Messager Évangélique:Quelques mots sur 1 Corinthiens 9, 20-22
Bien des incrédules de nos jours emploient leur temps et leurs forces à parler et à écrire contre la vérité de Dieu, et il n’y a aussi que trop de faux docteurs, qui, tout en professant d’avoir un certain respect pour l’Écriture sainte, la tordent sans cesse et ne s’en servent guère que pour établir ou justifier les principes les plus faux, les doctrines les plus subversives de l’évangile. C’est là un continuel sujet de douleur pour le croyant. C’est aussi un sujet de douleur de voir des chrétiens, qui paraissent sincèrement attachés à la Bible, faire fréquemment des applications fausses et dangereuses de certains passages de l’Écriture et la faire servir ainsi à la propagation et au maintien d’erreurs plus ou moins graves.
Parmi les passages souvent cités à faux, se trouvent ceux qui font le sujet de ces réflexions. Voyez, dit-on, Paul n’était pas si étroit, lui, il savait se faire Juif avec les Juifs, être sous la loi avec ceux qui étaient sous la loi, être sans loi avec ceux qui étaient sans loi, être faible avec les faibles ; en un mot il savait devenir toutes choses pour tous. Et on s’appuie sur ces passages pour recommander la plus grande largeur en doctrine et en pratique et pour ouvrir la porte à cet effrayant latitudinarisme, selon lequel, en fin de compte, toutes les doctrines sont supportables, tolérables, bonnes ; selon lequel tout état moral, toute conduite est excusable. On ne peut trop se mettre en garde contre un tel système qui, il faut le dire, va à notre cœur naturel, y trouve de l’écho, car il flatte notre chair en lui permettant de satisfaire ses désirs et ses convoitises. Dans un des derniers numéros du Messager Évangélique, on a signalé une fausse application du Psaume 90 ; il est peut-être bon de signaler celle qu’on fait de ces versets et de rechercher quel est leur vrai sens et leur vraie portée.
Quand donc l’apôtre dit : « Pour les Juifs, je suis devenu comme Juif — pour ceux qui sont sous la loi, comme si j’étais sous la loi — pour ceux qui sont sans loi, comme si j’étais sans loi » — qu’est-ce que cela veut dire ? En peut-on raisonnablement conclure que lorsque Paul se trouvait avec des Juifs sous la loi, il se remettait lui-même sous le joug de cette loi, en pratiquait les cérémonies, se conformait au système juif ? Impossible, en présence de l’histoire de l’apôtre, d’admettre une telle interprétation, car on pourrait alors lui appliquer ce qu’il dit (Gal. 2, 18) : « Si je rebâtis ces mêmes choses que j’ai renversées, je me constitue moi-même transgresseur ». Hélas ! tout homme est faillible et est démontré tel. L’amour ardent que l’apôtre portait à son peuple selon la chair, a pu quelquefois l’entraîner trop loin et lui faire faire des choses qui n’étaient pas rigoureusement en harmonie avec ce qu’il prêchait. C’est en effet ce qui est arrivé, comme nous le voyons dans le livre des Actes, au chapitre 21 surtout. Mais il faut remarquer que ce qui nous est raconté là, n’est qu’un moment dans la vie de l’apôtre, moment où il a pu être inconséquent, où il l’a été en effet ; mais qui voudra lui jeter la pierre ? Et d’ailleurs, n’est-ce pas souverainement déraisonnable de s’appuyer là-dessus pour prétendre que Paul se remettait sous la loi, pour dire qu’il acceptait et pratiquait le judaïsme ? Est-ce raisonnable d’expliquer la marche d’un chrétien par une inconséquence d’un moment ? Et de plus, depuis quand est-ce que les faiblesses et les misères des saints sont des choses dignes d’être proposées à l’imitation des chrétiens ? Si Paul a erré un moment, sera-ce une raison pour que je le suive dans ce chemin ? Pierre a eu la faiblesse d’user de dissimulation ; vais-je en conclure non seulement qu’il est permis, mais qu’il est bon d’agir comme il le fit dans cette occasion ? Ce serait donc sans raison qu’on citerait un ou deux faits de la conduite de Paul au milieu des Juifs, pour soutenir qu’il admettait le judaïsme et le pratiquait avec eux, et pour prouver que c’est bien là ce qu’il veut dire par ces mots : « pour les Juifs, je suis devenu comme Juif — pour ceux qui sont sous la loi, comme si j’étais sous la loi ». Et ce qui prouve que ces paroles n’ont pas cette portée, c’est ce que dit l’apôtre ensuite : « Quant à ceux qui sont sans loi, comme si j’étais sans loi ». — Or personne, je suppose, ne s’imaginera que lorsque Paul se trouvait avec des hommes « sans loi », il secouât la loi de Christ sous laquelle il était ; personne ne croira qu’il se conformât aux usages, aux coutumes, aux habitudes des hommes « sans loi » ; personne ne croira qu’il pratiquât leurs cérémonies religieuses, ni qu’il se contentât de leur morale, s’ils en avaient une. L’absurdité d’une telle interprétation est évidente ; interprétation d’ailleurs à laquelle ces versets ne peuvent en rien se prêter. Car il faut remarquer que l’apôtre a soin (comme s’il eût pressenti le mauvais usage qu’on ferait de ses paroles) l’apôtre a soin de dire : — « n’étant pas sous la loi — et : non que je sois sans loi ».
Soit ! me dira-t-on, ces versets n’ont pas le sens et la portée dont vous venez de parler ; mais quelle est donc leur signification et leur portée véritables ? C’est ce que nous allons essayer de rechercher.
Et d’abord, on conviendra que quand il s’agit de rechercher la signification de quelques expressions de l’Écriture, il faut étudier avec le plus grand soin le contexte, et ne pas isoler ces expressions des pensées au milieu desquelles elles se trouvent. Sans cette précaution, on s’expose constamment à faire dire à l’Écriture ce qu’elle ne dit point. Si j’isole de leur contexte ces paroles de Paul : « Toutes choses me sont permises » (1 Cor. 10, 23), et si je ne tiens aucun compte de ce qui les entoure, que d’erreurs graves ne pourrais-je pas enseigner en m’appuyant sur ces paroles ? Or il ne faut pas perdre de vue que dans tout le chapitre où se trouve le passage que nous étudions, il s’agit de l’apostolat de Paul, de son service, de ses travaux dans l’évangile, de l’exercice en un mot de son ministère. Et deux choses y sont mises dans le plus grand contraste, savoir : la liberté de l’apôtre à l’égard de tous ; et son asservissement à tous. « Car étant libre, dit-il (v. 19), à l’égard de tous, je me suis asservi à tous ». Paul n’était pas apôtre de la part de l’homme, il n’avait reçu son ministère de la part d’aucun homme ; à cet égard il n’était lié ni par les Juifs, ni par les Grecs, ni par une église, ni par une école ; il n’était responsable qu’à Dieu seul de qui il avait reçu sans intermédiaire son ministère. Et non seulement il était libre à l’égard de tous quant à son ministère, mais l’évangile l’avait placé dans la liberté à l’égard de toutes choses. Il était délivré de l’esclavage du péché et de Satan, du joug de la loi, de la crainte de la mort et de la crainte des hommes. Il n’était l’esclave d’aucune de des choses, c’était un homme libre, un affranchi du Seigneur, un esclave de Christ seul. Et il appréciait trop l’heureuse liberté dans laquelle il était pour se la laisser ravir : toutes choses me sont permises, disait-il, mais je ne me laisserai asservir par aucune (1 Cor. 6, 12) : « Ne suis-je pas libre ? » (v. 1). Mais cet homme libre dit : « Je me suis asservi à tous ».
Or, je crois que cet asservissement de Paul à tous, doit s’expliquer comme s’explique l’abaissement de Jésus qui, dans Son amour, est venu dans notre monde ruiné, corrompu, non pour être servi, mais pour servir, évangélisant les pécheurs, s’asseyant à leur table, s’identifiant avec un pauvre résidu, se faisant baptiser avec les repentants, allant de lieu en lieu faisant du bien, et conversant, ici, avec une Cananéenne, là, avec une Samaritaine de mauvaises mœurs, lui demandant un verre d’eau froide, s’abaissant jusque-là, s’assujettissant à tout, sans participer jamais au péché de l’homme.
Eh bien ! Paul ne faisait qu’imiter cet exemple de son Maître, « par la puissance de la grâce (car j’ai travaillé plus qu’eux tous, non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi) », il s’assujettissait à tous et à tout, dès qu’il s’agissait de porter l’évangile de la grâce aux pauvres pécheurs. S’agissait-il des Juifs qui étaient sous la loi ? des Juifs qui avaient crucifié son Sauveur, l’objet de tout l’amour de son âme ? des Juifs qui le persécutaient lui, Paul, de ville en ville et s’opposaient partout à son œuvre ? Eh bien ! loin de les fuir, de se détourner d’eux, il s’en approchait et les recherchait, et partout c’est à eux premièrement qu’il annonçait la repentance envers Dieu et la foi de Jésus, et cela au risque d’être contredit et persécuté. S’agissait-il d’hommes qui étaient « sans loi », sans frein, sans rapports avec Dieu ? Là aussi cet intrépide ouvrier allait porter le salut, et il s’assujettissait à avoir le cœur navré en voyant la corruption, les vices, les idoles des pauvres païens. Il était, dit-il, débiteur aux Grecs et aux barbares, aux sages et aux inintelligents. Il ne s’assujettissait pas seulement à prêcher l’évangile dans les villes, mais aussi dans les campagnes — pas seulement aux savants, mais aux ignorants — pas seulement à quelques pauvres femmes au bord d’une rivière, mais aussi devant une brillante cour et devant l’aréopage — sur un vaisseau ou dans un cachot. Il s’assujettissait à tous et à tout. Il ne reculait devant aucune peine, sous les coups, dans les prisons, dans les troubles, dans les travaux, dans les veilles, dans les jeûnes. — Mais s’il avait à faire à un roi, il ne devenait pas pour cela courtisan ; s’il avait à faire à un idolâtre, il ne devenait pas pour cela païen, et s’il avait à faire à des Juifs, il ne se remettait pas pour cela sous la loi. Libre à l’égard de tous et de tout, ne se laissant asservir par aucune chose, il s’asservissait à tous et à tout par la puissance de la grâce. Et remarquez ! afin de pouvoir se donner ainsi entièrement Dieu et aux hommes, il vivait de régime — il mortifiait son corps et se l’asservissait. Et c’est ainsi, du moins je le pense, que Paul devenait comme Juif avec les Juifs ; comme sous la loi avec ceux qui étaient sous la loi, comme sans loi avec ceux qui étaient sans loi, comme faible avec les faibles.
Si donc on étudie avec un peu de soin cette portion de l’Écriture, on trouvera que loin de favoriser le latitudinarisme, soit quant à la doctrine, soit quant à la marche, elle y est fort opposée ; car elle nous montre Paul, par la puissance de la grâce, s’asservissant à tout, vivant de régime, mortifiant et asservissant son corps, sans qu’il y ait un seul mot dans ces versets, qui puisse faire supposer que ce grand apôtre s’accommodait aussi bien du judaïsme et du paganisme que du christianisme.