Livre:Voyage du chrétien vers l’éternité bienheureuse/Chapitre 5

De mipe
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Au bout de quelque temps, il arriva à la porte sur laquelle était cette inscription : Heurtez, et il vous sera ouvert (Matt. 7, 7). Il heurta donc à diverses reprises, disant en lui-même : « Ah ! si je puis avoir l’entrée ici, quel bienfait pour un méchant et un rebelle qui n’a mérité que l’enfer ! Dussé-je y être accablé de peines, je célébrerai à jamais la gloire du Souverain de Sion, et je lui en témoignerai une reconnaissance éternelle ».

Enfin, une honnête personne, nommée Bon-Vouloir, se présenta à la porte et demanda qui il était, d’où il venait et ce qu’il voulait.

Le Chrétien. — C’est un pauvre pécheur travaillé et chargé qui vient de la ville de Corruption et qui voyage vers la montagne de Sion pour éviter la colère à venir. C’est pourquoi je vous conjure de vouloir bien m’accorder l’entrée de cette porte, puisqu’on m’a assuré que c’est le chemin où il faut nécessairement passer.

Bon-Vouloir. — Je le veux de tout mon cœur.

Et, en même temps, il ouvrit la porte. Mais comme le Chrétien voulait y entrer, il le tira par la manche. Là-dessus le Chrétien lui demanda ce qu’il avait à lui dire. — Regardez, dit-il : il y a là un château très fort dont Béelzébul est le maître. C’est de là qu’il décoche, avec ses adhérents, ses traits enflammés sur ceux qui s’acheminent à cette porte pour tâcher de les tuer, s’il était possible, avant qu’ils y soient entrés.

— Je me réjouis, dit le Chrétien, et en même temps je tremble.

Comme il fut entré dans la porte, le portier lui demanda qui l’y avait adressé.

Le Chrétien. — C’est l’Évangéliste qui m’a commandé de heurter ici et, en même temps, il m’a assuré que vous voudriez bien me dire ce que je dois faire ensuite.

Bon-Vouloir. — Voilà devant vous une porte ouverte que nul ne peut fermer (Apoc. 3, 8).

Le Chrétien. — Maintenant je commence à moissonner le fruit de mes peines passées.

Bon-Vouloir. — Mais d’où vient que vous venez ainsi seul ?

Le Chrétien. — Parce qu’aucun de mes voisins n’a vu, comme moi, le danger auquel ils sont exposés.

Bon-Vouloir. — Quelques-uns ont-ils su que vous vouliez faire ce voyage ?

Le Chrétien. — Oui ; ma femme et mes enfants ont été les premiers qui m’ont vu partir[1]. — Et là-dessus il récita au portier tout ce qui lui était arrivé : comment ses voisins l’avaient poursuivi, la rencontre qu’il avait faite du Sage-Mondain, la frayeur qu’il avait eue du mont Sinaï et la manière dont l’Évangéliste l’avait redressé. — Maintenant, ajouta-t-il, me voici par la bonté de Dieu ; mais, hélas ! plus digne encore d’être écrasé par cette même montagne que de m’entretenir avec vous. Quel bonheur pour moi d’être parvenu jusqu’ici !

Bon-Vouloir. — Nous ne mettons aucune différence entre les hommes. Quelque méchants qu’ils soient et quelques crimes qu’ils aient commis avant de venir ici, on ne rejette personne[2]. C’est pourquoi, cher Chrétien, entretenons-nous encore un peu ensemble, et je vous instruirai du chemin que vous devrez tenir ensuite. Regardez droit devant vous : voilà votre chemin. Il est frayé par les patriarches, par les prophètes, par Jésus Christ et par Ses apôtres ; il est aussi droit que s’il était tiré au cordeau. Voilà la route que vous devez suivre sans y chercher aucun détour.

Le Chrétien. — Mais ce chemin est-il bien sûr et ne peut-on point s’égarer ?

Bon-Vouloir. — Oui, vraiment, il y a des sentiers détournés ; mais ils sont encore plus bas que celui-ci : ils sont tortus et larges, et c’est à cela que vous devez bien prendre garde pour discerner le bon chemin du mauvais ; je vous le répète, le bon chemin est toujours droit au cordeau et étroit.

Je remarquai aussi que le Chrétien lui demanda s’il ne pourrait point le délivrer de son fardeau ; car jusque-là il n’avait jamais pu s’en décharger, nonobstant tous ses efforts.

— Quant à votre fardeau, lui répondit Bon-Vouloir, portez-le courageusement jusqu’à ce que vous soyez arrivé au lieu de la Délivrance ; car alors il tombera de lui-même de dessus votre dos.

Sur cela, le Chrétien se disposa à continuer son voyage. Il prit congé de Bon-Vouloir, qui l’avertit que, quand il aurait fait un bout de chemin, il devait heurter à la porte d’une maison qu’il trouverait sur sa route, et que là il verrait des choses merveilleuses. Le Chrétien prit congé de son ami, qui lui souhaita un bon voyage.

Et, continuant son chemin, il arriva à la maison de l’Interprète[3], où il heurta plusieurs fois coup sur coup jusqu’à ce que quelqu’un vînt répondre et demander qui était là.

— Je suis, dit le Chrétien, un pauvre voyageur qui cherche des instructions pour son voyage. J’ai été adressé ici par une personne de la connaissance du maître de la maison.

Celui qui avait répondu appela d’abord le maître, qui vint, un moment après, recevoir le Chrétien, en lui demandant ce qu’il souhaitait.

— Monseigneur, dit le Chrétien, je viens de la ville de Corruption et je vais à la montagne de Sion. Celui qui se tient à la porte qui est sur le chemin m’a dit que, si je venais ici, vous me feriez voir des choses merveilleuses et qui me seraient très utiles pour mon voyage.

— Entrez, lui dit l’Interprète ; je veux vous montrer ce que vous demandez.

Après avoir commandé à son serviteur d’allumer une chandelle, il ordonna au Chrétien de le suivre, et le mena dans un appartement particulier. Le Chrétien y découvrit d’abord un portrait admirable. C’était un homme dont les yeux étaient élevés vers le ciel, qui avait en sa main l’Écriture sainte et la loi de vérité sur ses lèvres ; le monde était derrière lui[4] ; il semblait, à son attitude, qu’il plaidât avec les hommes ; une couronne d’or était suspendue sur sa tête.

Le Chrétien demanda de qui était ce portrait.

— Cet homme, répondit l’Interprète, est un entre mille. Il peut engendrer des enfants (Gal. 4, 19), être en travail pour les enfanter, et il les nourrit lui-même après les avoir mis au monde (1 Thess. 2, 7). Quant à ce que vous le voyez ayant les yeux élevés vers le ciel, l’Écriture en sa main, la loi de vérité sur les lèvres et plaidant avec les hommes, c’est pour signifier que son œuvre ne consiste pas seulement à connaître les choses cachées, mais aussi à les exposer aux pécheurs. Le monde derrière lui et une couronne suspendue sur sa tête vous montrent qu’il méprise les choses présentes pour servir uniquement son Seigneur, assuré d’avoir la gloire du siècle à venir pour récompense.

J’ai voulu vous faire voir ce tableau avant toutes choses, parce que l’original est le seul à qui le Seigneur de la cité céleste ait donné le pouvoir d’être votre escorte dans tous les endroits périlleux que vous aurez à passer. C’est pourquoi prenez bien garde à ce que je viens de vous montrer, et conservez fidèlement dans votre mémoire ce que vous avez vu, de peur que dans votre voyage vous ne tombiez entre les mains de certaines gens qui se vanteront peut-être de vous bien conduire[5], mais dont les sentiers mènent à la mort.



  1. Qui se sont aperçus de ma conversion.
  2. Voyez, entre autres, l’histoire du brigand converti, de la pécheresse, de la femme adultère, et du péager qui s’en retourna justifié.
  3. Cette personne est ainsi appelée parce qu’elle expliquait les différentes figures et allégories qu’on va trouver. Il nous fait aussi ce don pour comprendre pleinement l’Écriture sainte.
  4. Renoncement entier au monde.
  5. De faux docteurs, des pasteurs mondains, des chrétiens de nom.