Livre:Jonas, fils d’Amitthaï (E.G.)/L’égoïsme

De mipe
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« Mais Jonas en eut un extrême déplaisir ; il s’irrita ».

Jonas entre dans une phase nouvelle d’expériences. Il venait d’accomplir l’œuvre du Seigneur au-dehors ; Dieu a maintenant une question personnelle à régler avec lui. Jonas a visité Ninive ; il faut qu’à son tour il soit visité, et que, après avoir pris soin de la vigne d’autrui, il reconnaisse l’état de sa propre vigne (Cant. 1). De tristes choses vont se passer entre Dieu et lui. Le Seigneur eût pu les tenir cachées, Il a trouvé bon de les mettre au jour ; Il veut qu’on sache bien que tout peut sembler extérieurement pur, dévoué, splendide, dans le service qui Lui est rendu, pendant que beaucoup de choses y manquent intérieurement.

Nous venons de dire que, pour Jonas, l’œuvre extérieure était terminée, et que l’œuvre intérieure allait commencer ; c’est, en effet, le sujet du chapitre dont notre texte est le début : « Mais Jonas eut un extrême déplaisir » (du pardon que l’Éternel venait d’accorder à Ninive), et « il s’irrita ».

Nous avons vu de quel succès il avait plu à Dieu de couronner la mission de Jonas. Heureux prophète, prédicateur béni, s’il en fut ! À sa voix une grande cité, abattue devant Jéhovah comme un seul homme, avait pleuré sur ses crimes et reçu grâce. Cet étonnant résultat de son ministère ne le remplira-t-il pas de joie ? Récemment échappé lui-même aux châtiments de Dieu, ne félicitera-t-il pas Ninive de les avoir prévenus par une repentance analogue à la sienne ? Et ne louera-t-il pas, enfin, de toutes les puissances de son âme, Celui qui l’avait daigné choisir pour devenir l’instrument de si grandes choses ?

Jonas n’en fera rien ; Jonas ne félicitera point les Ninivites ; il ne se réjouira point avec eux ; il ne bénira point l’Éternel ; Jonas, tout au contraire, se lamentera, il se déchaînera contre Dieu. Une fois déjà il n’avait pas trouvé la volonté du Seigneur, « bonne, agréable et parfaite », et maintenant encore il ne la trouve point telle. Nous voici ramenés au côté fâcheux de son caractère. Pauvre Jonas ! Pourquoi tout ce dépit ? « Ton œil est-il malin de ce que » l’Éternel « est bon » ? N’a-t-Il pas le droit de faire de Son bien ce qu’Il veut ? Vaux-tu mieux devant Lui que Ninive ? Et parce que tant de vies ont à tes yeux si peu de prix, faut-il qu’aux siens elles n’en aient pas davantage ?

Mais l’irritation du prophète avait probablement encore d’autres causes. Il voyait sans doute avec peine la réforme de Ninive condamner l’endurcissement de Samarie et de Jérusalem. Il ne pouvait non plus sans douleur contempler Éphraïm courant, par sa révolte, au-devant des jugements de Dieu, pendant que la cité païenne les éloignait d’elle par son repentir. Ainsi Ninive sauvée allait croître en puissance, tandis que, retranché de dessus sa terre, le peuple de Jonas deviendrait la risée de la grande ville et des nations. Tout cela le préoccupe péniblement. D’autres pensées le tourmentent autant ou plus encore. Les menaces qu’il avait prononcées contre Ninive n’ayant pas eu leur effet, il se persuade que Dieu sera réputé menteur, et surtout lui, Jonas, faux prophète ; que, revenue de sa terreur, la ville de Pul se moquera de lui, l’insultera, le lapidera peut-être ; qu’Israël le bafouera et que son nom retentira dans les chansons des ivrognes. Plutôt que de souffrir dans l’opinion de ses semblables, il aimerait mieux voir la ville des nations périr, et ses murs renversés écraser de leurs débris ses deux millions d’habitants ! C’est ainsi que l’égoïsme le rend cruel. — Mais, Jonas ! ton imagination t’abuse ; tes sombres prévisions ne se réaliseront pas ; bien loin de te flétrir, l’opinion publique te désignera, tout au contraire, comme le plus heureux des prédicateurs, en même temps qu’elle exaltera la clémence de ton Dieu. La repentance et le salut de Ninive seront l’honneur de ton ministère, autant que la gloire de Celui qui te l’avait conféré. Puis, que t’importe l’opinion des hommes ? Fais ce qu’Il te prescrit et laisse-Lui le soin de ta réputation ; si Lui-même ne compromet point Sa gloire en faisant grâce aux pécheurs qu’Il avait menacés, comment se déshonorerait auprès d’eux l’organe de Ses menaces ? Enfin, sied-il bien au fils d’Amitthaï, après sa chute et le pardon qu’il a reçu, de se montrer encore si superbe et si dur !

Dans le caractère du prophète tel que notre verset nous le montre, les traits suivants nous frappent : l’égoïsme avant tout ; puis, ses funestes conséquences, un esprit mécontent et volontaire, le manque de reconnaissance et de charité.

Nous disons d’abord l’égoïsme. C’est le trait le plus saillant de sa physionomie morale. De toutes les personnifications de ce vice odieux, Jonas est la plus parfaite que nous connaissions. C’est l’égoïsme incarné. La gloire de Jéhovah, manifestée dans le pardon de Ninive, n’est rien pour le prophète ; sa petite gloire personnelle lui est tout. Le bonheur de Ninive lui importe également assez peu ; ce qui l’intéresse et le touche, c’est encore et toujours son honneur, et son honneur comme il l’entend ; après avoir largement usé pour lui-même des compassions divines, il n’admet pas que d’autres en jouissent à leur tour ; il veut la grâce et la veut pour lui seul. Fatal égoïsme qui étouffe les affections les plus douces du cœur et mène tout droit à tous les péchés !

Jonas est inquiet, chagrin, mécontent : mécontent sur mer et mécontent sur terre ; mécontent dans l’adversité et mécontent dans la prospérité ; inévitable conséquence de son égoïsme ! Il n’a pas ce qu’il veut, et rien de ce que Dieu fait n’a le secret de lui plaire ; il trouve partout à redire, partout à censurer.

De plus, Jonas est volontaire. Il imposerait, s’il le pouvait, sa volonté à Dieu même. Cette malheureuse disposition d’esprit qui l’avait poussé vers Tarsis, lui fait maintenant désirer avec ardeur la destruction totale de Ninive et le remplit de dépit et de colère. Dieu dit : Je veux ! et Jonas : Je ne veux pas !. Dieu dit : Ninive sera sauvée ! et Jonas : Qu’elle périsse avec tout ce qu’elle contient, hommes, femmes et enfants !

Jonas est ingrat. Il a trouvé merci auprès de Celui qu’il avait si grièvement offensé : Dieu a ouï le cri de sa détresse dans le ventre du poisson, Il a accepté sa repentance, agréé ses vœux ; Il lui a rendu l’éclatante mission d’aller avertir et humilier de Sa part la grande cité d’Assyrie. Après de pareils témoignages de la bonté divine, Jonas ne bénira-t-il pas l’Éternel de toute son âme ?… Hélas ! pas une pensée de gratitude n’animera ce cœur ; pas un accent de louange ne sortira de cette bouche ! Le seul cri qui s’en échappe est celui de l’orgueil et du dépit. Si Jonas a paru touché, c’est pour un instant ; en lui l’homme naturel a bientôt retrouvé sa dureté accoutumée ; chute profonde, châtiments, vœux, humiliation, promesses, délivrance magnifique, tout est oublié.

Enfin, Jonas se montre dépourvu de tout sentiment de charité. Lui qui, après avoir trouvé les Ninivites si dociles à ses paroles, eût dû, à ne parler qu’humainement, s’intéresser à leur sort, ne peut prendre son parti de les voir si facilement quittes des jugements de Dieu. Nous en étonnerons-nous ? Comment l’amour se trouverait-il où règne le moi charnel ? Jonas n’aime pas dans ce moment : voilà la clef de sa conduite. L’enfer n’aime pas et se réjouit de ce que les pécheurs périssent ; le ciel aime et se réjouit, au contraire, de les voir sauvés. À qui ressemble à cette heure le malheureux fils d’Amitthaï ?… Au diable et à ses anges !

Mais c’est assez parlé de Jonas ; parlons un peu de nous. L’histoire du prophète, comme la Bible entière, est un miroir où se reproduit fidèlement notre image. Regardons attentivement dans ce miroir qui ne flatte personne et, à moins que le voile des illusions ne soit encore sur nos yeux, nous nous y reconnaîtrons sans peine : entre Jonas et sa nombreuse parenté répandue sur toute la terre la ressemblance est incontestable.

En premier lieu, l’égoïsme nous caractérise comme le prophète de Gath-Hépher ; plus ou moins développé, ce malheureux penchant existe chez nous tous : c’est le fond de notre nature et le résumé de notre histoire ; s’il ne se manifeste pas en nous de la même manière et au même degré qu’en Jonas, cela ne tient peut-être qu’à la différence des positions ; à sa place, nous n’eussions probablement pas agi autrement que lui. Cependant, il n’est pas de principe dans l’homme déchu qui déshonore Dieu comme l’égoïsme. Il n’en est pas non plus qui empêche autant de bien et produise autant de mal. Source féconde de tous nos péchés, nous le retrouvons dans tous nos sentiments, dans toutes nos prières et jusque dans nos meilleures actions.

Dans nos sentiments. C’est l’égoïsme qui paralyse si fréquemment en nous tout élan généreux, toute noble pensée de dévouement ou de sympathie ; qui fait que nous écoutons avec indifférence le récit des calamités générales ou des infortunes domestiques, dès qu’elles ne nous atteignent pas personnellement ; que nous dissertons froidement et tout à l’aise sur les souffrances d’autrui, sur les châtiments (c’est notre mot), sur les châtiments dont nous le voyons atteint. C’est l’égoïsme qui trop souvent nous empêche d’aller annoncer nous-mêmes à ceux qui s’en vont périr, ou de leur faire annoncer par d’autres, « le seul nom qui soit donné aux hommes pour être sauvés ». C’est l’égoïsme, enfin, qui nous fait trouver que Dieu ne punit pas assez sévèrement ou assez vite les pécheurs ; qui nous rend jaloux des grâces qu’Il dispense à ceux qui sont entrés dans Ses voies plus tard que nous ; et qui, lorsqu’un homme du monde, ou même un frère, nous a donné quelque sujet de plainte, nous inspire trop facilement le triste vœu que Dieu lui fasse payer chèrement le tort qu’il peut avoir à notre égard.

L’égoïsme se retrouve également dans nos prières. Je n’en produirai qu’un exemple. C’est l’égoïsme qui fait que, oubliant le prochain dans nos requêtes, nous songeons plutôt à nous et à ce qui nous touche de près ; et que la prière je, qui trop souvent est, en effet, celle de l’égoïsme, se place plus naturellement sur nos lèvres que la prière nous, qui pourtant est celle que le Seigneur nous a Lui-même enseignée (Luc 11), et celle aussi que dicte l’amour.

Enfin, l’égoïsme, infectant notre activité chrétienne, nous pousse habituellement à nous rechercher nous-mêmes dans le bien que nous faisons individuellement, comme aussi dans celui que nous accomplissons de concert avec d’autres, comptant bien trouver notre petite gloire personnelle dans la gloire collective de l’église ou de la société religieuse à laquelle nous appartenons. C’est encore ce misérable moi d’association ou d’église qui engendre toutes les rivalités des dénominations chrétiennes, toutes les misères de l’esprit de corps. Qu’un champ d’activité religieuse, par exemple, ait été par le Seigneur remis à nos soins pour le cultiver, il obtient alors tout notre intérêt, toutes nos affections ; mais, que ce même champ de travail passe aux mains de frères qui, sur des points secondaires de doctrine ou de pratique, ne partagent pas nos manières de voir, souvent il arrive que peu à peu nos sympathies s’en détachent, et que, à la fin, nous éprouvons une joie maligne à nier ou à amoindrir le bien qui s’y fait ; peut-être même, en certains cas, notre méchant cœur a-t-il conçu le secret désir que l’œuvre évangélique cessât d’y prospérer, si les âmes devaient y être amenées à Dieu par telle classe de chrétiens, dont la théologie ou la marche n’a pas notre entière approbation. Ô turpitudes de notre nature ruinée ! Ô misères, ô plaies profondes, qui n’attestent que trop notre proche parenté avec le fils d’Amitthaï !

Il est une autre particularité du caractère de Jonas que nous remarquons plus ou moins en nous, c’est l’esprit de mécontentement. La nombreuse famille du Gath-Hépherite, travaillée du même mal que lui, se montre universellement inquiète, chagrine, mécontente de son sort, malheureuse : malheureuse dans un palais comme sous le chaume, dans un lit de plumes comme sur un grabat ; partout elle a la plainte à la bouche : rien ne lui plaît, et elle semble résolue d’avance à ne rien trouver non plus qui lui plaise. Fâcheuse disposition ! Tendance funeste, hostile aux hommes et désagréable à Dieu ! Vraie jaunisse morale qui nous montre tout sous un faux jour ! En toute épreuve, en tout mécompte, c’est aux hommes, c’est aux circonstances, c’est à Dieu même qu’on s’en prend, semblable à l’homme ivre qui croit voir tout chanceler autour de lui pendant que c’est sa tête à lui seul qui tourne.

Un troisième trait de la famille des Jonas est l’esprit volontaire, cet autre fruit de l’égoïsme. L’esprit volontaire n’est, en effet, que le moi trônant, à la place de Dieu, dans la volonté, cette noble faculté de l’âme. Jonas, comme on l’a vu, veut ce qu’il veut ; il est de bonne humeur quand tout va comme il l’entend ; mais Dieu contrarie-t-Il ses désirs, aussitôt il s’émeut, il s’aigrit, il s’irrite. Tous les châtiments qui l’ont frappé jusqu’ici ne l’ont point changé : Jonas est toujours Jonas. — Et nous sommes ses frères et ses sœurs ! Que notre volonté s’accomplisse et nous voilà contents ; rencontre-t-elle de la résistance, alors éclate notre dépit. Nous voudrions l’imposer au monde entier, à Dieu Lui-même. L’esprit volontaire est un despote au petit pied qui entend que, devant sa chétive majesté, tout plie et s’abaisse. C’est la révolte contre le Créateur ; c’est la créature voulant que le Seigneur de toute la terre abdique en sa faveur ; c’est un ver luisant qui dit au soleil : « Tu peux te retirer, j’éclairerai le monde à ta place ». C’est l’anarchie, c’est le malheur. Détruisez-le et vous rétablissez l’harmonie et la félicité. Tel est aussi le doux spectacle que nous réserve le siècle à venir. Mais jusque-là l’esprit de l’homme discutera, contestera, luttera contre Dieu. Le Seigneur poursuit Ses plans, sans s’inquiéter des nôtres : voilà ce qui nous chagrine. On s’attaque aux circonstances, aux causes secondes, aux créatures, comme si les créatures, les causes secondes, les circonstances n’étaient pas les instruments du gouverneur du monde ! Comme si le méchant Shimhi, par exemple, accablant David de ses pierres et de ses anathèmes, était autre chose que le bras de Dieu poursuivant le roi-prophète de Ses justes châtiments ! Et, de fait, que manque-t-il à la sainte volonté de Dieu ? Révélée ou providentielle, n’est-elle pas toujours également « bonne, agréable et parfaite » ? Telle, en effet, la trouve l’âme « transformée par le renouvellement de son entendement » (Rom. 12). Elle accepte volontiers toutes les dispensations du seul bon, du seul sage ; elle répète avec Moïse : « La voie du rocher est parfaite » ; avec la Sunamite : « Tout va bien » ! avec la foule qui accompagnait Jésus : « Il a tout bien fait » ! Et lui permît-Il de diriger elle-même ses voies, de régler ses destinées : « Seigneur, lui dirait-elle, que ta main, ta bonne main de Père, qui jusqu’ici les a si bien dirigées, les dirige aussi jusqu’à la fin ».

Indépendamment de tout autre motif, une seule réflexion devrait suffire à nous inspirer la soumission. Que faisons-nous, en effet, en luttant contre le Seigneur, en nous querellant avec Ses créatures, en ergotant sur Ses dispensations ?… Nous multiplions notre travail, nous aggravons notre peine. La charge qu’Il nous impose n’est pas trop pesante en elle-même, et toujours avec elle Il nous donne la force nécessaire pour la porter. Ne l’augmentons pas par notre faute ; car, au secours indispensable pour porter le faix ordinaire qu’Il met sur nous, le Seigneur n’est point tenu d’ajouter la force additionnelle que requiert la surcharge que nous y joignons. Ainsi s’expliquent tout naturellement l’accablement et les gémissements de plusieurs.

L’esprit volontaire de Jonas, fruit de son égoïsme, occasionna ses chutes et ses douleurs. Ce même esprit est également la source de nos péchés et de nos souffrances. Le Seigneur est décidé à le combattre et à le soumettre dans les siens ; de là ces épreuves de tous les jours, ces contretemps, ces mécomptes de tous les moments, que permet Sa paternelle sagesse : exercices pénibles à la chair, qui l’étonnent, la fatiguent et la brisent, mais dont l’issue sera pour l’esprit éternellement heureuse. Au reste, nous n’avons rien de mieux à faire, quand le vent de Dieu souffle en sens inverse de nos désirs et de nos projets, que de plier, pour ainsi dire, les voiles de notre nacelle, que de cesser la manœuvre et de nous abandonner à l’amour de Dieu ; tandis que les inspirations de notre propre cœur nous conduiraient infailliblement à notre perte, le souffle de Ses dispensations divines nous poussera toujours vers les rives bienheureuses de la céleste Canaan.

Un nouveau trait de la physionomie morale de Jonas, que nous avons également remarqué, c’est l’ingratitude ; cachée un instant au fond de son cœur, elle reparaît ensuite dans toute sa force, sitôt l’épreuve terminée, comme la plante qui, morte en apparence pendant l’hiver, regerme avec vigueur aux premiers rayons du soleil printanier. Tel il est, tels sommes-nous. Autant il y a d’hommes au monde, autant il compte de frères. Que de choses chacun de nous n’aurait-il pas à dire des bontés du Seigneur ! Que de grâces reçues ! Que de pardons ratifiés ! Que de délivrances accordées ! Tout cela, sur l’heure, est plus ou moins senti ; il y a, dans le cœur, des hommages, des vœux, de saintes résolutions : on servira Dieu fidèlement ; on ne vivra désormais que pour Lui, heureux de reconnaître ainsi Son amour ! Mais que l’obéissance soit de nouveau mise à l’épreuve, alors bien souvent péchés, châtiments, repentir, prières, vœux, promesses, tout est oublié. Odieuse ingratitude ! Elle nous blesse et nous révolte chez nos semblables, surtout quand nous en sommes personnellement les objets, et tous les jours nous nous en rendons coupables envers Dieu ! Partout elle choque ; mais là principalement où le Seigneur avait déposé le plus de grâces. C’est assez dire que nulle part elle n’est plus répréhensible que chez les enfants de Dieu. S’ils se taisent, les pierres même crieront et leur reprocheront leur dureté. Ah ! Seigneur ! rappelle-nous, par ton Esprit, ce que nous étions de notre nature et ce que ton amour nous a fait devenir ; amollis, réchauffe ces cœurs ingrats ; ouvre ces lèvres qui s’obstinent au silence quand elles devraient éclater en actions de grâces, et que notre vie entière soit un hymne à ton honneur !

L’égoïsme, un esprit mécontent et volontaire, l’ingratitude enfin, voilà donc tout autant de traits qui nous désignent comme étant la parenté du prophète. Pour achever la peinture, à toutes ces misères ajoutons encore l’absence de tout sentiment d’amour. Jonas ne sentait rien pour Ninive, et sûrement il avait trouvé un secret plaisir à lui dénoncer les jugements du ciel. Trait fâcheux de son caractère, et que nous partageons également avec lui ! Que de gens à qui, dans de certains moments surtout, nous dénoncerions volontiers la colère de Dieu sans leur annoncer en même temps ses miséricordes ! Telle est notre nature depuis la chute. Nous n’aimons pas, ou plutôt la faculté naturelle d’aimer qui demeure toujours en nous, fait habituellement fausse route ; au lieu de se diriger vers Dieu et vers le prochain, c’est sur nous-mêmes qu’elle se reporte, répandant la désolation dans cette âme où elle devait répandre la vie et le bonheur. Ah ! veuille le Seigneur retourner vers son vrai centre cette belle faculté, la plus noble des facultés de notre être ! Que Son Esprit incline notre cœur à aimer Dieu et à nous aimer les uns les autres ! Et que, après avoir mis en nous cet amour, Il daigne l’entretenir et l’alimenter de jour en jour par Sa grâce ! Alors nous serons vraiment les fils et les filles de Celui dont le nom est charité.

Voilà ce que nous tenions à dire sur notre ressemblance avec Jonas. Maintenant, égoïstes, chagrins, rétifs comme nous le sommes, dénués par nous-mêmes de tout sentiment de reconnaissance et d’amour, quel besoin n’avons-nous pas de nous humilier devant Celui qui nous supporte, nous aussi, avec tant de patience ; d’aller journellement nous laver à la « source » qu’Il « ouvrit pour le péché et la souillure », et de Lui demander que Son Esprit déploie en nous Son pouvoir, pour nous faire ressembler à Jésus dans le nouvel homme, comme nous ressemblons à Jonas dans le vieil homme ; pour détrôner le moi ou plutôt le soumettre à Son joug ; pour assujettir en toutes choses notre vouloir au sien, et, par la gratitude et l’amour, amener enfin, prisonnière à l’obéissance de Jésus Christ, cette âme, naturellement revêche, inquiète, mécontente, ingrate et volontaire !

Au reste, ne nous étonnons pas de voir Dieu nous révéler, comme Il le fait dans toute Sa Parole, la vie intérieure de Ses enfants ; de Le voir déployer, étaler, en quelque sorte, devant nous leurs plaies secrètes et toutes leurs infirmités. Il veut nous donner à connaître ce que vaut un cœur d’homme, et, par la grandeur de notre misère, faire ressortir à nos yeux celle de Sa miséricorde ; Il veut nous rendre cette vérité plus sensible, qu’à Lui seul est due la louange du bien qui se manifeste dans les siens et la gloire de leur salut ; et que si, dans tous les temps, Il les a non seulement supportés jusque dans leurs chutes les plus profondes, mais opiniâtrement poursuivis de tous les témoignages de Sa charité, c’est qu’Il les a éternellement vus et aimés en Christ.

Outre ce but moral, Dieu s’est proposé de plus un but symbolique. Ainsi, par exemple, Jonas, dans ses tristes dispositions envers la païenne Ninive, devait, selon nous, personnifier le Juif dans les sentiments que celui-ci manifesterait un jour à l’égard des Gentils, dans son antipathie pour les nations et son opiniâtre et constante opposition à leur salut.

Tel est donc le but moral et tel aussi le but symbolique du livre de Jonas. Ce double but en est en même temps la clef. Autant le livre est obscur, choquant, incompréhensible pour l’homme irrégénéré, autant le discernement spirituel de l’homme en Christ y découvre de beautés cachées, d’harmonie, de sagesse et de grandeur. Ces réflexions s’appliquent à tout le livre du prophète ; mais aucun des chapitres dont il se compose ne les rappelle plus naturellement et plus souvent que le quatrième.