Livre:La sympathie chrétienne/Lettre 23

De mipe
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1829
Mon cher Monsieur,

Mille remerciements pour votre lettre qui a été la bienvenue. Nous sommes bien réjouis d’apprendre de meilleures nouvelles de votre gorge. Je crois que notre utilité ne consiste pas en ce que nous suivions la ligne de conduite que nous nous traçons nous-mêmes, mais en ce que nous donnions au Seigneur précisément ce qu’Il veut de nous, imitant la patience aussi bien que la foi de ceux qui héritent des promesses.

Le ridicule qu’on a jeté sur les pétitions au sujet de l’émancipation, prouve combien la Parole est encore folie aux Grecs. Cependant il est écrit : « J’abolirai la sagesse des sages, et j’anéantirai l’intelligence des hommes intelligents ». Car « Dieu a choisi les choses folles du monde, afin de couvrir de confusion les hommes sages ; Il a choisi même celles qu’on méprise ». Mais j’oublie que c’est un des signes des temps, qu’un peuple ignorant, dont je fais moi-même partie, s’établisse juge de semblables matières. C’est le privilège des femmes de n’avoir rien à faire avec la politique et de rester spectatrices de l’ignorance de l’homme, et de la sagesse admirable avec laquelle Dieu exécute Ses desseins. La question relativement à nous me paraît être celle-ci : Comment, tout en cherchant à être utiles à notre génération, rendrons-nous témoignage contre les péchés criant de l’Église, aussi bien que contre ceux du monde ? Puisque dans tous les temps il doit y avoir un petit nombre de témoins fidèles, comment nous conduirons-nous au milieu de ces âmes d’élite ? Et si Dieu nous a montré Son amour en nous confiant Sa cause et en nous y associant, et s’Il nous a prêtés à la terre comme des volumes de Sa bibliothèque afin que les hommes les lisent, comment remplirons-nous notre mission ? J’espère que vous avez réfléchi sur ce sujet et que nous pourrons élever dans ce vallon une petite colonne de vérité, sur laquelle sera inscrit le mot « amour ». Ce commandement de l’amour si fréquemment répété et en même temps si méprisé, me semble exprimer tout ce qui est demandé à l’Église. Manifester cet amour par l’union des membres du corps, le faire rayonner en tout sens comme une lumière des cieux, en prouver l’existence par tous les actes de la vie, n’est-ce pas là l’office de l’Épouse de Christ ? Plusieurs ont de bonnes intentions, mais ils sont ignorants. Nous négligeons nos réunions, et nous avons besoin de nous exciter les uns les autres à l’amour et aux bonnes œuvres, d’autant plus que nous voyons approcher le jour. Les ministres fidèles dans l’église établie se bornent à travailler à l’évangélisation, et négligent les devoirs plus difficiles. La prédication de l’évangile est nécessaire pour tous ; mais la viande solide et les exhortations relatives à la vie chrétienne ne sauraient convenir au monde. La viande solide de l’expérience est tournée en ridicule, tout en excitant la jalousie. Les exhortations à la sainteté ne font que découvrir au monde les plaies de l’Église, ou bien elles ne sondent pas assez profondément le mal pour que le croyant puisse en recevoir quelque avantage. Vous devez veiller, avertir, exhorter, prouver par les Écritures les erreurs dans la doctrine, les erreurs dans la pratique ; et, quoique les derniers, nous ne devons pas rester en arrière ; les besoins et les maux d’autrui, aussi bien que ceux de l’Église, doivent être les nôtres, de telle manière que les actions de grâces de tous soient multipliées et retentissent à la gloire de Dieu. Assurément nous ne verrions pas un si grand nombre de chrétiens vivre comme le monde, si une moitié de la Bible n’était pas laissée de côté dans les prédications. Je crois que si le christianisme est beaucoup plus profession que confession, la faute en est essentiellement à l’église. Tout en foulant les œuvres sous nos pieds quant à notre justification, ne devrions-nous pas vivre comme si nous étions sauvés par les œuvres ? Et si nous nous glorifions dans notre liberté, ne sommes-nous pas cependant sous la loi de Christ ? Christ est pour nous trop semblable à un vieux vêtement que l’on met et que l’on ôte, selon que cela convient. Ne pas Le confesser, c’est en quelque sorte Le renier ; et si nous étions vraiment des lumières, les hypocrites n’oseraient s’approcher, dans la crainte que leurs œuvres ne fussent manifestées. J’espère que vous élevez la voix contre de telles choses dans votre localité, car la religion et le monde semblent y marcher doucement bras dessus, bras dessous. Les temps sont dangereux pour les chrétiens quand ils ont le loisir de jouer avec les idoles, de se divertir avec le monde, de s’établir comme les mondains, de se faire des politesses, de s’occuper des fautes de leur prochain et de leurs frères, de s’adonner à des dissipations religieuses, de parler pour être admirés, de prêter l’oreille à des discours qui contredisent la vérité, tandis qu’ils devraient courir dans la voie des commandements de Dieu. Assurément les temps de persécution sont des temps de prospérité pour l’Église. — Satan ne dort pas ; et il est bien plus à craindre lorsqu’il mine sourdement que quand il détruit ouvertement, séduisant même les élus s’il était possible. Les temps de persécution concentrent toutes les facultés de l’âme sur un seul point. Combien la patience est une grâce précieuse chez les chrétiens persécutés ! Si nous devons voir des temps d’angoisse, demandons à Dieu qu’Il nous fasse sentir nos besoins, afin que, quand ils arriveront, nous ne soyons point ébranlés. L’amour les ferait presque désirer, si nous étions empêchés par ce moyen de déshonorer la cause de Celui que nous aimons. La foi ne peut se développer dans une vie tranquille ; il faut qu’elle tienne en quelque sorte sa vie dans sa main, qu’elle regarde à Jésus dans l’attitude de la patience, et que, semblable à un oiseau de passage, elle se refuse à faire son nid dans un climat aussi froid.

Que le Seigneur veuille, dans ces jours de séduction, éprouver et cribler chacun de nos principes, sonder nos cœurs jusqu’au fond et nous conduire dans la voie éternelle ! Que nos âmes soient rendues capables de s’élancer en avant, en regardant à Sa seconde venue ! Qu’il nous soit donné de nous aimer en effet et en vérité, d’un amour qui engloutisse l’orgueil et la fierté en nous-mêmes, et tout ce qui est désagréable chez les autres !

Notre cher M… a été à toute extrémité. Je n’ai aucune espérance qu’il nous soit rendu. Puissions-nous écouter la verge et comprendre ce que le Seigneur nous dit ! L’un des traits les plus remarquables des œuvres de l’Éternel, c’est que, tandis que nous travaillons à atteindre un but unique par un grand nombre de moyens, Dieu peut, avec la plus grande facilité, atteindre un grand nombre de buts par un seul moyen. Nous voyons cela surtout dans les dispensations de Sa providence. Lorsqu’Il envoie une affliction, elle est tellement en rapport avec les besoins de tous ceux qui en sont atteints, qu’on dirait que chacun d’eux ait été le but particulier qu’Il a eu en vue, et quand Il agite Sa verge au-dessus de Ses enfants, c’est certainement un appel de grâce de Sa part. Souvent c’est en tremblant que nous entrons dans la nuée, mais c’est là que se fait entendre la voix qui dit : « C’est ici mon Fils bien-aimé, écoutez-le » ; et qu’est-ce que la Parole de Jésus déclare, sinon qu’Il est amour ? Demandons-nous que cette visitation soit en bénédiction à tous ceux qui en sont les objets. Rien ne peut s’opposer à Sa puissance. Pour Lui, aucun cœur n’est trop endurci ; et pour nous, c’est une consolation que de savoir « qu’Il est plus grand que notre cœur », que Son amour est aussi grand que Sa puissance, et qu’Il ne connaît ni mesure ni fin.

Combien nous devons nous trouver heureux de pouvoir déposer notre corps, notre âme et notre esprit entre les mains de Celui qui s’est engagé, non seulement à ne perdre aucun de ceux que le Père Lui a donné à garder, mais encore à les ressusciter au dernier jour ! Toute question sur la manière dont Il agit à l’égard de notre dépôt, ne serait qu’une insulte de notre part, car nous connaissons l’homme…

Je suis avec une sincère affection votre

T.A. Powerscourt