Livre:La sympathie chrétienne/Lettre 16

De mipe
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Glenart, 1827

Madame, j’ai beaucoup d’excuses à vous faire pour avoir autant tardé à répondre à vos questions ; j’espérais, en renvoyant ce plaisir jusqu’à mon arrivée ici, pouvoir plus facilement m’entretenir avec vous sur le papier. Ce n’est pas que je n’eusse pu le faire à … mais ceux qui sont embarrassés de beaucoup de soins, ou qui s’imaginent qu’ils ont beaucoup à faire, sont plus particulièrement empêchés lorsqu’ils quittent leur maison pour quelques jours. Il est heureux que nos richesses ne consistent pas en immeubles terrestres, et que, semblables aux Juifs d’à présent, nous puissions être prêts à partir pour Jérusalem au premier signal. Je ne puis répondre à vos questions qu’après vous avoir parlé de l’ami bien-aimé que nous avons dans les cieux.

Arrêtons-nous un peu ! Sommes-nous bien certains qu’Il soit notre ami ? Oui, car Il est l’ami des pécheurs ; Il est le refuge de l’opprimé ; Il aide celui qui est dans le besoin, et dans un besoin quelconque, car Il est toujours là pour aider. « Dans le monde vous aurez tribulation, en moi paix ». Oh ! combien ces paroles sont profondes ! Aucune souffrance n’est trop légère, aucun besoin n’est trop grand ; Celui qui est notre refuge sait de quoi nous sommes faits ; Il connaît le dérangement du plus petit de nos nerfs ; et quelque ridicule que puisse nous paraître à nous-mêmes une souffrance qui n’est occasionnée que par un son de voix ou par un pas, son cœur nous est toujours ouvert, et en nous y réfugiant nous pouvons, dans un certain sens, nous dérober à nos propres yeux. Quels peuvent être nos besoins, quand notre aide est le Dieu de Jacob, le Dieu qui garde l’alliance et la vérité à toujours ; quand notre espérance est en Celui qui a fait les cieux et la terre, la mer et tout ce qui y est contenu ? Que de beautés dans le psaume 146, où la grandeur de notre Dieu se montre tout particulièrement adaptée aux besoins de ceux qui sont opprimés, de ceux qui ont faim, de ceux qui sont liés, de ceux qui sont aveugles, de ceux qui sont courbés, des étrangers, des orphelins et même des veuves !

Vous me demandez si j’ai lu Romaine sur le Cantique des cantiques. Non, jamais ; mais je crois que l’Esprit Saint m’en a expliqué quelques versets lorsqu’Il remplissait pour moi Son office de consolateur. Je pense quelquefois que personne ne peut autant que la veuve entrer dans les sentiments exprimés dans ce livre, car personne ne connaît le prix d’une bénédiction autant que ceux qui l’ont perdue, et combien plus lorsqu’il s’agit de la bénédiction spéciale sans laquelle le paradis même n’était pas complet. Si lorsque tout était paix, joie et amour, l’homme eut besoin d’une compagne qui pût partager son bonheur, à combien plus forte raison sentons-nous le besoin d’un appui, quand les soucis et les peines remplissent nos cœurs d’angoisse et nos yeux de pleurs. Qui pourrait apprécier la valeur des expressions : Il est, Je suis, dont Dieu se sert pour se manifester à nous, aussi bien que celle qui dans tous les instants est forcée de se dire : Mon bien-aimé était à moi, et j’étais à mon bien-aimé ! Heureuse solitude, dirons-nous aussi, précieuses difficultés qui amènent à notre aide un tel libérateur ! Je doute qu’il y ait un nom indiquant la pauvreté et le besoin du côté de la créature, en même temps que la force dans le Créateur, qu’Il n’ait pris pour se faire connaître à nous : père, frère, ami, prophète, sacrificateur, roi, médecin, secours, santé, raffineur, lumière, vie, conseiller, guide, ancre, sanctuaire, tout en tous, notre portion pour jamais ; mais aucun n’est aussi étonnant, aussi saisissant, aussi complet que celui de mari ou plutôt d’époux de Son Église (c’est le nom qu’Il se donne dans le Cantique des cantiques), car le banquet des noces de l’Agneau n’a pas encore eu lieu, l’Épouse n’étant pas encore prête. Comme je parlais dernièrement à une personne des versets que vous mentionnez, celui-ci me parut particulièrement doux : « Qui est celle-ci qui monte du désert mollement appuyée sur son bien-aimé ? ». Il est vrai que l’Église est dans le désert, mais ce n’est que pour un temps limité ; un lieu lui a été préparé par son Dieu ; elle est nourrie, elle n’est point oubliée ; et tandis qu’elle se dirige vers les cieux, elle a un puissant soutien (Apoc. 12, 6). Si sa position seule lui fait sentir combien elle a besoin d’être protégée, soutenue et consolée, c’est afin que pour toutes choses elle se confie en son bien-aimé, et qu’ainsi elle trouve une paix parfaite, car « le rocher des siècles est en l’Éternel Dieu ». Sa faiblesse même l’oblige à faire l’expérience de la fidélité, de la puissance et de la tendre vigilance de son Époux. Plus fortement elle s’appuie, plus elle connaît de Celui en qui elle a cru ; et si le sentiment de ses misères ne l’avait pas forcée d’avoir recours à la force d’en haut, jamais elle n’aurait appris à dire : « Je me glorifierai donc très volontiers plutôt dans mes infirmités, afin que la puissance du Christ habite sur moi ; c’est pourquoi je me plais dans les infirmités, dans les nécessités, etc. ; car, lorsque je suis faible, alors je suis puissant ». Mais tandis que tout ce qui nous encoure nous crie : « Lève-toi, ce n’est pas le lieu de ton repos », combien n’est-il pas surprenant que nous ayons encore besoin d’être enseignés ligne après ligne, commandement après commandement ! Hélas ! c’est pour que nous n’oubliions pas que nous sommes dans le désert, tant nous nous avançons pesamment vers les joies éternelles ! Oh ! que nous sommes lents à apprendre les difficiles leçons de la dépendance ! De combien de répréhensions, de châtiments, de regards sévères, nous avons besoin de la part de notre Maître tout rempli de patience, pour que nous puissions être persuadés que notre bonheur consiste à nous appuyer sur Lui ! Assurément la malignité du péché ne peut se voir nulle part aussi bien que dans le cœur de l’enfant de Dieu. Satan ne pèche pas en dépit de la lumière, de l’amour et de la connaissance de l’amour rédempteur. Il est bien humiliant pour nous qu’il ne faille rien moins que Dieu pour nous faire comprendre ce qui est tout simple, désirer ce qui est bon, éviter ce qui est mal ; mais combien n’avons-nous pas plus encore sujet de nous humilier de ce qu’au moment même où notre jugement nous dit qu’il n’y a qu’un sentier de prospérité et de paix, de ce qu’au moment où notre conscience nous déclare que c’est une chose amère que de s’éloigner de Dieu, et où notre expérience, d’accord avec notre entendement, nous fait crier : « À qui nous en irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » ; dans ce moment même il ne faille rien moins que l’Esprit tout-puissant pour nous empêcher d’abandonner la source des eaux vives dont nous avons déjà goûté, et de nous creuser avec peine et pour notre malheur des citernes, des citernes crevassées qui ne peuvent point contenir d’eau ! Oh ! prenons garde de ne plus négliger le Seigneur ; c’est tout ce que notre bien-aimé supporte avec le plus de peine. Appuyons-nous avec Jean sur le sein de Jésus ; nous y apprendrons à aimer comme il l’apprit lui-même. Il y aura ainsi en nous le même sentiment qui a été en Christ, car l’amour est l’accomplissement de la loi. Dernièrement j’ai entendu dire quelque chose de peu chrétien au sujet d’une personne absente ; cela m’a fait réfléchir, et j’espère en avoir retiré quelque instruction, car c’est un point sur lequel, hélas ! je me trouve particulièrement en faute, comme vous l’aurez sans doute remarqué. Oui, il est très mal de parler sévèrement des enfants de Dieu, et d’oublier que celui qui les touche, touche la prunelle de son œil, que c’est lui qui est percé par les paroles qui sont dites contre eux, et que tout ce mal est mis sur le compte de la cause pour laquelle nous faisons profession de vouloir vivre et mourir. Avant de parler d’une chose blâmable, il faut être bien certain que ce qu’on va dire est vrai, et qu’il en résultera du bien.