Livre:La sympathie chrétienne/Lettre 12
Ma bien-aimée… je dois donc toujours vous écrire sans recevoir aucune réponse ; en vérité cela est dur. Toutefois, si j’avais la pensée que je pusse procurer un moment de soulagement à un saint dans l’affliction, je serais plus que soumise ; combien ne doit-il pas être doux, en effet, d’être un vase de consolation dans le temple de notre Dieu ! Si je ne devais pas avoir ce privilège, j’ai pourtant l’espérance d’être un vase de miséricorde pendant toute l’éternité. Le pauvre pécheur ne voudrait pas, lors même qu’il le pourrait, être autre qu’il n’est pour être sauvé. Orgueilleux comme nous le sommes, nous nous révoltons d’abord à la pensée de n’être que des objets de pitié ; nous préférerions être comme ceux qui pensent n’avoir pas besoin de salut, parce qu’ils sont riches et que leurs biens se sont augmentés. Mais lorsque nous sommes forcés de mettre bas les armes de la rébellion et de venir comme des mendiants, malheureux, misérables, pauvres, aveugles et nus, nous sentons tellement le bonheur qu’il y a à être les objets de la pitié d’un Dieu plein de compassion, que nous nous glorifions même dans nos infirmités, en ce qu’elles nous mettent en contact avec Lui pour toutes les choses de la vie présente et de la vie éternelle. Plus nos besoins sont grands et multipliés, plus nous avons affaire avec Lui. Comme vous devez bien Le connaître ! Combien de fois ne vous a-t-Il pas fortifiée au milieu de vos douleurs ! Combien de fois n’a-t-Il pas refait tout votre lit dans votre maladie ! Combien de fois n’avez-vous pas été rendue capable de porter votre âme sur les bras de la foi jusque dans la retraite de Ses bonnes paroles, qui sont comme un lit de consolation rembourré de Ses douces et précieuses promesses !
Pendant que le croyant expérimente dans la fournaise que l’épreuve n’est pas d’abord un sujet de joie mais de tristesse, il est tellement convaincu que le Seigneur fait tout pour le plus grand bien, que, lors même qu’il en aurait le pouvoir, il ne voudrait en rien modifier ses voies. Le nouvel homme éprouve un si grand besoin d’être rendu participant de la sainteté de Dieu, et de jouir du fruit paisible de justice, qui est produit pour ceux qui sont exercés par ce moyen, que, loin de chercher à éviter les coups, il baise bien plutôt la verge en disant : Amen ! traite-moi, Seigneur, comme un enfant ! L’enfant du monde peut avoir quelque relâche ici-bas dans ses souffrances, mais l’enfant de Dieu ne saurait en avoir. Notre Père céleste ne nous fera pas sentir un seul coup inutile, car « de telle compassion qu’un père est ému envers ses enfants, de telle compassion l’Éternel est ému envers ceux qui le craignent » ; mais aussi Il ne nous épargnera pas un seul coup nécessaire, car « Il fouette tout enfant qu’Il avoue », afin qu’Il puisse le recevoir comme un père reçoit le fils dans lequel il prend plaisir. N’est-il pas étrange que le moment dans lequel Il agit le plus en père à notre égard, soit précisément celui où nous sommes le plus portés à oublier que nous sommes Ses enfants ? N’a-t-Il pas raison de nous reprocher d’oublier l’exhortation qui s’adresse à nous comme à Ses enfants ? Que nous sommes heureux, nous dont Il se nomme le Père, de pouvoir Le prendre au mot, Lui présenter la relation qu’Il a Lui-même formée, puis élever nos yeux en disant : Abba, Père ! Qu’il nous est doux de pouvoir abandonner tous nos intérêts temporels à notre Père céleste qui sait de quoi nous avons besoin, en Lui rappelant que c’est au père à pourvoir aux besoins de ses enfants !
Et lorsqu’il est question de nos besoins spirituels, qu’il nous est précieux de savoir que le cœur du Père est toujours disposé à tout donner selon Ses moyens ! Si même nous avons péché, si nous avons regardé du côté du monde, si nous n’avons répondu à l’amour que par une honteuse ingratitude, vers qui élèverons-nous nos cœurs humiliés, si ce n’est vers notre Père ?
C’est ainsi que l’enfant prodigue, quand il confesse qu’il n’est plus digne d’être appelé l’enfant de son père, ne peut s’empêcher de commencer par lui dire : — « Père » ! Non, rien ne peut changer cette relation : « Encore qu’Abraham ne nous reconnût point, et qu’Israël ne nous avouât point, Éternel, c’est toi qui es notre Père, et ton nom est notre rédempteur de tout temps ». Il pardonne comme un père pardonne à son fils qui le sert ; et lors même qu’Il serait forcé de parler contre Son fils tant aimé, Il se souviendrait toujours de lui avec tendresse ; Ses entrailles seraient toujours émues à son sujet ; Il ne pourrait s’empêcher d’en avoir compassion. C’est ainsi qu’Il nous conduira nous-mêmes ; Il nous fera marcher le long des ruisseaux d’eaux et par un droit chemin dans lequel nous ne broncherons point, car Il a été pour Père à Israël. Il veut nous revêtir de la plus belle robe de Sa garde-robe — de la justice de Christ ; Il veut nous donner en témoignage de Son amour le plus précieux de tous Ses dons — Son Saint Esprit ; Il veut que nous soyons chaussés de la préparation de l’évangile de paix. Si nous sommes tentés de douter de Sa fidélité, Il nous fait remarquer les sentiments du cœur de David, quand il s’écriait : « Mon fils Absalom ! mon fils ! mon fils Absalom ! Plût à Dieu que je fusse mort moi-même pour toi ! ». Puis Il nous demande si David eût pu volontairement affliger Absalom. Moïse disait à l’Éternel : « Est-ce moi qui ai conçu tout ce peuple, ou l’ai-je engendré pour me dire : Porte-le dans ton sein, comme le nourricier porte un enfant qui tette ? » (Nomb. 11, 12), et en se plaçant dans la relation de père à notre égard, notre Dieu s’engage à nous porter dans Son sein jusqu’au pays de la promesse. Ainsi nous ne chancellerons pas, tant qu’Il ne sera pas fatigué ; ainsi nous ne tomberons pas, tant qu’Il ne fera pas de faux pas ; personne ne nous ravira de Sa main, tant que la toute-puissance de Son bras ne sera pas diminuée ; aucun lion ne nous surprendra, aucun ennemi ne nous renversera, tandis que nous sommes sous les bras éternels et sous la bannière de l’amour céleste. C’est là, ma chère compagne de voyage, votre portion et la mienne. Seigneur, qu’est-ce que de l’homme que tu l’élèves ainsi, que ton cœur le suive avec tant de sollicitude, que tu le visites chaque matin, que tu l’éprouves à tout moment ? Tu fais tout cela pour des êtres tels que nous, qui avons sans cesse besoin de l’exercice de ta grâce pour être préservés de l’enfer, et même pour savoir ici-bas, tandis que nous sentons le poids insupportable du péché, que ta miséricorde s’élève jusqu’aux cieux, et qu’elle y est établie pour toujours. Nos péchés passés ne nous condamneront point, parce que ta miséricorde est de tout temps ; nos péchés à venir ne le pourront pas non plus, parce que ta miséricorde est à toujours. Oui, tous nos péchés ont été mis sur Christ ; ils ont tous été transportés dans le pays d’oubli, et il n’est pas plus possible qu’ils soient jamais mis de nouveau sur nous, qu’il ne le serait que l’orient se confondît avec l’occident. Sous l’ancienne économie, il se faisait chaque année une commémoration des péchés, pour montrer que le sang des taureaux et des boucs ne pouvait jamais ôter le péché ; mais maintenant la déclaration si souvent répétée, que Dieu ne se souviendra plus de nos péchés, prouve abondamment que le sang de Christ est suffisant pour nous purifier de tout péché. Puissions-nous chaque jour pénétrer davantage dans cet insondable amour, et croître dans la connaissance de cet amour qui surpasse toute connaissance jusqu’à ce que nous soyons remplis de toute la plénitude de Dieu, et que tous les sentiments qui étaient en Jésus Christ soient formés en nous ! Puissions-nous, quand Il ouvrira Ses trésors, et qu’Il mettra à part Ses plus précieux joyaux, être trouvés, avec tous nos amis chrétiens, parmi ceux qui auront parlé l’un à l’autre de Son saint et glorieux nom, et qui y auront pensé ! Si la grâce donne une telle vue de l’amour de Dieu, ici-bas où il n’y a que faiblesse, quel ne sera pas le ravissement de l’Église dans les cieux, où elle jouira de la présence de Jésus, lorsque le temps ne sera plus, et que le bruit de la vie aura passé ! Cette vie ! notre Dieu la désigne par des noms bien insignifiants quand Il en parle : c’est de l’herbe, une fleur, de la poussière, du vent, une ombre, une feuille qui voltige, la navette d’un tisserand… Distribuez mes amitiés à vos alentours.
- Croyez-moi, ma chère…, votre très affectionnée
T.A. Powerscourt