Livre:Étude sur l’Apocalypse/Chapitre 6
Nous arrivons maintenant à l’ouverture des sceaux. Le chapitre 6 les présente tous, sauf le septième qui est l’introduction aux trompettes, et se trouve au commencement du chapitre 8.
Les mots « et vois » qui, dans les versets 1, 3, 5, 7, se trouvent après le mot « viens », n’existent pas dans les meilleurs manuscrits. La différence, qui n’est pas sans importance pour le sens, consiste en ce que l’expression « viens et vois », s’adresserait à Jean, tandis que le mot « viens » est l’appel adressé par les animaux aux cavaliers. Cherchons maintenant quelle est la signification des diverses visions introduites par l’ouverture de chacun des sceaux.
« Et je vis : et voici un cheval blanc, et celui qui était assis dessus ayant un arc ; et une couronne lui fut donnée, et il sortit en vainqueur et pour vaincre ».
Telle est la réponse à l’appel. Le premier cavalier s’avance avec tous les traits qui indiquent la prospérité, la victoire, et les conquêtes lointaines. Voilà ce que l’Esprit de Dieu mentionne comme survenant d’abord dans le monde, après l’immense changement que nous avons vu avoir lieu dans le ciel. Un puissant conquérant apparaît ici-bas. On a cherché à appliquer cette vision à un grand nombre de personnes et de choses ; on y a vu le triomphe de l’évangile, le retour de Christ et, tout aussi souvent, les succès passagers de l’Antichrist. Mais ce que nous pouvons recueillir avec certitude de ce qui est dit ici, c’est que Dieu se sert, comme instrument, d’un conquérant qui balaiera tout devant lui.
Ce n’est pas nécessairement en versant beaucoup de sang. Bien que le cheval indique toujours un pouvoir impérial qui subjugue, et que le cheval blanc en particulier soit le symbole de la victoire, il semble que, dans ce cas, ce soit sans grande effusion de sang. Les mesures sont si bien prises et ont un tel succès, le nom lui-même du vainqueur a un tel poids que sa carrière n’est de fait qu’une succession de conquêtes, sans impliquer nécessairement le carnage des combats.
Il n’en est pas de même du cavalier qu’amène l’ouverture du second sceau. Celui-là est monté sur un cheval roux, couleur qui indique le carnage, le sang répandu dans les guerres. Le cavalier lui-même reçoit pour mission d’ôter la paix de la terre, une grande épée lui est donnée, et le grand fait qui apparaît c’est que les hommes s’entr’égorgent, ce qui semblerait indiquer même des guerres civiles.
À l’ouverture du troisième sceau, apparaît un cheval noir, la couleur du deuil. Alors se fait entendre une voix disant : « Une mesure de froment pour un denier, et trois mesures d’orge pour un denier ». Quoiqu’il soit difficile de déterminer quelle était la valeur des subsistances à l’époque où Jean vivait, et que les opinions les plus diverses aient été émises à ce sujet, il me paraît évident que le prix indiqué marque la disette. Ce qui tranche d’ailleurs pleinement la question, c’est la couleur du cheval. Le deuil conviendrait étrangement à une époque d’abondance ou simplement ordinaire ; combien au contraire n’est-il pas à propos quand les choses les plus indispensables à la vie viennent à manquer ?[1] C’est là ce que la Parole de Dieu montre clairement à tout esprit simple et soumis. Les plus illettrés, qui n’ont pas la moindre idée de ce que pouvait être le prix des denrées au temps de Jean, voient tout de suite ce qu’a de significatif la couleur noire du troisième cheval, en contraste avec les couleurs des deux premiers, et par conséquent lient l’idée qu’elle exprime avec tout ce qui est dit relativement à celui qui monte le cheval.
Quand le quatrième sceau est ouvert, Jean voit s’avancer un cheval livide ; c’est la couleur que la mort imprime sur ceux qu’elle a frappés. Aussi celui qui le monte se nomme-t-il « la mort » ; le hadès suivait avec lui. La signification du symbole est claire ; les paroles qui suivent ne font que la présenter avec plus de force : « Il lui fut donné pouvoir sur le quart de la terre, pour tuer avec l’épée, et par la famine, et par la mort (la mortalité, la peste, peut-être), et par les bêtes sauvages de la terre ». Ce sont les quatre plaies mortelles de l’Éternel (Éz. 14, 21).
Le cinquième sceau étant ouvert, nous voyons sous l’autel « les âmes de ceux qui avaient été égorgés pour la parole de Dieu et pour le témoignage qu’ils avaient rendu ». Elles criaient à haute voix, demandant vengeance au maître souverain. Leur droit, la justice de leur cause est reconnue devant Dieu, c’est ce qu’indique la robe blanche qui leur est donnée ; mais il faut qu’elles attendent : il en est d’autres, leurs compagnons de service et leurs frères, qui devaient aussi être mis à mort avant que ne vînt le jour de la rétribution.
L’immense convulsion qui ébranle le monde après l’ouverture du sixième sceau, est, à mon avis, une réponse partielle au cri des âmes qui étaient sous l’autel. Plusieurs pensent qu’il s’agit là de chrétiens, mais si nous regardons de plus près ce passage, nous verrons qu’il confirme, au contraire, le fait que l’Église a été enlevée au ciel avant ces événements. « Jusques à quand, ô Souverain, saint et véritable, ne juges-tu pas et ne venges-tu pas notre sang sur ceux qui habitent sur la terre ? ». Voilà le cri de ces âmes. Est-ce là un désir, est-ce là une prière en harmonie avec la grâce qui nous est révélée par l’évangile ? À moins d’être sous l’empire de quelque prévention, aucun de ceux qui ont saisi la portée générale du Nouveau Testament, et compris les prières spéciales qui nous y sont rapportées par le Saint Esprit pour notre instruction, n’aura de peine à répondre. Que l’on se rappelle seulement la prière d’Étienne et celle de notre bien-aimé Seigneur, le modèle de tout ce qui est parfait. Il est vrai que nous trouvons dans d’autres parties des Écritures des prières analogues à celles des âmes sous l’autel, mais c’est dans les Psaumes. Tout devient ainsi parfaitement clair. Le Nouveau Testament nous fait voir que telles ne peuvent être les prières d’un chrétien, et, d’un autre côté, l’Ancien Testament montre que telles étaient précisément les supplications de personnes dont les sentiments, les expériences et les désirs se fondaient sur des espérances israélites.
Cela ne s’accorde-t-il pas exactement avec ce qui a déjà été prouvé, savoir, que les saints célestes[2], ayant été glorifiés, auront passé en dehors de la scène de ce monde ? Alors Dieu agira pour former un nouveau témoignage, qui aura naturellement son caractère particulier ; non en ce qu’il annulera les faits du Nouveau Testament, mais en ce qu’il conduira les âmes des saints plus particulièrement dans ce qui a été révélé autrefois, parce que Dieu sera alors sur le point de l’accomplir. Le grand thème de l’Ancien Testament quant aux temps à venir, c’est la terre bénie sous le gouvernement des cieux, Christ étant le Chef ou la Tête, tant des choses qui sont dans les cieux, que de celles qui sont sur la terre. Le temps approche où Dieu interviendra à cet effet. La terre, et Israël, le peuple terrestre, ainsi que les nations, jouiront alors ici-bas des joies du ciel. Voilà ce qu’attendent ces âmes, et leur prière nous montre à la fois leur condition et leurs espérances. Elles demandent, non la conversion de leurs ennemis, mais que les jugements viennent sur la terre, et que la vengeance tombe sur ceux qui ont versé leur sang. Rien de plus simple et de plus sûr que la conclusion que nous pouvons tirer de ces paroles.
« Et il leur fut dit qu’ils se reposassent encore un peu de temps, jusqu’à ce que, et leurs compagnons d’esclavage et leurs frères qui devaient être mis à mort comme eux, fussent au complet ». Nous avons dans ces dernières paroles une indication importante de ce qui aura lieu dans la suite, comme nous le verrons. Ils ne sont pas les seuls fidèles qui souffriront une fin violente ; d’autres les suivront plus tard, lorsque éclatera une persécution encore plus furieuse que celle dans laquelle eux-mêmes ont péri. Jusque-là Dieu n’exécutera pas le jugement que leurs cris appellent. Ils doivent attendre et sont vus sous l’autel comme un sacrifice offert, dans le même sens que Paul parle de lui-même comme servant déjà de libation (2 Tim. 4, 6).
Dans cette vision, pleine pour nous d’instructions claires et importantes, nous voyons donc la dernière aussi bien que la première des persécutions de la période apocalyptique. Ceux qui souffriront dans celle-ci nous sont montrés comme des enfants de Dieu qui ont l’intelligence de ce qui convient à Israël, mais qui ne se trouvent évidemment pas sur le terrain de l’intelligence et de la foi chrétiennes. Ils ont l’esprit de prophétie qui rend témoignage de Jésus. Le jugement qu’ils demandent tarde encore à venir, mais seulement jusqu’à ce que, la dernière manifestation de la rage de l’homme apostat ayant eu lieu, le Seigneur apparaisse et abatte tous Ses ennemis.
En même temps, ainsi que nous l’avons dit en passant, ce qui arrive quand le sixième sceau est ouvert montre que Dieu ne reste pas indifférent. Ce que le prophète voit alors est comme une réponse immédiate au cri des âmes de ceux qui avaient souffert. Une vaste secousse a lieu, un ébranlement complet de tout ce qui est ici-bas et au-dessus ; mais, de même que dans les sceaux précédents, il faut l’entendre symboliquement : « Le soleil devint noir comme un sac de poil, et la lune devint tout entière comme du sang ; et les étoiles du ciel tombèrent sur la terre, comme un figuier agité par un grand vent jette loin ses figues tardives. Et le ciel se retira comme un livre qui s’enroule, et toute montagne et toute île furent transportées de leur place ». Nous avons là simplement ce qui apparaît devant le voyant dans la vision, mais nous n’avons pas à supposer que, lors de l’accomplissement de la prédiction, le ciel et la terre seront physiquement jetés dans un état de confusion. Ce sont des figures, et nous avons à examiner, par l’usage symbolique qui en est fait ailleurs, ce qu’il faut entendre ici par ces changements qui, dans la vision, ont lieu dans le soleil, la lune et les étoiles, et sur la terre. Le résultat auquel nous arriverons dépendra de l’application exacte que nous ferons des Écritures, sous l’enseignement du Saint Esprit.
Remarquons d’abord les paroles qui suivent. Il nous y est clairement dit et non en figures que « les rois de la terre, et les grands, et les chiliarques, et les riches, et les forts, et tout esclave, et tout homme libre, se cachèrent dans les cavernes et dans les rochers des montagnes » ; il est évident que, si littéralement le ciel a disparu et s’est retiré comme un livre qui s’enroule, si toute montagne et toute île ont été transportées de leur place, les diverses classes d’hommes terrifiés ne peuvent pas chercher d’abri dans les cavernes et les rochers, et dire aux montagnes : « Tombez sur nous ». Ainsi, prendre ces termes autrement que symboliquement, ce serait contredire la fin du passage par le commencement. Le prophète, il est vrai, voit les astres obscurcis et ébranlés dans le ciel, il voit, sur la terre, la confusion et le désordre ; mais la signification de ce qu’il voit doit être cherchée suivant les principes ordinaires de l’interprétation. À mon sens, on a ici la représentation d’un complet bouleversement de toute autorité, supérieure ou subordonnée ; une convulsion sans exemple dans toutes les classes de l’humanité, convulsion dont l’effet est de renverser tous les fondements du pouvoir et de l’autorité dans le monde, et de remplir l’esprit des hommes de la crainte que le jour du jugement ne soit arrivé.
À la vérité, ce n’est pas la première fois que cette crainte aura saisi le monde ; mais, cette fois, elle sera plus forte que jamais. Après la meurtrière persécution exercée contre les saints qui viendront après nous sur la terre, les pouvoirs persécuteurs et ceux qui leur sont soumis seront visités judiciairement, et il s’ensuivra une rupture complète de l’autorité dans toutes les sphères où elle s’exerce sur la terre. Les gouvernants ayant mal usé de la puissance placée entre leurs mains, on verra éclater une révolution sur une vaste échelle, et les hommes, saisis de terreur en voyant le renversement total de tout ce qui est établi pour maintenir l’ordre ici-bas, penseront que le jour du Seigneur est venu. Ils diront aux montagnes et aux rochers : « Tombez sur nous et tenez-nous cachés de devant la face de celui qui est assis sur le trône et de devant la colère de l’Agneau ; car le grand jour de sa colère est venu, et qui peut subsister ? ». Mais rien ne peut justifier la méprise qui consiste à prendre pour une déclaration de Dieu, ce qui n’est autre chose que l’expression de la frayeur des hommes. Ce sont eux qui s’écrient que le grand jour de Sa colère est venu ; c’est l’exclamation que poussent ces multitudes alarmées ; mais le fait est que le grand jour de la colère de Dieu n’arrive que très longtemps après, comme le prouve l’Apocalypse elle-même, lorsqu’elle le décrit dans les chapitres 14 ; 17, et surtout dans le dix-neuvième. Alors, au contraire, au lieu d’être remplis d’épouvante, les hommes de ce monde seront si aveuglés et remplis d’un si épouvantable orgueil, qu’ils combattront ouvertement contre l’Agneau ; mais l’Agneau les vaincra. Satan aura réussi à détruire leurs craintes, alors qu’ils auront le plus sujet de redouter le jugement.
- ↑ D’autres détails pourront être bons à relever dans la vision. Le mot traduit par mesure (choinix) indiquait la ration d’un homme. Le denier était le salaire d’une journée. Il fallait donc pour la nourriture seule d’un homme tout le salaire d’un jour de travail. De plus la balance, dans ce cas, est aussi un symbole de disette (voyez Lév. 26, 26 ; Éz. 4, 16) ; et enfin le fait qu’il est dit : « Ne nuis pas à l’huile ni au vin », montrant que les autres produits de la terre avaient été frappés. (NdT)
- ↑ Remarquons que, par cette expression, il ne faut pas entendre ceux qui sont dans le ciel, mais les saints dont l’appel et le but sont célestes, c’est-à-dire les chrétiens en contraste avec les saints juifs.