Livre:Jonas, fils d’Amitthaï (E.G.)/Sort final de Ninive

De mipe
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Nous avons envisagé notre texte sous son côté moral ; il nous reste à le considérer au point de vue symbolique ; c’est ce que nous ferons dans la prochaine méditation qui sera aussi la dernière ; consacrons celle-ci à dire en peu de mots ce que devint Ninive et l’empire Assyrien.

Ninive est donc sauvée, sauvée pour le moment ; sa repentance a pour un temps éloigné d’elle l’orage qui la menaçait. Le jour de la clémence divine luit et luira sur elle assez longtemps encore. Toutefois avant qu’un fort grand nombre d’années se soient écoulées, elle aura oublié le Dieu de Jonas, et repris la vieille route de ses égarements. Alors tombera sur elle la juste indignation « du Dieu des vengeances » ; et sa ruine, pour avoir été différée, n’en sera que plus terrible. Rappelons sommairement ses destinées depuis l’apparition de Jonas dans ses murs, jusqu’au jour de sa complète destruction.

C’était probablement Pul, avons-nous dit, qui régnait à Ninive à l’époque où Jonas y parut. À Pul va succéder Tiglath-Piléser ; à celui-ci Shalmanéser, qui prendra Samarie et fera cesser le royaume d’Éphraïm ; après Shalmanéser viendra Sankhérib. Ce fut sous le règne de ce dernier prince que les Assyriens parvinrent au faîte de leur grandeur. Leur empire s’étendait alors des belles et hautes montagnes d’Assur, et de ses plaines fertiles, jusqu’aux rives de la mer Caspienne et du golfe Persique, à l’orient ; et jusqu’à celles de la grande mer, à l’occident : position unique peut-être sous le double rapport de la puissance politique et du commerce. Samarie, comme on l’a dit, avait déjà succombé sous les armes d’Assur. La possession de Jérusalem et de Juda semblait le complément naturel et nécessaire de la prise de Samarie. En conséquence, Sankhérib se met en marche contre la cité de Dieu.

En ce temps-là vivait Ésaïe. Il venait de prononcer cette terrible parole : « J’enverrai Assur contre la nation hypocrite ; je le dépêcherai contre le peuple de ma fureur, afin qu’il fasse un grand butin et un grand pillage, et qu’il le foule comme la boue des rues ». Mais, en même temps que l’humiliation de son peuple, le prophète avait annoncé, de la part de Dieu, le châtiment et la ruine de l’Assyrien : « Malheur à Assur, la verge de ma colère !… Car après que le Seigneur aura achevé toute son œuvre dans la montagne de Sion et à Jérusalem, j’examinerai le fruit de l’élévation du cœur du roi d’Assyrie, et la gloire de la fierté de ses yeux ». Déjà maître de la plupart des villes de Juda, Sankhérib, ou plutôt son lieutenant Rab-Shaké, arrive avec de grandes forces sous les murs de Jérusalem, précédé de l’anathème de Dieu. Il prépare contre elle ses machines de guerre. Mais au moment où, le cœur enflé de ses prodigieux succès, il croit saisir une proie facile, au moment où il se flatte de « faire à Jérusalem et à son Dieu comme il avait fait à Samarie et à ses idoles » ; à cette même heure, il voit son armée tomber comme un seul homme sous le glaive de l’ange exterminateur. Alors se réalisa l’oracle d’Ésaïe : « Assur tombera par l’épée », qui ne sera point l’épée « d’un homme » ; une « épée qui ne sera point celle d’un homme le dévorera » ; — alors s’accomplit de même cette autre parole du fils d’Amots : « La lumière d’Israël sera un feu, et son saint sera une flamme, qui embrasera les épines et les ronces d’Assur tout en un jour, et consumera la gloire de son Carmel… Le reste des arbres de sa forêt sera si facile à compter qu’un enfant pourra les mettre en écrit » (És. 10 ; 31 ; 36).

L’Éternel avait dit à Assur, à ce flot destructeur, à ce torrent débordé (És. 8) : « Tu viendras jusqu’ici, mais tu n’iras pas plus loin ! ». Le coup avait été terrible ; la plaie était profonde ; toutefois elle n’était point incurable. Ninive était encore dans la plénitude de sa grandeur et pouvait, d’un instant à l’autre, envoyer contre Jérusalem de nouvelles armées. C’était toujours la grande cité de la terre, le rendez-vous général des peuples, le centre du commerce du monde entier. Riches par leur négoce, ses enfants ne l’étaient pas moins par leurs violences et leurs déprédations : vraie famille de lions qui répandaient l’effroi tout autour d’eux et remplissaient à plaisir leur antre du fruit de leurs sanglantes rapines (Nah. 2 et 3).

Jusqu’ici les châtiments de Dieu ne l’avaient point corrigée. Ses « iniquités » continuaient de « monter devant Lui ». Avant de frapper un dernier coup, Il veut donner un dernier avertissement. Déjà le fils d’Amots lui avait implicitement annoncé, de la part de l’Éternel, un châtiment irrévocable et final. Dieu voulut qu’un autre prophète le lui dénonçât expressément, et en signalât tout au long les circonstances. Ce fut la tâche dévolue à Nahum Elkoshite. Il avait ceci de commun avec Jonas qu’il était Éphraïmite d’origine, et que sa prophétie avait aussi pour unique objet Ninive ; toutefois avec cette différence qu’elle annonçait, disions-nous, la subversion complète, certaine et immuablement arrêtée, de la ville qui régnait sur les rois de la terre.

Le début en est sinistre. « Dieu est jaloux. Jéhovah est vengeur ; il a la fureur à son commandement. Jéhovah se venge de ses adversaires et la garde à ses ennemis. Jéhovah est lent à la colère ». Néanmoins Il ne « tient nullement le coupable pour innocent ». On se rappelle que cette dernière parole termine et complète le nom de l’Éternel (Ex. 34) ; or, comme on le voit, elle se rapporte à Sa justice. Ceci est de fâcheux augure pour Ninive. L’orage que ses iniquités avaient lentement amassé sur la grande ville gronde dans le lointain, monotone et terrible, et va fondre sur elle et l’écraser. Au temps de la longanimité de Dieu, doit succéder enfin celui de Son courroux. Or, Sa puissance pour punir le péché égale la haine qu’il Lui inspire. Ici vient une brève et magnifique description du pouvoir de Dieu dans la création, description naturellement suivie de cette solennelle exclamation : « Qui subsistera devant l’indignation du Tout-puissant et tiendra ferme devant l’ardeur de sa colère ! ». C’est Lui, Lui-même, en effet, qui s’avance contre Ninive. Malheur à qui provoque Son courroux ! Heureux, au contraire, qui met en Lui son assurance : car « Jéhovah est bon ; il est une forteresse au temps de l’angoisse, et il connaît ceux qui se réfugient vers Lui » ! Douce et précieuse parole, bien propre à rassurer les Juifs pieux que devaient naturellement alarmer les invasions successives du formidable Assur.

Le prophète revient ensuite sur le jugement qui doit frapper Ninive, et le peint sous les images les plus impressives et les plus sombres. C’est une trombe, c’est un débordement d’eau qui renverse et abat tout ce qu’il trouve sur son passage ; c’est l’obscurité des ténèbres, c’est la flamme qui dévore la paille desséchée. « La détresse n’y reviendra pas une seconde fois ».

Mais avant de se lever pour briser la ville, l’Éternel, instruisant son procès, lui remet devant les yeux la longue série de ses iniquités. C’est d’elle qu’est sorti Tiglath-Piléser, Shalmanéser contre Israël, Sankhérib contre Juda ; c’est d’elle que sont sortis ces conquérants audacieux qui ont « projeté du mal contre Jéhovah et conçu le méchant dessein » de détruire le peuple et le culte du vrai Dieu. On ne porte pas impunément la main sur ceux que l’Éternel aime ; on ne rabaisse pas impunément le Dieu vivant au niveau des divinités impures qu’enfante le cœur de l’homme, comme l’avait fait Rab-Shaké au nom de Sankhérib ; Ninive doit tomber. Tel est le premier grief que Nahum met en avant contre elle, et le premier motif qu’il indique de sa ruine complète et définitive.

Il en est d’autres qu’il exposera plus bas. Ce sont les idolâtries de la métropole assyrienne. Ce sont aussi ses rapines. Oui, ses rapines ; voilà comme Dieu, dans Son langage, nomme ce que nous appelons conquêtes dans le nôtre ; les conquérants sont, à Ses yeux, des bêtes féroces qui emportent dans leurs tanières leur proie pour la dévorer plus à l’aise. Ce qui allume le courroux divin contre Ninive, c’est encore la corruption de ses mœurs ; ce sont toutes les séductions que la cité marchande, la grande prostituée d’alors, la paillarde gracieuse, exerçait sur tous les peuples du monde civilisé.

Ninive, il est vrai, jouit à cette heure d’une paix profonde ; mais sa prospérité fera tout à coup place à la terreur et à la calamité. Au jour prochain de sa visitation, s’appuiera-t-elle sur la multitude de ses défenseurs ? Mais que peut le nombre contre Jéhovah ? « Ils seront certainement retranchés », dit l’Éternel.

Ici la prophétie prend une allure toujours plus rapide. L’Éternel, se tournant tout à coup vers Éphraïm ou vers Juda, lui dit avec amour : « Or, je t’ai affligé, mais je ne t’affligerai plus ; je romprai le joug » dont l’Assyrien te chargeait, « et je briserai tes liens ». Puis, revenant à Assur : « L’Éternel a donné des ordres contre toi », lui dit le prophète ; « ton nom ne passera point à d’autres, etc. ». Et ce n’est pas seulement une fois, c’est jusqu’à trois ou quatre fois, que la miséricorde du Seigneur envers Son peuple alterne avec Ses vengeances contre Ninive, dans la courte et sublime prophétie de Nahum.

Avec le verset 15 du chapitre premier commence la description de la ruine de Ninive, description qui remplit ensuite tout le chapitre second. Aux yeux du prophète, cette ruine est déjà consommée ; déjà apparaissent sur les montagnes les messagers qui en portent la bonne nouvelle à Jérusalem, et convient la cité sainte à « célébrer ses fêtes solennelles et à rendre ses vœux » au Puissant de Jacob, son glorieux Libérateur.

Mais l’exécuteur des jugements de Dieu, le Mède, s’avance ; le drame s’anime, l’action va s’engager. Le prophète avertit Ninive du danger qui l’attend ; il l’encourage ironiquement à organiser sa défense ; car le moment est venu où l’Éternel va briser enfin l’instrument dont Il s’était si longtemps servi pour abaisser et châtier Son peuple. Bientôt le destructeur enveloppe la cité reine, puis l’étreint de ses bras vigoureux. Ses chariots de guerre armés de faux étincellent au soleil ; les lances frémissent dans les mains de ses fiers soldats, couverts de boucliers resplendissants. Ninive, jusqu’alors plongée dans une complète sécurité, Ninive est tout à coup saisie d’effroi. Dans toutes ses rues, sur toutes ses places, les chars s’élancent en désordre et s’entre-heurtent violemment. Cependant le roi se rassure à la pensée de ses guerriers qui se précipitent vers les remparts. Mais la brèche est pratiquée, « les portes du fleuve sont ouvertes », et « le palais » royal « est détruit ».

Quel tableau, quelle scène ! On croit assister au siège et à la prise de la cité. Ninive, sous la figure d’une reine emmenée en captivité, apparaît au milieu de ses suivantes, les autres villes de l’empire, qui gémissent comme des colombes et se frappent la poitrine. Et cependant Ninive regorgeait d’habitants. Mais ils fuient. — Arrêtez-vous, arrêtez-vous, leur crie-t-elle. — Nul ne se retourne. La ville est tout entière au pouvoir des ennemis. « Pillez l’argent, pillez l’or, leur dit le prophète ; car ses trésors ne se peuvent compter ; ses vases précieux sont de toute espèce ». Elle est vidée, elle est revidée, elle est toute épuisée, s’écrie-t-il encore ; tous les cœurs se fondent, tous les genoux se heurtent les uns contre les autres, tous les reins chancellent ; la pâleur de la mort est sur tous les visages. Où est Ninive ? Qu’est devenu le gîte des lions, la tanière qu’ils remplissaient de proie, pour en rassasier leurs lionnes et leurs lionceaux ? Le repaire de sang et de carnage est détruit, détruit pour toujours.

La dernière partie de la prophétie (chap. 3) revient sur les causes de la ruine de Ninive. « Malheur à la ville de sang, pleine de tromperies, de violences, et où la rapine s’exerce continuellement ! ». Après cet acte d’accusation, dont chaque mot accable la cité, vient immédiatement l’exécution de la sentence. Le Mède, qui en est chargé, couvre de ses innombrables phalanges la riche plaine de Ninive, et serre de près la ville. Bientôt les portes lui en sont ouvertes. Nous voici tout à coup transportés au milieu de la mêlée. « Bruit du fouet, et bruit impétueux des roues, des chevaux qui s’élancent dans la bataille, des chariots de guerre qui roulent avec fracas. Cavaliers qui brandissent leurs armes ! Éclat des glaives ! Éclair des lances ! Cris des capitaines ! Multitude de blessés à mort et monceaux de cadavres ! ».

Et de nouveau, pourquoi toute cette désolation, pourquoi toute cette ruine ? À cause de la multitude des désordres de la belle prostituée, qui vend les nations par ses fornications et les familles par ses enchantements. « Voici, je viens contre toi, lui dit l’Éternel des armées ; je te dépouillerai de tes vêtements ; je manifesterai ta honte aux yeux des nations et ton ignominie devant les royaumes. Je ferai tomber sur ta tête la peine de tes abominations ; je te consumerai et te couvrirai d’opprobre. Et il arrivera que quiconque te verra s’éloignera de toi et dira : Ninive n’est plus ! Qui aura compassion d’elle ? Où te trouverai-je des consolateurs ? ». Il est bon de se rappeler dans quelles circonstances le prophète prononçait cette ode triomphale sur la chute de Ninive. C’était à Jérusalem, et pendant que la ville superbe était encore au faîte de sa grandeur. Quel affront pour la cité royale d’entendre ce petit peuple de Judée, que sans doute elle méprisait en son cœur, lui dénoncer en termes pareils une ruine irrévocable et pleine d’ignominie ! Quel affront de l’entendre s’écrier avec un aussi amer dédain : « Ninive n’est plus ! Qui aura compassion d’elle ? Où te trouverai-je des consolateurs ? ».

L’exemple de No-Amon (No, la populeuse, la fameuse Thèbes d’Égypte, la ville aux cent portes, qu’Homère avait chantée), l’exemple de No-Amon démontrait que la ruine de Ninive était possible. Cette ville, qui remontait aux premiers âges de l’histoire, avait elle-même été, pendant des siècles, le centre d’un commerce immense ; elle possédait, elle aussi, un fleuve pour rempart ; elle comptait d’innombrables alliés ; mais ni les secours de l’Égypte, de l’Éthiopie et de la Libye, ni ses propres ressources, ni la force de sa position, ni son antiquité, ni sa gloire, ne l’avaient préservée de la ruine et de la captivité. L’exemple de No, rappelé du verset 8 au verset 10, démontrait donc que la ruine de Ninive était possible ; et le verset 11 ajoutait qu’elle était certaine et que la cité d’Assyrie, comme celle d’Égypte, boirait à longs traits au calice de la colère de Dieu.

Mais la fin de Ninive viendra-t-elle du moins après une longue et glorieuse résistance ? Non, ses tours gigantesques tomberont sous la main de Dieu qui les ébranlera, comme tombent d’un figuier les fruits précoces dans la bouche de celui qui les veut manger. Tous les préparatifs de défense sont inutiles. En vain « puises-tu de l’eau » pour en remplir tes citernes de peur d’en manquer durant « le siège » ; en vain, cité coupable, « pétris-tu l’argile », pour en faire des briques et réparer les brèches de tes murs. « Tes portes seront ouvertes à tes ennemis ». Dans ton enceinte, dans ta propre enceinte, « le feu te consumera, l’épée te dévorera », comme la « sauterelle » dévore les champs. Toutes les richesses que tes marchands, « plus nombreux que les étoiles des cieux », ont si longuement et si laborieusement accumulées, périront en un moment. Tes princes, tes capitaines, tes gouverneurs te sauveraient-ils ? Ils dorment, tes pasteurs, ô roi d’Assur ! Ils dorment quand ils devraient veiller sur tes remparts ! Tes grands reposent dans leurs tentes ; ton peuple est dispersé sur les montagnes, et il n’y a personne qui le rassemble. Point de remède à ta blessure ; mortelle est ta plaie ; tous ceux qui ont appris ta ruine ont frappé des mains sur toi ; car « qui n’a pas continuellement ressenti les effets de ta méchanceté » ?

Ainsi parlait le prophète de la justice de Dieu ; ainsi tonnait sa noble voix contre la cité des nations, dans la cité de l’Éternel, sous le règne d’Ézéchias, et au moment où, déjà maître du royaume d’Israël, le fier Assur menaçait celui de Juda. Bien des années après l’Elkoshite, Sophonie, sous le règne du pieux Josias, lui dénonçait, dans le même langage, les mêmes anathèmes et les mêmes jugements de Dieu. « L’Éternel détruira l’Assyrie ; il mettra Ninive en désolation, il en fera un lieu aride comme un désert. Les troupeaux se reposeront au milieu d’elle ; toutes les bêtes des nations, même le cormoran, même le butor, habiteront dans ses portiques ; leur cri retentira aux fenêtres ; la désolation sera sur le seuil ; les cèdres seront découverts. C’est là cette ville orgueilleuse qui se tenait si assurée, qui disait en son cœur : Je suis ; il n’y en a point d’autre que moi. Comment a-t-elle été réduite en un désert, comment est-elle devenue le gîte des bêtes ? Quiconque passera près d’elle se moquera d’elle et battra des mains ».

Tel était l’irrévocable arrêt du ciel. L’heure marquée pour son accomplissement allait sonner. Ninive qui, la première, avait opprimé Israël et l’avait emmené captif, la première aussi, parmi les cités des Gentils, allait voir tomber sur elle les jugements du Dieu d’Éphraïm. Cent ans s’étaient à peine écoulés depuis la mort de Nahum, que déjà l’histoire avait de point en point réalisé la prophétie. La dominatrice des nations était couchée dans le sépulcre pour ne plus se relever. Il faut raconter maintenant par quels instruments le souverain pouvoir de Dieu effectua ce que Sa justice avait irrévocablement arrêté et Sa toute-science dès longtemps annoncé. Voici du moins ce que nous en a conservé l’histoire.

Un prince guerrier gouvernait la Médie qui faisait à ce moment partie du vaste empire des Assyriens. C’était Cyaxare. L’Éternel l’avait choisi pour exécuter ses décrets. Le peuple que commandait ce prince était un peuple belliqueux qui devait se rendre de plus en plus redoutable en Orient. À la tête des Mèdes, et de quelques tribus insurgées, Cyaxare lève l’étendard de la révolte. Le roi de Ninive, fier de victoires qu’il avait remportées, et se doutant peu de la grandeur et de l’imminence du péril qui le menaçait, le roi de Ninive se livre à une honteuse et fatale inertie, comme s’il eût pris à tâche d’accomplir les paroles de l’Elkoshite. Au lieu d’organiser une résistance vigoureuse, il commande pour son armée des réjouissances publiques, et fait faire à ses soldats d’abondantes distributions de vin. Le général ennemi en est averti par des transfuges. Aussitôt il attaque les Assyriens qu’il trouva, selon l’oracle de Nahum, « entrelacés comme des épines et plongés dans l’ivresse, et qu’il consuma comme de la paille desséchée » (1, 10). Puis, chassant devant lui les débris mutilés de l’armée impériale, le destructeur les força de se réfugier dans Ninive ; et, sans perdre de temps, il investit la place et dressa contre elle ses machines de guerre.

C’était vers l’an 625 avant J.C. Ninive était encore dans la plénitude de sa grandeur. Ses murailles colossales, avec leurs innombrables tours, s’élevaient encore intactes dans les airs, et défiaient tous les ennemis. Enfermé dans les murs de la ville, comme dans une imprenable forteresse, et protégé par le fleuve, le roi d’Assur pouvait braver le vainqueur. Il se fiait d’ailleurs à un ancien oracle annonçant que Ninive ne serait prise qu’après que le fleuve qui la baignait, après que le Tigre serait devenu l’ennemi de la cité. Si Ninive n’avait eu d’autres adversaires que les Mèdes ou les Bactriens, peut-être eût-elle subsisté longtemps encore ; mais qu’étaient ces peuples révoltés, sinon les instruments auxquels l’Éternel avait donné des ordres contre elle et qui devaient la ruiner entièrement ? La mesure de ses iniquités était comble. Son dernier jour était venu ; il fallait qu’elle tombât devant la parole de Jonas, d’Ésaïe, de Nahum et de Sophonie, ou plutôt devant l’immuable parole de Jéhovah[1]. Après un siège de deux ans, le fleuve grossi par de longues pluies, se déborde, inonde la ville, et, abattant une portion des murailles, en ouvre l’accès aux assiégeants, selon l’expresse déclaration du prophète Nahum. Alors la sinistre prophétie dont il a été question plus haut, revenant en mémoire au roi d’Assur, le désespoir s’empara de lui ; il fit dresser devant la royale demeure un immense bûcher ; il y fit mettre le feu, de même qu’à son palais, et périt misérablement consumé avec toute sa famille et tous ses trésors (Nah. 2, 6).

On croit que, dans la guerre où succomba Ninive et l’empire Assyrien, le roi de Babylone avait été l’auxiliaire et l’allié du roi des Mèdes. Quoi qu’il en soit, la victoire de ceux-ci profita singulièrement aux Chaldéens ; et, riche des dépouilles de Ninive, Babylone remplit dès lors dans l’histoire la brillante place que cette ville avait si longtemps occupée.

Revenons à la prophétie. Elle avait positivement annoncé que Ninive serait réduite en partie par l’eau et en partie par le feu ; et l’histoire nous apprend qu’il en fut littéralement ainsi. Elle avait de plus promis à l’ennemi de riches dépouilles : « Pillez l’argent, pillez l’or, lui avait-elle dit ; emportez ses vases précieux de toute espèce » ; et l’histoire nous apprend encore que les Mèdes emportèrent à Ecbatane une prodigieuse quantité d’or et d’argent et qu’ils en enrichirent leur capitale. La prophétie avait de plus annoncé que l’Éternel passerait sur Ninive comme une flamme, comme un débordement d’eau, et « la réduirait à néant » ; qu’elle serait « vidée, revidée », entièrement « épuisée », et que « la détresse n’y reviendrait pas une seconde fois »… Tout cela s’est de même accompli jusqu’à un iota et jusqu’à un trait de lettre. Ninive n’est plus aujourd’hui qu’un « désert » ; la maîtresse de l’Orient, devenue, selon l’oracle de Sophonie, « le gîte des bêtes » sauvages, proclame la justice du Dieu dont elle avait jadis proclamé les miséricordes. Il est impossible de concevoir une plus entière destruction. Un auteur du second siècle de notre ère, Lucien, originaire de Samosate, l’une des villes riveraines de l’Euphrate, assure que, de son vivant, il n’en restait pas le moindre vestige, à tel point qu’on ne pouvait en indiquer le site avec quelque certitude ; on ne pouvait déterminer la place où jadis s’élevait, fier et glorieux, le « cèdre » magnifique, au tronc puissant, à « la cime touffue », dont « les rameaux » abondants et vigoureux avaient si longtemps couvert de leur ombre « tous les oiseaux des cieux et toutes les bêtes des champs » (Éz. 31).

Jusqu’à nos temps, on s’était demandé ce qu’était devenue la grande Ninive. L’opulence de ses marchands, la magnificence de ses princes, les palais de ses monarques, ses gigantesques boulevards, tout avait disparu. « Où sont-ils les remparts de Ninive » (s’écriait naguère l’un des plus grands incrédules de nos jours) ? Que dit-on du seul endroit qui porte encore son nom, ou qui puisse être encore considéré comme son ancien site ? Que dit-on des restes d’une des plus grandes capitales du monde, de la riche métropole de l’Assyrie ? »[2]. — Nul débris de monument royal ; nulle trace de l’antique splendeur de la cité de Pul, de Shalmanéser et de Sankhérib ; tout semblait avoir disparu, jusqu’à ses ruines. Sur l’emplacement présumé de l’orgueilleuse et splendide capitale de l’ancien Orient, le célèbre missionnaire américain Grant n’avait su voir, il y a dix ans à peine, qu’un petit nombre de tentes dressées par de pauvres Arabes et de pauvres Turcomans nomades. Il était réservé à M. Botta, consul français à Mossoul, de révéler au monde les ruines imposantes de la reine du Tigre. Après de longues et laborieuses fouilles, habilement exécutées à ses frais et sous sa direction, M. Botta vient enfin de retrouver les vestiges manifestes de la gloire de Ninive[3]. Des pierres, des sculptures, des bas-reliefs, avec des figures et des inscriptions en caractères cunéiformes, voilà tout ce qu’il reste de la maîtresse du monde. Du sein de ces ruines antiques s’élève une voix solennelle qui crie : « Tes voies sont justes et véritables, ô Roi des saints ! ».

Ainsi périt Ninive et le second empire Assyrien, monument éternel de la vérité, de la justice et de la puissance de Dieu. Ainsi périront, sous la main de Jéhovah, le Dieu jaloux et vengeur, tous les royaumes de la terre qui, comme Assur, font la guerre aux saints et disent dans la folie de leurs pensées : « Je suis, et il n’y en a point d’autres que moi ». Ainsi passera, avec les quatre empires universels, la cité qui séduit les nations et dans laquelle Ninive revit tout entière, pour faire place au royaume du Fils de l’homme qui ne passera point. Et comme Jérusalem survécut à la royale cité d’Assur, ainsi le peuple de Dieu survivra à la mystique Babel pour entonner sur elle le chant triomphal : « Elle est détruite, elle ne se relèvera plus ! » et pour régner avec le Seigneur éternellement. Les empires passent ; mais le peuple des saints du Souverain demeure, et la Parole de Dieu subsiste à toujours (Soph. 2 ; Apoc. 18 ; Nahum ; Daniel).



  1. Ézéchiel, dans un langage sublime (chap. 31), parle aussi de la ruine de Ninive, mais comme d’un événement déjà accompli. Il prédit à Pharaon le sort d’Assur.
  2. Volney.
  3. Voir note précédente.