Livre:La sympathie chrétienne/Lettre 13

De mipe
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Antrim Castle, le 12 mai 1826
Ma chère amie,

Mon intention n’était pas de vous écrire avant mon arrivée à Powerscourt, où j’avais l’espérance de pouvoir affranchir mes lettres, mais je ne puis renvoyer davantage de vous remercier, vous et vos chères sœurs, des bontés que vous avez eues pour mes enfants. J’en ai été d’autant plus reconnaissante qu’on ne peut me témoigner de l’affection que pour l’amour de mon Maître. Comme Il nous prouve clairement que notre bonheur est le seul but qu’Il se propose à notre égard, quand Il dit : « C’est ici mon commandement, que vous vous aimiez l’un l’autre ». C’est donc à juste titre que nous pouvons l’abandonner entre les mains de Celui qui n’a point épargné Son propre Fils. Comme la brebis exténuée, laissons-nous porter sur les épaules du Berger, heureuses de passer avec Lui, et par la prospérité et par l’adversité, et par la vie et par la mort. C’est une sagesse et un amour infinis qui ont tracé notre sentier, et, de plus, l’homme de douleur y a passé avant nous ; quelque pénible qu’il soit, nous avons toujours la douce consolation de marcher sur les traces du Prince de notre salut ; de l’intérieur du sanctuaire un écho divin répond à chacun de nos besoins et à chacune de nos angoisses. « Si nous souffrons avec lui, nous serons aussi glorifiés avec lui ». De même qu’Il est entré par les portes éternelles, en s’écriant d’une voix de triomphe : « Celui qui me justifie est près ; qui est-ce qui plaidera contre moi ? » — de même, ceux qui Le suivent peuvent dire, malgré leur extrême faiblesse : « Qui intentera accusation contre les élus de Dieu ? ». Je ne pense pas que personne puisse douter, en lisant la Bible, qu’elle n’ait été écrite par Celui qui connaissait chacune des détresses par lesquelles chaque croyant devait jamais passer, depuis le commencement jusqu’à la fin de sa course ; et je m’assure que tout lecteur attentif se convaincra que la plénitude de la divinité habitait en cet homme qui, lorsqu’Il invitait tous ceux qui étaient travaillés et chargés à aller à Lui, pouvait leur promettre le repos de leurs âmes. Et n’avons-nous pas besoin de tout ce que la Bible renferme, parole sur parole, promesse sur promesse ? Afin que notre consolation abonde, Dieu nous a placés dans la dépendance les uns des autres, et Il a établi les relations diversifiées qui sont destinées à nous soutenir dans notre pèlerinage ; et, comme s’Il eût voulu montrer qu’elles se trouvent toutes en Lui seul, Il se présente à nos cœurs avec le nom qui désigne chacune d’elles.

J’aime à penser à Lui comme à un Père, car il est écrit : « Quel est l’enfant que le père ne châtie pas ? ». Je suis certaine que Sa tendresse ne nous épargnera pas au-delà de ce qu’il faut, et que notre rébellion ne Le portera pas à dire : « Abandonne-les ». La tendresse dont Il accompagne le châtiment lui-même, nous prouve infiniment mieux que des paroles ne pourraient le faire, que ce n’est pas volontairement qu’Il nous afflige, mais que, comme un père a compassion de ses enfants, ainsi Il a compassion de nous. Oserais-je donc jamais murmurer, moi qui peux dire avec tant de raison que Son amour m’étonne moi-même ? Ayant bu quelques gouttes à la coupe de Jésus, je puis en quelque mesure sympathiser avec Lui, et je pense que jamais Il ne reçoit de blessures plus douloureuses dans la maison de Ses amis, que lorsqu’ils se laissent aller au murmure. Rien de la part d’Israël ne paraît avoir autant lassé Sa patience. Oh ! puissions-nous tous être rendus capables de dire, en plénitude de foi, dans toutes les circonstances : « L’Éternel est mon berger, je n’aurai point de disette » ; résignés à vivre, résignés à mourir ; préparés à la prospérité, préparés à l’adversité ! Seulement, « Père, glorifie ton nom ! ».

Si nous pouvions voir l’intérieur du cœur comme Dieu le voit, nous nous écrierions : indigne ! indigne ! qu’il soit écrit de lui comme de l’ancien Éphraïm : « Son iniquité est liée, et son péché est serré ». Je crois que mon séjour à Édimbourg a rendu plus vivante mon attente de la venue du Seigneur. Les jouissances de l’amitié ne sont plus pour moi ce qu’elles étaient autrefois. J’en avais précédemment de très grandes ici. Actuellement, je sens que mon histoire est finie, que les liens de l’affection tendent vers un autre ordre de choses, et que ce n’est qu’afin que Christ achève Son œuvre en nous et par nous, que nous sommes laissés dans le royaume de Satan. Nous devrions, il me semble, chercher à mieux connaître le but de l’ancien serpent, qui est de nous renverser, et celui de Christ, qui est de nous aider. Satan s’efforce à nous attacher toujours plus fortement au moi, et lorsqu’il perd l’espérance de nous engager à adorer cette idole, il cherche à s’en servir pour nous donner de fausses consolations. Mais notre cher Sauveur veut nous donner une puissante consolation, à nous « qui avons eu notre refuge à saisir l’espérance qui nous est proposée ». Avançons-nous donc vers ce but, non seulement en ouvrant nos bouches pour exposer nos besoins, mais aussi en publiant sur le haut des maisons ce qui nous est dit à l’oreille dans le secret, et en affirmant à nos pauvres compagnons de voyage que nous avons fait l’expérience que « Celui qui a fait les promesses est fidèle ».

Quelques-uns de mes amis me reprochent d’écrire des lettres fort peu réjouissantes. Ma vie pourra se résumer, à l’avenir, dans ces paroles : « Toutes choses travaillent ensemble en bien pour ceux qui aiment Dieu » ; mon seul désir est de pouvoir parler de mon bien-aimé. Néanmoins je ne puis refuser de reconnaître que l’amour que je vous porte est tel, qu’un étranger ne peut y être mêlé.

Avec une affection cordiale, je suis, chère amie, votre

T.A. Powerscourt