Livre:Jonas, fils d’Amitthaï (E.G.)/La repentance de Ninive

De mipe
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« Les habitants de Ninive crurent à Dieu, et ayant publié un jeûne, se revêtirent de sacs depuis le plus grand jusqu’au plus petit d’entre eux. Car la parole était parvenue au roi de Ninive, qui se leva de son trône, se dépouilla de ses vêtements royaux, se couvrit d’un sac et s’assit sur la cendre. Il fit publier dans tout Ninive une ordonnance comme venant de la part du roi et des grands de sa cour, qui portait : Que ni les hommes, ni les bêtes, ni le gros, ni le menu bétail, ne goûtent d’aucune chose ; qu’ils ne se repaissent point et ne boivent point d’eau. Que les hommes soient couverts de sacs et les bêtes aussi ; qu’ils crient à Dieu de toutes leurs forces, et que chacun se convertisse de sa mauvaise voie et de l’iniquité qu’il a commise. Qui sait si Dieu ne se repentira pas, et s’il n’apaisera pas l’ardeur de sa colère, en sorte que nous ne périssions point ! ».

Le héraut du ciel est donc entré dans Ninive et lui a solennellement déclaré la guerre de la part du Dieu souverain. Sa voix a retenti dans toutes les places de la cité comme le son éclatant de la trompette. « Encore quarante jours et Ninive sera détruite » ! Comme se sont multipliées ses iniquités, ainsi vont se multiplier ses douleurs, et « son ignominie sera plus grande que n’avait été sa gloire ». La sentence est prononcée, le jour de l’exécution marqué ; tous les enfants de Ninive, saisis d’effroi, croient à Dieu et se repentent.

Ce résultat magnifique de la prédication de Jonas s’explique en partie par des causes naturelles. D’abord, par la haute estime que les Assyriens concevaient pour les mages et les paroles qui sortaient de leur bouche ; et, mieux encore, par tout ce que devait avoir de saisissant pour eux l’apparition soudaine d’un étranger qui venait, non pour les flatter, comme faisaient les magiciens idolâtres, mais pour leur dénoncer, dans les termes les plus énergiques et avec le courage le plus désintéressé, une ruine imminente et complète. On sait d’ailleurs que les esprits sont facilement impressionnés par les choses extraordinaires. Puis, les Ninivites sentaient bien qu’ils avaient justement encouru les jugements du ciel. On ne doit pas oublier non plus qu’ils avaient sûrement ouï parler du Dieu d’Israël et de Ses merveilleux exploits. Ajoutons à tout cela que, pour leur donner une plus haute idée de sa mission, Jonas leur avait probablement raconté la grandeur de Celui qui la lui avait confiée, en même temps peut-être que ce qui venait de se passer entre l’Éternel et Son serviteur. Toutes ces causes réunies nous aident à comprendre le succès du prophète, sans toutefois nous en donner pleinement la clef. La seule bénédiction divine explique d’une manière complètement satisfaisante le prodigieux effet de la prédication de Jonas.

Quoi qu’il en soit, les Ninivites « crurent à Dieu ». Ils crurent au Dieu de Jonas, au Créateur et souverain possesseur des cieux et de la terre ; ils virent ici Son intervention directe, ils reconnurent Son doigt… Quel autre, en effet, que le Dieu des dieux, que Celui devant qui s’anéantissaient Bel, Nebo et toutes les divinités de Ninive ; quel autre eût osé dénoncer en termes pareils l’entière subversion de leur ville et en fixer l’époque avec autant de précision ? C’est donc le Tout-puissant, c’est Jéhovah ceint de vengeance, qui va mettre le niveau sur Ninive et qui ne lui en passera plus. Comment résister quand c’est le Dieu suprême qui menace ? Et où fuir quand c’est Lui qui poursuit ? Les tremblements de terre, le soufre ardent, le feu du ciel, la nature entière Lui obéit ; Il n’a qu’à dire un mot et en un clin d’œil la grande Ninive ne sera plus qu’un vaste amas de ruines. À l’aspect de l’épée flamboyante de la justice divine suspendue sur elle, la cité tout entière s’est donc émue ; elle a retenti partout de cris d’angoisse et de lamentations. De quoi lui servent maintenant sa gloire, son opulence et toutes ses richesses ? Et que feraient pour elle ses idoles ? Dans sa détresse, c’est ailleurs qu’elle a tourné ses regards ; son unique espoir de salut est dans la miséricorde de ce Dieu dont elle avait bravé les jugements. Ses habitants ont donc « publié le jeûne, et se sont revêtus de sacs depuis le plus grand jusqu’au plus petit d’entre eux ».

Telle est la conséquence de la proclamation de Jonas, et l’étonnante bénédiction mise sur les paroles du prophète par Celui « qui tient en sa main les cœurs et les incline comme des ruisseaux d’eau ». C’est l’unique vengeance que Dieu veuille tirer des craintes pusillanimes de Son envoyé. Jamais encore prédicateur n’avait obtenu succès pareil. Noé avait prêché pendant cent vingt ans à ses contemporains sans que, à sa voix, aucun d’eux n’eût délaissé son mauvais train. Lot avait affligé son âme juste dans l’impure Sodome et dénoncé à ses habitants les vengeances du ciel, sans avoir jamais été pour eux autre chose qu’un objet de moquerie. Mais Jonas ne fait que se promener dans Ninive en répétant : « Encore quarante jours et la ville sera détruite ! », à peine en a-t-il parcouru quelques rues que, subitement réveillée par les terreurs du Très-haut, la cité devant qui s’inclinait le monde entier, tombe elle-même à son tour devant le marchepied du Roi des rois.

Le verset 5 a retracé l’effet de la proclamation de Jonas ; les suivants vont nous dire comment, à la suite de la prédication du prophète, avait été amené ce résultat prodigieux.

« Car la parole de Jonas était parvenue au roi de Ninive qui se leva de son trône, se dépouilla de ses vêtements royaux, se couvrit d’un sac et s’assit sur la cendre ». Ce n’est pas auprès du roi que Jonas s’est d’abord rendu pour lui faire entendre le message divin ; c’est aux sujets qu’il s’est adressé ; car, devant Dieu, les têtes couronnées, quand elles sont des têtes coupables, descendent et s’abaissent au niveau de toutes les autres. Ce n’est pas non plus à la cour et aux princes de l’état qu’il a porté la parole de mort ; il l’a fait retentir dans les rues et les places de la cité et tous ont pu l’entendre. Mais, en peu d’instants, le bruit en est parvenu jusqu’aux oreilles du roi, de ses principaux ministres et de tous les grands de l’empire. — Nous ne pouvons nous empêcher ici de faire en passant une remarque : Si Jonas eût proclamé, dans Jérusalem, un message analogue, la ville qui tuait les prophètes n’eût sûrement pas trouvé assez de pierres pour le lapider (et ce que nous disons de Jérusalem, ne le dirons-nous pas, hélas ! de la plupart des villes de la chrétienté ?). Mais au lieu de frapper Jonas, c’est pour elle-même que la païenne Ninive réserve ses rigueurs et ses anathèmes.

Pul, ainsi que nous l’avons supposé, portait à ce moment la royale couronne d’Assur. C’est lui qui veut tout le premier donner l’exemple public du deuil et de l’humiliation. On a donc vu le plus grand potentat de l’époque, ce roi qui s’intitulait fastueusement le roi des rois ; on l’a vu descendre inopinément du trône, où tantôt il siégeait environné de toute la magnificence et de toute la pompe des monarques de l’Orient. Il s’est dépouillé lui-même de la pourpre impériale ; il a déposé la tiare et tous les insignes du souverain pouvoir, et s’est humilié devant Celui par qui les rois règnent. Il se reconnaît solennellement indigne de porter plus longtemps un sceptre dont il n’a pas su faire usage pour maintenir l’ordre public et le droit, pour réprimer les oppressions, les prostitutions et tous les crimes. Il confesse et déplore ses iniquités et celles de la nation ; et pour donner plus d’éclat à sa repentance et marquer encore mieux son humiliation, il se couvre d’un cilice et s’assied sur la cendre. Le cilice est une sorte de sac, grossièrement arrangé en façon d’habit, que portent encore les Orientaux quand ils veulent témoigner publiquement leur douleur et leur humiliation. Pour l’ordinaire, il est fait de poils de boucs ou de chèvres, noir ou d’une autre couleur sombre, rude, piquant et fort incommode, surtout pour ceux qui ont l’habitude de se vêtir délicatement. La personne qui l’a mis en signe de deuil s’assied souvent parmi les cendres dont elle se couvre aussi la tête (1 Rois 20 ; Est. 4 ; Job 16 ; etc.). Eh bien, c’est ce vêtement que vient de prendre le grand monarque devant qui tremble tout l’Orient ; c’est sur la cendre qu’il s’est assis ; c’est de cendre au lieu de couronne que sa tête superbe est maintenant couverte.

Cependant il n’estime pas encore suffisants tous ces témoignages de douleur et de repentir. La cité tout entière ayant péché et se trouvant tout entière placée sous l’anathème de Dieu, il veut aussi que tout entière elle s’amende et s’humilie devant Lui, pour détourner, s’il est possible, par une repentance nationale, le jugement national qui la menaçait. En conséquence, il a convoqué dans la royale demeure les princes et les administrateurs de l’état, les gouverneurs des provinces, les généraux des armées, les officiers de la cour et tous les personnages éminents qu’il avait accoutumé de consulter dans les grandes circonstances de l’empire. Ils accourent à son ordre. Tous savent déjà de quel douloureux sujet il va les entretenir ; car le terrible message a parcouru toute la ville avec la rapidité de l’éclair, et l’alarme s’est en un moment propagée, de rue en rue et de quartier en quartier, dans tous les rangs de la population. Ils arrivent émus, agités, saisis d’effroi. Ce n’est plus assis fièrement sur le premier trône du monde que le chef de l’état paraît maintenant en leur présence, c’est tristement couché sur la poudre ; ce n’est plus revêtu du manteau royal qu’il se montre à leurs yeux, mais enveloppé d’un sombre et grossier cilice ; ce n’est plus abaissant sur eux un regard hautain, mais l’air sombre, humilié, tremblant. Grand monarque d’un grand peuple, il ne leur demande plus à cette heure l’expression ordinaire de leurs hommages ; son diadème est tombé dans la cendre sur laquelle il s’est assis et sur laquelle eux-mêmes sont venus se ranger en silence autour de lui. Leur terreur s’accroît de toute la sienne. On délibère sur ce qu’il y a à faire pour conjurer l’orage, si toutefois l’orage peut être conjuré ; puis, l’on arrête de publier un édit que tous les habitants de Ninive devront recevoir comme l’expression positive et unanime de la souveraine volonté du roi et de ses princes. Nous possédons ce document précieux, traduit de l’araméen en hébreu, la Bible l’ayant estimé digne d’être consigné dans ses pages ; et certes, il méritait bien cet honneur : le voici donc tel qu’elle nous l’a conservé.

Le souverain, dit notre texte, « fit publier dans tout Ninive une ordonnance » comme « venant de la part du roi et des grands de sa cour, qui portait : Que ni les hommes, ni les bêtes, ni le gros, ni le menu bétail ne goûtent d’aucune chose ; qu’ils ne se repaissent point, qu’ils ne boivent point d’eau ; que les hommes soient couverts de sacs et les bêtes aussi ; qu’ils crient à Dieu de toutes leurs forces, et que chacun se convertisse de sa mauvaise voie et de l’iniquité qu’il a commise ».

Remarquez que, dans leur proclamation, le roi et ses princes prescrivent d’abord le jeûne ; et le jeûne qu’ils recommandent est un jeûne complet et général : depuis le roi qui est assis sur le trône jusqu’à l’indigent couché sur le fumier, tous devront y participer ; les bêtes elles-mêmes ne sont point exceptées. Comme on peut le savoir, les jeûnes, très rares chez les Grecs et chez les Romains, étaient, au contraire, forts communs en Orient, particulièrement en Assyrie ; et, quant à la part que les bêtes devaient prendre à celui-ci, il faut se rappeler que c’était une autre coutume également répandue en Asie, et à laquelle les historiens profanes font plus d’une fois allusion.

Au jeûne l’ordonnance enjoignait aux Ninivites d’ajouter encore, selon les coutumes et les mœurs de l’Orient, tous les témoignages extérieurs du deuil et de l’humiliation, de se revêtir du sac, et d’en couvrir également leurs bêtes, leur gros et leur menu bétail, et surtout, je pense, leurs fiers coursiers et leurs magnifiques chameaux, au lieu des élégants panaches, des étoffes précieuses, et des harnais richement colorés dont on avait coutume de les parer. Trop longtemps l’orgueil de leur naissance et de leur rang s’était montré dans l’éclat de leurs montures, aussi bien que dans la délicatesse et la splendeur de leurs vêtements ; l’heure est venue pour eux de déposer ces parures de la vaine gloire, ces belles tiares ornées de bandelettes rouges flottant sur les épaules, ces riches pendants d’oreilles, ces bracelets d’or au bras et au poignet, ces barbes peintes en noir et artistement tressées, tous ces habits délicats et somptueux, et de se couvrir, eux et leurs bêtes, du même emblème de la tristesse et du repentir (on remarque, en effet, les ornements que nous venons de mentionner, dans des bas-reliefs que le consul français de Mossoul, M. Botta, a récemment découverts dans les environs de cette ville et sur l’emplacement de l’ancienne Ninive[1]).

De plus, l’édit voulait que, dans ces jours de péril et d’alarme, la prière fût unie au jeûne ; qu’on invoquât Dieu, le vrai Dieu, et qu’on « criât à Lui de toutes ses forces », c’est-à-dire du fond du cœur, à voix haute, avec supplications et avec larmes, et comme il convenait dans un danger imminent.

Enfin, au jeûne et à la prière, on devait surtout joindre la repentance et l’amendement de vie ; c’était encore le plus sûr moyen de sauver Ninive. « Que chacun se convertisse de sa mauvaise voie et de l’iniquité qu’il a commise ». Car le roi et les princes n’entendaient pas qu’on s’en tînt à l’extérieur ; tout païens qu’ils étaient, ils comprenaient bien que l’essentiel dans le jeûne, ce qui donne à cet acte sa valeur et sa signification, c’est qu’on se détourne de toute voie mauvaise, et notamment (ainsi que l’original l’exprime), de toute extorsion, de toute rapine et de toute oppression ; ce sont, en effet, là des choses qui déplaisent particulièrement à Dieu ; et les prophètes nous apprennent qu’elles régnaient universellement dans Ninive. Il ne suffit pas de confesser l’injustice, il faut aussi la réparer ; ainsi le prescrivait le décret du roi, et comme chaque habitant de la ville avait mis sa part à l’iniquité qui l’exposait aux jugements du ciel, le monarque voulait que chacun de même apporta sa part à la repentance qui seule pouvait en prévenir l’exécution.

Telle était l’ordonnance impériale ; il nous reste maintenant à voir sur quel motif elle reposait :

« Qui sait si Dieu ne se repentira pas et s’il n’apaisera pas l’ardeur de sa colère, en sorte que nous ne périssions point ! ». Parole vraiment touchante dans la bouche de ces Gentils ! « Qui sait ? » disaient les princes de Ninive. Vu le cas, et dans l’état actuel de leurs connaissances religieuses, qu’auraient-ils pu dire de plus ? « Si nous retournons à Lui par la repentance, « qui sait » si Lui-même ne retournera pas à nous dans Ses compassions, et si l’issue ne démontrera pas que ce n’est point un arrêt irrévocable qu’Il a prononcé contre nous ? ». Ils ne sont pas sûrs, mais ils espèrent. L’espérance est innée au cœur de l’homme : appui du malheureux dans sa détresse, vous la trouvez partout sur la terre, sous le toit de l’indigence, dans la cellule du prisonnier, au chevet du malade ; bannissez-la du monde, il est une image de l’enfer. C’est donc l’espérance qui soutient à cette heure les enfants de Ninive. Ils se flattent de désarmer, par une repentance prompte, universelle, le bras du souverain Juge. Le messager du ciel, à la vérité, ne leur a rien dit qui pût leur en donner la moindre assurance ; il n’a pas fait entendre un mot de pardon ; il n’a prononcé qu’une sentence de mort ; cependant l’espoir qu’ils conçoivent leur semble résulter naturellement du délai de quarante jours que Dieu leur accorde, et probablement aussi de l’opinion qu’ils se forment de Sa clémence et de Sa bonté. « Si le sursis qu’Il nous donne (pensent à bon droit les hommes de Ninive) ne cachait pas quelque secret de Sa miséricorde, et que, en Son conseil, Il eût décidé notre ruine, n’eût-Il pas immédiatement détruit notre cité comme Il en renversa tant d’autres ? Ah ! si la bouche de Son envoyé ne prononce que le jugement, la voix de Ses dispensations ne parle-t-elle pas en même temps de clémence ? Hâtons-nous donc de mettre à profit les jours que Sa bonté nous laisse, et, par la sincérité de notre repentir, d’éloigner de nous la sévérité de Son châtiment ».

Les officiers du roi sont donc allés publier l’édit dans tous les quartiers de Ninive. Quel spectacle présente à ce moment la riche métropole de l’Assyrie ! Un peuple entier, son roi, ses princes, ses gouverneurs, ses généraux en tête ; un peuple entier, revêtu du cilice et couché sur la cendre, prosterné, abattu comme un seul homme aux pieds de l’arbitre suprême des nations, le supplie de remettre dans le fourreau le glaive de Sa vengeance. La consternation, le deuil et le jeûne sont partout ; partout on prie, on gémit, on crie — dans l’intérieur des familles, dans les rues, sur les places publiques, dans le palais du roi, dans les demeures somptueuses des grands, comme dans l’humble asile de la pauvreté. Toute distinction de rang a disparu devant le danger commun. Les temples, qui, la veille encore, retentissaient des louanges des faux dieux, n’entendent plus que des gémissements, des supplications et des sanglots adressés au Dieu vivant et vrai. C’est un concert unanime de pleurs et de lamentations. Quelle prière que celle-là ! En monta-t-il jamais de pareille devant Dieu ? Deux millions de voix humaines implorant Ses miséricordes ! Les cris du bétail affamé ajoutent encore à la solennité de l’humiliation. C’est le bruit des grosses eaux, c’est le roulement du tonnerre qui déchire la nue, c’est le cri d’une nation dans l’agonie. Il ne s’élèvera pas en vain devant le trône de Jéhovah.

Telle fut la repentance des Ninivites, cette repentance dont la gloire appartient tout entière à Celui qui donne l’amendement afin de pouvoir donner aussi le pardon. Ce fut ainsi que s’accomplit dans la grande ville le signe de Jonas, et que, à l’égard de Ninive, se répéta réellement ce qui était symboliquement arrivé au fils d’Amitthaï. Après avoir, comme le prophète dans le mugissement de l’orage, ouï la sentence de mort prononcée contre elle ; après avoir courbé la tête sous le châtiment de Dieu, pour mourir en quelque sorte au péché, nous voyons bientôt après la cité d’Assur ressusciter à l’exemple de Jonas et marcher en nouveauté de vie. Enfin, tout à l’heure, et comme pour compléter l’analogie, le Seigneur, se détournant du mal dont Il l’avait menacée, prononcera grâce sur elle, ainsi qu’Il l’avait fait sur le prophète de Gath-Hépher.

La repentance de Ninive soulève plusieurs questions. D’abord on s’est plus d’une fois étonné du silence complet que garde à ce sujet l’histoire générale, et cependant une simple réflexion devait suffire : l’histoire générale dit fort peu de chose sur Ninive, et c’est bien plutôt par la Bible que nous connaissons cette ville, que par les récits des auteurs profanes. On a surtout demandé si la repentance de Ninive fut vraie, si elle porta des fruits réels et permanents de renouvellement de vie. La Bible ne le dit pas, et là où elle n’a pas de bouche, il serait bien que nous n’eussions pas d’oreille. Toutefois si la repentance des Ninivites a plutôt l’air d’une simple humiliation produite, comme celle d’Achab, par la crainte des jugements de Dieu ; si, ni la couleur générale du récit, ni l’histoire, ni l’ensemble de la Bible, ni même la parole du Seigneur (Matt. 12) bien comprise[2], ne permettent guère de supposer que tous les habitants de la ville se convertirent réellement à Dieu, il semble au moins fort naturel de croire que plusieurs d’entre eux, vraiment touchés en leurs cœurs, renoncèrent dès lors à l’idolâtrie pour ne plus servir que le Dieu vivant.

En tout cas, nous ne partageons nullement l’avis de ceux qui, au lieu de reconnaître, dans la repentance de Ninive, une preuve admirable de l’efficacité de la Parole de Dieu et de la puissance de Son Esprit qui bénissait si richement la tardive fidélité du prophète, ne savent presque y voir qu’une terreur superstitieuse. Nous répugnons à rapetisser à ce point et à annuler de la sorte une œuvre aussi magnifique de la grâce du Seigneur ; et nous trouvons à la fois plus conforme à Sa Parole, et plus digne de Sa grandeur et de Son amour, d’admettre, ainsi que nous venons de le faire, qu’un bon nombre d’habitants de Ninive, leur roi tout le premier, se convertirent véritablement à Dieu ; que, par ce moyen, la connaissance de Son grand nom se répandit plus largement en Assyrie et dans l’Orient ; que les idoles furent humiliées, le vrai Dieu glorifié, plus d’une âme éclairée, et la sagesse comme la puissance de Celui qui fait concourir à Sa gloire jusqu’aux péchés de Ses créatures, manifestée aux yeux de bien des nations.

Mais c’en est assez sur la repentance des fils de Ninive ; recueillons maintenant les instructions qui en découlent pour nous.



  1. Découverte récente des ruines de Ninive. — Au prix de fatigues inouïes et des plus grands sacrifices, malgré des obstacles de tout genre qui eussent découragé tout autre homme, M. Botta, consul français à Mossoul, est enfin parvenu à retrouver et à mettre au jour les ruines de l’antique capitale des Assyriens. Il a commencé ses importantes recherches en 1843. À mesure qu’il les a poursuivies, il en a donné les résultats dans une suite de lettres adressées à un membre de l’Institut, M. Mohl. Ces lettres, publiées dans le Journal Asiatique pendant l’année 1843, ont produit une vive sensation dans le monde savant. M. Botta prépare un travail complet sur les fouilles exécutées sous sa direction. M. Crémieux, membre israélite de la chambre des députés, au nom d’une commission désignée pour proposer le crédit nécessaire à la publication de l’ouvrage de M. Botta, et des dessins qui doivent l’accompagner, M. Crémieux a fait à la chambre un rapport plein d’intérêt sur les découvertes du consul de France, sur les difficultés qu’il a dû vaincre, et les brillants résultats qu’il a obtenus. Ce qui suit en est textuellement extrait (voir l’Espérance de juin 1846).
    « Auprès d’un village arabe que signalent aux rares voyageurs de notre Occident deux noms également remarquables : Niniva, Nabi Jounes (Ninive, tombeau de Jonas — lisez plutôt : Ninive, prophète Jonas), s’élève, sur les bords du Tigre, en face de Mossoul, un monticule élevé, factice, souvent interrogé par des fouilles sans résultat. M. Botta, consul de France à Mossoul, voulut aussi l’explorer ; il croyait que, sous la terre épaisse, se trouvaient les ruines de Ninive… Six mois de travaux assidus, entrepris à ses frais, ne donnèrent à M. Botta que des déceptions.
    Il ne se découragea pas : il porta ses investigations plus loin. Sur la rive gauche du Tigre, à cinq heures de caravane de Mossoul,… existait un petit village nommé… Korsabad… bâti sur un monticule qui semble avoir été jadis entouré d’une épaisse muraille… C’est là que M. Botta résolut d’établir un champ de nouvelles fouilles… Le monticule fut attaqué par le sommet ; la tentative fut heureuse ; bientôt des restes de sculpture mutilés s’offrirent au jour. »
    M. Botta, comme on l’a dit, dut vaincre tous les genres de difficultés. Mais, continue M. Crémieux, « le zèle et le dévouement de notre consul ne se démentirent pas un instant ; les obstacles s’aplanirent. Les premières découvertes furent bientôt un puissant encouragement pour de nouveaux efforts. Depuis le mois de janvier 1843 jusqu’au mois d’avril 1844, les fouilles donnèrent les plus heureux produits… Dès le mois d’avril 1843, M. Botta pouvait écrire : « Le style des sculptures, le genre des vêtements, ressemblent beaucoup à ceux de Persépolis ; mais il me semble qu’il y a plus de mouvement dans les figures, et plus de science anatomique dans le dessin. Les muscles des bras et des jambes sont très bien indiqués, et, au total, les bas-reliefs témoignent en faveur du goût et de l’habileté de ceux qui les ont sculptés ; je crois enfin avoir découvert des sculptures que l’on peut, avec quelque apparence, rapporter à l’époque où Ninive brillait dans tout son éclat ».
    Un mois plus tard… c’était un monument tout entier qui se développait. Sur la muraille découverte, le consul avait notamment retrouvé cinq bas-reliefs dont il est nécessaire de donner ici la description. Chacun de ces bas-reliefs représentait un char : les roues étaient à huit rayons minces ; les cinq chars étaient à la suite l’un de l’autre ; chacun des chars, traîné par deux chevaux, portait quatre personnages ; ils se dirigeaient vers une forteresse. La scène était une bataille. « Le principal personnage est coiffé d’une tiare et lance des flèches ; à côté de lui est le cocher, et derrière lui, sont deux guerriers, armés de dards et portant des boucliers. Sous les pieds des chevaux il y a toujours un guerrier ; plusieurs chevaux mettent leurs pieds de devant sur la croupe du cheval abattu, portant un cavalier blessé et tombant. Chaque tableau est très animé ; les chevaux surtout sont pleins de mouvement, et les têtes encore conservées de quelques-uns des vainqueurs présentent un air de supériorité satisfaite très bien rendu ».
    … L’art de la polychromie chez les Assyriens se manifestait dans ces ruines : l’usage des couleurs les plus vives était connu dès cette époque reculée. Les ornements qui entouraient les chevaux faisaient éclater encore la couleur rouge et la couleur bleue… Le bleu, dont une petite boîte, trouvée dans les fouilles, fut adressée à M. Mohl par M. Botta, était très vif. L’ornement placé à la poitrine des chevaux était relevé par une double rangée de glands, alternativement rouges et bleus ; les lanières des guides étaient rouges.
    … Au mois de juillet 1845, M. Botta avait arraché à la terre cent quarante mètres de sculptures, appliquées sur les murailles de quatre salles (dans le nombre de ces sculptures, on remarque une tête d’enfant admirablement belle et supérieurement modelée). L’existence d’un antique palais, résidence des rois assyriens, n’était plus douteuse… M. Botta… avait sollicité du gouvernement un dessinateur habile, instruit dans la science des antiquités… Une commission de l’Institut, sur la provocation du ministre de l’intérieur, désigne comme dessinateur M. Eugène Flandin. »
    À l’arrivée à Mossoul de M. Flandin, commence une nouvelle époque. Les travaux prirent de suite un grand développement. Une circonstance particulière contribua bientôt à les accélérer. Les débris de l’intéressante nation des Nestoriens, impitoyablement massacrée par les Kurdes, étaient venus implorer à Mossoul la protection des représentants de la France et de l’Angleterre. Ces tristes victimes du fanatisme musulman secondèrent matériellement M. Botta. Laissons parler encore M. Crémieux.
    « Les Nestoriens, les successeurs des anciens Chaldéens qui avaient élevé Ninive, les Nestoriens fournirent leurs bras à l’œuvre de restauration que poursuivait le consul de France. Les travaux durèrent six mois encore ; ils furent continuels, malgré le feu d’un soleil ardent qui cette année maintint, pendant plus de trois mois, la température à la hauteur de quarante-six degrés (centigrades) à l’ombre. Les maladies et la mort même, qui frappaient leurs compagnons de travaux, ne décourageaient ni le consul ni l’artiste : tous deux voulaient finir…
    Voici quel est, en définitive, le résultat de ces admirables découvertes de notre consul. Deux ans d’un travail opiniâtre… ont amené à la clarté du soleil, après deux mille cinq cents ans d’oubli sous la terre qui les couvrait, les restes d’un palais immense, composé de quinze salles attenant les unes aux autres : la surface que couvrent ces riches ruines est de vingt-deux mille mètres carrés. Ce n’est encore là qu’une partie du monument ancien ; il est probable qu’il occupait le monticule tout entier ; mais il est impossible d’arriver à de plus importantes découvertes… Ninive a fourni ses briques et ses pierres à de nouveaux habitants de ce pays, qui en ont construit leurs maisons et qui s’en sont servis pour tous les usages…
    C’est aussi le sort de cette autre grande cité, Babylone, engloutie comme Ninive. La reine de l’Euphrate et la reine du Tigre (ajoute M. Crémieux) ont subi le même destin. Elles ont textuellement accompli les paroles des prophètes. Les briques de Ninive ont construit des villages, comme les ruines de Babylone ont construit Hélla…
    De l’édifice ninivite découvert par M. Botta… neuf salles sont intactes, avec leurs quatre murs debout… Une partie du monument a été incendié ; l’action du feu s’est portée avec violence sur les plaques de marbre qui revêtent les murailles de briques ; la presque totalité s’est perdue au contact de l’air… mais les sculptures sont toutes recueillies par l’auteur de la découverte… La partie des revêtements extérieurs peut donner une idée à peu près complète de l’époque où fut construit le monument, du roi qui le fit élever, de l’état des arts, et par conséquent de la civilisation dans ces temps si peu connus de l’histoire. Que l’on parvienne à découvrir l’alphabet assyrien, et, sans nul doute, les inscriptions multipliées que M. Botta nous a transcrites seront une page importante dans l’histoire de l’antiquité…
    … Les bas-reliefs présentent les dessins les plus variés : la guerre avec ses combats corps à corps, les cavaliers avec leurs épées qui se croisent, les archers avec leurs traits jetés de loin, les tours avec leurs créneaux, les armes de parade avec les machines de siège, la prise et le pillage d’une ville et le règlement des dépouilles, les chars lancés sur l’arène et portant dans la mêlée des guerriers que distinguent l’éclat de l’armure et la richesse des vêtements, l’aspect même d’une flottille avec ses matelots. À la guerre succède la victoire : les trophées les plus précieux sont dans le nombre des prisonniers, dans les présents offerts au roi. Les captifs de différentes races, de diverses nations, sont, pour la plupart, à genoux, enchaînés par une espèce de mors ; un anneau leur perce le nez et la lèvre supérieure (il y a peut-être une allusion à cela dans cette parole de l’Éternel au roi de Ninive : « Je mettrai ma boucle en tes narines et mon mors en ta bouche », etc. És. 37). Dans cet anneau est un lien dont l’extrémité est retenue dans la main du vainqueur… Dans toutes les sculptures où son image se retrouve, le roi est représenté haut de taille, orné de vêtements richement brodés, la tête coiffée d’une tiare, des eunuques près de lui : quelquefois un esclave étend sur sa tête un parasol ; dans certains tableaux, des eunuques tiennent le chasse-mouche devant lui.
    D’autres pierres reproduisent des tableaux d’un autre genre, encore plus animés. Ce sont des festins où les soldats, assis devant des tables chargées de mets, tiennent, dans leur main levée, les verres qu’ils vont entrechoquer… Voici maintenant une chasse royale. Des cavaliers accompagnent le roi ; il est dans son char, un lotus (plante égyptienne, symbolique et consacrée) à la main : la scène est dans les bois, la chasse est ouverte et animée, les lièvres et les perdrix se lèvent et fuient devant les chasseurs…
    Telles sont, en résumé, les principales richesses que M. Botta découvrit à Ninive, et dont les plus importantes, dirigées en ce moment sur l’Europe, seront bientôt placées dans les salles du Louvre… Un bâtiment de l’état, expédié en septembre dernier, du port de Brest, a dû recevoir et nous amène ces précieuses ruines. »
  2. Vraie traduction de Matthieu 12, 41. — La vraie traduction de ce passage est bien, selon nous, celle que donne la révision de Lausanne (1839) et que nous avons adoptée : « Les hommes de Ninive se relèveront au jugement avec cette génération et la condamneront, parce qu’ils se convertirent à la prédication de Jonas, et voici il y a ici plus que Jonas ». La parole du Sauveur, ainsi rendue, se rapporterait à la dernière résurrection et au jugement dernier ; elle aurait pour parallèle Apocalypse 20, versets 11 et suivants, et laisserait supposer que la masse des Ninivites doit se relever au dernier jour pour la condamnation.