Livre:Jonas, fils d’Amitthaï (E.G.)/La requête de Jonas, ou le cœur de l’homme et le cœur de Dieu

De mipe
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« Et il fit à l’Éternel cette requête : Éternel ! je te prie, n’est-ce pas là ce que je disais quand j’étais encore dans mon pays ? C’est ce que je voulais prévenir en fuyant à Tarsis. Car je savais bien que tu es le Dieu clément, miséricordieux, lent à la colère, riche en grâce, et qui te repens aisément du mal dont tu as menacé. Maintenant, Éternel ! je t’en supplie, retire de moi mon âme, car la mort me vaut mieux que la vie. L’Éternel répondit à Jonas : Fais-tu bien de t’irriter ainsi ? ».

Quel désordre dans cette requête ! Quel mélange de piété et de rébellion ! Et comme, dans la prospérité, Jonas prie autrement qu’il ne l’avait fait dans l’épreuve ! Dans les sombres profondeurs de l’abîme, sa requête à Dieu ne respirait que l’humiliation ; comblé maintenant de Ses grâces, la prière qu’il Lui adresse (si tant est que les paroles qu’il prononce méritent ce nom), sa prière est toute empreinte de fierté, d’insolence et de révolte. Ce n’est plus le langage de la foi et de la contrition ; c’est le cri de l’orgueil, du dépit et de la passion : tout son cœur naturel s’y retrouve. Nouveau motif pour nous, frères ! d’accepter volontiers l’épreuve quand Dieu nous la dispense. Elle est tout aussi nécessaire pour ranimer ou maintenir en nous l’esprit de prière et de dévotion que l’air pour allumer le feu ou alimenter la flamme. Ils sont rares dans tous les temps, les David, les Daniel, ceux qui conservent la piété dans toutes les positions, dont la santé spirituelle demeure bonne, si je puis ainsi dire, à toutes les températures morales. Au soleil de la prospérité, l’âme s’amollit et décline : elle ne s’approche vraiment de Dieu que dans le creuset de l’affliction.

Pauvre Jonas ! Où donc est sa piété dans ce moment ? Et où est son sens ? Quelles paroles que celles qu’il adresse à Dieu ! Et quelle réponse que celle qu’il en reçoit ! Nous avons dit précédemment que le livre de Jonas, comme toute la Bible, est un miroir où se réfléchissent, l’une à côté de l’autre, l’image souverainement odieuse de la nature humaine et l’image parfaitement aimable de la nature divine ; c’est tout particulièrement à notre texte que cette remarque générale s’applique.

Nous y voyons d’abord le cœur de l’homme ; car Jonas c’est l’homme, selon cette parole de l’Écriture : « Comme le visage répond au visage dans l’eau, ainsi le cœur d’un homme répond à celui d’un autre ».

Remarquons, en premier lieu, la malice et la dureté de cœur du prophète. Il ose dire à Dieu : « N’est-ce pas là ce que je disais quand j’étais encore dans mon pays ? C’est ce que je voulais prévenir en fuyant à Tarsis ». Il Lui rappelle sa désobéissance, mais sans ajouter un mot qui témoigne de la douleur, mêlée de gratitude, que le souvenir de ce qui venait de se passer eût naturellement dû éveiller en lui. Révolte, châtiment, pardon, tout s’est effacé de sa pensée. S’il Lui dit : « Je savais que tu es le Dieu clément, miséricordieux, lent à la colère », c’est comme pour Lui en faire un reproche. La connaissance qu’il a de la gloire de l’Éternel n’est plus celle qui le soutenait si puissamment dans le ventre du poisson. Il sait que le Seigneur est bon, et il s’en autorise pour être méchant (après cela, mesurons notre avancement spirituel à ce que nous connaissons et à ce que nous savons dire) ! Si Jonas a gardé la mémoire de la bonté de Dieu, il en a perdu le sentiment ; et le souvenir qu’il en conserve, ne sert qu’à encourager, par l’espoir de l’impunité, les coupables éclats de son dépit.

Singulière plainte, du reste, que la sienne ! Ce qui a fait la joie et la consolation de tant d’autres serviteurs de Dieu, le remplit, lui, de tristesse et de douleur. Dieu est bon, voilà ce qui le désole ! Il reproche au Seigneur précisément ce qui fait Sa gloire. Il s’irrite de ce qu’Il n’a pas enseveli les Ninivites sous les débris de leur cité ; s’il l’eût vue détruite par un tremblement de terre, ou consumée par le feu et le soufre, sûrement il fût retourné dans son pays, l’âme pleine de joie ; mais elle est debout : il s’en ira donc le cœur rempli d’amertume. Le Seigneur Jésus disait un jour à Ses disciples qui L’engageaient à faire tomber le feu du ciel sur une ville qui ne L’avait pas reçu : « Vous ne savez de quel esprit vous êtes animés ! ». Ce miséricordieux reproche s’adresse encore mieux au malheureux Jonas appelant en son cœur les vengeances divines sur une cité qui non seulement l’avait reçu, mais s’était tout entière repentie à sa voix.

Méchant Jonas ! nous écrions-nous peut-être ; homme cruel, cœur de pierre ! — Mais, encore une fois, prenons-y garde : c’est l’humanité que nous frappons en sa personne ; que l’inconverti le nie tant qu’il lui plaira, le chrétien qui a sondé la plaie de son cœur se reconnaît dans Jonas et s’écrie : Je suis cet homme-là !

Outre la dureté de cœur, remarquez en lui l’esprit de justification personnelle, cette autre plaie de notre nature ruinée. « Éternel, je te prie, n’est-ce pas là ce que je disais quand j’étais encore dans mon pays ? » etc. Comme s’il eût dit à Dieu : « Je savais bien que tu es charitable, et j’avais bien prévu que ton pardon, contredisant ma prédication, me ferait passer pour un faux prophète ; c’est aussi ce que je voulais prévenir par ma fuite ». Le sombre cachot où Dieu l’avait enfermé ne l’a donc point guéri ; nous le retrouvons à Ninive ce qu’il était en Israël. « N’est-ce pas là ce que je disais ? » s’écrie-t-il. Il ne rappelle sa révolte que pour essayer de la justifier ; mais il ne fait ainsi que justifier le châtiment de Dieu, et qu’en faire mieux ressortir la nécessité comme aussi la modération. « N’est-ce pas là ce que je disais ? ». Il en demeure à ce qu’il a dit, parce qu’il l’a dit, bien qu’il sache qu’il l’a mal dit, et qu’il eût mieux fait de ne pas le dire ; il le redira pourtant encore plutôt que de confesser son erreur ou son tort. Voilà bien de nouveau le cœur de l’homme pris en flagrant délit. Notre chétive personne est tout pour nous ; Dieu, la vérité, la charité, peu de chose. Courbés un instant comme Jonas sous la puissante main du Seigneur, à peine sommes-nous quittes de Ses châtiments que nous nous relevons aussi fiers que jamais ; le sentiment de nos fautes s’affaiblit rapidement, et si le souvenir nous en reste, c’est le plus souvent pour les justifier ou tout au moins les pallier. Ah ! Seigneur, mets en nous, par ta grâce, cet esprit humble qui te donne toujours droit et se donne toujours tort ; en même temps que ce cœur charitable qui se réjouit toujours de savoir que ta bonté dure à jamais, et qui n’aspire qu’à te ressembler dans le plus glorieux de tes attributs !

À la dureté de cœur et à l’esprit de justification propre, le prophète va sur l’heure ajouter la témérité, l’ingratitude et la révolte, et nous montrer ainsi toujours mieux ce qu’est l’homme depuis son apostasie. « Maintenant, Éternel ! je t’en supplie, retire de moi mon âme, car la mort me vaut mieux que la vie ».

Il faut bien le répéter, c’est un singulier homme que ce fils d’Amitthaï ! Tandis que beaucoup d’autres ont été plus d’une fois tentés de laisser là leur ministère à cause de son insuccès, c’est, au contraire, à cause de sa pleine réussite que lui semble vouloir renoncer au sien et qu’il souhaite la mort. « Maintenant, Éternel ! je t’en supplie, retire de moi mon âme, car la mort me vaut mieux que la vie ». Méchante prière, jaillissant d’un cœur méchant ! «  Seigneur ! Ton service est rude et pénible ; il me tarde d’en avoir fini avec la vie et le ministère que tu m’as conféré ».

Entre Jonas et le Christ nous avons plus d’une fois indiqué de notables ressemblances. En même temps, nous avons signalé de profonds contrastes, et souvent nous avons rappelé la parole du Seigneur : « Voici, il y a ici plus que Jonas ! ». Mais jamais peut-être cette mémorable parole du Sauveur ne trouva mieux qu’ici son application. Quelle distance, en effet, du Fils de Marie ne désirant la mort que pour se conformer à la volonté de Dieu et nous racheter — du Fils de Marie exhalant Son âme sainte dans cette douce et paisible prière : « Père, je remets mon esprit entre tes mains ! » — quelle distance du Fils de Marie au fils d’Amitthaï s’écriant dans un accès de dépit et d’irritation : « Maintenant, Éternel, je t’en supplie, retire de moi mon âme, car la mort me vaut mieux que la vie » !

Arrêtons-nous un instant sur le vœu du prophète. D’abord pour en signaler l’ingratitude. Il a donc oublié que c’était à son instante prière que Dieu lui avait rendu cette même vie dont présentement il fait si peu de cas. Il veut quitter ce monde quand, si miséricordieusement délivré, il devrait désirer, au contraire, de prolonger ses jours au service de son divin Bienfaiteur, et de continuer à Sa gloire un ministère si remarquablement béni.

Et que d’aveuglement dans cette requête ! Il veut mourir plutôt que de voir, selon sa crainte, la parole du Seigneur décriée dans sa bouche, et la gloire d’Israël transportée aux Gentils, comme si Dieu n’était pas là pour protéger le message et le messager ! et comme s’Il n’avait pas suffisamment de grâces pour les compatriotes de Jonas et pour les gens de Ninive ! — Que de cruauté dans ce même cri du prophète : «  Si Ninive vit, que Jonas meure ! » — Enfin, que de témérité ! Est-ce donc l’heure d’aller comparaître devant Dieu, que celle où l’on conteste avec Lui ? Oh ! aveuglement, oh ! folie de Jonas d’exprimer un tel vœu ! Oh ! bonté du Seigneur de ne point l’exaucer en ce moment !

Mais, encore une fois, ne frappons pas rudement le prophète, car la pierre que nous jetterions sur lui pourrait bien retomber sur nous de tout son poids. Que de fois, en effet, n’avons-nous pas, nous aussi, demandé la mort avec la même ingratitude, si ce n’est avec la même insolence et la même témérité que lui ! Et que de pauvres aveugles l’appellent encore de toute l’énergie de leurs vœux ! Cependant ceux qui la désirent avec le plus d’ardeur sont bien souvent ceux-là même qui auraient le moins sujet de le faire. Ah ! qu’au lieu de la demander avec tant d’impatience, ils se préparent plutôt à la recevoir quand il plaira à Dieu de l’envoyer, et qu’ils songent que si, pour le croyant, elle est la fin de toutes les misères, elle n’est pour l’inconverti que le commencement des douleurs.

Tel est donc le cœur de Jonas, c’est-à-dire tel est le cœur de l’homme, depuis que la couronne d’innocence est tombée de dessus sa tête. Hâtons-nous d’en détourner nos regards pour les arrêter sur de plus douces images. Le cœur de Dieu se reflète, dans notre texte, avec la même fidélité que celui de l’homme. — D’abord en déclarations.

Il est l’Éternel, Celui qui était, qui est et qui sera, la cause première et le but final de tous les êtres, immuable dans Son essence, dans Son amour, dans Ses promesses. C’est le nom que nous Le voyons prendre au moment où Il se lève pour accomplir Sa parole en délivrant Son peuple de la captivité de Pharaon (Ex. 6). Plus tard, Il développe et complète Lui-même ce nom saint et auguste, quand, sur la montagne, Il s’appelle : « Jéhovah, le Dieu miséricordieux, clément, lent à la colère, riche en grâce et en vérité », etc. (Ex. 34). Tel est le nom que Jonas Lui donne, ou plutôt tel est le nom qu’il rappelle, car il dit : « Je savais bien que tu es le Dieu clément, miséricordieux », etc.

Retraçons l’origine de ce nom glorieux. Moïse se trouvait donc sur Sinaï où Dieu parlait avec lui face à face comme un homme parle avec son ami. Le prophète Lui ayant un jour demandé, dans l’abandon d’un cœur tout filial, de lui montrer Sa gloire : « Je ferai passer toute ma bonté devant ta face », lui répondit le Seigneur, « et je crierai le nom de l’Éternel devant toi ». Passant ensuite devant Moïse, « il proclama le nom de l’Éternel », en disant : « L’Éternel, l’Éternel, le Dieu miséricordieux, clément, lent à la colère, riche en grâce et en vérité, gardant la gratuité jusqu’en mille générations, ôtant l’iniquité, le crime et le péché, ne tenant point le coupable pour innocent, et punissant l’iniquité des pères sur les enfants, et sur les enfants des enfants, jusqu’à la troisième et la quatrième générations » (Ex. 34).

Tel est donc le nom de l’Éternel Dieu, le Père, la Parole et l’Esprit, comme ce Dieu Lui-même, dans la personne du Fils, le proclama sur la montagne. Tel est ce nom sacré qui, de la cime de Sinaï, a dès lors retenti dans tous les âges, et qu’ont redit avec bonheur toutes les générations des rachetés. Moïse le premier s’en prévalut auprès du Seigneur en faveur d’Israël, après la révolte de Kadès. David le répéta après Moïse ; Joël, Jonas, Nahum après David, Néhémie après Nahum, et nous après eux tous. Le dernier des fils de Dieu sur la terre l’aura encore dans le cœur et sur les lèvres, au moment où « les cieux et la terre passeront avec le bruit sifflant d’une tempête », et il sera le thème inépuisable de nos louanges durant toute l’éternité. Nom trois fois saint ! Sublime peinture de l’essence divine, tracée de la main de Dieu même ! Véritable arc-en-ciel de Sa gloire, où s’harmonisent merveilleusement Ses attributs ineffables, mais où néanmoins prédominent les douces et attrayantes couleurs de Sa bonté ! Jonas, comme on a pu le voir, ne le cite pas en entier ; arrêtons-nous sur la portion qu’il en rappelle.

L’Éternel est « Dieu, le Dieu fort, le Créateur du ciel et de la terre, devant qui l’armée des cieux se prosterne », le protecteur et le gardien de tous ceux qui « se retirent vers lui », tout-puissant pour leur donner un jour tout ce que Son amour leur a destiné dès l’éternité.

Il est le Dieu « clément »[1], littéralement pitoyable, gracieux, source unique, éternelle, souveraine, de toute grâce et de toute bénédiction. La grâce en Lui suppose en nous la culpabilité. Il a fait pour nous croyants de grandes choses. Nous étions de notre nature des « impies » : Jésus est « mort en son temps pour nous ». Nous étions « ses ennemis » : Jésus « nous a réconciliés avec Lui par le corps de sa chair en sa mort ». « Dépourvus de toute force et morts dans nos péchés et dans nos fautes », « il nous a vivifiés ensemble avec Lui, nous ayant gratuitement pardonné toutes nos offenses » ; « il nous a créés en Lui pour les bonnes œuvres qu’il a préparées afin que nous marchions en elles ». Impurs, Il nous a lavés de nos souillures par « le baptême de la régénération et le renouvellement du Saint Esprit ». Esclaves, enfin, du diable et du péché, « il nous a délivrés du pouvoir des ténèbres et nous a transportés dans le royaume de la lumière ».

Et non seulement Il est clément, mais Il est miséricordieux. La miséricorde en Lui présuppose de même en nous la misère. Et quelle misère égala jamais la nôtre ! Totalement « étrangers à la vie de Dieu », nous n’avions devant nous d’autre perspective que l’éternelle malédiction ; alors Ses entrailles paternelles s’émurent ; les flots de Sa charité coulèrent sur nous comme un torrent débordé, renversant tout ce qui s’opposait à leur cours ; « la miséricorde prévalut sur le jugement », et l’abîme de nos iniquités vint s’engloutir et se perdre tout entier dans celui de Ses compassions.

De plus, Il est lent à la colère. Il menace, puis Il attend ; chaque péché est un attentat à Sa majesté sainte et mérite la mort ; cependant Il suspend le coup de Sa vengeance ; Il crie au pécheur : « Repens-toi et vis ! ». Il fait briller à ses yeux le glaive de la justice, et, au premier signe d’amendement, le remet dans le fourreau.

Il est riche en grâce. Voilà ce que devraient répéter tous les fils des hommes ; car, pour eux, Il a semé la terre de Ses dons ; ingrats et méchants, ils en jouissent contre Lui : au lieu de les punir, Il se venge d’eux par de nouveaux bienfaits. — Mais voilà ce qu’avant tous les autres doivent proclamer les fils de Dieu. « Il les a élus en Christ avant la fondation du monde » ; Il les a gratuitement « adoptés à soi » par Jésus, et les a rendus, par la foi, participants de la justice et de la nature du Rédempteur, afin de pouvoir aussi les rendre un jour participants de Sa gloire. Il habite en eux par Son Esprit, Il les couvre de Son aile, les conseille dans leurs difficultés, les console dans leurs épreuves, les « scelle » et les garde « pour le jour de la rédemption ».

Il est, enfin, le Dieu qui se repent aisément du mal dont Il a menacé. Quoique ce dernier attribut ne se trouve pas énoncé en tout autant de mots dans le nom que Dieu prononça sur la montagne, cependant Jonas le déduit tout naturellement de ceux qui précèdent. Toujours facile à désarmer, l’Éternel n’attend qu’un soupir, qu’un aveu, qu’une larme du coupable pour passer incontinent par-dessus tous ses torts.

Tel est le cœur de Dieu. Le voilà comme Il nous le révéla Lui-même quand Il proclama sur la montagne ce nom saint, éternellement béni, que rappelle ici le prophète, mais qu’il comprenait pourtant mieux dans le ventre du poisson qu’il ne le fait à cette heure. Le voici maintenant tel qu’Il l’a manifesté dans les dispensations de Sa providence ; le voici, non plus en déclarations, mais en action. Nous ne multiplierons pas les exemples : un ou deux suffiront. Avant tout, rappelons dans quelle circonstance Dieu prononça le nom précieux où se révèle à nous toute Sa bonté ! Il choisit donc à dessein pour cela le moment où, comblé de Ses faveurs, Israël venait de Lui préférer une vile idole ; oui, ce fut précisément à ce moment-là qu’Il déploya envers Son peuple toutes les richesses de cette bonté qui couvre nos péchés, nos iniquités et nos crimes. Mais, sans aller chercher si loin nos témoignages, souvenons-nous de ce que le Seigneur venait de faire pour « la ville sanguinaire, pour la prostituée pleine de charmes, qui vendait les nations par ses prostitutions » (Nah. 3). Et puisque nous avons l’occasion de l’exprimer, quel contraste, dirons-nous, quel contraste se produit sous nos yeux entre le Maître et le serviteur ! Tandis que Jonas veut la ruine de Ninive, de Ninive qui ne l’avait point offensé, Dieu pardonne à la ville inique dont « la malice était montée jusque devant Lui » ; et pendant que le prophète entend qu’elle périsse avec tout ce qui est en elle, le Seigneur, au contraire, la sauve avec tout ce qu’elle contient, Sa compassion s’étendant jusqu’aux animaux qu’elle renferme, comme pour accomplir cette parole du psalmiste : « Éternel, tu conserves les hommes et les bêtes ! ».

Ce n’est pas seulement sur Ninive qu’Il étend l’aile de Sa miséricorde ; Il fait grâce à un être plus coupable encore que la cité voluptueuse, menteuse et sanguinaire ; Il fait grâce au fils d’Amitthaï. La grande ville avait péché contre Dieu sans Le connaître, Jonas offense le Seigneur qu’il connaît très bien ; et, tandis que la païenne Ninive s’était humiliée sans retard à la voix de l’Éternel, Jonas, Israélite et prophète, regimbe deux fois contre Lui.

Dieu l’avait justement châtié pour sa première révolte en l’enfermant dans le ventre du poisson. Néanmoins, tout en le punissant, Il s’était souvenu d’avoir pitié de lui ; au lieu de dédaigner sa requête, Il l’avait délivré magnifiquement et lui avait ensuite multiplié les témoignages de Sa bonté. Sans doute, plein de reconnaissance, Jonas va désormais se montrer humble, miséricordieux, soumis ? — Superbe, hélas ! et dur comme jamais, à la révolte le voici, tout au contraire, qui joint le blasphème. — Mais l’Éternel ne brisera-t-Il pas enfin le misérable vermisseau qui ose contester contre Lui ? — Il ne lui reproche pas même sa désobéissance ; Il lui parle avec amour ; Il raisonne avec lui comme ferait un père tendre avec un enfant revêche qu’il veut ramener au droit chemin : « Fais-tu bien de t’irriter ainsi ? » lui dit-Il. Que de bonté tout à la fois et que de pitié dans ce reproche ! Il traite Jonas comme le prophète n’eût pas fait son serviteur, si celui-ci se fût permis à son égard ce que lui-même se permettait envers son Créateur et son Maître. Il daigne prêter l’oreille à sa méchante prière, et, après l’avoir écoutée jusqu’au bout, faire grâce au téméraire qui venait de la prononcer, au lieu de le prendre au mot et de le retirer de ce monde au moment où le malheureux était si peu en état de le quitter. C’est une chose merveilleuse, ô mon Dieu ! que ta charité ; c’est un océan sans bords où se perdent l’imagination des hommes et l’intelligence des anges ; ce sont les hauteurs des cieux et les profondeurs de l’abîme !

Telle est donc la nature humaine, et telle aussi la nature divine. Les voilà l’une et l’autre peintes de la main de Dieu Lui-même. Arrêtons-nous devant ce tableau d’incompréhensible misère d’une part, et de charité plus incompréhensible encore de l’autre. Que l’étude expérimentale du cœur de l’homme et du cœur de Dieu soit l’occupation de toute notre vie. À mesure que nous sondons, dans Jonas et dans toute la Bible, la profondeur de notre chute, sondons-y de même les profondeurs de cette « grâce qui surabonde où avait abondé l’offense » ; à proportion que nous descendons davantage dans cet abîme d’iniquité qu’on nomme le cœur humain, enfonçons-nous toujours plus avant dans cet autre abîme, plus profond, que l’Écriture appelle le cœur de Dieu.

Encore un mot sur le nom de l’Éternel. Jonas, comme on l’a vu, ne le cite pas en entier ; rappelons la partie qu’il en omet. Jéhovah n’est pas seulement le Dieu « clément, miséricordieux » ; Il est le Dieu « riche en vérité », c’est-à-dire le Dieu qui tient fidèlement ce qu’Il a promis ; et tandis qu’Il ne « punit l’iniquité des pères sur les enfants que jusqu’à la troisième et quatrième générations, il garde », à ceux qui Le servent, « la gratuité jusqu’en mille générations ».

Il est le Dieu qui « ôte le péché, le crime et l’iniquité ». Dans le nom complet de l’Éternel, cette dernière parole vient se placer entre celle qui se rapporte à la bonté de Dieu (« miséricordieux, clément », etc.) et celle qui concerne Sa sainteté et Sa justice (« ne tenant point le coupable pour innocent », etc.). Cette parole intermédiaire est donc le lien naturel, le nœud divin des deux autres ; elle explique admirablement comment l’Éternel est à la fois juste et sauveur, et comment Il a pu, dans tous les âges, supporter avec tant de patience les erreurs et les folies de Ses enfants. Ce fut pour accomplir cette parole que Lui-même, en la personne du Fils, descendit ici-bas, qu’Il épousa notre nature, prit sur Lui notre malédiction et souffrit à notre place la mort de la croix.

Au reste, la bonté, la gratuité de l’Éternel est une gratuité, une bonté souveraine. Elle choisit librement ses objets. Aussi le Seigneur dit-Il à Moïse : « Je crierai le nom de l’Éternel devant toi ; je ferai grâce à qui je ferai grâce et j’aurai compassion de qui j’aurai compassion ». La Bible entière est remplie des témoignages de la souveraineté de Dieu. C’est ainsi, par exemple, qu’Il épargne Jonas et Ninive pendant qu’Il frappe Sodome et le prophète de Juda (1 Rois 13).

Enfin, Jonas omet aussi la conclusion du nom de l’Éternel. « Il ne tient point le coupable pour innocent », etc. S’il est bon de se rappeler la charité du Seigneur, il n’est pas moins nécessaire de se ressouvenir de Sa sainteté et de Sa justice. « Péchons », dit trop facilement notre cœur, « péchons afin que grâce abonde ». Ainsi pensait peut-être le fils d’Amitthaï quand il s’enfuyait vers Tarsis, et lorsque plus tard il prononça les paroles que nous méditons. C’était apparemment sur la clémence de Dieu qu’il comptait quand il osait Lui dire : « Maintenant, Éternel ! je t’en supplie, retire de moi mon âme », etc. Mais alors il voulait bien oublier, le prophète, la sérieuse parole qui termine le nom du Dieu fort. Craignons de l’oublier aussi nous-mêmes. La consolation que renferme la première partie du nom trois fois béni, n’appartient qu’à celui qui marche actuellement dans le sentier de la droiture, tandis que la seconde partie est toujours là pour alarmer le pécheur qui s’en écarte. Ne les perdons de vue ni l’une ni l’autre. Ou bien, comme il ne se peut faire qu’à un moment donné nous n’envisagions la gloire divine sous une face plutôt que sous une autre, sachons du moins arrêter nos regards sur celle qui répond aux besoins actuels de notre âme. Dans l’abattement, ne considérons pas la justice de Dieu principalement, ni, dans la légèreté, principalement Sa miséricorde : ce serait entrer dans les vues de Satan. Faisons l’inverse. Le nom de Jéhovah, disions-nous, est comme un arc-en-ciel majestueux. Or, cet arc-en-ciel de Sa gloire a des couleurs riantes, et il en a de sévères. Eh bien, dans nos heures de découragement, sachons arrêter les yeux sur les douces teintes des gratuités du Seigneur ; dans nos moments de tiédeur, de somnolence ou d’infidélité, envisageons plutôt les tons plus sérieux de Sa justice et de Sa haine pour le péché. On ne L’offense pas impunément ; plus Il a béni, plus Il châtie : Il a des verges, et, s’il le faut, des verges de feu pour les fils de Son alliance.

Jusqu’ici nous avons considéré le nom de l’Éternel sous un point de vue moral. Ne pourrait-il pas être également envisagé sous un aspect prophétique ? En effet, le nom qui d’âge en âge est le mémorial du Seigneur semble exprimer à lui seul toutes les destinées du peuple de Jonas, expliquer tout à la fois son passé, son présent et son avenir.

Son passé. Justement humiliée sous la main de Dieu, la nation juive a, jusqu’à ce jour, proclamé de fait, au milieu du monde, cette vérité, qu’« il ne tient point le coupable pour innocent », et qu’« il punit l’iniquité des pères sur leurs enfants ».

Son présent. C’est parce qu’Il est l’Éternel et qu’Il « ne change point, que les enfants d’Israël n’ont pas été consumés », et que, jusqu’à cette heure, on les a vus survivre à tant de révolutions qui ont englouti tant d’autres peuples.

Enfin son avenir. C’est parce qu’il est le « Dieu clément, miséricordieux, lent à la colère, riche en grâce et qui se repent du mal », qu’après les avoir justement châtiés, comme Il avait fait le prophète leur symbole, Il s’apprête à leur « pardonner gratuitement » leurs offenses, « à éloigner » d’eux leurs « iniquités » et à leur rendre, avec leur terre, la plénitude de Ses bénédictions. Il les a « tous renfermé sous la malédiction, afin », dit l’apôtre, « de faire miséricorde à tous ». Quel moment que celui qui doit voir l’accomplissement de cette admirable parole ! Alors, pendant que l’histoire des Hébreux réalisera pleinement le nom de l’Éternel, leur bouche en proclamera la gloire (Mich. 7).

Nous venons de dire que le nom de l’Éternel semble comprendre toutes les destinées du peuple juif. Serait-ce trop téméraire d’ajouter qu’il semble comprendre également les destinées futures des nations ? Pour nous, nous aimons à l’accepter comme un gage des bénédictions que Dieu leur réserve dans l’âge prochain ; à anticiper cette économie de salut, de vie et de paix où, selon notre ferme espérance, doit se vérifier magnifiquement, envers l’humanité tout entière, chacun des traits glorieux qui composent le nom de l’Éternel, ce grand nom devant lequel s’inclinent avec amour les rachetés sur la terre et les anges dans les cieux ; — nous aimons à nous transporter, par la pensée, dans ces temps bienheureux où « les Gentils se réjouiront avec son peuple », où les nations chanteront avec Israël : « Célébrez-le, bénissez son nom ; car l’Éternel est bon ; sa bonté demeure à toujours et sa fidélité d’âge en âge » (Deut. 32 ; Rom. 15 ; Ps. 100).

Nous ne terminerons point ces réflexions sans indiquer au moins une pensée que nous aurions voulu pouvoir développer tout au long. « Éternel ! » tel est donc, comme on vient de le voir, le nom sous lequel Dieu s’est particulièrement donné à connaître à la nation juive. C’est sous un nom plus doux qu’Il s’est révélé à l’Église. Ce nom, nous le connaissons, c’est celui de Père. Également prononcé par le Seigneur en personne dès le début de l’économie, il l’a de même traversée entièrement jusqu’à ce jour. Il la domine à la fois, la caractérise et la résume. Dieu est le Père de Jésus et le Père de l’Église. Il l’aime éternellement en Christ et Il l’aime du même amour que Lui : en Lui, Il « l’a bénie de toute bénédiction spirituelle dans les lieux célestes ». Et c’est parce qu’Il l’aime de toute éternité et qu’Il l’aime en Père, qu’Il a envoyé dans le monde Son Fils, Son unique, pour la racheter. La médiation de Jésus est le fruit, la conséquence, non la source ou le motif de l’amour de Dieu pour elle (Jean 3 ; 17 ; Éph. 1 ; 3 ; Héb. 2 ; etc.).

Père ! Tel est donc, ô mon âme, le nom que tu as reçu le droit de prononcer, si tu crois vraiment au Sauveur. Mais alors rappelle-toi que Celui que tu invoque comme ton Père, est un Père saint ; que s’Il hait partout la souillure, nulle part elle ne le contriste autant que dans les gens de Sa famille, et qu’au besoin Sa main paternelle sait prendre la verge pour fouetter, ou la serpe pour émonder les fils et les filles de Sa dilection. Soit par l’amour ou par le châtiment, Il veut, à tout prix, les amener à la pleine jouissance du salut qu’Il leur a destiné en Christ ; et, dans la controverse qu’Il soutient avec eux, Il est décidé à avoir le dernier mot.



  1. Au chapitre 34 de l’Exode, les mots se présentent dans cet ordre-ci : miséricordieux, clément ; au chapitre 4 de Jonas, dans l’ordre opposé : clément, miséricordieux ; ce sont du reste les mêmes mots.