Écho du Témoignage:La charité
« La fin du commandement, c’est l’amour »
Je me propose, dans ces lignes, de développer un peu, avec l’aide du Seigneur, ce chemin d’une excellence qui surpasse de beaucoup, qu’on manque si souvent, et qui est si peu compris.
« La fin du commandement, c’est l’amour qui procède d’un cœur pur, et d’une bonne conscience, et d’une foi sincère ». Mais rien ne saurait être plus éloigné d’une juste intelligence de ce « chemin », ni de cette « fin du commandement », que ce qui se présente dans les pensées et les vues qui ont cours parmi ceux qui sont distingués en nos jours par leur profession de christianisme. Dans la chrétienté ordinaire, on ne voit pas la racine de la charité, sa nature divine n’est point connue, et en conséquence son développement est impossible et n’est point recherché. Tout ce que l’on voit dans l’exposé divin de ce « chemin incomparable », c’est un séduisant tableau, une magnifique description, une peinture hyperbolique d’un idéal qu’on ne doit jamais s’attendre à voir réaliser dans la pratique ; ou si jamais on lui donne un corps, on le réduit à la manifestation des sentiments de bienveillance simplement de la nature humaine, et on essaie de lui faire rendre tout ce qu’on pense qu’il peut fournir dans l’art de gouverner et de discipliner les passions, et de soumettre la hauteur naturelle du caractère à l’action de la bride et du mors, à l’influence de freins de convention. Je ne parle pas ici de la restriction du sens de ce mot, charité, simplement à une distribution d’aumônes, mais de la signification qu’on attache à toutes ces phrases courantes, « en parfaite charité », « charité universelle », « vivre dans la charité », « mourir dans la charité ».
Mais « Dieu est charité ». La charité c’est « l’amour », et Christ sur la terre était la personnification divine de l’amour. En dehors de cela, les pensées que les hommes ont de l’amour et les résultats dans les hommes naturels de ces pensées, ne sont qu’une pauvre et indigne caricature de l’original divin : ce n’est sûrement pas le déploiement de ce que tous les dons de l’Esprit de Dieu devaient tendre à cultiver, toute la foi et toute la vérité devaient entretenir, et toute la révélation soutenir ; et au-delà de quoi il n’y a pas d’acquisition à faire dans la vie céleste, soit dans ce monde, soit dans celui qui est à venir. C’est plus profondément, bien plus profondément que cela, qu’il nous faut chercher ce dont la nature est essentiellement d’entrer dans tout véritable exercice d’âme envers Dieu et de survivre à tout ce qui sert à son développement, et qui dépasse tous les mystères et toute la connaissance, ainsi que la durée de toutes les merveilles qui peuvent être révélées à la foi et à l’espérance.
Dans des jours tels que les nôtres il est difficile de discerner clairement quelles sont les fins de Dieu dans le croyant individuellement, ou collectivement dans le corps : et quand on les discerne, il est encore plus difficile de les réaliser d’une manière conséquente. Cela provient, non de quelque défaut de clarté et de précision dans la Parole divine, mais de la manière dont nos vues sont tant défigurées par ce qu’il y a de faux dans la chrétienté qui nous entoure, et de l’éloignement du cœur pour l’efficace morale de la croix. Il est difficile de dégager son esprit de ces fausses et pernicieuses influences, qui sont à l’œuvre et agissent sur nous de tout côté de la part d’un christianisme qui, lié à la croix, peut être dit selon l’énergique expression de l’apôtre « penser aux choses de la terre » ; et cela, lorsque nous ne devrions être redevables pour la formation de nos pensées et de nos désirs qu’aux précieuses révélations de notre Dieu dans Sa Parole.
L’assertion, que même comme chrétiens il nous arrive souvent de manquer les fins de Dieu, n’a rien qui doive nous surprendre, puisque nous voyons par l’épître ouverte devant nous, que les Corinthiens, avec la constitution apostolique de leur église, et avec toute la plénitude de leurs dons spirituels, avaient failli à discerner les fins de Dieu en deux points des plus importants (il y en avait d’autres aussi, et d’une nature morale), et qu’ils durent y être solennellement rappelés par l’Esprit du Seigneur. Ils perdirent de vue la fin de Dieu dans leur rassemblement à la table du Seigneur, de sorte que « ce n’était pas manger la cène du Seigneur », mais la leur propre ; et ils étaient tellement fourvoyés dans l’usage qu’ils faisaient de la vérité révélée et des dons spirituels, qu’ils s’attirent le reproche d’être « charnels », de marcher à la manière des hommes, et d’être des enfants quant à l’usage et à l’estime qu’ils faisaient de ce qu’ils avaient reçu de Dieu. Il n’y aurait donc pas lieu de s’étonner que des chrétiens individuellement perdissent souvent de vue aujourd’hui la fin de Dieu à leur égard comme Ses rachetés ; ni que l’assemblée, quelque bien constituée qu’elle pût être, et quelque complets que puissent être ses ministères de vérité comme vérité, et tout en se glorifiant peut-être secrètement de sa connaissance, eût besoin d’être rappelée à la considération solennelle que « la connaissance enfle, mais l’amour édifie » — et d’entendre cet avertissement de l’Esprit : « Et je vous montre un chemin bien plus excellent » ! Nous pouvons bien nous tenir pour assurés qu’il n’y a pas de principes, quelque scripturaires qu’ils soient, ni de vérités, quelque profondes qu’elles puissent être, qui soient capables de garder l’âme dans les sentiers de Dieu, si on ne recherche pas « l’amour » comme la fin de tout.
Mais qu’est-ce que cette charité, sans laquelle tout don n’est qu’une vaine fanfare, et toute la connaissance que comme un simple jeu d’enfant ?
En Christ, sa manifestation fut parfaite, même dans son caractère objectif. Son exercice découlait de Lui sans avoir à vaincre une résistance quelconque, et sans qu’il y eût à faire abnégation du moi. Car comme « Dieu est amour », ainsi Christ était la parfaite manifestation de cet amour dans un homme, au milieu des circonstances humaines. Véritablement Il était l’amour, d’autant plus qu’Il était « Dieu manifesté en chair ». Mais en nous, c’est tout le contraire. L’amour commence en nous par l’abnégation, l’abnégation active, de tout ce qui caractérise la nature ou le vieil homme. Sa puissance se trouve dans le nouvel homme ressuscité en Christ. C’est Christ en puissance de vie dans l’âme : « Pour moi, vivre, c’est Christ », « Christ vit en moi ». De là vient qu’il est impossible que cette « voie bien plus excellente », cette fin de Dieu en ses saints, soit comprise ou recherchée là où l’âme n’est pas en possession de la confiance de son acceptation, et où l’on ne s’est pas saisi réellement de la vérité bénie que l’on est « ressuscité avec Christ ». C’est une énigme sans espérance là où cela est une énigme ; car la manifestation d’une chose ne saurait se trouver où la chose elle-même n’existe pas. C’est une énergie de vie qui développe sa forme propre, et ce ne peut être que de la source vivante qui est au-dedans — la nature divine, « ce qui est né de Dieu ». Elle seule pourra porter le poids de jours comme les nôtres ; car elle est victorieuse et ne saurait être vaincue. L’amour ne demande pas de motif : il est lui-même son motif. Il ne fait pas dépendre son exercice du succès, de l’estime, ou de l’approbation qu’il obtient au-dehors. Et il avait bien compris sa puissance, celui qui pouvait dire : « Mais soit, bien que vous aimant beaucoup plus, je sois moins aimé ». Mais on ne voit l’exemple parfait de l’amour qu’en Jésus sur la croix. La puissance n’était pas là, en effet, pour le soutenir, ni la sympathie non plus ; il n’y avait pas davantage l’estime de ceux qui avaient vu comment il s’était exercé durant Sa vie, dans la guérison de leurs malades, le nettoiement de leurs lépreux, ou la résurrection de leurs morts ; enfin, il y manquait aussi l’estimation de ceux qui, là, étaient redevables à Sa vie de leur vie et de leur salut, et qui devaient connaître les fruits abondants de l’amour, après que l’amour aurait achevé sa victoire au milieu de la réjection, de l’abandon, des souffrances et de la mort.
Ce chapitre, dont le moins attentif ne peut faillir à remarquer la place particulière, est d’une application pratique si évidente au « labourage de Dieu », que celui qui exerce un don ou un ministère quelconque, le fait en vain, quant à lui-même, si son activité ne découle pas de cette source d’amour. Et il n’est pas moins évident que le but de Dieu n’est point atteint en ceux au service desquels ce ministère s’emploie, si la charité n’est pas vivifiée et entretenue, et si les exercices qui la caractérisent ne sont pas réveillés dans l’âme. La fin de Dieu en ses saints — Sa « voie parfaite » en leur faveur — est la charité. De sorte que le ministère de l’amour commence par l’amour en celui qui l’exerce, et se termine dans l’entretien de l’amour chez ceux en faveur desquels il est exercé ; selon que l’apôtre dit à Timothée que « la fin du commandement (ou de la charge), c’est l’amour ».
Si donc il s’agit du don des langues — quoiqu’elles manifestent d’une manière admirable la puissance et même la bonté de Dieu, à venir ainsi vers les hommes dans leurs divisions et leurs divers langages, qui sont les fruits du péché — il n’en est pas moins vrai que « si je parle dans les langues des hommes et des anges, mais que je n’aie pas l’amour » — si l’amour ne dirige pas leur exercice, et si elles n’ont pas pour résultat d’éveiller l’amour, je ne suis qu’un vain son aux yeux de Dieu et quant à tout résultat divin : « Je suis comme l’airain qui résonne, ou comme la cymbale retentissante ».
Mais il y a quelque chose de plus profond. S’il est question de ce qui intéresse l’esprit, qui si souvent s’arrête tout court en deçà des fins de Dieu, et fait son but de son propre charme, de son propre plaisir, même quand il s’occupe de la radieuse révélation de la vérité, c’est de nulle valeur. La prophétie, la pénétration de tous les mystères, la possession de toute connaissance, dons sur lesquels nous faisons reposer tant de satisfaction pour nous-mêmes, et dont nous attendons, espoir fréquemment déçu ! tant de fruits pour les autres, n’atteignent en aucune manière le but. Le labourage de l’amour ne s’avance point par des instruments comme ceux-là. « La foi » elle-même qui sait comment introduire la puissance de Dieu — la foi qui pourrait « transporter les montagnes », vacillera dans cette « voie parfaite ». Si je n’ai pas plus que cela, et si je ne cherche pas davantage, « je ne suis rien ».
Mais plus encore. La bonté peut avoir chez moi son essor le plus étendu, le zèle peut avoir atteint ses extrêmes limites, sans que, néanmoins, je sois jamais peut-être arrivé à ce céleste chemin. Quand même je distribuerais tous mes biens en aliments pour les pauvres, et que mon zèle ferait de moi un martyr, si « l’amour » n’est point la source, cela ne me profite de rien. La philanthropie peut avoir ses dévots, et le zèle ses martyrs : « l’amour » seul est profitable.
« L’amour est de Dieu, et quiconque aime, est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas, n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour ». Quelque largement que diffèrent dans leur teneur générale l’enseignement de l’apôtre Paul et celui de Jean, ils se confondent en cela ; et certes, il n’en pouvait être autrement puisqu’ils ont en vue l’un et l’autre le but final de Dieu.
« L’amour » donc « est de Dieu » ; et pour aimer, il nous faut être « nés de Dieu ». L’amour est l’exercice et la manifestation de quelque chose qui est divin dans son essence et dans son caractère. Il doit s’exercer dans un monde où son énergie sera mise à l’épreuve, et au milieu de circonstances où tout doit faillir excepté lui. Mais « l’amour ne périt jamais ». Dans l’exemple béni du Seigneur Jésus, nous voyons comment tout, dans un monde contraire, ne fut pour Lui que l’occasion d’une éclatante manifestation de l’amour, jusqu’à ce qu’il eut atteint dans la mort de la croix son ineffable couronnement. Cet amour ne peut donc pas différer de lui-même. De sorte que, si dans son exercice il doit rencontrer la souffrance ou une occasion de montrer de la bonté, l’amour est ceint pour son œuvre ; car « l’amour use de longanimité, et il est plein de bonté ». Bien plus : faut-il qu’un autre soit avancé, et moi rejeté dans l’ombre ? Soit : « l’amour n’est pas envieux ». Il ne regarde pas les autres d’un œil jaloux, et n’est point insolent ou téméraire. Et comme il ne cherche pas à rabaisser la gloire d’autrui, il ne s’enfle pas non plus de ses avantages. Il marche toujours dans la plus profonde modestie ; il n’y a rien de déshonnête dans ses voies. Il ne cherche point ses intérêts, et ne s’irrite point des manques d’égards qu’il rencontre. Quant au mal, il ne le pense pas, ni ne le soupçonne. « Il ne se réjouit pas de l’injustice » ; mais il trouve sa joie dans les triomphes de la vérité. « Il supporte tout » ce qu’il faut supporter, « croit tout » ce qu’il convient de croire, « espère tout » tout le temps qu’il y a lieu d’espérer, « endure tout » aussi longtemps qu’il y a lieu au support.
« L’amour ne périt jamais ». « Pour la prophétie », quoique ayant trait aux communications divines, « elle prendra fin » ; « quant aux langues », quoique le brillant témoignage de Christ comme Seigneur monté en haut, « elles cesseront » ; et pour ce qui est de « la connaissance », telle que l’esprit de l’homme peut la saisir, quoique communiquée d’une manière céleste « elle aura sa fin ». Ce ne sont que des pas sur la voie — d’élémentaires progrès vers ce au-delà de quoi il n’est pas de progrès. Quand ce terme sera atteint, toutes ces choses auront disparu de notre vue, ou nous ne les verrons plus qu’en regardant en arrière du haut de notre position au sein de ce qui est parfait et éternel, comme, parvenu à l’âge viril, l’homme fait un retour sur les choses de son enfance avec une estime rectifiée et amoindrie de leur valeur.
Mais « maintenant ces trois choses demeurent, la foi, l’espérance et l’amour ; mais la plus grande de ces choses c’est l’amour ». Quelque profondes que soient les vérités sur lesquelles l’assurance de la foi repose et en dehors desquelles il ne saurait y avoir de progrès pour l’âme dans les sentiers du Seigneur, et tout éternelles que sont ces vérités, cependant la fin de Dieu est plus en avant encore. L’assurance de la foi elle-même n’est pas la fin que Dieu poursuit à notre égard. Il y a quelque chose de plus profond encore. Les révélations qui unissent l’âme à Celui « que nous aimons quoique nous ne l’ayons pas vu » prendront fin, et ne seront plus la base de « la foi » quand « nous Le verrons tel qu’il est ». Même les radieuses perspectives de l’espérance, avec toutes les sublimes splendeurs et toutes les gloires qu’elle anticipe, arriveront à leur terme et n’existeront plus en tant qu’espérance, mais l’amour restera encore. Et ce n’est pas dans un sens abstrait qu’il est dit que l’amour restera, comme caractérisant la nature de Dieu, et par conséquent comme étant aussi éternel que Lui-même, toute bénie qu’est à jamais cette pensée ; mais il reste maintenant comme la voie que nous avons à suivre, voie qui ne périt jamais. Mais combien il est sûr que rien de ce qui tient à la nature ne peut nous rendre capables de suivre cette voie ! Bien plus, combien certainement tout ce qui nous est naturel, comme hommes, doit être mis de côté, pour que nous puissions accomplir ici un pas en avant ! C’est le chemin de la croix, le chemin de la mort à la chair. C’est un sentier qui n’est connu que de Dieu — un sentier que « l’œil du milan n’a point vu », mais qui est néanmoins « le sentier de la vie » ; mais un sentier que rien que l’« œil simple » ne trouvera.
Bien différent de ces dons et de ces ministères de connaissance qui portent dans leur exercice le sceau et l’empreinte de la puissance, et que l’homme peut convoiter et apprécier, « l’amour » ne regarde qu’à Dieu pour l’approbation de ses travaux, et ne peut être estimé que par ceux dont le cœur est façonné par Sa puissance céleste.
On peut avoir part au service de la vérité et y prendre plaisir, mais la vérité dans sa portée la plus haute ou son plus profond caractère ne gardera point l’âme, si, pour soi-même et dans la lumière de Dieu, on ne recherche pas les fins de « l’amour ». La vérité peut être l’objet de désirs ardents, et on peut se glorifier dans des principes justes ; mais l’amour seul tiendra au temps de l’épreuve. Tout, excepté lui, laissera ceux qu’il attire pareils à la balle en présence du vent qui l’emporte, lorsque viendra l’heure de la souffrance pour la vérité.
« L’amour ne périt jamais », et « le fondement de Dieu demeure ferme », et nous pouvons ajouter, « le Seigneur gardera les siens » ; cependant, celui qui dans le labourage de Dieu ne regarde pas à « l’amour » comme source de sa force, et ne le recherche pas comme son but final dans les âmes, ne fait que poser le fondement d’une déroute complète et d’une ruine assurée, résultat commun à tous les précédents réveils dans l’Église de Dieu.
L’amour a égard, nécessairement, à tout ce à quoi Dieu a égard ; car « Dieu est amour ». Il ne peut s’exercer à maintenir rien de ce qui est contraire à Dieu. Son caractère essentiel est inconnu là où l’esprit nourrit à son sujet une pensée semblable. Il poursuit les fins de Dieu, et seulement elles. Et que sont-elles sinon la gloire de Christ, et qu’il y ait chez ceux qui Lui appartiennent une juste appréciation de Son œuvre ?