, le Chrétien dit à l’Ignorant :

— Venez ici, mon ami ; pourquoi demeurez-vous en arrière ?

L’Ignorant. — J’aime mieux marcher seul que dans une grande compagnie, à moins qu’elle ne me convienne bien.

Sur cela le Chrétien dit tout bas à l’Espérant :

— Ne vous l’ai-je pas dit qu’il ne se soucie pas de notre compagnie ? Cependant, cherchons encore à nous entretenir avec lui dans ce chemin solitaire.

Puis, se tournant vers l’Ignorant : — Comment vous trouvez-vous maintenant ? lui dit-il. Quel est l’état de votre âme par rapport à Dieu ?

L’Ignorant. — J’espère que tout ira bien ; car je suis rempli de bons mouvements qui m’occupent sans cesse, chemin faisant.

Le Chrétien. — Quels sont ces bons mouvements, je vous prie ? Donnez-nous-en quelque idée.

L’Ignorant. — Je pense à Dieu et au ciel.

Le Chrétien. — Plusieurs en font de même, qui cependant n’y parviendront jamais. L’âme du paresseux, dit le sage, a beaucoup de désirs, mais elle n’obtient rien du tout.

L’Ignorant. — Mais moi j’y pense, et je quitte tout pour l’amour de Lui.

Le Chrétien. — Ah ! c’est ce dont je me permettrai encore de douter ; car c’est une chose bien difficile que de tout abandonner ; oui, une chose beaucoup plus difficile que la plupart ne se l’imaginent. Mais comment et par quel moyen avez-vous été porté à abandonner ainsi toutes choses pour Dieu et le ciel ?

L’Ignorant. — Mon cœur me l’a dit ainsi.

Le Chrétien. — Le sage dit que celui qui se confie en son propre cœur est un fou (Prov. 28, 26).

L’Ignorant. — Cela est dit d’un mauvais cœur ; mais je crois que le mien est bon.

Le Chrétien. — Comment pourriez-vous le montrer ?

L’Ignorant. — C’est qu’il me console par l’espérance du ciel.

Le Chrétien. — Cela peut se faire par la tromperie du cœur même, car le cœur de l’homme peut lui suggérer des consolations par l’espérance de biens qu’il n’a aucun droit d’espérer.

L’Ignorant. — Mais ma vie répond à la disposition de mon cœur ; c’est pourquoi mon espérance est bien fondée.

Le Chrétien. — Qui vous dit cela ?

L’Ignorant. — C’est mon cœur qui me le dit.

Le Chrétien. — Oui, votre cœur vous dit cela ! C’est comme si vous disiez : Demandez à mon compagnon si je suis un voleur ? Si la Parole de Dieu ne vous rend témoignage là-dessus, tous les autres témoignages ne peuvent rien valoir.

L’Ignorant. — Mais un cœur qui a de bonnes pensées n’est-il pas un bon cœur ? Et n’est-ce pas une bonne vie que celle qui s’accorde avec la loi de Dieu ?

Le Chrétien. — Oui, un cœur qui est rempli de bonnes pensées est un bon cœur, et une vie qui est conforme à la loi de Dieu est une bonne vie. Mais autre chose est d’avoir réellement une chose, et autre chose de s’imaginer seulement de l’avoir.

L’Ignorant. — Qu’est-ce donc, je vous prie, que vous entendez par de bonnes pensées et par une vie conforme à la loi de Dieu ?

Le Chrétien. — Les bonnes pensées sont celles qui sont conformes à la Parole de Dieu ; et il y en a de différentes sortes : les unes nous regardent nous-mêmes, d’autres regardent Dieu, et d’autres encore regardent d’autres objets.

L’Ignorant. — Quand est-ce donc que les pensées qui nous regardent nous-mêmes, par exemple, sont conformes à la Parole de Dieu ?

Le Chrétien. — Lorsque nous portons sur nous-mêmes le même jugement que porte la Parole de Dieu. Voici, par exemple, comment elle parle de l’homme dans son état naturel : Il n’y a pas un seul juste, pas un seul qui fasse le bien (Rom. 3, 10). Les pensées de l’homme ne sont que mal en tout temps (Gen. 6, 5). L’imagination du cœur des hommes est mauvaise dès leur jeunesse (Gen. 8, 21). Or, c’est lorsque nous avons ces pensées et ces sentiments de nous-mêmes que nos pensées sont bonnes, et qu’elles sont conformes à la Parole de Dieu.

L’Ignorant. — Je ne croirai jamais que mon cœur soit si mauvais !

Le Chrétien. — C’est pour cela même que vous n’avez jamais eu, en toute votre vie, aucune bonne pensée. Mais souffrez que je passe encore plus avant. Comme la Parole porte un jugement contre notre cœur, elle en porte aussi un contre nos voies. Elle dit que les voies des hommes sont des voies obliques (Ps. 125, 5) ; que leurs chemins sont des chemins détournés (Prov. 2, 15) ; que l’homme, de sa nature, s’est égaré des voies de la justice, et qu’il ne les a point connues (Rom. 3, 17). Or, quand un homme a ces mêmes pensées-là sur ces voies, et que ses pensées sont accompagnées d’un sentiment sincère et de l’humilité de cœur, alors il a de justes et bonnes pensées sur ses voies, parce que ses pensées s’accordent parfaitement avec le jugement de la Parole de Dieu.

L’Ignorant. — Quelles sont les bonnes pensées par rapport à Dieu ?

Le Chrétien. — Toujours la même règle : lorsque nous avons sur Ses perfections et sur Ses attributs des idées conformes à ce que la Parole nous en dit ; lorsque nous pensons, par exemple, que Dieu nous connaît mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes ; lorsque nous nous disons qu’Il démêle nos intentions les plus secrètes, et que notre cœur, avec toutes ses profondeurs impénétrables, est toujours à découvert devant Ses yeux ; que toute notre justice n’est absolument qu’une souillure à Ses yeux, et que, pour cette raison, nous sommes par nous-mêmes des objets de condamnation devant Lui, surtout lorsque nous nous reposons sur nos bonnes dispositions, ou sur quoi que ce soit que nous croyions voir de bien en nous.

L’Ignorant. — Pensez-vous donc que je sois si fou que de m’imaginer que Dieu ne voit pas plus loin que moi ? Ou que je veuille me justifier devant Lui par mes bonnes œuvres ?

Le Chrétien. — Quelles sont donc vos pensées là-dessus ?

L’Ignorant. — Je pense que je dois croire en Jésus Christ pour être justifié par Lui.

Le Chrétien. — Comment pouvez-vous penser que vous devez croire en Jésus Christ, pendant que vous ne connaissez pas le besoin que vous avez de Lui ? Car, n’ayant jamais reconnu ni senti votre corruption originelle et naturelle, vous êtes nécessairement du nombre de ceux qui n’ont jamais senti non plus la nécessité de la justice qui est en Christ.

L’Ignorant. — Je crois cependant à toutes ces choses.

Le Chrétien. — Mais comment les concevez-vous ?

L’Ignorant. — Je crois que Dieu me sauvera en considération de la manière dont j’aurai obéi à Sa loi ; mais je pense que ce ne sera cependant qu’en vertu d’une bonté toute particulière par laquelle Il voudra bien se contenter de mon obéissance imparfaite, ou, comme disent d’autres personnes, que si je suis justifié devant Dieu par mes œuvres, c’est parce que Christ a rendu ces œuvres agréables à Son Père par Son mérite.

Le Chrétien. — Permettez-moi de répondre à cette profession de foi :

1° Que c’est une foi imaginaire, qui ne se trouve nulle part dans la Parole de Dieu ;

2° Que c’est une foi fausse, parce que, malgré tout votre entourage d’explications, vous attribuez cependant à votre propre justice la justification qui appartient uniquement à la justice de Christ ;

3° Qu’avec cette foi vous n’embrassez point Christ pour la justice de Sa personne, mais pour celle de vos œuvres, ou de votre personne à cause de vos œuvres, ce qui est faux ;

4° Que par conséquent c’est une foi trompeuse, une foi qui vous laissera sous la colère de Dieu, au jour du Tout-puissant. Car la vraie foi salutaire consiste en ce que lorsque l’âme vient à sentir son état de perdition, elle a son unique recours à la justice de Christ. Et cette justice n’est pas un acte de grâce de Dieu, par lequel Il regarde votre mérite comme suffisant pour vous justifier, mais c’est l’obéissance personnelle que Jésus Christ a rendue à la loi, ce qu’Il a fait et souffert pour notre compte ; voilà la justice que la foi embrasse. Et lorsque l’âme s’enveloppe de ce manteau et qu’elle se présente à Dieu dans cet état, c’est alors qu’Il la reçoit en grâce et l’absout de toute condamnation.

L’Ignorant. — Comment ! vous voudriez fonder notre confiance sur ce que Jésus Christ a souffert dans Sa personne ? Cette pensée lâcherait bientôt la bride à nos convoitises, et nous donnerait la liberté de vivre à notre fantaisie ; car qu’importe alors de quelle manière nous vivons, si nous pouvons être justifiés de tout par la justice de Christ, sous la seule condition que nous y croyions ?

Le Chrétien. — Vous montrez bien que vous êtes ignorant de fait comme de nom. Vous ignorez cette véritable efficace de la foi, qui touche le cœur et l’amène à Dieu en Christ, pour aimer Son nom, Ses voies et Son peuple, et qui est bien loin de laisser le cœur dans l’état que vous imaginez.

L’Espérant. — Demandez-lui si jamais Christ s’est manifesté à lui dans son âme.

L’Ignorant. — Comment ! Êtes-vous donc des gens à révélation ? Je crois que tout ce que vous et vos confrères dites là-dessus n’est autre chose que le fruit de quelque enthousiasme.

L’Espérant. — Mon ami, vous ne savez donc pas que Christ et Son évangile sont tellement cachés à la raison charnelle, qu’elle n’en peut rien saisir sans révélation ; de sorte qu’il est impossible que personne les connaisse salutairement, si le Père ne les lui révèle (Matt. 16, 17) ?

L’Ignorant. — C’est là votre foi, mais ce n’est pas la mienne. Je crois cependant la mienne aussi bonne que la vôtre, quoique je n’aie pas autant de rêveries en tête que vous.

Le Chrétien. — Permettez-moi de dire encore un mot. Il ne vous est pas séant de parler de ces choses avec tant de mépris ; car il est bien vrai, comme mon compagnon vous l’a dit, que nul ne peut connaître Jésus Christ, à moins que le Père ne Le lui révèle (Matt. 11, 27). Aussi faut-il que la foi par laquelle une âme embrasse Jésus Christ, pour être bonne, soit opérée par l’excellente grandeur de Sa puissance et de Sa force (Éph. 1, 18, 19). Ainsi, je vois clairement que vous ignorez absolument l’efficace de la foi. Réveillez-vous donc et reconnaissez votre corruption et votre misère ; recourez humblement au Seigneur Jésus, et alors vous serez délivré de la condamnation par Sa justice, qui est la justice de Dieu (2 Cor. 5, 21), puisqu’Il est Lui-même le vrai Dieu et la vie éternelle (1 Jean 5, 20).

L’Ignorant. — Vous courez d’une telle force que je ne puis vous suivre ; ainsi, il vaut mieux que vous passiez devant, et, pour moi, je vous suivrai tout doucement.

Le Chrétien. — Comment voulez-vous être assez insensé pour mépriser de bons conseils qu’on vous a donnés si souvent ? Vous éprouverez bientôt le mal qui vous en arrivera. Réfléchissez-y encore pendant qu’il en est temps, et profitez de cet avis. Mais si vous voulez persister à rejeter ces choses, je vous déclare que vous en porterez seul la peine. Venez, mon cher Espérant, ajouta le Chrétien en se tournant vers son compagnon ; je vois bien qu’il faut que vous et moi nous continuions ensemble notre voyage.