Livre:Voyage du chrétien vers l’éternité bienheureuse/Chapitre 24

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Le Chrétien et l’Espérant furent bientôt hors de leur vue, et arrivèrent dans un endroit très riant nommé le Lieu agréable, où ils marchaient avec une grande satisfaction ; mais il était de petite étendue, et ils l’eurent bientôt passé. De l’autre côté de cette plaine était situé un coteau qu’on nomme le Gain, où il y a des mines d’argent qui, par leur attrait, avaient autrefois détourné plusieurs voyageurs du droit chemin ; et comme ils s’étaient trop approchés[1], le terrain s’était éboulé sous leurs pieds (car il est fort trompeur), et ils y avaient péri misérablement. Cet incident se renouvelle encore tous les jours. D’autres y sont devenus tout perclus[2], sans pouvoir se remuer pendant tout le reste de leur vie.

Alors je vis aussi, au côté droit, un peu au-dessus de la mine, un homme nommé Démas (2 Tim. 4, 10), homme de distinction, qui criait aux passants de monter par là, et d’examiner un peu l’endroit. — Holà ! holà ! cria-t-il au Chrétien et à l’Espérant, venez ici : je vous montrerai des choses qui vous feront plaisir.

Le Chrétien. — Quelles sont ces choses, pour mériter que nous nous détournions de notre route ?

Démas. — C’est une mine d’or et d’argent : si vous voulez passer ici, vous pourrez vous enrichir sans beaucoup de peine.

L’Espérant. — Hé ! mon ami Chrétien, allons-y un peu.

Le Chrétien. — Je n’en ferai rien ; j’ai ouï dire beaucoup de choses de ce lieu-là. On dit qu’un grand nombre de gens y ont péri. Les richesses sont des pièges pour ceux qui les recherchent ; elles sont un obstacle dans le voyage.

Alors le Chrétien cria à Démas : — Ce lieu n’est-il pas dangereux, et n’a-t-il pas détourné plusieurs pèlerins de leur voyage ?

Démas. — Point du tout, sinon quelques étourdis (et, en disant cela, il rougissait de honte).

Le Chrétien. — Frère Espérant ! croyez-moi, ne nous détournons pas d’un pas, mais suivons droitement notre sentier.

L’Espérant. — J’ose bien assurer que si le Temporiseur passe par ici, et qu’il soit sollicité comme nous, il ira voir ce qui en est.

Le Chrétien. — Cela ne serait pas surprenant, et il ne ferait que suivre ses principes ; mais il y a toutes les probabilités qu’il y ferait une chute mortelle.

Démas. — Mais, encore une fois, ne voulez-vous pas venir ici ?

Le Chrétien. — Vous êtes, pour vous le dire nettement, un ennemi des voies du Seigneur, et vous avez déjà été jugé par un des juges de sa Majesté à cause de votre révolte. Pourquoi tâchez-vous de nous attirer dans la même condamnation ? Ah ! si nous nous retirions des voies de notre Roi, Il le saurait bientôt et nous confondrait en un moment. Nous voulons Lui conserver nos cœurs libres et constants.

Démas. — Je suis aussi de votre société ; et si vous voulez seulement attendre un peu ici, jusqu’à ce que j’ai amassé quelques pièces de cette mine, j’irai avec vous.

Le Chrétien. — Quel est votre nom ? Ne vous appelez-vous pas comme je viens de vous nommer ?

Démas. — Oui, mon nom est Démas ; je suis enfant d’Abraham.

Le Chrétien. — Vous êtes enfant de Judas, et vous marchez sur ses traces. Votre père a été pendu comme un traître et vous n’avez pas mérité un moindre supplice. Soyez assuré que nous rapporterons tout fidèlement à notre Roi, lorsque nous serons en Sa présence.

C’est ainsi qu’ils passèrent leur chemin. Cependant ils virent derrière eux le Temporiseur et ses compagnons, qui, à la moindre œillade de Démas, s’en allèrent tout droit à lui. Je ne saurais dire au sûr s’ils trébuchèrent dans la fosse, ou s’ils descendirent pour travailler à la mine, ou enfin s’ils y furent étouffés par les vapeurs qui s’en élèvent continuellement ; mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils ne reparurent plus dans tout le reste du chemin.

Tout ceci donna lieu au Chrétien et à l’Espérant de chanter ce cantique :

Un jour l’exécrable Démas
Vint au-devant d’un homme peu fidèle :
À peine paraît-il avec ses faux appas,
Que ce malavisé court où Démas l’appelle.

Séduit par l’éclat des faux biens,
Il quitte Dieu pour des idoles vaines ;
Et son âme se livre aux funestes liens
Du tyran infernal qui l’accable de chaînes.

Funeste exemple du courroux
Qu’exercera le monarque suprême
Sur ceux qui n’ont suivi Jésus, ce chef si doux,
Que pour des biens trompeurs, et non pas pour Lui-même !

Or, nos pèlerins ayant suivi leur route sans se détourner, arrivèrent dans un lieu où se trouvait un ancien monument fort près du grand chemin, et qui leur causa à l’un et à l’autre une grande surprise ; il ressemblait à une femme changée en colonne. Les deux amis s’y arrêtèrent longtemps pour l’examiner de tous côtés, ne sachant ce que cela pouvait être. Enfin l’Espérant aperçut sur le front de cette espèce de statue une inscription en caractères fort antiques, et très usés ; comme il n’était pas lettré, il appela le Chrétien, qui avait plus de connaissances que lui, pour essayer de déchiffrer cette inscription et d’en comprendre le sens. Celui-ci, après en avoir rassemblé les lettres, lut ces mots : « Souvenez-vous de la femme de Lot » (Luc 17, 32) ; ce qui leur fit conclure que c’était là la statue de sel en laquelle cette femme fut changée lorsqu’elle se retourna du côté de Sodome, où elle avait laissé son cœur (Gen. 19, 26). Ce spectacle effrayant amena la conversation suivante :

Le Chrétien. — Ah ! mon frère, que ce spectacle nous est bien présenté à propos ! Après avoir été sollicité par Démas à visiter le coteau du Gain, si nous y étions allés comme vous y aviez du penchant, je crois bien que nous y aurions été mis en montre nous-mêmes, aussi bien que cette femme, pour servir d’exemple à ceux qui viendraient après nous.

L’Espérant. — J’ai bien du regret d’avoir été si insensé ; et je suis surpris moi-même de ce que je n’ai pas eu le sort de cette femme ; car quelle différence y a-t-il entre elle et moi ? Elle se retourna, et moi je désirais aller. Ah ! que ne puis-je recourir à la grâce de Dieu avec une profonde confusion, après avoir été capable de concevoir une telle pensée dans mon cœur !

Le Chrétien. — Remarquons bien ce que nous venons de voir, afin que cela nous serve pour l’avenir. Cette femme avait échappé à un grand malheur, et elle tomba dans un autre. Elle n’avait point péri avec Sodome, mais elle périt par un autre accident.

L’Espérant. — Il est vrai, elle nous sert d’avertissement et d’exemple : d’avertissement, afin que nous évitions de tomber dans le même péché ; d’exemple, pour nous apprendre quelle condamnation nous avons à attendre, si nous n’en profitons pas. C’est ainsi que Coré, Dathan et Abiram, avec les deux cent cinquante hommes qui périrent avec eux, furent en avertissement et en exemple (Nomb. 16). Mais je m’étonne d’une chose : Comment Démas et ses compagnons peuvent-ils être si hardis que de rechercher ainsi les trésors du siècle, ayant devant les yeux, sans qu’ils puissent presque éviter de le voir, l’exemple de cette femme, qui ne fit simplement que se tourner du côté de ces faux biens ? Car nous ne lisons pas qu’elle eût encore fait un seul pas pour les aller chercher, et cependant elle a subi un jugement si sévère !

Le Chrétien. — C’est en effet une chose bien surprenante, et qui fait bien voir que ce sont des gens désespérément malins. Je ne sais à qui je pourrais mieux les comparer qu’à ces voleurs qui coupent la bourse aux autres en la présence du juge et jusque sous le gibet. Il est dit des hommes de Sodome qu’ils étaient de grands pécheurs (Gen. 13, 13), parce qu’ils avaient péché en la présence du Seigneur et nonobstant les bienfaits qu’Il avait répandus sur eux (car le pays de Sodome était comme un jardin délicieux). C’est ce qui réveilla Sa jalousie et qui attira sur eux le feu de Sa colère. D’où l’on peut conclure avec une entière certitude que ceux qui pècheront de même à la vue et au mépris de tous les exemples pareils qui leur sont mis continuellement devant les yeux pour leur servir d’avertissement, auront à essuyer tôt ou tard les jugements les plus terribles.

L’Espérant. — Toutes ces choses sont la vérité même ; il n’y a là-dessus aucun doute. Et quelle grâce que ni vous ni moi n’ayons servi d’un pareil exemple aux autres ! Cela doit bien nous engager à louer Dieu et à Le craindre sans cesse, en nous souvenant toujours de cette femme de Lot.

Comme ils s’entretenaient ainsi, ils arrivèrent près d’un agréable ruisseau que David appelle le ruisseau de Dieu[3], et Jean les vives fontaines des eaux (Apoc. 7, 17). Comme leur chemin les conduisait tout droit le long des bords de ce ruisseau[4], ils marchaient avec un grand plaisir. Ils burent aussi de l’eau du ruisseau, qui les fortifia merveilleusement et ranima leurs esprits abattus. De l’autre côté du ruisseau, il y avait, assez près du bord, toutes sortes d’arbres verdoyants dont les feuilles sont propres à nourrir et à rafraîchir les voyageurs lorsque leur sang est échauffé par la fatigue. Elles sont bonnes dans tous les cas. Auprès du ruisseau il y avait encore une prairie fort riante, semée de lis d’une beauté ravissante, et qui conservaient leur verdure toute l’année. Ils s’y couchèrent et s’y endormirent, car ils pouvaient s’y reposer en toute sûreté. À leur réveil, ils amassèrent et mangèrent encore quelques fruits de ces arbres, et burent de l’eau rafraîchissante du ruisseau. C’est ainsi que nos voyageurs se reposèrent et se délassèrent agréablement pendant plusieurs jours, chantant ensemble ce qui suit :

Heureux séjour, charmantes rives,
Sources d’eaux brillantes et vives,
Arbres féconds, chargés de fruits dont les vertus
Restaurent l’âme languissante,
Et dont l’efficace puissante
Ranime les sens abattus !

Aimables lieux ! qui peut décrire
Les charmes qu’en vous on admire !
Heureux qui peut jouir de vos divins attraits !
Heureux qui, fuyant tous les vices,
Dans ce paradis de délices
Boivent les plaisirs à longs traits !

Et quand ils furent prêts à continuer leur voyage (car ils ne l’avaient pas encore fini), ils mangèrent et burent encore avant de partir ; après quoi ils quittèrent ce lieu délicieux.



  1. Il ne faut pas même laisser approcher la tentation.
  2. Toute leur force, leur zèle, leur vie intérieure se sont éteints et ont été comme paralysés par l’amour des richesses ou du monde.
  3. Ps. 65, 9. Ce ruisseau, et en général tout ce charmant paysage par lequel il est donné à nos deux voyageurs de passer et même de séjourner, représente quelques-uns de ces moments de vive joie que Dieu envoie de temps en temps à Ses fidèles, au milieu de leurs nombreuses épreuves.
  4. Il y a des jouissances qui sont défendues, mais il y en a d’autres qui se trouvent directement dans le chemin du vrai christianisme.